Recension in Revue biblique

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Recension de Étienne Nodet op in Revue Biblique, École Biblique et archéologique française,  Jérusalem, 2023/4, p.627-629

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« Jean : l’Évangile en filet. L’oralité méconnue d’un texte à vivre, par Françoise BREYNAERT ; préface de Mgr Yousif Thomas MIRKIS, archevêque chaldéen de Kirkouk et Sulaimanyah. 15 × 23 ; 465 p. Paris, Parole et Silence, 2020. — Br., 28 € (ISBN 978-2-88959-212-8).

Dans cette étude, l’A. revient sur l’oralité de la culture orientale dont Jésus était imprégné, dimension qui s’est largement perdue dans l’Occident positiviste, mais qui s’est conservée surtout dans les traditions syriaques, c’est-à-dire dans l’araméen chrétien.

En grec, on voit Paul soucieux de manuscrits, donc d’écrits (2 Tm 4,13), bien qu’il affirme le primat du kérygme, proclamation orale (cf. Rm 10,14) ; vers 110-130, Papias, évêque de Hiérapolis recherchait des témoins des paroles des anciens (presbuteroi), plus vivantes que l’écrit.

Après ces généralités, l’A. pose un cadre : Jean, identifié au « disciple bien-aimé » et jeune au moment des événements, rapporte dans son évangile les paroles de Jésus ressuscité, tout en restant très discret sur lui-même. Il développe les mystères annoncés dans les Synoptiques, mais sous une forme d’abord orale et en araméen, ce qu’attestent le Texte Occidental (D) et la Vetus Syra ; il n’est donc pas nécessaire de conjecturer « une communauté Johannique ». L’écrit n’est qu’aide-mémoire, car la composition est orale, avec une technique de « récitatif », sous plusieurs aspects :

  • a) un balancement des stiques (petgames) ;
  • b) des aides mnémotechniques simples, y compris un contexte liturgique et un retour sur les lieux ;
  • c) un mode de transmission d’enseignant à disciples (au mieux six, chacun formant ensuite six autres) ;
  • d) une division en récits élémentaires, ou « perles » ou même des « tresses », avec comptage par dix ou douze, formant des fils, des « colliers de perles » ;
  • e) une distinction entre colliers simples à cinq perles, ou colliers plus complexes, et en particulier « filets », où des lignes successives de perles forment un espace à deux dimensions, ce qui permet une récitation par enchaînement soit horizontal, soit vertical.

Auparavant, pendant les quarante jours précédant l’Ascension, Jésus a pu inculquer beaucoup de choses aux apôtres, et les a entraînés à réciter « par cœur ». Plus tard, Paul reçut un enseignement par les chrétiens de Damas, et le récita à Jérusalem (Ga 2,1).

L’écrit étant secondaire, on peut ainsi mettre en relief sa composition, selon des récitatifs-colliers, et telle est la tâche de l’exégèse. Par exemple, on repère ainsi un filet autour de la Transfiguration Lc 9,18-45 + 18,31-34, cette dernière « perle » ayant été éloignée par l’insertion d’autres récitations. De même, Jn 12,21-22 a été inséré pour introduire les non-juifs. L’évangile de Matthieu, qui suit délibérément l’année liturgique juive, a été le premier introduit dans la liturgie ; une tradition veut que Matthieu l’ait écrit après la mort d’Étienne en 37, dans la langue des Hébreux, le grec venant plus tard. Vers 44, Marc aurait consigné en latin l’enseignement de Pierre. Enfin, Jean aurait composé plus tard son « filet » en araméen, avec l’aide de Marie, l’usage liturgique étant très postérieur. Une garantie de la fidélité à Jésus est fournie par la cohérence entre Jn (Jean) et Mc (Pierre), dont les « perles » se répondent.

Ainsi, la composition du filet d’ensemble de Jn s’est faite en trois étapes. La première est une série d’alternances à deux voix, qui se développe en cinq moments ou perles :

  • a) baptême de Jésus et appel des apôtres avec Pierre (Mc) et Jean (prologue de Jn).
  • b) Puis les cinq miracles de Jn ont un parallèle chez Mc (Pierre), mais ils ont été amplifiés.
  • c) Le Pain de Vie offre une autre structure d’alternance, qui commence des deux côtés par la multiplication des pains ; puis le pain céleste de Jn a pour écho une seconde multiplication des pains de Mc. Ensuite, la Transfiguration a pour écho la voix céleste du Père qui témoigne pour le Fils.
  • d) La Passion fournit encore une alternance : Jésus est arrêté à Gethsémani, puis le procès nocturne au Sanhédrin de Mc a pour écho chez Jn le dialogue avec Pilate.
  • e) Enfin, la résurrection est la cinquième structure d’alternance, qui conduit les apôtres du tombeau vide à une rencontre décisive avec Jésus, qui les envoie dans le monde.

Après cet ensemble, on discerne une seconde étape, un proto-filet propre à Jn qui est composé de six fois cinq perles ; il a ajouté les vendeurs chassés du Temple et Nicodème, avec de fortes allusions à la résurrection. Il a inséré trois chapitres entre Jn 13,1-15 et 17,1-11 (avec la reprise de « l’heure est venue »).

Enfin, la troisième étape pour le filet définitif est représentée par des ajouts, qui sont bien marqués par la tradition syriaque : enseignements (7,37-8,59) ; le Bon Pasteur (10) ; la décision de Caïphe (11,47-57) ; le discours après la Cène (14–16).

Le prologue de Jn introduit les trois manières de lire le filet d’ensemble : d’abord, pas à pas, il s’agit d’accueillir Jésus ; ce sera la lecture de l’évangile en suivant les fils horizontaux (1,6-14). Ensuite vient une relecture méditative, avec les fils verticaux (v. 15-18). Le tout est coiffé d’une introduction-synthèse sur le dessein créateur de Dieu, correspondant à une lecture en nœuds de tresses (v. 1-5).

Ensuite, l’ouvrage détaille l’organisation des perles et les diverses manières de les lire, ce qu’on ne peut résumer ici, et conclut que le quatrième évangile est le meilleur antidote contre les contrefaçons majeurs que sont le messianisme terrestre et la gnose, qui restent des tentations permanentes.

Les analyses de l’A. sont intéressantes et fines, mais l’interprétation en fils ou en tresses se rattacherait plutôt au genre homilétique [NDLR : un but de saint Jean est de faire méditer, précisément], et surtout le cadre proposé est plutôt arbitraire, avec un souci d’exactitude inutilement positiviste. On se bornera à quelques observations.

D’abord, l’A. suggère, quoique sans le dire vraiment, que le syriaque de Jn remonte à un araméen proche de Jésus, par-delà la version grecque connue ; en fait, on ne voit rien de clair avant le Diatessaron de Tatien. Ou encore, considérer que Jn développe les Synoptiques est un peu étrange, car il est beaucoup plus précis sur le calendrier et sur les institutions juives, alors que les Synoptiques sont plutôt désinvoltes sur ces points, ou plus exactement présentent la vie publique de Jésus comme un unique parcours, depuis le Jourdain avec Jean-Baptiste, jusqu’à la Pâque de la dernière Cène, à la suite de l’homonyme Josué conduisant les fils d’Israël du Jourdain à la Pâque de Gilgal (Jos 5, cf. RB 2013, p. 182-219). Par ailleurs, l’A. confond le christianisme et le vaste « mouvement de Jésus », qui était strictement juif et qui allait jusqu’à Ananie de Damas. Il est remarquable que les Actes et les lettres de Paul ne disent pratiquement rien sur l’enseignement de Jésus, sauf peut-être sur le divorce et l’eucharistie : le christianisme est essentiellement fondé non pas sur un discours de Jésus, mais à partir d’un discours sur Jésus. »

Étienne NODET.

Date de dernière mise à jour : 27/12/2023