La première lecture de la fête du Christ Roi donne :
« Moi, Daniel, je regardais, au cours des visions de la nuit, et je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme ; il parvint jusqu’au Vieillard, et on le fit avancer devant lui. Et il lui fut donné domination, gloire et royauté ; tous les peuples, toutes les nations et les gens de toutes langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera pas détruite. – Parole du Seigneur » (Dn 7, 13-14 traduction liturgique)
Le Livre de Daniel est rédigé en hébreu (chapitre 1 à 2, 4a et chapitre 8 à 12) et en araméen (chapitre 2, 4b à 7, 28), avec en plus des additions « deutérocanoniques », rédigées en grec et inconnues de l'hébreu, telles que le cantique des trois jeunes gens dans la fournaise (3, 24-90), l'histoire de Suzanne (chap. 13) et la séquence de Bel et du Dragon (chap. 14).
La vision que nous venons d’entendre advient après la vision des quatre bêtes, « Voici : les quatre vents du ciel soulevaient la grande mer ; quatre bêtes énormes sortirent de la mer, toutes différentes entre elles. […] Voici : une quatrième bête, terrible, effrayante et forte extrêmement ; elle avait des dents de fer énormes : elle mangeait, broyait, et foulait aux pieds ce qui restait. Elle était différente des premières bêtes et portait dix cornes. Tandis que je considérais ses cornes, voici : parmi elles poussa une autre corne, petite ; trois des premières cornes furent arrachées de devant elle, et voici qu’à cette corne, il y avait des yeux comme des yeux d’homme, et une bouche qui disait de grandes choses ! » (Dn 7, 2-8). Et c’est alors que Daniel a une autre vision, qui en est la suite : « et je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme », etc. Il s’agit d’un jugement et d’une victoire sur cette bête.
Tout ceci est ou sera accompli en Jésus.
La langue araméenne permet sur ce point d’éviter une ambiguïté de la langue grecque, qui n’est pas toujours aussi précise qu’on le voudrait. Elle permet dans les évangiles de ne pas confondre « LE fils de l’homme [brēh d-nāšā] » et « bar nāšā, fils d’homme, homme » ; mais en grec, il n’y a qu’une formule dans les deux cas : « ὁ υἱὸς τοῦ ἀνθρώπου » et cette ambiguïté a conduit les commentateurs de langue grecque à éviter cette expression (or elle est l’occasion d’enseignements très importants sur le sens de l’histoire !)
Dans l’évangile de Matthieu, l’expression « « Le Fils de l’homme [brēh d-nāšā] » apparaît pour la première fois en Mt 8, 20, donc après la prière du Notre Père où Jésus enseigne à demander à Dieu « que ton règne vienne » (Mt 6, 10). Jésus met ainsi ses disciples sur la piste de la juste compréhension de sa mission. Certes, il est le Fils de David et le Roi Messie attendu, mais son règne, qui est aussi le règne de Dieu, s’accomplira dans sa venue glorieuse à la manière du Fils de l’homme prophétisé par Daniel (Dn 7, 13).
C’est toujours avec l’expression « Le Fils de l’homme [brēh d-nāšā] » que Jésus a annoncé sa mort et sa résurrection. Sa mort n’est pas la fin de l’histoire, ce n’est pas non plus l’expression de l’impuissance divine : il reviendra dans la gloire, sur les nuées du ciel, c’est-à-dire comme une apparition du Ressuscité que tout le monde verra (cf. Mt 24, 27.30.37.39) en référence évidente au livre de Daniel, (qui utilise cependant une curieuse expression [bar nāšīn (pluriel absolu)], venant sur les nuées du ciel et jugeant les Empires (Dn 7, 13). Celui qui juge et qui régénère, c’est Jésus le Fils de l’homme, mort sur la croix, et ressuscité.
Il viendra sur les nuées du Ciel, il jugera le monde, et il établira son règne sur la terre. Il ne revient pas dans la chair pour régner avec les moyens de ce monde telles que la police ou l’armée, il revient sur les nuées, c’est-à-dire à la manière d’une apparition du ressuscité, (seuls certains hadiths musulmans disent que le messie reviendra sur la terre, charnellement, en Syrie ou sur le Mont des Oliviers, pour lever une armée !).
L’Apocalypse reprend du livre de Daniel l’image de la bête. Cette image évoque un royaume ou un système, la mafia d’un faux prophète, la concentration ultime du mystère d’iniquité, ce qui nécessite une évolution historique. Et, comme chez le prophète Daniel, après la vision de la bête (Ap 13), advient une autre vision, très ressemblante à celle du livre de Daniel (Ap 14, 14).
Le Christ de l’Apocalypse est le Fils de l’homme venant sur les nuées du ciel. Il lance sa faucille (blanche) pour moissonner la Terre (Ap 14, 15-16). Que l’image de la moisson signifie le temps de la Parousie, le jeune saint Augustin en était encore témoin : « C’est sur cette terre effectivement que l’Église apparaîtra d’abord environnée d’une gloire immense, revêtue de dignité et de justice. Point de déception alors, point de mensonge, point de loup caché sous une peau de brebis. […] Dans ce moment donc il n’y aura plus de méchants, ils seront séparés d’avec les bons ; et, semblable à un monceau de froment qu’on voit sur l’aire encore, mais parfaitement nettoyé, la multitude des saints sera placée ensuite dans les célestes greniers de l’immortalité » [1].
C’est ainsi que s’accomplira la prophétie de Daniel : « Et il lui fut donné domination, gloire et royauté ; tous les peuples, toutes les nations et les gens de toutes langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera pas détruite. » (Dn 7, 14)
Françoise Breynaert
[1] Saint AUGUSTIN, Sermon 259.