En ces temps où l’on parle avec une légèreté scandaleuse des armes atomiques en possession des uns et des autres, un psaume nous fait du bien : « Le Seigneur est roi ; il s’est vêtu de magnificence, le Seigneur a revêtu sa force. Et la terre tient bon, inébranlable… » (Ps 92,1-2).
Or ce n’est pas seulement un rêve. Et l’Apocalypse, ce livre si souvent incompris, confirme l’espérance de ce psaume.
L’Apocalypse est un filet d’oralité [1], c’est-à-dire qu’elle se lit dans le sens habituel mais aussi dans un sens transversal, disons vertical. Ainsi, dans le premier fil vertical, la lettre à la première église, Éphèse, puis le 1er sceau, la 1e trompette, le 1er calice, etc. Nous entendons la répétition du mot « Terre » (1e trompette, 1e prise de position, et 1er jugement-vivification). Ce fil vertical est préoccupé par ce qui doit advenir de la Terre (la planète et l’humanité en tant qu’elle vit sur la terre). La Bonne espérance ne concerne pas uniquement le salut individuel, la vie éternelle des âmes au regard de laquelle la Terre ne serait qu’un décor : la Terre fait partie de l’œuvre du Créateur qui doit accomplir son but. L’ange de la Bonne Espérance (Ap 14, 6-7 – 1e prise de position) oriente l’Église vers le but de la création, qui est « d’aimer » le Créateur d’un amour ardent : le bénir, le remercier, le louer, haïr ce qu’il hait, et l’aimer au point de vouloir de Son Vouloir divin. Cet ange prépare le règne du Christ qui adviendra une fois que les ennemis du Christ auront disparu (1e jugement).
La 1e trompette montre la terre désertifiée (Ap 8, 2), conséquence d’un vouloir satanique détruisant l’œuvre du Créateur qui avait planté un « jardin » (Gn 2, 8).
Le 1er calice nous parle de la bête et de la marque de la bête. La bête détourne vers elle-même la prosternation, donc aussi l’amour, qui devraient s’adresser au Créateur. Cela ressemble à l’Esprit Saint : il y a une forme d’amour, de culte, de lien social. Mais cette contrefaçon de l’Esprit Saint (par la bête) produit, au plan individuel, un « ulcère » (Ap 16, 2) : la marque de la bête blesse secrètement ceux qui la portent, car l’amour humain n’est pas fait pour s’adresser à la bête. Satan « prostitue » littéralement l’amour, c’est-à-dire lui attribue un but inférieur, rabaissé, voir pervers.
Le 1er jugement montre Babel, représentée par une prostituée. Elle est formée de commerçants « qui se sont enrichis de la puissance de sa folie » (Ap 18, 3). « Babel » inspire des échanges en vue d’un enrichissement. L’homme veut augmenter son profit, il veut s’élever par une « valeur » financière. Babel ressemble à l’Esprit Saint parce qu’elle inspire des échanges, des relations et même une fausse élévation. Mais l’Esprit Saint inspire des échanges humains en vue du bien, qui est Vie pour toujours. Satan introduit un désordre, le Bien n’est plus visé, l’homme n’est plus orienté vers son Créateur. Sortir de Babel (Ap 18, 4), c’est sortir des liens injustes et pervers que la société marchande risque d’imposer de plus en plus.
Par sa Passion, le Christ a déjà vaincu le Prince de ce monde ; mais son règne doit s’étendre sur la Terre à travers les luttes de l’histoire. « Et il sortit [en] vainqueur, et, victorieux, afin de vaincre » (Ap 6, 2 – 1e sceau). L’auditeur de Jean sait que le Christ ne soumet pas toutes choses à la manière d’un dictateur, mais à la manière d’un bon berger (Jn 10) ; et pas non plus par une centralisation excessive illustrée par « les rois » qui remettent leur autorité à « la bête » (Ap 17, 13), mais comme une vigne qui vivifie les sarments (Jn 15, 1-8). Le règne de Dieu commence avec un amour persévérant. Et quand l’Esprit Saint est répandu, les hommes retrouvent la compréhension mutuelle (Ac 2) que la construction de la tour de Babel avait fait perdre (Gn 11), ils sont animés d’un amour opérant (1e Église).
Françoise Breynaert, Extrait de l’émission radio « Entrons dans la liturgie du dimanche », Radio espérance du 24.11.2024. Cf. https://www.foi-vivifiante.fr/pages/preparer-dimanche/dimanches-de-ces-temps-ci/
Françoise BREYNAERT, L’Apocalypse revisitée. Une composition orale en filet. Imprimatur. Parole et Silence, 2022. 377 pages.