Saint Augustin (354-430) enseignait d’abord le millénium :
« Je le répète, ce huitième jour figure la vie nouvelle qui suivra la fin des siècles, comme le septième désigne le repos dont jouiront les saints sur cette terre ; car le Seigneur y régnera avec ses saints […] Après que les sept âges de ce monde qui passe seront écoulés et révolus, nous retournerons à cette immortalité bienheureuse. »[1]
La finale de La Cité de Dieu (XXII, 30), en distinguant le septième jour du huitième, pourrait encore être compatible avec le Sermon 259 : mais la perspective du royaume des justes est oubliée : « qu’il suffise » de ne plus rien préciser… :
« Qu’il suffise de savoir que le septième sera notre sabbat, qui n’aura point de soir, mais qui finira par le jour dominical, huitième jour et jour éternel, consacré par la résurrection de Jésus-Christ et figurant le repos éternel, non-seulement de l’esprit, mais du corps. »[2]
Mais au livre XX (ch. 7) de La Cité de Dieu, saint Augustin ne se contente pas de rester vague, il donne des précisions qui excluent nettement la perspective du Sermon 259 : excédé par les descriptions trop matérielles du Royaume à venir, il ne permet plus d’enseigner que la manifestation glorieuse – la Parousie – et l’entrée de la création dans la gloire soient deux étapes différentes et nécessaires toutes les deux.
« "Devant Dieu un jour est comme mille ans et mille ans comme un jour" (2P 3, 8), six mille ans s’étant écoulés comme six jours, le septième, c’est-à-dire les derniers mille ans, tienne lieu de sabbat aux saints qui ressusciteront pour le solenniser. Tout cela serait jusqu’à un certain point admissible, si l’on croyait que durant ce sabbat les saints jouiront de quelques délices spirituels, à cause de la présence du Sauveur, et j’ai moi-même autrefois été de ce sentiment.
Mais comme ceux qui l’adoptent disent que les saints seront dans des festins continuels, il n’y a que des âmes charnelles qui puissent être de leur avis. Aussi les spirituels leur ont-ils donné le nom de chiliastes, d’un mot grec qui peut se traduire littéralement par millénaires. Il serait trop long de les réfuter en détail ; j’aime mieux montrer comme on doit entendre ces paroles de l’Apocalypse (Ap 20, 1-5).
Notre-Seigneur Jésus-Christ a dit lui-même : "Personne ne peut entrer dans la maison du fort et lui enlever ses biens qu’il ne l’ait lié auparavant". Par le fort, il entend le diable, parce qu’il s’est assujetti le genre humain, et par ses biens, les fidèles qu’il tenait engagés dans l’impiété et dans le crime. C’était donc pour lier ce fort que saint Jean, selon l’Apocalypse, vit un ange descendre du ciel, qui tenait la clef de l’abîme et la chaîne. Et il prit, dit-il, le dragon, cet ancien serpent, que l’on nomme le diable et Satan, et il le lia pour mille ans ; c’est-à-dire qu’il l’empêcha de séduire et de s’assujettir ceux qui devaient être délivrés.
Pour les mille ans, on peut les entendre de deux manières : ou bien parce que ces choses se passent dans les derniers mille ans, c’est-à-dire au sixième millénaire, dont les dernières années s’écoulent présentement pour être suivies du sabbat qui n’a point de soir, c’est-à-dire du repos des saints qui ne finira jamais, de sorte que l’Ecriture appelle ici mille ans la dernière partie de ce temps, en prenant la partie pour le tout ; ou bien elle se sert de ce nombre pour toute la durée du monde. »[3]
C’est donc pour des raisons uniquement pastorales – éviter la publicité pour les interprétations des âmes grossières –, et sans faire de réfutation détaillée, que saint Augustin évite de parler du septième jour ou septième millénaire. Le sabbat des saints perd son identité, il est assimilé tantôt au 6° jour, tantôt au 8° jour, autrement dit à la durée du monde (la vie terrestre) ou à la vie éternelle, mais il n’est plus un temps intermédiaire.
On ne peut qu’être mal à l’aise. Confondre le millenium (Ap 20, 1-5) avec l’ensemble du temps de l’Église n’est pas convainquant, et à part le grand exégète protestant Dodd et son école (dite, à cause de cela, de l’eschatologie réalisée ou inaugurée), la plupart des exégètes modernes tendent à ne voir là qu’une interprétation forcée des textes bibliques. Il est possible de parler d’une résurrection spirituelle à propos du baptême ou de la conversion, mais à condition de ne pas occulter le sens premier des textes bibliques.
Le tournant augustinien rend difficile aujourd’hui une espérance chrétienne équilibrée : à la tendance millénariste qui rêve de construire le ciel sur la terre, s’oppose les tendances nihilistes pour lesquelles le monde est simplement voué à la destruction.
La Cité de Dieu étant une œuvre magistrale d’une importance bien supérieure au sermon 259, cette vision simplifiée influencera considérablement toute l’Église latine, jusqu’à nos jours. Les quelques lignes de saint Thomas d’Aquin distinguant avec subtilité l’instant des anges et l’instant de Dieu sont en vérité d’une grande importance, mais elles passent inaperçues et ne suffiront pas à faire sortir de l’oubli l’enseignement primitif.
Désormais, on voit mal en quoi la venue glorieuse du Christ apporterait quelque chose : en effet, de toute façon, au moment de la mort, chacun rencontrera le Fils de l’homme dans le jugement particulier. La fin du monde accompagnée de la mort de l’humanité suffirait au discours sur le jugement dernier. Une venue glorieuse du Christ sans aucune épaisseur temporelle n’apportera rien à ce qui se passera déjà par la simple mort de l’humanité.
En outre, le jour de la manifestation glorieuse semble désormais tout à fait arbitraire parce que si on pense que la venue glorieuse se limite à apporter un jugement et une rétribution personnelle à chacun, on ne peut pas voir l’importance de l’histoire communautaire de l’humanité.
On peut bien chanter quelques « Marana thâ », on ne voit plus l’utilité spécifique de la venue glorieuse du Christ.
Aussi nous faut-il revenir à une étude détaillées de tous les textes du Nouveau Testament, ce qui est l'objet du livre dont sont extraites ces lignes :
Françoise Breynaert, La Venue glorieuse du Christ. Véritable espérance pour le monde. Editions du Jubilé (octobre 2016). « Solidement ancré sur les fondements scripturaires et patristiques, le livre de Françoise Breynaert nous expose l’enseignement de l’Église sur le retour glorieux du Christ, tout en nous mettant bien en garde contre les autres messianismes, religieux ou politiques. » (+ Mgr Dominique Rey Évêque de Fréjus-Toulon)
Autrement dit, ce livre montre jusqu'où peut (ou non) aller la collaboration avec les non-chrétiens dans la lutte contre l'Antichrist, et réveille une grande espérance dans le cœur des chrétiens en abordant un thème que les chrétiens d’Orient n’ont jamais oublié.
Ce livre a fait l’objet d’une invitation à Notre Dame le lundi de Pentecôte 21 mai 2018 « décryptage », et 12 décembre 2018 « écoute dans la nuit ».
[1] Saint Augustin, Sermon 259.
[2] Saint Augustin, La Cité de Dieu, livre XXII, ch. 30.
[3] Saint Augustin, La Cité de Dieu, livre XX, ch. 7.