Les pardons bretons
L’exemple de N-D de Karmez. En 1820 ou 1821, un berger entend des « voix mélodieuses » et la « Vierge portant l’Enfant Jésus apparaît » au-dessus d’un buisson d’épines. On découvre une source et une statue de la Vierge. L’évêque du diocèse bénit la chapelle construite en son honneur en 1829. En 1855, une église plus vaste est édifiée. Chaque 8 septembre, le pardon de Notre-Dame de Karmez rassemble des dizaines de pèlerins. Les habitants se réunissaient pour refaire l'unité de la confrérie et se donner le pardon des déchirures et des affronts.
Il y a une centaine de « pardons bretons ».
L'origine de cette pratique provient de la division des paroisses en quartiers, appelés "frairies" ou confréries, dans lesquels les gens se devaient aide et assistance. Chaque confrérie se mettait sous la protection d'un saint et bâtissait sous son vocable une chapelle qui était le centre spirituel du quartier. Une ou deux fois par an, les habitants se réunissaient donc pour refaire l'unité de la confrérie et se donner le pardon des déchirures et des affronts.
Prières et fêtes. La messe solennelle est suivi ou précédée d'une procession ou bannières, reliques, croix, statues de saints portées par des hommes ou des jeunes filles parfois en costumes, suivies d'une cortège de pèlerins et prêtres chantant des cantiques en breton et litanies. Il était courant autrefois de faire le chemin pieds nus, à jeun et en silence. La procession était une prière pour que le saint ou la Vierge prenne possession du "quartier" et le tout se terminait par une fête populaire et souvent un feu de joie, des danses traditionnelles, des musiques, des jeux et un bon repas campagnard.
Les pardons continuent aujourd'hui. Il y a les grands pardons, par exemple celui de Sainte-Anne-d'Auray (le 26 juillet), qui sont fort impressionnants et rassemblent des milliers de personnes et touristes, chez qui la curiosité et la recherche du folklore l'emportent sur la dévotion. Les petits pardons, comme celui de St.Anne-de-Grapont à Surzur, sont moins spectaculaires, mais souvent plus fervents. Une enquête diocésaine a recensé plus de 400 pardons sur le territoire du Morbihan, dont la majorité se déroulent entre mai et septembre.
Fontaines et miracles. La fontaine, très fréquente près des chapelles, tient une place importante dans les pardons. On dénombre plus de mille fontaines sacrées en Bretagne. Outre leur richesse architecturale, elles tiennent une place à part dans les rites. On leur prête des vertus curatives pour presque tous les maux. Pardonner ouvre les portes du Ciel. On pardonne en puisant l’amour dans le Cœur de la Très sainte Vierge Marie, en puisant l’amour dans le Cœur du Christ. Pardonner est un acte créateur, une force créatrice, un acte divin qui déclenche toutes sortes de miracles.
Ex-voto. Certaines processions transportent également des ex-voto, surtout au bord de la mer où ils prennent la forme de maquette de bateaux.
Troménies. Certains pardons suivent de longs itinéraires appelés "troménies" (en breton, tour du territoire du saint) comme la "Grande Troménie de Locronan" qui, tous les 6 ans, suit un parcours de 12 kilomètres ponctué de chapelles votives improvisées.
Le « Tro Breiz » : Depuis le XII° siècle, les sept saints fondateurs des évêchés armoricains ("pères de la patrie") sont vénérés dans le plus célèbre des pèlerinages bretons: le « Tro Breiz » ("tour de Bretagne", en breton). Le pèlerin doit, une fois au moins dans sa vie suivre un itinéraire précis par des voies antiques, reliant les tombeaux des 7 saints et des 7 évêchés: Samson à Dol Malo à Saint-Malo, Briec à Saint-Brieuc, Tugdual à Tréguier, Pol-Aurélien à Saint-Pol-de-Léon, Corentin à Quimper, et Patern à Vannes.
Les anciens statuts du chapitre de la cathédrale de Rennes accordaient autant d'importance à ce pèlerinage qu'aux voyages de dévotion faits à Rome, Jérusalem ou Saint-Jacques-de-Compostelle. Le parcours de plus de 500 kilomètres, se fait à pied, en 30 jours, à raison de 20 km par jour.
Depuis 1994, cette pratique ancestrale sort de l’oubli et attire de nombreux pélerins.
Sainte d'Anne d'Auray
(Morbihan, diocèse de Vannes) :
Sainte Anne est la mère de la Vierge Marie, connue dans la tradition par l’apocryphe du II° siècle, le protévangile de Jacques. Elle est donc la grand-mère de Jésus…
Origine du sanctuaire de sainte Anne d’Auray
Ici, (nous suivons le site officiel du sanctuaire[1]) à l’époque des apparitions de sainte Anne, dans ce petit hameau du nom de Keranna, comptant une cinquantaine d’habitants, le ciel a touché la terre.
Nous ne savons rien sur l'enfance et la jeunesse de Yvon (ou Yves) Nicolazic. Adulte, c'était un homme juste et droit, honnête et travailleur. Homme de paix, on faisait souvent appel à sa sagesse pour apaiser les conflits qui pouvaient se faire jour entre les habitants de Keranna, son village. Keranna est un toponyme qui comporte déjà la mémoire de sainte Anne. Il arrive souvent que le nom d’un lieu soit la seule mémoire d’un fait ancien, par ailleurs oublié.
Yvon (ou Yves) Nicolazic était également connu pour sa piété et sa dévotion particulière à Sainte Anne "sa bonne patronne". Il communiait souvent - chose rare à l'époque - et allait régulièrement se confesser chez les Capucins à Auray. Il était ce que l'on peut appeler "un bon chrétien", vivant les béatitudes avec simplicité et s'en remettant toujours à "Dieu et Madame Sainte Anne".
À l'époque des apparitions, Yves Nicolazic a une trentaine d'années. Il est marié depuis presque dix ans à Guillemette Le Roux, et tous deux souffrent de ne pas avoir encore d'enfant. Mais, après les apparitions, leur vœu va être exaucé. Ils donneront naissance à 4 enfants.
L'une des terres de la ferme de Nicolazic était appelé le Bocenno. La tradition voulait qu'il y ait eu, jadis, une chapelle dédiée à Sainte Anne. Ce champ semblait d'ailleurs être béni : toutes les récoltes qui y étaient faites abondaient, et il n'était pas nécessaire de le mettre en jachère comme les autres champs. Autre fait étrange, les bœufs avaient toujours refusé d'y mener la charrue. Nicolazic lui-même y avait, en une seule journée, cassé deux attelages. Il fallait donc faire le travail à la main.
Un soir d'été 1623, Nicolazic priait sa "bonne mère" quand un flambeau illumina subitement sa chambre. Le phénomène se renouvela quelques semaines plus tard. C'est donc dans la maison familiale que sainte Anne a choisi de se manifester en premier, discrètement, honorant ainsi ce que le Pape Jean-Paul II nomme "l'Eglise domestique".
La première apparition a lieu à la fontaine en août 1623. Après le travail, Nicolazic menait ses bœufs à l'abreuvoir quand, accompagné de son beau-frère Le Roux, il vit une dame majestueuse, rayonnante de lumière, qui souriait mais ne parlait point. Les mois suivants, Sainte Anne se manifesta bien des fois à Nicolazic, soit à la fontaine, soit chez lui, ou encore près de la croix, sur la route de Pluneret, appelée depuis lors "Croix Nicolazic".
Pressé par son recteur, Nicolazic demande son nom à la majestueuse dame. Celle-ci se fait connaître dans la nuit du 25 au 26 juillet 1624 :
" Yvon Nikolazig, ne zoujet ket :
me zo Anna, Mamm Mari /.../
"Yvon Nicolazic, ne craignez pas :
je suis Anne, Mère de Marie ;
dites à votre recteur qu'il y a eu autrefois,
dans la pièce de terre appelée le Bocenno,
avant même qu'il y ait eu aucun village, une chapelle,
la première qui me fût dédiée dans le pays des Bretons.
Il y a aujourd'hui neuf cent vingt-quatre ans et six mois qu'elle est ruinée.
Je désire qu'elle soit rebâtie au plus tôt, et que vous preniez soin vous-même de cela.
Dieu veut que je sois honorée ici."
Le bandit converti
Pierre de Kériolet naît à Auray le 14 juillet 1602. Malgré une éducation chrétienne, il pose tout jeune des problèmes à ses parents par sa méchanceté et sa violence. Il a 22 ans environ quand, après avoir volé ses parents, il s'enfuit de chez eux.
Il décide de se faire mahométan (musulman). Pour ce faire, il prend un bateau sur le Danube, mais ne peut dépasser la Hongrie. Il s'installe alors à Paris, se lance dans la débauche et la sorcellerie. Quand il décide de revenir en Bretagne, il est plus violent que jamais. Son père meurt à cette époque, lui laissant ainsi qu'à ses sœurs un héritage important. Pierre de Kériolet se fait alors Huguenot (protestant) et obtient de sa famille des avantages importants sur l'héritage en échange de son retour à l'Eglise catholique, et devient ainsi le maître d'une immense fortune.
Plus tard, il a l'ambition de devenir magistrat au parlement de Bretagne, la plus haute cour de justice de la province. Il en acheta la charge, passa un petit examen qu'il ne put éviter et le réussit! Ce fut un immense scandale: Kériolet, juger les autres ! Il put à tout loisir semer la discorde en envenimant les plaintes... Dans le même temps il multipliait les aventures, se plaisant à "cajoler les plus belles et tromper les plus sottes". Quand il entrait dans une église, c'était pour se moquer des fidèles, singer le prêtre et tourner en dérision toutes choses sacrées.
Et pourtant, il fit preuve de bonté envers les pauvres. Par ailleurs, il récitait chaque jour un "je vous salue Marie" : par habitude d'enfance, superstition, promesse faite à sa mère?
Une nuit, il eut une vision de l'enfer qui le troubla profondément ; il se confesse, commence à fréquenter l'église et rentre même au couvent, à la Chartreuse d'Auray. Mais au bout de huit jours il en sort et devient pire qu'avant.
C'est alors qu'il entend parler d'évènements étranges qui se passent dans la ville de Loudun. On entend dire que toutes les religieuses d'un couvent sont possédées par le démon et que l'on y fait des exorcismes. Par curiosité, Kériolet accourt, accompagné de deux compagnons de libertinage. Quatre jours durant il assiste aux exorcismes et en est impressionné. Le cinquième jour, il est pris à partie. Intrigué, Kériolet interroge : "Pourquoi ai-je quitté la Chartreuse ?"
"Dieu ne pouvait souffrir un homme si impur dans une si sainte maison. Blasphémateur et athée! Est-il possible qu'un tel homme reçoive miséricorde ? " lui est-il répondu.
Vaincu, Kériolet fait une confession publique, puis se confesse au père Archange, l'exorciste de Loudun. Nous sommes le 3 janvier 1636, Kériolet a 34 ans et vient d'être touché par la grâce. Sur le chemin qui le ramène en Bretagne, Kériolet se fait mendiant, et de retour dans son château de Kerlois, il mène une vie austère faite de prière, de jeûne et d'aumônes.
Le 7 mars 1637, il est ordonné diacre, et le 28 mars de la même année, Monseigneur de Rosmadec l'ordonne prêtre. L'impossible est devenu réalité : le bandit de Kerlois est devenu prêtre.
Sa maison devint un véritable hôpital pour les mendiants. Il avait une attention particulière pour les malades et les infirmes, voyant le Christ dans chacun d'entre eux.
Les années passaient, et autant Kériolet avait inspiré la peur, autant il inspirait dorénavant le respect et la vénération. On voulait le voir, le consulter : mais il se dérobait toujours, voulant demeurer l'aumônier des pauvres. Il voulait toujours réconforter et apaiser et était rempli de miséricorde pour les pêcheurs.
En 1658, il tomba malade. Ce fut une rude épreuve, car touché par la grâce, il craignait cependant de paraître devant Dieu à cause de sa vie passée qui le tourmentaient sans cesse. Il alla mieux et continua sa mission malgré une grande fatigue. Il venait de plus en plus souvent au Sanctuaire de Sainte Anne où les Carmes lui avaient réservé une cellule.
Dans la nuit du 21 au 22 septembre 1690, il tomba gravement malade. Le 5 octobre il reçut le sacrement des malades et mourut le 8 octobre: il avait 58 ans. On accourut de tous les environs pour assister à ses obsèques. Il fut enterré dans la chapelle de Sainte Anne, et l'on grava sur son tombeau :
"Ci-gît Pierre de Kériolet conquête de Marie.
Il en fut le fidèle et zélé serviteur."
Rayonnement actuel du sanctuaire
Ce pèlerinage accueille aujourd’hui plus de 500 000 visiteurs par an. Jean Paul II s’y est rendu en 1996. De nombreux prêtres accueillent les pèlerins, il y a l’adoration eucharistique, les confessions, et de nombreuses histoires merveilleuses de guérisons et de conversions.
Avec les chrétiens d’Orient
Le souvenir de sainte Anne
Les noms de Anne et Joachim proviennent de la tradition apocryphe, le protévangile de Jacques, que les églises d’Orient utilisent dans leurs liturgies.
L'origine de la commémoration liturgique de la Nativité de Marie est liée à l'église édifiée au 5° siècle à Jérusalem, dans les environs de la piscine probatique, qui pour la tradition était le lieu de la maison de Joachim et Anne, les parents de Marie.
La liturgie copte - pour les fêtes de sainte Anne et de Joachim - retient que sainte Anne, la mère de Marie, est de la tribu de Lévi ou Aaron, tandis que Joachim, le père de Marie, est de la tribu de Juda ou David.
La Très sainte Vierge a reçu une grande éducation, une éducation sacerdotale par sa mère (elle a été initiée à comprendre ce qui concerne la Révélation, le sacrifice, le Saint des Saints), et royale par son père (elle connaissait les prophéties d’un Messie davidique et bon berger - Ezéquiel 34), elle connait aussi les prophéties d’un Prince Messie, Saint et massacré (Dn 9, 25-27)… Les traditions des églises d’Orient disent que la Vierge Marie fut éduquée au Temple, la Mishna (source juive du II° siècle) n’a pas la trace de ce qui aurait pu être une sorte de pensionnat pour fille dans l’enceinte du Temple, mais il se peut que le souvenir en ait été effacé.
Durant la liturgie copte de la Nativité de Marie, le 10 tût (20 septembre), on lit un récit qui raconte la stérilité d’Anne et de Joachim. Un jour Joachim était en prière sur la montagne, et il s’endormit. Un ange lui apparut en songe pour lui annoncer la conception miraculeuse…« Joachim, sans douter de ce qu’il avait entendu dire par l’ange, descendit de la montagne et en fit part à Anne son épouse. Celle-ci, après avoir rendu grâce à Dieu, certaine de la vérité de ce qui lui a été dit, fit le vœu d’offrir à Dieu l’enfant qu’elle enfanterait, pour que l’enfant puisse servir le Seigneur et habiter dans sa maison tous les jours de sa vie. Après cela, elle conçut et elle enfanta la sainte enfant à laquelle elle donna le nom de Marie, ce qui signifie Dame ou grâce. En effet, elle est la Dame de tout le monde et la Reine de toutes les femmes, et c’est par elle que la grâce nous a été donnée. Que son intercession nous garde. »[2]
Dans l’Eglise byzantine, voici comment on fait mémoire de Sainte Anne, le jour de la Nativité de Marie :
Matines
Kondakion :
« Joachim et Anne de l’humiliante stérilité,
Adam et Eve de la mort et du tombeau
Ensemble furent délivrés par ta naissance, ô Vierge immaculée
Et ton peuple en ce jour célèbre ta nativité,
Libéré, lui aussi, de l’esclavage du péché,
et chante la stérile qui enfante la Mère de Dieu,
la nourricière de notre Vie. »
[Œuvre de Romanos le Mélode, † vers 560)
Ikos : « Tant la prière que les soupirs de Joachim et d’Anne gémissant sur la stérilité et manque d’enfants furent agréés et parvinrent aux oreilles du Seigneur ; ils produisirent un fruit qui pour le monde fut porteur de la vie ; tandis que sur la montagne priait le premier, la seconde méditait son opprobre dans le jardin ; mais la stérile enfanta dans la joie la Mère de Dieu, la nourricière de notre vie. »
Tropaire : « Par ta nativité, ô Mère de Dieu, la joie fut révélée à tout l’univers, car de toi s’est levé le Soleil de justice, le Christ notre Dieu qui, nous délivrant de la malédiction, nous a valu la bénédiction et, terrassant la mort, nous a fait le don de l’éternelle vie. »
Cathisme II :« De la racine de Jessé et du flanc de David, Marie, la servante de Dieu, en ce jour est enfantée pour nous ; l’univers exulte, renouvelé, ensemble se réjouissent la terre et le ciel. Familles des nations, louez-la. Joachim triomphe, Anne en fête s’écrie : La Stérile enfante la Mère de Dieu, la nourricière de notre Vie. »
Dans l’Eglise latine, la mémoire liturgique de sainte Anne et saint Joachim s’inscrit dans ces traditions :
"Seigneur, toi qui es le Dieu de nos Pères, tu as donné à sainte Anne et à saint Joachim de mettre au monde celle qui deviendrait la mère de ton Fils; accorde-nous, à leur commune prière, le salut que tu as promis à ton peuple." (Missel romain, oraison du 26 juillet).
[2] Synaxaire, 1° bashans ; ed. Forget, in CSCO 67, 98 texte en arabe ; 90, 98, texte en latin. Gabriele GIAMBERARDINI, Il culto mariano in Egitto, Jerusalem 1974, vol 3, p.43.
Synthèse Françoise Breynaert