Les sciences les plus récentes[1] nous invitent à ne pas négliger ce qui se produit à l’échelle de quelques-uns avant de se produire à l’échelle d’une multitude. De même que la révélation de l’Ancien Testament avait commencé dans une famille, celle des patriarches, de même la révélation du Nouveau commence dans une famille.
Les récits concernant Marie et Joseph reposent sur le témoignage de Marie, dont il est dit qu’elle conservait et méditait tout cela (Lc 2, 19).
Au moment de l’Annonciation, la foi de Marie se situe dans le contexte pluraliste de la pensée juive, et Marie pose un choix, décisif.
Marie est particulièrement éclairée en tant qu’elle est « Kecharitoméné », pleine de grâce (Lc 1, 28). La tradition chrétienne parle de Marie immaculée, pétrie de l’Esprit Saint, immaculée conception « par anticipation des mérites du Christ »[2], selon un raisonnement en réalité très proche de la pensée judaïque telle que l’exprime le Tanna R. Néhémiah qui déclare que « les Israélites sortirent d’Egypte en raison de la Torah qu’ils allaient recevoir »[3].
La sainteté de l’Immaculée la rend particulièrement ouverte à l’infinie sainteté de Dieu, et à tout ce que Dieu peut révéler de lui-même. Et c’est un fait, Marie manifeste une grande ouverture intérieure : elle accueille un ange, une parole venue du Ciel, elle adhère à l’annonce de la naissance d’un messie personnel, elle croit au miracle qui confirme cette parole (Elisabeth malgré son âge attend un enfant, et Marie elle-même concevra dans la virginité).
Jean-Paul II, sans entrer dans les détails de l’attente messianique, souligne que Marie manifeste une « ouverture » au Seigneur : « Ce fait fondamental d’être la Mère du Fils de Dieu est, depuis le début, une ouverture totale à la personne du Christ, à toute son œuvre, à toute sa mission »[4].
Quant à Benoît XVI, il présente Marie et Joseph, Syméon et Anne, Zacharie et Elisabeth, les bergers de Bethléem et les douze comme des pauvres du Seigneur et nous dit que « c’est en eux que commence le Nouveau Testament, qui se sait en union totale avec la foi d’Israël qui mûrit en vue d’une pureté toujours plus grande ». C’est alors qu’il souligne l’importance de l’attitude d’ouverture : « Tout comme l’Ancien Testament s’est ouvert au renouveau apporté par la Nouvelle Alliance à partir des pauvres de Dieu, tout renouveau de l’Eglise ne peut venir que de ceux chez qui sont vivantes une humilité résolue et une bonté toujours prête à servir autrui »[5].
« Il sera grand » dit l’ange à Marie (Lc 1,32) : dans l’Ancien Testament, l’épithète "grand" est réservée à Dieu. Accueillir l’Incarnation est démesurément grand, cela demande de la force (Gabriel signifie Dieu est ma force).
D’un point de vue humain, la démesure est folie. Ici, dans la dimension divine, tout est humilité et simplicité. Amour. Délicatesse. « Je suis la servante ».
Cette simplicité se révèle aussi dans le fait que la vierge est aussitôt conduite à un signe bien tangible humainement : la grossesse de sa parente Elisabeth. Marie ne s’est pas perdue dans la démesure. Elle est restée à sa place. C’est l’Esprit Saint qui l’aide à accueillir l’immensité de l’Incarnation.
L’ange dit aussi à Marie « L’Esprit Saint (sur)viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre; c’est pourquoi l’être saint qui naîtra sera appelé Fils de Dieu » (Luc 1, 35).
Marie accueille Jésus, un être saint, conçu de l’Esprit Saint. Tout est baigné de lumière immaculée et céleste.
Marie accueille le Fils de Dieu qui vient du Très Haut et « descend » en elle, tandis que Marie est prise dans l’ombre du Très Haut, emportée dans la nuée, dans la présence trinitaire, avant d’être emportée dans les splendeurs des cieux le jour de son assomption.
Le jour de l’Annonciation, elle sait de qui elle est enceinte, mais elle a encore beaucoup à découvrir. En disant « qu’il me soit fait selon ta parole » (Lc 1, 38), la Vierge laisse Dieu déployer le sens de sa propre parole, le sens de l’Incarnation.
L’ouverture totale de Marie à la personne du Christ est un amour vierge qui attend le salut d’une ouverture du Ciel, c’est-à-dire d’un don de Dieu ; un don de Dieu auquel elle se prépare en disant « Je suis la servante du Seigneur » (Lc 1, 38), ce que nous pouvons interpréter comme un engagement à faire la volonté du Seigneur qui va se révéler. Jean-Paul II écrit :
« Les mots "Je suis la servante du Seigneur" témoignent de cette ouverture d’esprit de Marie, qui unit en elle de façon parfaite l’amour propre à la virginité et l’amour caractéristique de la maternité, réunis et pour ainsi dire fusionnés. C’est pourquoi non seulement Marie est devenue la mère du Fils de l’homme, celle qui l’a nourri, mais elle a été aussi "généreusement associée, à un titre absolument unique" (Lumen Gentium 61) au Messie, au Rédempteur. »[6]
L’ouverture de Marie est indissociable de sa coopération au Christ Rédempteur. Or, nous l’avons vu, dans la tradition juive, les courants qui pensent la nécessité d’une ouverture du ciel sont aussi les courants qui pensent une responsabilité humaine (C’est l’idée que Dieu se retire au septième ciel si l’homme pèche, tandis que le juste attire la présence divine). La cohérence de la pensée chrétienne s’enracine dans la cohérence d’un courant de la pensée juive !
Le mystère de l’Incarnation a, en lui-même, une portée rédemptrice, c’est une réconciliation des hommes avec Dieu, portée à la perfection quand le Fils de Dieu nous aimera jusqu’à la fin (Jn 13,1). Et Marie coopère à cette Rédemption par sa foi. Là encore, la pensée catholique rejoint le courant de la pensée juive qui réfléchit au salut par la foi en faisant le raisonnement que si la Torah est voilée, alors l’homme ne peut pas faire les œuvres de la Torah et il ne peut être sauvé que par la foi et l’ouverture du ciel. Dès lors que Jésus s’est révélé, alors l’homme est appelé à coopérer à son propre salut, en agissant bien et en mettant à contribution sa volonté.
« 18Or telle fut la genèse de Jésus Christ. Marie, sa mère, était fiancée à Joseph : or, avant qu’ils eussent mené vie commune, elle se trouva enceinte par le fait de l’Esprit Saint. 19Joseph, son mari, qui était un homme juste et ne voulait pas la dénoncer publiquement, résolut de la répudier sans bruit. 20 Alors qu’il avait formé ce dessein, voici que l’Ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : "Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ta femme: car ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint ; 21 elle enfantera un fils, et tu l’appelleras du nom de Jésus : car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés." 22 Or tout ceci advint pour que s’accomplît cet oracle prophétique du Seigneur : 23 Voici que la vierge concevra et enfantera un fils, et on l’appellera du nom d’Emmanuel, ce qui se traduit : "Dieu avec nous." 24 Une fois réveillé, Joseph fit comme l’Ange du Seigneur lui avait prescrit : il prit chez lui sa femme ; 25 et il ne la connut pas jusqu’au jour où elle enfanta un fils, et il l’appela du nom de Jésus. » (Mt 1, 18-25)
Pour Joseph, accueillir l’incarnation, c’est accueillir Marie comme épouse. Marie est une épouse fidèle. Joseph est un homme juste et virginal.
Joseph est fils de David, héritier de la longue maturation de l’Ancien testament qui lui a enseigné la fidélité, la chasteté, la justice. Pensons à ce qui a été dit des prophètes Amos et Osée… Pour accueillir l’Incarnation, Joseph reçoit aussi une grâce spéciale de l’Esprit Saint. Il y a des degrés dans l’action de l’Esprit Saint. Joseph reçoit non seulement une grâce de l’Esprit Saint qui prépare le peuple d’Israël, il reçoit une grâce de l’Esprit Saint par lequel Jésus s’incarne. C’est vraiment l’Esprit de Jésus. La justice et la virginité de Joseph sont déjà le fruit de l’Esprit Saint de Jésus, celui que les disciples reçoivent à la Pentecôte. Joseph reçoit une justice qui est déjà la sagesse de la croix. Il reçoit une virginité qui est déjà une grâce de la résurrection. Marie est une épouse fidèle, et Joseph reçoit déjà Marie comme un don de Dieu, un don que Jésus fera au disciple avant de mourir. Ainsi, nous voyons que l’accueil que Joseph fait de l’Incarnation est un fruit de l’Ancien testament et de la grâce de l’Esprit Saint de Jésus.
L’ange dit « il sauvera son peuple » (Mt 1, 21). L’Ancien Testament rapporte cette expression uniquement à Dieu qui avait choisi Israël comme son peuple ; maintenant, par l’œuvre du Christ, il s’est acquis un nouveau peuple, formé aussi des gentils. L’ange dit : « il sauvera son peuple de ses péchés » : Dieu seul peut remettre les péchés. C’est pourquoi Jésus est sauveur, et il est Emmanuel, Dieu avec nous.
Joseph accueille tout cela. Il devient le protecteur d’un enfant qui est Jésus-Christ, sauveur du peuple, et ce faisant, Joseph devient aussi le protecteur de l’Eglise. De manière inséparable, il est protecteur de Jésus-Christ et de l’Eglise. Dès l’instant où il accueille l’Incarnation. Pour accueillir une telle mission, la grâce lui donnée, la grâce de l’Esprit Saint par lequel Jésus s’incarne. Tout cela, Joseph le découvrira progressivement, et l’Eglise le comprendra progressivement à son sujet.
[1] Les cristaux en chimie, les fractales en mathématique, les monstres prometteurs en génétique, etc.
[2]DUNS SCOT, En III sententiarum, d 3, q 1.
PIE IX, Bulle « Ineffabilis Deus » du 8 Décembre 1854 ; St JEAN-PAUL II, audience générale du 5 juin 1996, § 4.
[3] Cf. Ephraïm URBACH, Ibid., p. 516-517
[4]ST JEAN-PAUL II, Lettre encyclique Redemptoris Mater § 39
[5] JOSEPH RATZINGER, BENOIT XVI, Jésus de Nazareth, Flammarion, Paris 2007, p. 99
[6]ST JEAN-PAUL II, Lettre encyclique Redemptoris Mater § 39