Le péché contre l'Esprit Saint

Extrait de : Françoise BREYNAERT, L’avenir du monde et celui des défunts, Manuel d’eschatologie relative à la venue glorieuse du Christ et à la vie après la mort, Create & Space, 2024, p. 182-188. 
Ou : Françoise BREYNAERT, Matthieu, un évangile en pendentif en lien avec le calendrier synagogal, Paris, Parole et Silence 2025. Ad. loc.


Dans l’évangile selon saint Matthieu, l’enseignement sur le péché contre l’Esprit Saint fait partie d’une perle (Mt 12, 22-45) qui a la forme d’un petit septénaire. En voici un aperçu rapide. 
Guéri, le possédé sourd-muet aveugle se met à parler et à voir (v. 22. 1ère partie). Il est absurde d’y voir une œuvre de Satan, il faut au contraire comprendre qu’« il s’est approché de vous, le Règne de Dieu ! » (v. 28. 2e partie). La fausse logique des pharisiens attaque la sainteté de Dieu et son action salvifique ; le blasphème contre l’Esprit Saint ne peut pas être pardonné parce qu’il exclut les éléments qui rendent possible la rémission des péchés (v. 32. 3e partie). 
Au centre de cette perle initiée par la guérison d’un aveugle muet, il est question de la bouche qui parle (v. 33-35. 4e partie). Les paroles ne sont jamais anodines, car elles reflètent la surabondance du cœur. Une série d’actes en adéquation à la volonté divine forment le « dépôt » d’un homme, qui, tel un arbre bien, se reconnaît à ses « fruits biens ». Implicitement, les adversaires de Jésus doivent comprendre que Jésus faisant le bien, il doit donc être accueilli comme une personne de bien.
D’après tes paroles, tu seras justifié ou condamné (v 36-37. 5e partie). L’attitude fausse, qui ne se contente pas des guérisons et de l’autorité de Jésus sur les démons, sera condamnée par ceux qui se convertirent à la prédication de Jonas ou devant la sagesse de Salomon (v. 38-42. 6e partie). Cette attitude est très grave, car elle ouvre au retour de l’esprit impur, qui sera sept fois pire (v. 43-45. 7e partie). Et l’on remarque l’inclusion qui achève cette perle.

Ainsi situé, l’enseignement sur le péché contre l’Esprit Saint reçoit une plus grande précision, et profondeur. 
Dans la continuité avec son exorcisme du sourd-muet-aveugle (Mt 12, 22-24), Jésus enseigne que, face à la menace de l’adversité (Satan), toute tiédeur correspond à une apostasie et une hostilité : « Celui qui n’est pas avec moi est contre moi » (Mt 12, 30).
Ensuite, Jésus évoque le fait de « rassembler », ce qui rejoint une préoccupation majeure pour les chefs d’Israël : maintenir l’unité du peuple et réunir des tribus dispersées… Nourris de la prophétie d’Isaïe « Mais moi je viendrai rassembler toutes les nations et toutes les langues, et elles viendront voir ma gloire » (Is 66, 18), les pharisiens rêvent-ils de rassembler le monde autour d’eux-mêmes ? Ici, Jésus  avertit les pharisiens : « Celui qui ne rassemble pas avec moi, pour ce qui est de disperser, il disperse ! » (Mt 12, 30). 
La portée de Mt 12, 30 dépasse le contexte limité de l’épisode. Tout rassemblement semble accomplir les prophéties et les gens aiment être ensemble (instinct grégaire), c’est pourquoi celui qui est capable de rassembler exerce une grande séduction. Cependant, les rassemblements opérés sans Jésus ne réalisent qu’une unité apparente, et ne tarderont pas à provoquer une dispersion pire que celle que l’on voulait éviter. Quand Jésus (son amour, sa vérité, sa droiture) n’a pas sa place, quand l’hypocrisie prétend sauvegarder l’unité d’un groupe en excluant celui dont la parole appelle à la purification, quand on déguise en harmonie divine ce qui n’est qu’une lâche compromission avec l’arrestation du juste, alors surviendra une terrible dispersion… 
Et ce n’est pas tout. À l’annonce de la dispersion, Jésus ajoute la menace de ne plus pouvoir jamais obtenir aucun pardon. Comment comprendre un tel avertissement ?
Du côté de Jésus, il n’y a pas de limite à la miséricorde. 
Mais du côté des hommes, il faut bien analyser ce que cette « perle » met en évidence.  Après l’exorcisme et la guérison d’un sourd-muet-aveugle opérée par Jésus (Mt 12, 22-24), les pharisiens ont rejeté Jésus ; en corolaire, en Jésus, ils ont rejeté la possibilité de la guérison de leur propre surdité, de leur propre mutisme, de leur propre aveuglement. Ils ne voient pas leurs fautes, ou, s’ils en ont conscience, ils ne les confessent pas, et, rejetant Jésus, ils ne peuvent entendre la parole de réconciliation.
Les pharisiens et tous les Juifs versés dans les Écritures avaient une connaissance de l’Esprit Saint ; ils étaient en mesure de comprendre ce qu’est le péché contre l’Esprit Saint. Et Jésus les avertit du péché contre l’Esprit Saint, péché qui ne peut pas être pardonné parce qu’il exclut les éléments qui rendent possible la rémission des péchés . 
En Mt 12, 30-32, Jésus ne condamne encore personne, c’est un appel à des hommes à qui un temps de réflexion est encore accordé. Cette réflexion est de la plus haute importance. 
Notons bien que Jésus n’a pas dit : « un pacte avec Satan ne peut pas être pardonné », il a dit : « le péché contre l’Esprit Saint ne peut pas être pardonné. Certaines personnes font des pactes avec Satan sur la base d’idées fausses (on les a séduits) et ces gens-là peuvent encore recevoir un pardon et un exorcisme efficace. Le péché contre l’Esprit Saint ne consiste pas à avoir de fausses idées, car on peut toujours s’ouvrir à une vérité plus complète. 
Le processus qui mène au péché contre l’Esprit Saint est décrit dans cette longue perle en forme de septénaire. Ce péché commence dans l’apparence d’une vérité logique. « Celui-ci ne fait sortir les génies que par Beèlzeboub, le chef des démons ! » (Mt 12, 24). Cette déduction d’apparence logique est en réalité une attaque contre la sainteté de Dieu et son action salvifique et vivificatrice. Et cette logique, d’apparence irréprochable, occulte la vérité non seulement aux yeux de ceux qui écoutent ce discours, mais aux yeux de ceux-là même qui le prononcent. C’est ainsi que l’hypocrite se rend lui-même sourd, muet et aveugle (ou borgne). Un comble pour un Juif dont la vocation est : « Écoute, Israël ! » (Dt 6, 4).
Le péché contre l’Esprit Saint se manifeste ainsi comme l’aboutissement du péché d’hypocrisie. Ce qui est confirmé par la composition de l’évangile de Luc, où l’enseignement sur le péché contre l’Esprit Saint appartient à une perle (en forme de septénaire), qui commence par la mise en garde contre l’hypocrisie : « D’abord, prenez garde, en votre âme, au levain des Séparés, qui est l’hypocrisie » (Lc 12, 1). Alors Jésus dit : 
« Et tout un chacun qui dira une parole contre le Fils de l’homme, / il lui sera pardonné ; 
mais celui qui blasphèmera contre l’Esprit Saint, / il ne lui sera pas pardonné. » (Lc 12, 10)
De plus, si l’on considère Lc 12, 10 dans son fil d’oralité, on constate que cette parole fait suite, comme chez Matthieu à l’exorcisme d’un sourd-muet, et l’on peut considérer que ceux qui ont accusé Jésus d’opérer un exorcisme par Beèlzéboul, et ceux qui ont demandé à Jésus de se justifier par un signe venant du ciel (Lc 11, 19.31.32) ont commis ce blasphème contre l’Esprit Saint, c’est-à-dire contre la sainteté de Dieu et son action salvifique : il est logique que celui qui repousse le salut ne puisse pas vivre !

Le premier concile de Lyon en l’an 1245 commente Mt 12, 32 en ces termes : « Enfin puisque la Vérité affirme dans l'Évangile que si quelqu'un a blasphémé contre l'Esprit Saint il ne lui sera pas pardonné, ni dans ce monde ni dans le monde à venir +Mt 12,32 - ce qui nous fait comprendre que certains sont déliés de leur faute dans le siècle présent, mais d'autres dans le siècle à venir - et que l'Apôtre dit que " le feu éprouvera l'oeuvre de chacun selon ce qu'elle est " et que " celui dont l'oeuvre est consumée en subira la perte, mais que lui-même sera sauvé, mais comme à travers le feu " +1Co 3,13 3,15 et puisqu'on dit que les Grecs eux-mêmes croient et affirment en toute vérité et sans aucun doute que les âmes de ceux qui meurent après avoir reçu la pénitence, mais sans l'avoir accomplie, ou qui meurent sans péché mortel mais avec des péchés véniels et minimes, sont purifiés après la mort et peuvent être aidés par les suffrages de l'Église, étant donné qu'ils disent qu'aucun nom certain et déterminé ne désigne chez leurs docteurs le lieu d'une telle purification, et puisque selon la tradition et l'autorité des saints Pères nous l'appelons ‘purgatoire’, Nous voulons que désormais il soit appelé ainsi chez eux. En effet ce feu temporaire purifie les péchés, non toutefois les péchés mortels ou capitaux qui n'auraient pas d'abord été remis par la pénitence, mais les péchés légers et minimes qui pèsent encore sur eux après leur mort, même s'ils ont été pardonnés pendant la vie. » 
D’une manière abrégée, le catéchisme de l’Église catholique dit : 
« Chaque homme reçoit dans son âme immortelle sa rétribution éternelle dès sa mort en un jugement particulier qui réfère sa vie au Christ, soit à travers une purification , soit pour entrer immédiatement dans la béatitude du ciel , soit pour se damner immédiatement pour toujours . Au soir de notre vie, nous serons jugés sur l'amour » (CEC 1022)
L’adverbe « immédiatement » n’étant pas instantané au point de ne pas inclure ce qu’enseigne aussi l’Écriture, c’est-à-dire le temps de la Rencontre avec le Christ :
  « "La Bonne Nouvelle a été également annoncée aux morts..." (1P 4,6). 
La descente aux enfers est l’accomplissement, jusqu’à la plénitude, de l’annonce évangélique du salut. 
Elle est la phase ultime de la mission messianique de Jésus, phase condensée dans le temps mais immensément vaste dans sa signification réelle d’extension de l’œuvre rédemptrice à tous les hommes de tous les temps et de tous les lieux, car tous ceux qui sont sauvés ont été rendus participants de la Rédemption. » (CEC 634)
« Le Christ est donc descendu dans la profondeur de la mort (cf. Rm 10,7 ; Ep 4,9) afin que "les morts entendent la voix du Fils de l’Homme et que ceux qui l’auront entendue vivent" (Jn 5,25). » (CEC 635). 

Malheureusement, lorsque le péché d’hypocrisie s’endurcit jusqu’au péché contre l’Esprit Saint, alors la Rencontre avec le Christ dans le passage de la mort est devenue inutile : l’hypocrite s’est rendu incapable de rencontrer le Christ et ne parle qu’au miroir de ce que sa logique intéressée projette. La miséricorde du Christ ne peut plus atteindre celui qui s’est ainsi aliéné : « ni en ce monde, ni dans le monde à venir ».

 

Date de dernière mise à jour : 12/11/2024