Vers 400 av. J.-C., une invasion de sauterelles donne lieu à une cérémonie de pénitence et de supplication dans le temple (Joël 1). Joël interprète la famine comme le jour de YHWH et les sauterelles représentent l’ennemi du dernier jour. Tout le peuple est appelé à la pénitence (Jl 2). Dieu répond :
« Terre, ne crains plus, jubile et sois dans l’allégresse, car YHWH a fait grand ! Ne craignez plus, bêtes des champs ! […]
Fils de Sion, jubilez, réjouissez-vous en YHWH votre Dieu ! […]
Et vous saurez que je suis au milieu d’Israël, moi, que je suis YHWH, votre Dieu, et sans égal ! » (Joël 2, 21-27)
Jadis, Sophonie invitait la fille de Sion à se réjouir parce que le Seigneur est un roi sauveur au milieu d’elle (dans le temple), maintenant, Joël invite non seulement à l’allégresse les "fils de Sion", mais aussi la terre, le bétail, les arbres…
Il annonce la joie messianique qui se répand sur l’Israël des temps derniers, quand YHWH accordera à son peuple le salut et la libération définitive.
Certaines expressions sont reprises par saint Luc dans le récit de l’Annonciation :
-Khàire (réjouis-toi)… Jl 2,21 : cf. Luc 1, 28
-Ne pas craindre… Jl 2,21: Lc 1, 30
-YHWH est dans le sein d’Israël... Jl 2,27 : Luc 1, 33
Si l’on considère l’allusion au prophète Joël, le récit de l’Annonciation se trouve enrichi de deux dimensions[1] :
1. La dimension cosmique : c’est toute la nature qui se réjouit de la venue de son Créateur dans le sein de la fille de Sion (cf. Joël 2, 21-27).
2. Le souffle de l’Esprit Saint et la promesse de cet Esprit Saint sur toute chair (cf. Joël 3, 1-5).
Approfondissons la dimension cosmique à laquelle fait allusion le récit de l’Annonciation à travers l’allusion au prophète Joël.
Les saints des siècles passés regardaient le cosmos en relation avec le Seigneur et sa mère[2].
La Vierge Marie est honorée par plusieurs fêtes liturgiques typiquement agricoles. Pensons à Notre Dame des semences, le 15 mai (liturgie maronite), et aux trois fêtes mariales agricoles chaldéennes.
L’année liturgique byzantine commence le 1° septembre par « la fête de la protection de l’environnement et Synaxe de la Mère de Dieu », offrant un regard contemplatif sur la Création que Dieu a confié à l’homme pour qu’il la préserve et la cultive avec sagesse ; la prière s’adresse aussi à la Toute sainte, celle en qui le projet du Créateur s’est accompli (la réforme liturgique de Bartholoméos I° a donné aux textes liturgiques une connotation très moderne qui inclut les préoccupations écologiques).
Récemment en Occident, se sont formés des mouvements de paysans ou des mouvements de citadins qui reviennent à l’agriculture, avec une spiritualité très forte, sous le signe de la liturgie et de l’Alliance[3]. Le pape François a abordé ce thème dès son premier jour : «Nous gardons le Christ dans notre vie, pour garder les autres, pour garder la création ! »[4]
A la fin des temps, quand les astres seront ébranlés, l’Esprit sera donné au peuple de Dieu (Jl 3). Et le jugement final sera conclu (Jl 4).
« Après cela je répandrai mon Esprit sur toute chair. Vos fils et vos filles prophétiseront, vos anciens auront des songes, vos jeunes gens, des visions. 2 Même sur les esclaves, hommes et femmes, en ces jours-là, je répandrai mon Esprit. 3 Je produirai des signes dans le ciel et sur la terre, sang, feu, colonnes de fumée !" 4 Le soleil se changera en ténèbres, la lune en sang, avant que ne vienne le jour du Seigneur, grand et redoutable ! 5 Tous ceux qui invoqueront le nom du Seigneur seront sauvés, car sur le mont Sion il y aura des rescapés, comme l’a dit le Seigneur, et à Jérusalem des survivants que le Seigneur appelle. » (Joël 3, 1-5)
L’Esprit est répandu sur toute chair et même sur les esclaves (Jl 3, 1-2), c’est-à-dire sur toutes les nations. Mais seuls les membres du peuple du Seigneur prophétisent (Jl 3, 1) : c’est le peuple de Dieu qui devient ensemble la voix prophétique par laquelle l’Esprit est répandu sur les nations.
L’effusion de l’Esprit précède le jour du Seigneur (Jl 3, 3-4) qui est comparé à un jour de libération comme le jour de l’Exode (les ténèbres sont l’une des plaies d’Egypte, la lune rougit sous l’effet de la colonne de feu ou de nuée).
La finale du verset 5 peut être traduite : « comme l’a dit le Seigneur, et par les rescapés que le Seigneur appellera », autrement dit Joël invite les rescapés dispersés dans les nations à prophétiser eux aussi pour que l’Esprit se répande sur toute chair, sur toutes les nations.
Au moment de la Pentecôte, Pierre reconnaît que se réalise la prophétie de Joël (Jl 3,1-2 cité par Ac 2,16-18). Ce qui signifie tout d’abord que Pierre se place dans la perspective du jugement et de la fin des temps : la Pentecôte appartient à l’ère du jugement final. La référence à Joël signifie aussi que l’Eglise endosse un rôle prophétique pour que l’Esprit se répande sur toutes les nations. L’Eglise, homme et femme, endosse un rôle missionnaire, annonçant à toutes les nations que le Seigneur et Dieu (étymologie du nom Jo-El).
« Vos fils et vos filles prophétiseront, vos anciens auront des songes, vos jeunes gens, des visions. » (Joël 3, 1)
Selon certains auteurs, l’Eglise n’accomplirait la prophétie de Joël qu’à la condition qu’elle abandonne toute structure hiérarchique et toute distinction des rôles féminins et masculins, sous prétexte que si tous prophétisent, le sacerdoce et la hiérarchie gardienne de la loi devient inutile[5]. C’est excessif : déjà, au temps de l’Exode, l’Esprit investit des anciens qui se mirent à prophétiser, et Moïse s’en réjouit (Nb 11). Ce partage de la prophétie n’a pas diminué le rôle unique de Moïse, unique auteur de la Loi. Ce partage de la prophétie n’a pas non plus rendu inutile le rôle de chef dévolu à Josué, qui n’était pas parmi les soixante-dix anciens (Nb 27, 18-20). Et la prophétie ne supprime pas non plus le rôle du sacerdoce, Moïse transmet l’instruction, la Torah, non pas à Josué, mais aux prêtres lévitiques en gardiens fidèles (Dt 31, 24-29 ; cf. Dt 17 − 18)
Dans le Nouveau Testament, le récit de l’Annonciation et le récit de Pentecôte après un temps de prière avec la mère de Jésus attribuent à Marie une place de choix, non pas pour dire que toute organisation institutionnelle serait caduque, mais pour souligner que, dans le peuple de Dieu, tout est au service de la mission de l’Esprit Saint. Quand Pierre évoque l’accomplissement de la prophétie de Joël (Ac 2, 16-18), cela implique que désormais l’Eglise est "mariale" en même temps qu’"apostolique" et "pétrinienne".[6]
© Françoise Breynaert
[1]Aristide SERRA, La Donna dell’Alleanza, Prefigurazioni di Maria nell’Antico Testamento, Messaggero di sant’Antonio – editrice, Padova 2006, p. 252-259
[2] Par exemple, saint Anselme, Oratio 52, PL 158,956 A, Cf. Liturgie des heures, 8 décembre, office des lectures.
[3] Pensons au mouvement autour des « Journées paysannes » à Soligny (France)... ou au mouvement « Catholic Land movement » (USA).
[4] Pape FRANÇOIS, homélie du 19 mars 2013, messe d’intronisation
[5]Irmtraud FISCHER, Des femmes messagères de Dieu, Cerf, Paris 2009, p. 321-322 et p. 344
[6] Cf. JEAN PAUL II, Lettre apostolique Mulieris dignitatem § 27