Ruth, Jonas et le 3° Isaïe

Lectures bibliques :

Livre de Ruth,
Livre de Jonas,
Livre d’Isaïe.

Exercices :

1) Commentaire en 3-4 lignes de l’histoire de Ruth 

2) Un gros poisson avale Jonas… La Bible est-elle vraie ?

3) Pourquoi a-t-on mis le 3° Isaïe dans ce chapitre avec Ruth et Jonas ?

4) Résumez en 3-5 lignes la cohérence de la révélation.

Etude :
Françoise Breynaert, Parcours biblique : Le berceau de l'Incarnation (imprimatur), Parole et silence 2016, p. 221-228

Parcours biblique -35- Ruth, Jonas, et le 3° Isaïe

Ruth, Jonas et le 3° Isaïe

            Néhémie a rebâti les remparts de Jérusalem et les prêtres ont décidé de renvoyer les femmes étrangères et leurs enfants pour éviter tout retour au paganisme (Esd 10,2-3). Cependant, une autre infidélité menace Israël : celle du racisme et d’une étroitesse d’esprit inconciliable avec la grandeur du Seigneur, grandeur qu’Ezéchiel avait si bien fait percevoir.

Ruth

            Le livre de Ruth est un roman historique, à part Booz et Obed, qui viennent de la généalogie de David, tous les autres sont adaptés au rôle qu’ils jouent : un bon israélite s’appellera Elimelek (Dieu est mon roi), les deux fils de Noémie, Mahlôn (Langueur) et Kilyôn (consomption), meurent jeunes. Leurs épouses sont Orpa (celle qui tourne le dos) et Ruth (celle qui aime).

            L’histoire est située au temps des Juges, mais elle parle pour le temps d’Esdras qui prohibait le mariage avec les étrangères.

            Noémie, veuve, part en Moab avec ses deux fils. Tous deux meurent. Orpa reste au pays, mais Ruth veut accompagner sa belle-mère dans son retour. Elle ajoute « ton Dieu sera mon Dieu » (Rt 1, 16). Et, de fait, Ruth, l’étrangère, fait des actes de « piété » (Rt 3, 10) en n’abandonnant pas Noémie et en se proposant d’épouser Booz (elle remplace Noémie qui est trop âgée pour appliquer la loi du lévirat). Cette « piété » pourrait être traduite par « tendresse » ou « miséricorde », c’est l’un des attributs divins révélés à Moïse (Ex 34, 6). Quant à Booz, il avait obéit au précepte de laisser les gerbes oubliées pour l’étranger et la veuve (Dt 24, 19), et il en avait fait davantage : il laissait des gerbes volontairement. De leur union nait Obed (père de David, ancêtre du Messie). Noémie l’adopte.

            Pour qui sait lire, la loi ne commande pas les sentiments profonds mais elle aide à les organiser. La loi d’Esdras prohibant le mariage avec les étrangères n’est pas contrariée (dès lors que Ruth dit « ton peuple sera mon peuple, et ton Dieu sera mon Dieu », Ruth n’est plus une étrangère), Booz et Ruth ont appliqué la loi du lévirat et du rachat des terres, mais aussi l’esprit de la loi qui est miséricorde et tendresse.

© Françoise Breynaert

Jonas

            Le livre de Jonas est un conte. Jonas doit prêcher la pénitence à Ninive. Jonas part en bateau dans la direction opposée. Tempête. A bord, on s’interroge sur qui a fâché les dieux. Jonas est jeté à l’eau. Un gros poisson l’avale et le dépose sur le rivage. Jonas se rend à Ninive. Et, surprise, tout le monde se convertit. Et Dieu épargne Ninive du châtiment dont il l’avait menacée. Jonas n’apprécie pas une telle miséricorde divine, et il veut mourir. Dieu lui répond par une leçon de chose : Jonas se repose à l’ombre d’un ricin qui miraculeusement, se dessèche et meurt, ce qui fâche Jonas. Comment as-tu de la peine pour un ricin qui meurt et ne serais-tu pas en peine pour toute une ville ?

            L’intérêt d’un tel conte est évident. Israël, qui sait qu’il est le peuple élu mais qui craint de retomber dans les souillures qui ont précédé l’exil, construit les remparts de Jérusalem et interdit d’épouser des femmes étrangères, pour bien préserver son identité. C’est bien, mais un repli sur soi n’est pas une vraie fidélité à Dieu dont les desseins sont infiniment vastes !

© Françoise Breynaert

3° Isaïe

  • Le Seigneur est Roi.

            Le 3° Isaïe continue sur la ligne du premier Isaïe qui voyait en son Dieu le Roi des rois, et sur la ligne du second Isaïe pour qui Cyrus, un païen, se présentait comme serviteur d’Adonaï. Le 3° Isaïe explique qu’Adonaï est le roi des païens (Il ne s’agit pas de syncrétisme avec les ennemis de Dieu, il s’agit d’accueillir les anciens ennemis de Dieu désormais convertis au Seigneur) :

       « Aux eunuques qui observent mes Shabbats et choisissent de faire ce qui m’est agréable, fermement attachés à mon alliance, je leur donnerai dans ma maison un Nom éternel qui jamais ne sera effacé. Quant aux fils d’étrangers, attachés à YHWH pour le servir, je les mènerai à ma sainte montagne, je les comblerai de joie dans ma maison de prière » (Is 56,4-7).

       «Debout rayonne car voici ta lumière et sur toi se lève la gloire du Seigneur... les nations marchent vers ta lumière et les rois vers ta clarté naissante... Lève les yeux et regarde aux alentours, tous se rassemblent et marchent vers toi... Ils s’approcheront de toi, humblement, les fils de tes oppresseurs, ils se prosterneront à tes pieds, ils t’appelleront "ville du Seigneur" » (Is 60,1-4.14).

            Il est étonnant de donner un tel rôle à Jérusalem alors qu’elle est à peine reconstruite.

            Il est étonnant de donner un tel rayonnement à Israël alors qu’il n’est qu’un tout petit reste.

            C’est l’expérience intérieure qui guide le prophète dans ses affirmations – avec sans doute un certain combat intérieur pour garder confiance dans le Seigneur.

 

  • Un peuple saint, unifié et unifiant.

            Le 3° Isaïe exhorte le peuple à devenir un peuple saint qui rejette l’idolâtrie (cf. Is 57, 3-13) et qui pratique le bien :

« Le jeûne qui me plaît... si tu délies les liens de servitude... si tu partages ton pain avec l’affamé... alors ta lumière poindra comme l’aurore, ta blessure sera vite cicatrisée... Si tu t’abstiens le jour saint de traiter tes affaires, si tu appelles le Shabbat délicieux et vénérable... alors tu trouveras en YHWH tes délices, je te conduirai en triomphe sur les hauteurs... » (Is 58, 6-14).

            Alors Israël deviendra un peuple unifié et unifiant :

« Je viens rassembler les nations de toutes les langues, elles contempleront ma gloire. Je leur donnerai un signe et j’enverrai certains d’entre eux vers les nations... Vers les îles éloignées qui n’ont pas entendu parler de moi et n’ont pas vu ma gloire. Et ils révéleront ma gloire aux nations. De toutes les nations ils ramèneront en offrande au Seigneur tous vos frères » (Is 66,18-20).

 

            Pour Isaïe, l’unité est à la fois :

  • unité intérieure du croyant dont le cœur n’est pas partagé,
  • unité du peuple où se rencontrent les exilés, les juifs restés à Jérusalem, les juifs de la diaspora, les étrangers... (Esdras contribuera à cette œuvre d’unité par la composition du Pentateuque, mais la théologie d’Isaïe en sera largement écartée).
  • unité du monde entier, de toutes les nations, autour de Jérusalem.

           

  • Une apocalypse.

            Le 3° Isaïe est aussi le prophète d’une apocalypse (c’est-à-dire d’une ouverture du ciel) :

       « Regarde le Seigneur et vois... Tu es notre Père, notre rédempteur... Reviens à cause de tes serviteurs... Ah ! Si tu déchirais les cieux et si tu descendais, devant ta Face fondraient les montagnes... » (Is 63,15-19).

            La communauté des fidèles attend que le silence soit rompu et que Dieu de nouveau, dans sa fidélité, parle.

            Il s’agit d’une "attente eschatologique", d’une percée qui rejoint l’aujourd’hui de Dieu ou d’une attente pour les "derniers temps".

 

  • Une mère.

            « Avant d’être en travail elle a enfanté, avant que viennent les douleurs elle a accouché d’un garçon […] Enfante-t-on une nation en une fois ? A peine était-elle en travail que Sion a enfanté ses fils » (Is 66,7-8).

            La mère, c’est « Sion », en référence à Jérusalem qui se situe sur la montagne de Sion.

            La naissance est double : un garçon (v7) et une nation (v8). La reconstruction du temple va attirer le retour d’exilés plus nombreux, mais on attend aussi un Messie…

            La naissance se fait sans les douleurs de l’enfantement qui sont la conséquence du péché d’Eve. Cette mère est donc décrite comme une Nouvelle Eve innocente, d’avant le péché qui amené la douleur de l’enfantement (Gn 3, 16).[1]

© Françoise Breynaert

 

[1] Cf. Pierre GRELOT, op. cit. p. 41-43. Mais il faudra du temps pour identifier la mère du Serviteur à la nouvelle Eve ; le serpent de Gn 3, 15 sera identifié au Diable au temps des écrits de Sagesse (Job).

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Cohérence de la révélation et actualisation

            « Ah ! Si tu déchirais les cieux et si tu descendais » (Isaïe 63, 15). Le prophète n’osait pas penser à l’Incarnation de Dieu. Mais il a entretenu une attitude d’ouverture qui a permis à la Vierge Marie d’être disponible et capable d’accueillir un évènement aussi inouï. L’image de la mère qui enfante avant les douleurs de l’enfantement (Is 66, 7-8) s’accomplit alors en Marie qui enfante virginalement, donc sans douleurs, son Fils venu pour détruire les œuvres du Diable (1Jn 3, 8), elle enfante aussi un peuple nouveau, mais par les douleurs du calvaire.

 

            Pour Isaïe (Is 60,1-14), la mission est ouverte à toutes les nations qui se dirigent vers Jérusalem. Cette prophétie est reprise dans le récit de Matthieu 2,1-11. On y retrouve l’adoration des gens des nations lointaines venant avec de riches présents : les mages remplacent les rois et les princesses, ils offrent de l’or de l’encens et de la myrrhe (Mt 2,11), et ils se prosternent en adorant... Mais ils ne viennent ni au temple ni à Jérusalem : ils viennent adorer Jésus sur les genoux de Marie. Le sein et les genoux de Marie Vierge de l’Emmanuel, Dieu avec nous, deviennent le trône naturel où siège la majesté royale de l’Enfant.

            La nouveauté chrétienne vient du fait que le mouvement ne se fera plus uniquement vers Jérusalem, mais aussi du cénacle à Jérusalem vers les nations. Cependant, dans le mystère de l’Epiphanie, se maintient le mouvement d’attraction vers le centre[1] qui achève le mouvement déjà inscrit dans l’Ancienne Alliance. La source d’un tel dynamisme est Dieu, désormais révélé Un (dans l’être, la nature et la substance) et Trine (dans les Personnes, les Hypostases), et qui attire tout et tous à lui.

 

            Le rassemblement de nations espéré par Isaïe (Is 66,18−20) appelle un développement détaillé[2].

            Le récit de la crucifixion selon saint Jean est précis. Jn 19, 23-24 (les soldats et la tunique) et Jn 19, 25-27 (la Mère et le disciple) sont soigneusement reliés par la conjonction grecque « mèn... de » (d’une part... d’autre part). La tunique du Christ que les soldats n’ont pas déchirée est un signe de cette unité de l’Eglise qui est sur le point de se créer grâce à l’union d’amour entre la mère de Jésus et le disciple fidèle.

            Marie est maternellement présente au calvaire où se refait l’unité. Beaucoup ont fait l’expérience que la mère console, aime, apaise et rassemble les enfants. Lorsque l’on est comblé d’amour, les divisions font horreur et on veut la paix. De plus, ici, Jésus remet l’Esprit (Jn 19, 30). Le Fils de Dieu remet l’Esprit de Dieu. L’unité est celle de Dieu Trinité. Cette unité existe, elle a une dimension théologale extrêmement puissante.

            L’évangéliste le sait. Jésus meurt pour rassembler les fils de Dieu. « Caïphe, étant grand prêtre cette année-là, […] prophétisa que Jésus allait mourir pour la nation -- et non pas pour la nation seulement, mais encore afin de rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés » (Jn 11, 47-52).

            Selon la doctrine de l’Ancien Testament, les enfants de Dieu sont les membres du peuple d’Israël, et les dispersés sont les exilés. Par le serviteur souffrant, le Seigneur rassemble son peuple, en le reconduisant de l’exil à la terre promise (Isaïe 49,5-6). Le Seigneur conclut avec eux une alliance nouvelle, et non seulement avec eux mais aussi avec tous les autres peuples. Dans le cadre de cette restauration grandiose, Jérusalem et le temple acquièrent un relief singulier. Jérusalem est saluée comme Mère de ces fils innombrables que le Seigneur a acheminés vers elle, et c’est ici que s’accomplit de nouveau la prophétie du 3° Isaïe « Debout rayonne car voici ta lumière et sur toi se lève la gloire du Seigneur... les nations marchent vers ta lumière et les rois vers ta clarté naissante... Lève les yeux et regarde aux alentours, tous se rassemblent et marchent vers toi... » (Isaïe 60,1-4.14).[3]

            Mais il y a une nouveauté dans le Christ :

-          Les enfants de Dieu ne sont pas uniquement Israël mais toute l’humanité, tous sont appelés à accueillir le Christ et sa parole (Jn 1, 12 ; 1 Jn 3,1.2.9.10 ; 5,1.2)

-          Les dispersés sont tous les hommes, victimes du « loup », c’est-à-dire du Malin qui « s’en empare et les disperse » (Jn 10,12). Leur dispersion sera recomposée dans l’unité même du Père et du Fils (Jn 11,52 ; cf. 10,30).

-          Le serviteur souffrant est le Christ, l’Agneau de Dieu (Jn 1,29.36) qui rassemble l’humanité dispersée.

-          Le Temple de Jérusalem est la personne du Christ ressuscité (Jn 2,19-22), il attire et rassemble : « une fois élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à moi » (Jn 12,32). Les fils de Dieu dispersés sont rassemblés dans le Christ-Temple. Et cette unité s’épanouit dans la Trinité (Jn 10,30 ; 17,22-23).

-          Marie qui se tient debout au pied de la croix est associée à cette œuvre de rassemblement. Si Jésus avait voulu simplement se préoccuper de l’avenir de Marie, il aurait été suffisant de dire au disciple: « Voici ta mère ». En se tournant d’abord vers sa mère, Jésus souligne la mission qu’il va lui laisser. Marie est la mère de Jésus, la mère de tous les disciples de Jésus (Jn 19,25-27), la nouvelle Jérusalem, mère universelle de tous les hommes, de tous les fils de Dieu dispersés, rassemblés dans le Christ-Temple (Jn 19,25-27).[4]

-          En Marie s’accomplissent les prophéties qui annoncent que la « Fille de Sion » reçoit une maternité universelle (Isaïe 54,1 ; 55,3 ; Zacharie 2,15 ; 9,9), attirant des peuples étrangers à partager les privilèges du peuple saint.

-          Enfin, ce qui est dit de Marie doit être harmonisé avec ce qui est dit du Christ et de l’Esprit : les fils de Dieu sont ceux qui renaissent de l’Esprit Saint (Jn 3,5) ; l’unité de l’Église se fait autour du Christ, unique pasteur (Jn 10, 16), sous la poussée de l’Esprit (Jn 14,26 ; 16, 13-14).

                       

            La tradition de l’Eglise a gardé cette idée que Jérusalem, la cité de Dieu, peut signifier Marie dans son rôle pour rassembler les fils de Dieu, les peuples et les nations :

« Le temple du vrai Salomon et la mystique cité de Dieu, c’est-à-dire la Très Sainte Vierge, appelée par les Saints Pères le temple de Salomon et la cité de Dieu […]. Cette ville autour de laquelle les hommes tournoieront à la fin du monde pour se convertir, et pour rassasier la faim qu’ils auront de la justice, est la Très Sainte Vierge qui est appelée par le Saint-Esprit ville et cité de Dieu [Cf. Ps 58] »[5]

 

 


[1] Cf. BENOIT XVI, homélie du 6 janvier 2006.

[2]Daminao MAZZOTTO, L’Unità degli uomini nel Vangelo di Giovanni ; Brescia 1977

Lucio GILIA, La morte di Gesù e l’unità degli uomini (Gv 11,47-53 ; 12,32) ; Bologna 1992

A. SERRA, Segno operante di unità dei dispersi figli di Dio (Jn 11,52), in E c’Era la Madre di Gesù (Jn 2,1). Saggi di esegesi biblico-mariana (1978-1988),ed. Cens Marianum, Milano-Roma 1989, pp. 285-321.

[3] Lire aussi: 49,19-20 ; Tb 13,12-13 ; Ps 87… Is 49,18-23 ; 54,1-3 ; 60,1-22 ; 66,7-13 ; Bar 4,36-37 ; 5,5-6…

[4] Les prophéties concernant Jérusalem et le temple sont accomplies en Marie et Jésus, mais cela ne refuse évidemment pas au peuple Juif le droit de revenir aujourd’hui sur la terre de ses ancêtres et d’y prier, dans le respect du droit international.

[5] Saint Louis-Marie de MONTFORT, Traité de la vraie dévotion, dans œuvres complètes, Seuil, Paris 1966, § 48

 

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Date de dernière mise à jour : 16/07/2019