« Ah ! Si tu déchirais les cieux et si tu descendais » (Isaïe 63, 15). Le prophète n’osait pas penser à l’Incarnation de Dieu. Mais il a entretenu une attitude d’ouverture qui a permis à la Vierge Marie d’être disponible et capable d’accueillir un évènement aussi inouï. L’image de la mère qui enfante avant les douleurs de l’enfantement (Is 66, 7-8) s’accomplit alors en Marie qui enfante virginalement, donc sans douleurs, son Fils venu pour détruire les œuvres du Diable (1Jn 3, 8), elle enfante aussi un peuple nouveau, mais par les douleurs du calvaire.
Pour Isaïe (Is 60,1-14), la mission est ouverte à toutes les nations qui se dirigent vers Jérusalem. Cette prophétie est reprise dans le récit de Matthieu 2,1-11. On y retrouve l’adoration des gens des nations lointaines venant avec de riches présents : les mages remplacent les rois et les princesses, ils offrent de l’or de l’encens et de la myrrhe (Mt 2,11), et ils se prosternent en adorant... Mais ils ne viennent ni au temple ni à Jérusalem : ils viennent adorer Jésus sur les genoux de Marie. Le sein et les genoux de Marie Vierge de l’Emmanuel, Dieu avec nous, deviennent le trône naturel où siège la majesté royale de l’Enfant.
La nouveauté chrétienne vient du fait que le mouvement ne se fera plus uniquement vers Jérusalem, mais aussi du cénacle à Jérusalem vers les nations. Cependant, dans le mystère de l’Epiphanie, se maintient le mouvement d’attraction vers le centre[1] qui achève le mouvement déjà inscrit dans l’Ancienne Alliance. La source d’un tel dynamisme est Dieu, désormais révélé Un (dans l’être, la nature et la substance) et Trine (dans les Personnes, les Hypostases), et qui attire tout et tous à lui.
Le rassemblement de nations espéré par Isaïe (Is 66,18−20) appelle un développement détaillé[2].
Le récit de la crucifixion selon saint Jean est précis. Jn 19, 23-24 (les soldats et la tunique) et Jn 19, 25-27 (la Mère et le disciple) sont soigneusement reliés par la conjonction grecque « mèn... de » (d’une part... d’autre part). La tunique du Christ que les soldats n’ont pas déchirée est un signe de cette unité de l’Eglise qui est sur le point de se créer grâce à l’union d’amour entre la mère de Jésus et le disciple fidèle.
Marie est maternellement présente au calvaire où se refait l’unité. Beaucoup ont fait l’expérience que la mère console, aime, apaise et rassemble les enfants. Lorsque l’on est comblé d’amour, les divisions font horreur et on veut la paix. De plus, ici, Jésus remet l’Esprit (Jn 19, 30). Le Fils de Dieu remet l’Esprit de Dieu. L’unité est celle de Dieu Trinité. Cette unité existe, elle a une dimension théologale extrêmement puissante.
L’évangéliste le sait. Jésus meurt pour rassembler les fils de Dieu. « Caïphe, étant grand prêtre cette année-là, […] prophétisa que Jésus allait mourir pour la nation -- et non pas pour la nation seulement, mais encore afin de rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés » (Jn 11, 47-52).
Selon la doctrine de l’Ancien Testament, les enfants de Dieu sont les membres du peuple d’Israël, et les dispersés sont les exilés. Par le serviteur souffrant, le Seigneur rassemble son peuple, en le reconduisant de l’exil à la terre promise (Isaïe 49,5-6). Le Seigneur conclut avec eux une alliance nouvelle, et non seulement avec eux mais aussi avec tous les autres peuples. Dans le cadre de cette restauration grandiose, Jérusalem et le temple acquièrent un relief singulier. Jérusalem est saluée comme Mère de ces fils innombrables que le Seigneur a acheminés vers elle, et c’est ici que s’accomplit de nouveau la prophétie du 3° Isaïe « Debout rayonne car voici ta lumière et sur toi se lève la gloire du Seigneur... les nations marchent vers ta lumière et les rois vers ta clarté naissante... Lève les yeux et regarde aux alentours, tous se rassemblent et marchent vers toi... » (Isaïe 60,1-4.14).[3]
Mais il y a une nouveauté dans le Christ :
- Les enfants de Dieu ne sont pas uniquement Israël mais toute l’humanité, tous sont appelés à accueillir le Christ et sa parole (Jn 1, 12 ; 1 Jn 3,1.2.9.10 ; 5,1.2)
- Les dispersés sont tous les hommes, victimes du « loup », c’est-à-dire du Malin qui « s’en empare et les disperse » (Jn 10,12). Leur dispersion sera recomposée dans l’unité même du Père et du Fils (Jn 11,52 ; cf. 10,30).
- Le serviteur souffrant est le Christ, l’Agneau de Dieu (Jn 1,29.36) qui rassemble l’humanité dispersée.
- Le Temple de Jérusalem est la personne du Christ ressuscité (Jn 2,19-22), il attire et rassemble : « une fois élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à moi » (Jn 12,32). Les fils de Dieu dispersés sont rassemblés dans le Christ-Temple. Et cette unité s’épanouit dans la Trinité (Jn 10,30 ; 17,22-23).
- Marie qui se tient debout au pied de la croix est associée à cette œuvre de rassemblement. Si Jésus avait voulu simplement se préoccuper de l’avenir de Marie, il aurait été suffisant de dire au disciple: « Voici ta mère ». En se tournant d’abord vers sa mère, Jésus souligne la mission qu’il va lui laisser. Marie est la mère de Jésus, la mère de tous les disciples de Jésus (Jn 19,25-27), la nouvelle Jérusalem, mère universelle de tous les hommes, de tous les fils de Dieu dispersés, rassemblés dans le Christ-Temple (Jn 19,25-27).[4]
- En Marie s’accomplissent les prophéties qui annoncent que la « Fille de Sion » reçoit une maternité universelle (Isaïe 54,1 ; 55,3 ; Zacharie 2,15 ; 9,9), attirant des peuples étrangers à partager les privilèges du peuple saint.
- Enfin, ce qui est dit de Marie doit être harmonisé avec ce qui est dit du Christ et de l’Esprit : les fils de Dieu sont ceux qui renaissent de l’Esprit Saint (Jn 3,5) ; l’unité de l’Église se fait autour du Christ, unique pasteur (Jn 10, 16), sous la poussée de l’Esprit (Jn 14,26 ; 16, 13-14).
La tradition de l’Eglise a gardé cette idée que Jérusalem, la cité de Dieu, peut signifier Marie dans son rôle pour rassembler les fils de Dieu, les peuples et les nations :
« Le temple du vrai Salomon et la mystique cité de Dieu, c’est-à-dire la Très Sainte Vierge, appelée par les Saints Pères le temple de Salomon et la cité de Dieu […]. Cette ville autour de laquelle les hommes tournoieront à la fin du monde pour se convertir, et pour rassasier la faim qu’ils auront de la justice, est la Très Sainte Vierge qui est appelée par le Saint-Esprit ville et cité de Dieu [Cf. Ps 58] »[5]
[1] Cf. BENOIT XVI, homélie du 6 janvier 2006.
[2]Daminao MAZZOTTO, L’Unità degli uomini nel Vangelo di Giovanni ; Brescia 1977
Lucio GILIA, La morte di Gesù e l’unità degli uomini (Gv 11,47-53 ; 12,32) ; Bologna 1992
A. SERRA, Segno operante di unità dei dispersi figli di Dio (Jn 11,52), in E c’Era la Madre di Gesù (Jn 2,1). Saggi di esegesi biblico-mariana (1978-1988),ed. Cens Marianum, Milano-Roma 1989, pp. 285-321.
[3] Lire aussi: 49,19-20 ; Tb 13,12-13 ; Ps 87… Is 49,18-23 ; 54,1-3 ; 60,1-22 ; 66,7-13 ; Bar 4,36-37 ; 5,5-6…
[4] Les prophéties concernant Jérusalem et le temple sont accomplies en Marie et Jésus, mais cela ne refuse évidemment pas au peuple Juif le droit de revenir aujourd’hui sur la terre de ses ancêtres et d’y prier, dans le respect du droit international.
[5] Saint Louis-Marie de MONTFORT, Traité de la vraie dévotion, dans œuvres complètes, Seuil, Paris 1966, § 48