« Ainsi en va-t-il de la résurrection des morts :
on est semé dans la corruption, on ressuscite dans l’incorruptibilité ;
on est semé dans l’ignominie, on ressuscite dans la gloire ;
on est semé dans la faiblesse, on ressuscite dans la force ;
on est semé corps psychique, on ressuscite corps spirituel. »
(1Co15, 42-44)
Le dogme de l’Assomption a quelques fondements bibliques indirects, tels que l’assomption d’Elie et les épitres de saint Paul. Dans la mesure où les croyants sont unis au Christ dans le baptême et participent aux souffrances du Christ (Rm 6, 1-6), ils ont part, par l’Esprit, à sa gloire et sont ressuscités avec lui en anticipation de la révélation finale (cf. Rm 8, 17 ; Éph2, 6 ; Col 3, 1). De plus, à la lumière de 1Co 15, 42-44, si le corps de Marie est déjà dans la condition de la résurrection, il est donc : - incorruptible, - glorieux (il transcende l’espace et le temps et peut apparaître), - fort (puissant en miracles), - spirituel (d’où le lien continuel entre Marie et l’Esprit Saint).
Seuls les textes bibliques suggérant que Marie est comme l’arche d’alliance[1], associés aux textes suggérant que l’arche d’Alliance est incorruptible[2], soutiennent l’idée d’un privilège marial. Les principaux fondements doctrinaux du dogme sont liés aux autres dogmes mariaux: - d’une part la virginité physique de Marie et sa maternité divine : le corps qui a porté le Christ ne peut pas connaître la corruption - d’autre part, la sainteté de Marie et l’amour qui l’unit à son Fils : l’union de Marie à son Fils dans l’au-delà est la conséquence de leur union parfaite sur la terre.
Le dogme de 1950 repose sur une tradition ininterrompue. Le « Transitus », un mot qui signifie « Passage » (Pâque) est un récit apocryphe qui fait pressentir au lecteur que le corps de Marie n’a pas subi les effets de la décomposition du sépulcre : il fut emporté au ciel. Dans sa forme actuelle, le document remonte au 4-5ème siècle. Mais les informations qu’il contient autorisent un archétype au 3ème ou 2ème siècle, attribué à Leucio, disciple de l’apôtre saint Jean. Les pères de l’Eglise ont prêché sur ce thème sans qu’aucune polémique ne se manifeste. Le 1° novembre 1950, Pie XII dit : « Nous affirmons, déclarons et définissons comme un dogme divinement révélé que : l’Immaculée Mère de Dieu, Marie toujours vierge, après avoir achevé le cours de sa vie terrestre, a été élevée en corps et en âme à la gloire céleste. »[3]
Proclamé le jour de la Toussaint (1er novembre), le dogme de l’Assomption a une signification pour la destinée de tous les saints : « l’Agneau sera leur pasteur et les conduira aux sources des eaux de la vie. Et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux. » (Ap 7, 17). Marie dans la gloire de Dieu est un signe d’espérance pour tous.
Ainsi, on peut être étonné de proclamer si tard un dogme sur une vérité qui a toujours été crue. C’est en 1950, très peu de temps après la fin de la guerre mondiale et Auschwitz où le corps humain a été si gravement humilié et désacralisé. Et voici que le dogme de l’Assomption proclame le destin surnaturel et la dignité de tout corps humain, appelé par le Seigneur à devenir un instrument de sainteté et à participer à sa gloire[4].
Marie est une « servante » qui est devenue reine. L’Assomption est l’intronisation des humiliés. Marie l’avait prophétisé : « Il a regardé vers l’humilité de sa servante... il élève les humbles » (Lc 1, 48.52).
Les pauvres oublient moins facilement que les autres qu’ils ont un corps : l’aiguillon de la faim et toutes les pénuries le leur rappelle. La culture des pauvres est donc vivement corporelle et matérielle. Que l’être humain ne soit pas seulement une pensée mais un corps qui piétine le sol, qui a faim de pain, qui cherche la joie, qui veut être libre - voilà quelques vérités élémentaires et matérielles qui sont plus vraies pour les pauvres que pour n’importe quelle autre catégorie sociale.
De là peut-être le motif pour lequel l’Assomption, comme fête du corps, et du corps féminin, est très appréciée et célébrée par le peuple pauvre, qui y voit peut-être la réalisation de son désir secret: un corps dans toute sa potentialité de beauté, de communication et d’amour.[5]
« A propos de la conclusion de la vie terrestre de Marie, le Concile reprend les termes de la Bulle qui définit le dogme de l’Assomption et ne se prononce pas sur la question de la mort de Marie. Toutefois Pie XII n’entendait pas nier le fait de la mort, mais seulement il ne jugea pas opportun d’affirmer solennellement, comme une vérité qui devait être admise par tous les croyants, la mort de la Mère de Dieu. En vérité, certains théologiens ont soutenu la thèse que la Vierge n’eut pas à mourir et qu’elle passa directement de la vie terrestre à la gloire céleste. Cette opinion est toutefois inconnue jusqu’au XVII° siècle, alors qu’il existe en réalité une tradition commune qui voit dans la mort de Marie son introduction à la gloire céleste »[6].
« En réfléchissant sur le destin de Marie et sur sa relation avec le Fils divin, il semble légitime de répondre de façon affirmative : puisque le Christ est mort, il semble difficile de soutenir le contraire en ce qui concerne sa Mère. C’est dans cette direction qu’ont réfléchi les Pères de l’Église, qui n’ont pas eu de doutes à ce propos. Il suffit de citer saint Jacques de Sarug († 521), Saint Modeste de Jérusalem († 634), saint Jean Damascène († 704) »[7].
« Il est vrai que dans la Révélation, la mort est présentée comme un châtiment du péché. Toutefois, le fait que l’Église proclame Marie comme étant libérée du péché originel par un privilège divin singulier, ne conduit pas à conclure qu’Elle a également reçu l’immortalité corporelle. La Mère n’est pas supérieure au Fils, qui a assumé la mort en lui conférant une nouvelle signification et en la transformant en instrument de salut.
Participant à l’œuvre de la Rédemption et associée à l’offre salvatrice du Christ, Marie a pu partager la souffrance et la mort en vue de la Rédemption de l’humanité»[8].
« A ce propos, saint François de Sales estime que la mort de Marie a eu lieu à la suite d’un élan d’amour. Il parle d’une mort "dans l’amour, à cause de l’amour, par amour", parvenant ainsi à affirmer que la Mère de Dieu mourut d’amour pour son fils Jésus[9]. Quel que soit le fait organique et biologique qui causa, d’un point de vue physique, la fin de la vie du corps, l’on peut dire que le passage de cette vie à l’autre fut pour Marie une maturation de la grâce dans la gloire, si bien que jamais autant que dans ce cas, la mort ne put être considérée comme une "dormition".
Chez certains Pères de l’Église nous trouvons la description de Jésus qui vient lui-même chercher sa mère au moment de sa mort, pour l’introduire dans la gloire céleste. Ils présentent ainsi la mort de Marie comme un événement d’amour qui l’a conduite à rejoindre son Fils divin, pour en partager la vie immortelle.
A la fin de son existence terrestre, elle aura connu, comme Paul et plus que lui, le désir d’être libérée du corps pour être avec le Christ pour toujours (cf. Ph 1, 23).
L’expérience de la mort a enrichi la personne de la Vierge : ayant subi le sort commun des hommes, elle est en mesure d’exercer avec plus d’efficacité sa maternité spirituelle à l’égard de ceux qui arrivent à l’heure suprême de leur vie »[10].
Jean-Paul II explique : « En se référant à la participation de la femme du Protévangile, la lutte contre le serpent et en reconnaissant en Marie la nouvelle Eve, la Bulle Munificentissimus Deus déjà citée présente l’Assomption comme la conséquence de l’union de Marie à l’œuvre rédemptrice du Christ. Elle affirme à cet égard : "Par conséquent, tout comme la glorieuse résurrection du Christ fut la part essentielle et le trophée ultime de cette victoire, ainsi fallait-il que le combat livré par la Sainte Vierge unie à son Fils, se terminât par la glorification de son corps virginal"[11]. L’Assomption est donc le point d’arrivée de la lutte qui a mobilisé l’amour généreux de Marie pour la rédemption de l’humanité, et elle est le fruit de sa participation unique à la victoire de la Croix »[12].
Le concile rapproche le dogme de l’Immaculée conception et celui de l’Assomption :
« Enfin la Vierge immaculée, préservée par Dieu de toute atteinte de la faute originelle, ayant accompli le cours de sa vie terrestre, fut élevée corps et âme à la gloire du ciel, et exaltée par le Seigneur comme la Reine de l’univers, pour être ainsi plus entièrement conforme à son Fils, Seigneur des seigneurs (cf. Ap 19,16), victorieux du péché et de la mort »[13].
Marie est le modèle de l’Eglise, « dans l’Ordre de la foi, de la charité et de la parfaite union au Christ »[14]. Véritable évènement d’amour, son expérience de la mort l’a mise « en mesure d’exercer avec plus d’efficacité sa maternité spirituelle à l’égard de ceux qui arrivent à l’heure suprême de leur vie »[15], et donc aussi toute l’Eglise dans son ultime Pâque, et toute l’humanité à l’heure de la fin du monde. « Marie a connu la mort avant de connaitre sa glorieuse assomption. Certes, l’Apocalypse annonce la victoire du Christ sur la Bête et le faux prophète (Ap 19, 20) mais la foule immense qui acclame sa victoire se situe au ciel (Ap 19, 1). On peut fort heureusement imaginer un certain soulagement après la chute de Babylone (Ap 17), mais «l’Eglise n’entrera dans la gloire du Royaume qu’à travers cette ultime Pâque où elle suivra son Seigneur dans sa mort et sa Résurrection (cf. Ap 19,1-9). Le Royaume ne s’accomplira donc pas par un triomphe historique de l’Eglise (cf. Ap 13,8) selon un progrès ascendant mais par une victoire de Dieu sur le déchaînement ultime du mal (cf. Ap 20,7-10) qui fera descendre du Ciel son Epouse (cf. Ap 21,2-4). Le triomphe de Dieu sur la révolte du mal prendra la forme du Jugement dernier (cf. Ap 20,12) après l’ultime ébranlement cosmique de ce monde qui passe (cf. 2P 3,12-13) » (CEC 677).
De même que la Vierge Marie a vécu sa mort et son Assomption par une grâce spéciale qui l’a unie de manière indissoluble à son Fils, le Christ, notre Seigneur, de même, l’Eglise vivra sa dernière Pâque et son entrée dans le royaume par une grâce spéciale du Seigneur. C’est pourquoi l’Apocalypse parle d’une Jérusalem qui descend d’en haut.
[1] Le récit de la Visitation (Lc 1, 39-56) est parallèle à celui du transfert de l’arche d’Alliance en 2Sam 6.
[2] 2Macc 2, 4-8 ; Ap 11, 19.
[3] PIE XII, Constitution apostolique "Munificentissimus Deus", définissant le dogme de l’Assomption, 1° novembre 1950. H. Denzinger - A. Schönmetzger, Enchiridion Symbolorum, § 3900-3904.
[4] Cf. JEAN PAUL II, Catéchèse (audience) du 9 juillet 1997, § 5
[5] Clodovis BOFF, Mariologia sociale. Il significato della Vergine per la società.
BTC 136. Queriniana, Brescia 2007. Biblioteca contemporanea, p. 498. 521-523.
[6] JEAN-PAUL II, Audience générale du 25 juin 1997
[7] JEAN-PAUL II, Audience générale du 25 juin 1997
[8] JEAN-PAUL II, Audience générale du 25 juin 1997
[9] St FRANÇOIS DE SALES,Traité de l’Amour de Dieu, Lib. 7, c. XIII-XIV
[10] JEAN PAUL II, Audience générale du 25 juin 1997
[11] PIE XII, Munificentissimus Deus AAS 42 [1950], 768
[12] JEAN PAUL II, Audience générale du 2 juillet 1997, § 4
[13] VATICAN II, Constitution dogmatique Lumen Gentium 59
[14] VATICAN II, Constitution dogmatique Lumen Gentium 63
[15] JEAN PAUL II, Audience générale du 25 juin 1997