Clément et Origène

Exercices pour les étudiants de l’institut Foi vivifiante

Etude : F. Breynaert, Parcours christologique, Parole et Silence 2016, p. 48-70

Exercices : 

  1. Dites une chose que vous avez retenu de Clément d'Alexandrie.
  2. Pourquoi est-il si important qu'Origène ait parlé de l'âme humaine du Christ ? En quoi empêche-t-il les erreurs christologiques ? 
  3. Actualisez : quels auteurs contemporains, mystiques ou littéraires, vous aident à contempler l'âme humaine du Christ (ses attitudes, ses sentiments, etc.) ? 
  4. Faites une contemplation personnelle exprimant un aspect qui vous semble si aimable dans l'âme humaine du Christ. 
  5. Origène a eu une maladresse agravée par ses successeurs, laquelle ? 

Couv christologie

Christologie 9. Clément d Alexandrie (150-210)

Clément d’Alexandrie (150-210)

 

« Le Verbe était la lumière véritable,

qui éclaire tout homme ;

il venait dans le monde.

Il était dans le monde, et le monde fut par lui,

et le monde ne l’a pas reconnu » (Jn 1, 9-10).

 

            Clément d’Alexandrie (150-210) a vécu à une époque de chantier théologique. Il y a des lumières vitales, ce sont des hommes qui prient ! Mais ces lumières sont parfois énoncées d'une manière étrange qui sera ensuite abandonnée. Néanmoins, ce sont les premiers jalons des futures définitions...

            Ce chapitre est utile pour nous aider à accepter que de nos jours aussi, certaines recherches théologiques, avec beaucoup de bonne volonté, connaissent des tâtonnements

            Clément se réfère beaucoup au « logos », le Verbe de Dieu, qui donne au monde son intelligibilité. Par ce biais, il peut dialoguer avec des non-chrétiens. Mais il sait que le salut vient du contact avec le Verbe incarné (Jésus).

 

Le Christ, logos et pédagogue

            Dans le prologue de Jean, l’évangéliste appelle Jésus le Verbe de Dieu. En grec, le Verbe, c’est le Logos. Clément d’Alexandrie aime parler de Jésus-Christ comme étant le Logos.

            Au plan intemporel, métaphysique, le Logos permet la connaissance de Dieu. Clément d’Alexandrie, qui connait bien l’Ancien Testament, donne une interprétation allégorique du tabernacle juif et de l’entrée du grand prêtre dans le Saint des saints. Ce n’est pas l’allégorie en elle-même qui est intéressante. Ce qui est important, c’est que Clément considère le Verbe comme un maître, comme quelqu’un qui nous prend par la main et nous conduit vers les réalités d’en-haut.

            Au plan historique, le logos inspire les philosophes et les prophètes (en tant que pneuma ou logos spermatikos).

            Le Christ, le logos, est "le pédagogue". Pour cheminer dans la foi, il faut être comme des enfants devant le Christ qui est le pédagogue ; sans cette attitude humble on ne peut avancer dans la foi.

            Le chrétien parfait est un enfant c’est-à-dire qu’il se laisse guider par le Christ.

            Cette vision se reflète aussi sur la compréhension de Marie et de l’Eglise.

            Selon la pensée du temps, les mères ont du lait, les vierges n’en ont pas. Une mère vierge ne peut pas avoir de lait. Clément parle de Marie la vierge mère qui n’a pas donné le lait mais a donné le Verbe ; Clément passe ensuite à l’Eglise, vierge mère qui n’a pas non plus donné de lait mais a donné le Verbe.

L’Eglise comme Marie est vierge, c’est-à-dire indemne des hérésies, et elle est fécondée par l’Esprit Saint :

« Cependant, si les femmes qui accouchent, en devenant mères, deviennent sources de lait, le Seigneur Christ, fruit de la Vierge, n’a pas déclaré bienheureuses leurs mamelles ; il ne les a pas jugées nourricières : lorsque le Père plein d’amour et de bonté pour l’homme a répandu la rosée de Son Logos, alors il est devenu lui-même la nourriture spirituelle des hommes vertueux.

Quel étonnant mystère !

Il y a un seul Père de l’univers, un seul Logos de l’univers et aussi un seul Esprit-Saint, partout identique.

Il y a aussi une seule vierge devenue mère, et j’aime l’appeler l’Église. Cette mère, seule, n’eut pas de lait parce que, seule, elle ne devint pas femme ; elle est, en même temps vierge et mère, intacte en tant que vierge, pleine d’amour en tant que mère ; elle attire à elle ses petits enfants et les allaite d’un lait sacré, le Logos des nourrissons. Elle n’a pas eu de lait parce que le lait, c’était ce beau petit enfant, bien approprié, le corps du Christ : ainsi nourrissait-elle du Logos ce jeune peuple que lui-même le Seigneur mit au monde dans les douleurs de la chair et qu’il a lui-même emmailloté de sang Précieux (cf. 1P 1,19) »[1].

 

            En un sens, le logos prend la place du maître dans les systèmes gnostiques, mais justement, Clément n’est pas gnostique : le maitre, c’est Jésus Christ, le Verbe incarné. Clément rejette la multiplicité des figures salvatrices.

 

Le Christ, image et visage du Père

            Alors que Justin et les apologistes avaient fondé la possibilité de l’envoi du Logos sur sa transcendance réduite (le subordinatianisme), Clément maintient la transcendance du Logos incarné. Pour Clément, il n’y a pas besoin de dire qu’il soit un peu inférieur pour dire qu’il s’incarne. Il suffit de dire qu’il est le Fils. Et il est « eikon », et « prosôpon » : image et visage du Père (Stromates V 34, 1). Comme dans l’évangile, Jésus dit : qui m’a vu a vu le Père !

« La face (prosôpon) de Dieu, c’est le Logos, par lequel Dieu est mis en lumière et révélé » (Le pédagogue, I, 57, 2).

            Le Fils est donc, par son incarnation, le visage du Père, mais il l’est parce qu’il est déjà depuis toute éternité l’image du Dieu invisible (Stromate V 38, 7).[2]

Clément détaille un peu les choses :

            Le Logos est d’abord le "Noûs" qui contient les pensées de Dieu.

            Le Logos devient une « hypostase »[3] à part, distincte du principe premier : il est à ce point la loi de l’univers ou en d’autres mots, l’âme du monde. Ce qu’il ne faut pas confondre avec une vision panthéiste ou moniste. Clément ne veut pas dire que le monde et Dieu sont une seule chose ; il veut simplement dire que le monde a une signification parce qu’il obéit à un certain ordre qui vient du Logos ou âme du monde qui donne un sens au monde, l’anime et le vivifie parce qu’il est Dieu.

            De même qu’il s’est allumé comme un soleil, le Logos devient, dans l’Incarnation, le soleil de l’âme et son compagnon sur la route conduisant au Père.

            Par le baptême, le chrétien devient la demeure du Logos et, par-là, semblable au Logos et à Dieu (Le Pédagogue III, I. 5).

            Dans l’Eglise, l’école du divin pédagogue, le Christ est notre Père, notre mère, notre tuteur et nourricier (Le Pédagogue I, 42. 1-3).

 

Point faible de Clément

            On le voit, Clément s’écarte tout à fait des doctrines non chrétiennes. Il a tendance à spiritualiser, mais il n’est pas pour autant docète.

            Cependant, Clément omet de parler de l’âme humaine du Christ, et il va imaginer que le Christ, puisqu’il est le Logos divin, ne souffre pas ! Bien sûr c’est faux. Autrement dit, il ne parvient pas à préciser les limites entre le Logos divin et l’âme humaine du Christ et ce flou génère des idées scabreuses sur l’impassibilité du Christ[4], idées qui seront rejetées et oubliées.

            Retenons que Clément d’Alexandrie veut adhérer à la vérité de la nature humaine du Christ : le Logos devient, par l’Incarnation, le soleil de l’âme et son compagnon sur la route conduisant au Père (Le Protreptique 121, 1),

 


[1] CLEMENT D’ALEXANDRIE, Le Pédagogue, Livre I, chapitre VI, Sources chrétiennes 70, Cerf, Paris 1960, p.187

[2] Cardinal Aloys GRILLMEIER, Le Christ dans la tradition chrétienne, Ibid., p. 366

[3] Le mot n’est pas encore précis. Clément veut dire simplement « un être ».

[4] Cf. Cardinal Aloys GRILLMEIER, Le Christ dans la tradition chrétienne, Ibid., p. 367-371

 

Christologie 10. Origène (183-254)

Origène (183-254)

 

« Sa main gauche sera sous ma tête,

et sa main droite m’enlacera » (Ct 2,6).

 

            Origène (183-254), a vécu à Alexandrie (Egypte), aux temps des persécutions. Bibliste, il fut l’exégète le plus profond de l’antiquité. Au Moyen Age, très lu, il était appelé « docteur marial ».

 

1) Dans son Commentaire sur le Cantique des Cantiques, Origène explique l’amour avec lequel le Fils de Dieu s’est incarné et s’est fait notre rédempteur

 

2) Il explique, contre Celse, l’âme humaine du Christ. Origène parle magnifiquement de l’âme humaine du Christ, ce qui lui permet de défendre correctement la vraie doctrine chrétienne sur l’union de l’humanité et de la divinité. Les Évangiles en parlent (Jn 10, 18 ; Mt 26, 28...). Origène est donc très utile. Mais il faudra attendre Grégoire de Nazianze, Grégoire de Nysse, et Maxime le Confesseur pour que ne soit plus oubliée l’âme humaine du Christ.

 

3) Origène fait l’erreur de la préexistence de l’âme du Christ. Evagre le Pontique aggravera l’erreur en disant que ce n’est pas le Fils de Dieu mais l’âme préexistante qui s’incarne, ce qui, comme nous l’expliquerons, fait perdre le sens de la Rédemption (hérésie que n’avait pas dite Origène).

 

4) Origène parle de la Vierge Marie comme « Theotokos » (Mère de Dieu). Le mot est un mot utilisé par le peuple Egyptien (sans l’arrière-fond dogmatique précis qui ne viendra qu’avec le concile d’Ephèse en l’an 431).

 

Un mot sur sa vie

            Vers l’an 202, lors des persécutions de Septime Sévère, il accompagne son père au martyre, et l’encourage à rendre au Seigneur le témoignage du sang. Il enseigne les catéchumènes et assiste courageusement plusieurs élèves martyrisés.

            Aîné de 7 enfants, il nourrit les siens. Il renonce à tous ses biens afin de se trouver plus libre et de se dévouer au service du Seigneur, imitant les apôtres.

            Vers l’an 230, il est ordonné prêtre à Césarée, ville où Origène a accès aux sources juives grâce à l’importante bibliothèque impériale qui s’y trouve. C’est une grande chance. Mais, de retour à Alexandrie, il est bannit d’Egypte et déchu du sacerdoce, à cause d’une querelle d’idées. Il repart et enseigne à Césarée, Athènes etc...

            La postérité chrétienne ne gardera pas d’Origène ses réflexions philosophiques sur l’origine de l’âme, trop empruntées aux philosophies païennes de son temps. Mais son Commentaire du Cantique des Cantiques sera très apprécié et inspirera d’autres auteurs chrétiens.

            La persécution de Dèce (249) est la première persécution systématique de grande ampleur contre les chrétiens. Elle met un terme aux activités d’Origène : emprisonné et torturé, Origène confesse sa foi jusqu’à la mort du tyran. Il est alors libéré, mais, brisé par les souffrances et affaibli par les mauvais traitements, il meurt peu après, vers 254[1].

 

Origène, Commentaire du Cantique

            La lecture allégorique de l’Ancien Testament est possible parce que le Christ est le logos divin. Dans le Cantique des Cantiques, il y a un bien-aimé, c’est le Christ, et une bien-aimée, c’est l’Eglise, et c’est ton âme.

            A travers un langage poétique, Origène contemple le mystère de l’Incarnation et de la Rédemption.

 

            Dans la métaphore du lis, Dieu le Père est dit avoir revêtu Jésus d’une chair immaculée comme le lis, par une conception virginale que Salomon dans toute sa gloire n’a pas eue. Cette Incarnation dans la beauté est un don fait à l’humanité pour qu’en elle apparaisse la même beauté, représentée aussi par le lis. Jésus-Christ cherche à partager ses prérogatives :

« Mais dès qu’il s’est fait lis dans les vallées, aussitôt sa compagne aussi se fait lis à son imitation »[2].

 

            Autrement dit, que le Fils de Dieu s’incarne, l’Eglise se fait « lys ». L’Incarnation est pour l’humanité non seulement comme une lumière extérieure qui attire par sa beauté mais elle est aussi une grâce intérieure transformant à l’exemple du Christ.

            L’Incarnation manifeste le regard d’estime que Dieu porte sur l’humanité bien-aimée, son regard qui ennoblit et qui, comblant la distance qui les sépare, invite la bien-aimée à lui ressembler.

 

            Le Christ-époux est aussi comparé à un « sachet de myrrhe » qui exprime « la naissance corporelle du Fils de Dieu »[3]. Les limites du sachet symbolisent les limites du corps. Cette métaphore annonce aussi la divinisation de l’homme dont les limites corporelles peuvent cependant contenir la divinité.

           

            Le verset « notre couche est ombragée » (Ct 1,16) introduit la réflexion suivante :

« Examine bien si ce corps que Jésus a pris ne pourrait peut-être pas aussi recevoir le nom de ‘couche’ qu’il partage avec l’Épouse, car c’est par lui que l’Église semble avoir été unie au Christ (cf. Col 1,24), et avoir pu obtenir participation au Verbe de Dieu, selon qu’il est dit encore ‘médiateur entre Dieu et les hommes’ (1Tm 2,5), et selon ce que dit l’Apôtre : En lui, ‘nous avons accès par la foi à l’espérance de la gloire de Dieu’ (Rm 5,8) »[4].

            Origène fait un commentaire poétique, allégorique, mais qui n’est pas pour autant fantaisiste : il reformule les affirmations du Nouveau Testament et cite saint Paul. Origène nous dit que l’union de l’Eglise au Christ est possible grâce au Corps que Jésus Christ a pris, lui, le Verbe incarné, médiateur entre Dieu et les hommes.

 

            L’image du saint chrême est l’occasion d’approfondir encore la christologie dans la perspective de l’évangélisation. Le saint chrême consacrait le prêtre et les objets du culte. Pour Origène, ses ingrédients préfiguraient « l’Incarnation du Verbe de Dieu, car celui-ci a pris un corps composé des quatre éléments ». Et tous les ingrédients du parfum offert par l’époux, sont « liés ensemble », par une huile signifiant « la seule miséricorde »[5].

            « La seule miséricorde » - La descente, la kénose[6] du Verbe prenant chair est motivée par la divine miséricorde : ni par la pitié ni par la condescendance mais par l’amour miséricordieux. La traction du Verbe s’exerce sur celles qui comprennent cet amour miséricordieux et elles le suivent « pleines de force et d’ardeur »[7]. L’onction de miséricorde devient onction de force !

            « Liés ensemble » - L’huile qui lie les ingrédients du parfum signifie l’Esprit Saint[8] : en effet, l’unité de l’humanité et de la divinité dans l’Incarnation est l’œuvre de l’Esprit Saint.

« En outre, comme il est dit ‘Charité’, c’est le Saint Esprit seul qui ‘procède du Père’ et pour cela sait ce qu’il y a en Dieu, comme ‘l’esprit de l’homme sait ce qu’il y a dans l’homme’ (cf. 1Co 2, 11). Dès lors ce ‘Paraclet, Esprit de vérité qui procède du Père’ (Jn 15,26), rôde, cherchant s’il trouvera des âmes dignes et capables, à qui révéler la grandeur de cette ‘Charité qui est de Dieu’ (cf. 1 Jn 4,7) »[9].

 

            Dire que l’Incarnation est portée par l’Esprit Saint signifie que le motif de l’Incarnation est l’amour de Dieu qui désire se révéler. Est sous-jacent l’Annonciation et le verset de Lc 1, 35 (l’Esprit Saint viendra sur toi…).

            Cela signifie aussi que c’est l’Esprit Saint qui nous rend capables de connaître que Dieu s’est incarné.

 

            Le Cantique parle des jeunes filles qui accompagnent le bien-aimé. Le Christ s’abaisse jusqu’à prendre la « forme de serviteur »et « il s’est répandu hors de la plénitude où il se trouvait. »C’est pourquoi les jeunes filles disent : « de sa plénitude nous avons tous reçu (Jn 1,16) »[10]. Selon l’hymne aux Philippiens (Phil 2,6-7), la forme de serviteur évoque l’Incarnation. Origène y voit un don de soi, une déprise généreuse qui émeut les jeunes filles, les met en mouvement, et leur communique la plénitude.

           

            La kénose (l’abaissement) volontaire du Christ est comme un parfum répandu pour que, par la foi, nous puissions nous approprier le Fils de Dieu :

« Donc, pour ces âmes ‘toutes jeunes’, en croissance et en progrès, ‘celui qui était de la condition de Dieu s’est vidé de lui-même’ (Phil 2,7) pour que son ‘nom’ devienne ‘un parfum répandu’, pour que désormais il ‘n’habite’ plus seulement ‘une lumière inaccessible’ et ne reste pas ‘dans la condition de Dieu’, mais que ‘le Verbe se fasse chair’ (cf. Jn 1,14), afin que ces âmes ‘toutes jeunes’ et en progrès croissants, puissent non seulement l’aimer, mais encore l’attirer à elles. Chaque âme en effet attire et s’approprie le Verbe de Dieu à la mesure de sa capacité et de sa foi »[11].

 

            Le désir amoureux s’accompagne normalement d’un désir d’habiter avec l’autre, chez l’autre. C’est bien ce qu’Origène décrit de Dieu : il « n’habite plus seulement » une certaine demeure faite de lumière mais, se laissant attirer, il souhaite habiter chez nous. C’est aussi le mystère de l’Eucharistie. Le Christ veut être en nous et communier à nos joies et nos peines, comme un époux. Au temps d’Origène, les chrétiens se réjouissaient de voir les progrès de l’évangélisation, et avaient la peine des persécutions ; et ils vivaient de l’Eucharistie, de la présence de Jésus comme époux.

           

            Il est dit du Verbe qu’il est « Le Fils de la Charité, bien mieux, qu’il est lui-même ‘la Charité qui est de Dieu’»[12]. Or, voici que le Verbe s’incarne pour se donner lui-même, pour que « les âmes » se l’approprient, pour qu’elles soient habitées par la charité, et pour qu’elles ne vivent plus seules mais avec le Verbe de Dieu comme avec le meilleur époux, pour qu’à la mesure de leur foi, elles ne fassent rien sans Lui.

            Notons bien que saisir ou s’approprier le Christ n’est pas ici un acte de possession car ces expressions sont placées dans le contexte de l’allégorie du parfum : on peut saisir le Christ car il a « répandu le parfum » mais on « saisit l’odeur »[13] du parfum sans le posséder[14] : la charité de Dieu transcende l’âme qui s’en imprègne.

           

            Toutes ces images symboliques sont précieuses, elles permettent d’aborder une réalité encore relativement inconnue. L’expérience chrétienne commence pas à pas.

 

            Les liens du péché sont comparés à des filets que personne n’avait pu rompre, avant le Christ :

« Il vint donc vers ces filets, mais lui seul put n’en être pas enveloppé ; bien plus, ceux-ci brisés et mis en pièces, il donne à son Église l’assurance pour qu’elle ose désormais fouler aux pieds les pièges, passer au milieu des filets et dire en toute allégresse : "Notre âme, comme un passereau, s’est échappée du piège des chasseurs ; le piège fut brisé et nous fûmes libérés" (Ps 123,7) »[15].

 

            Le Christ époux met en pièce les mailles des filets que sont les embûches du diable.[16]

             Du Christ émane une énergie qui séduit, attire et tracte en avant.

 

« Lorsqu’elles auront saisi l’agréable odeur de ses parfums, je veux dire auront reconnu… sa charité à cause de laquelle, pour le salut de tous, l’Immortel est allé ‘jusqu’à la mort de la croix’ alors… ces ‘jeunes filles’, âmes rendues pleines de vigueur et d’ardeur, courent à sa suite… »[17].

 

            L’âme reçoit « la suavité de sa douceur et de son odeur » c’est à dire la « charité » qui motive sa Passion, et elle « s’approprie le Verbe de Dieu à la mesure de sa capacité et de sa foi »[18].

            Autrement dit, les fruits de la Rédemption sont reçus non pas de manière extérieure mais par saisie et par inhabitation.

            On peut avoir une certaine conscience de courir à la suite de l’époux, mais l’appropriation du Christ échappe sans doute beaucoup à la conscience qu’on en a, c’est davantage un mystère de « foi ».

 

            Origène nous parle abondamment de la Rédemption en commentant l’étreinte de l’époux divin : « Sa main gauche sera sous ma tête, et sa main droite m’enlacera (Ct 2,6) »[19].

            Il s’agit d’une étreinte. Origène après avoir mis en garde contre une interprétation charnelle[20], nous explique qu’il s’agit bien d’amour :

« Tout comme celui qui se dit amoureux de la beauté de la Sagesse montre qu’il a reporté la disposition naturelle de la charité qui est en lui sur l’ardeur pour la Sagesse, de même ici l’Epouse Eglise demande avec instance que son époux, le Verbe de Dieu, de sa main gauche lui soutienne la tête, et de sa main droite enlace et étreigne tout le reste de son corps »[21].

Dans son interprétation[22], la « gauche » est liée au fait que Jésus « a guéri nos blessures, et a porté nos péchés (cf. 1P 2,24) », et qu’il donne à l’Eglise « la gloire et les richesses », gloire « de la Passion », richesses de la « la foi en la Passion ».

            La main droite est liée à la longueur de la vie, à l’éternité, elle est « toute entière lumière » ; la main droite donne la révélation des mystères éternels.

            La rédemption, qui nous sauve du péché, du mal et de la mort, est exprimée dans un langage nuptial. Jean-Baptiste ne s’était-il pas présenté comme l’ami de l’époux. Origène donne une catéchèse normale, et en même temps, parce qu’elle est mystique, elle s’adresse aux chrétiens qui sont avancés dans la vie spirituelle.

 

Origène et l’âme humaine du Christ

            Lorsque l’on médite sur l’âme humaine du Christ, on est prémuni contre les dérives gnostiques et contre la plupart des hérésies.

            Concernant l’âme du Christ, Origène écrit dans le Traité des Principes :

« II, 6, 4. La perfection de l’amour et la sincérité d’une affection pure ont fait l’unité inséparable de cette âme avec un Dieu, tellement que l’assomption de cette âme n’est pas le produit du hasard ni le résultat d’une partialité envers une personne, mais vient du mérite de ses vertus. C’est ce que dit le prophète s’adressant à elle : Tu as aimé la justice et haï l’iniquité : c’ est pourquoi Dieu, ton Dieu, t’a ointe de l’huile de joie […] Etre oint de l’huile de joie ne veut pas dire autre chose qu’être rempli de l’Esprit Saint.

II, 6, 5. On ne peut douter que la nature de cette âme n’ait été celle de toutes les âmes : autrement on n’aurait pu l’appeler âme, si elle n’avait pas été vraiment âme. Mais puisque choisir le bien ou le mal est au pouvoir de tous, cette âme, celle du Christ, a si bien choisi d’aimer la justice que, par suite de l’immensité de son amour, elle a adhéré à elle de manière inconvertible et inséparable : ainsi la fermeté de son propos, l’immensité de son affection et la chaleur inextinguible de son amour ont retranché tout désir de changement et de retournement.

II, 6, 6. Cette âme qui, comme le fer dans le feu, se trouve toujours dans la Parole, toujours dans la Sagesse, toujours en Dieu, tout ce qu’elle fait, tout ce qu’elle pense, tout ce qu’elle comprend est Dieu. Et c’est pourquoi on ne peut la dire convertible ni muable, car, toujours enflammée, elle possède l’inconvertibilité par son unité avec la Parole de Dieu. »[23]

 

Origène et la mère de Jésus

            Le regard d’Origène sur la mère de Jésus est très lié à sa manière dont il contemple le Christ. Lui qui a médité sur l’âme humaine du Christ, il médite aussi sur l’âme humaine de Marie, et c’est riche pour la spiritualité.

            Origène, en bon exégète, observe le récit de l’Annonciation.

  « Je dois ajouter quelques mots sur la formule employée par l’ange pour saluer Marie, formule nouvelle que je n’ai pas pu trouver ailleurs dans toute l’Écriture. Voici ces paroles : Salut, pleine de grâce ! - ce qui se dit en grec Kécharitoméné.

            Où aurais-je pu lire cela ailleurs dans l’Ecriture ? Je ne m’en souviens pas. Jamais cette formule ne fut adressée à un homme : Salut, plein de grâce.

  A Marie seule, cette salutation était réservée. Si, en effet, Marie avait su qu’une formule de ce genre avait été adressée également à un autre - elle avait, en effet, la connaissance de la Loi, elle était sainte et connaissait par ses méditations de chaque jour les oracles des prophètes ! - jamais elle n’eut été effrayée de cette salutation qui lui semblait étrange.

  C’est pourquoi l’ange lui dit : Ne crains pas. Voici que tu concevras et enfanteras un fils et tu lui donneras le nom de Jésus. Il sera grand et sera appelé Fils du Très-Haut »[24].

« Voici, dit-elle, la servante du Seigneur, c’est comme si elle disait : Je suis une tablette pour écrire, que l’écrivain écrive ce qu’il veut ; qu’il fasse ce qu’il veut, le Seigneur de l’univers »[25].

 

            Origène est aussi confronté aux Juifs et aux païens, qui, par la plume de Celse, font chorus avec eux pour nier la conception virginale. Jésus serait le fruit d’un adultère : le responsable de sa naissance serait un soldat romain du nom de Panthéras. Cette calomnie est attestée par les Talmuds, qui parlent de Jésus « ben Panthéra ». Origène leur répond :

  « Voyons si ceux qui ont aveuglément imaginé cette fable de l’adultère de la Vierge avec Panthéras et du charpentier qui l’a répudiée, n’ont pas fabriqué tout cela pour détruire le miracle de la conception sous l’action de l’Esprit-Saint. Ils pouvaient falsifier autrement cette histoire à cause de son caractère trop miraculeux et ne pas admettre, comme ils le font malgré eux, que Jésus n’est pas né d’un mariage ordinaire. Il fallait en conséquence que ceux qui n’acceptaient pas la naissance miraculeuse de Jésus fabriquent quelque mensonge. Mais le fait qu’ils n’aient pas réussi à le faire de façon vraisemblable, et qu’ils aient conservé la vérité sur un point, en disant que la Vierge n’a pas conçu Jésus de Joseph, rend le mensonge évident pour ceux qui savent comprendre et réfuter les fictions »[26].

 

            Origène appelle le Christ "Homme-Dieu" (grec Theanthropos) et Marie "Mère de Dieu" (grec Theotokos)[27]. Il ne s’agit évidemment pas d’une idée mythique : si dans les mythes les divinités se font parfois homme, c’est pour jouir, ce n’est pas pour souffrir.

           

            Dans un autre passage, il parle de la virginité de Marie après l’enfantement.

« Et je pense que l’on peut dire avec raison que, si Jésus a été pour les hommes les prémices de la pureté et de la chasteté, Marie le fut pour les femmes. Il ne serait pas convenable d’attribuer à une autre qu’à elle les prémices de la virginité »[28].

 

            En lisant attentivement les homélies sur l’Evangile de Luc qu’Origène a faite en 233 ou 234 aux fidèles de Césarée, on se rend compte qu’Origène, toujours attentif à l’âme, parle avec prédilection d’un « chemin de Marie » en nous, de sorte que vivent en nous toutes les vertus de Marie, sa charité, la présence de Dieu en elle, etc.

 

Origène : un auteur controversé ?

L’âme humaine du Christ : puissante réponse d’Origène aux hérésies.         

            En l’an 178 à Alexandrie, Celse posait une question difficile. D’après lui, s’ils disent que le Verbe s’est fait chair, les chrétiens sont devant un dilemme : « Ou bien Dieu change, comme ils le prétendent, pour devenir un corps mortel […] ou bien ne change pas lui-même, mais fait que ceux qui le voient le juge ainsi [c’est le docétisme], alors il les trompe et il ment »[29].

            Origène tente de répondre à Celse. Puisque saint Paul connaissait déjà l’anthropologie corps, âme, esprit[30], Origène distingue dans le Christ le corps (soma), l’âme (psyché) et l’esprit (pneuma), distinct de l’Esprit divin. « Ces trois éléments, lors de la passion, ont été séparés […] Comment ? Le corps dans le tombeau, l’âme aux enfers, l’esprit, il l’a déposé entre les mains du Père »[31]. Le souci d’Origène n’est pas d’expliquer la mort (séparation de l’âme et du corps), mais d’expliquer que le Christ avait une âme humaine. « L’homme n’aurait pas été sauvé tout entier, s’il n’avait pas revêtu l’homme tout entier »[32].

            Etant donné que l’âme n’est pas Dieu, parler de l’âme humaine du Christ permet de comprendre que Dieu s’est fait homme sans faire semblant (mais sans rien perdre de sa divinité).

            Origène, et sur ce point il avait raison, a insisté sur l’âme humaine du Christ-Jésus. Mais les gens, des simples croyants, s’y opposent, pensant (comme Eusèbe de Césarée) que si le Christ a une âme humaine, alors il n’est qu’un simple homme. Pamphile martyr († 309) tente de prendre la défense d’Origène en s’appuyant sur l’Ecriture : Jn 10, 17 (« parce que je donne ma vie, [psychè] pour la reprendre ») ; Mt 26, 38 (« Alors il leur dit: "Mon âme est triste à en mourir, demeurez ici et veillez avec moi." ») ; Jn 12, 27…[33]

 

Mais une réponse qu’Origène mêle d’erreurs.

            Origène, et sur ce point il s’est trompé, a introduit dans ses arguments l’étrange idée de la préexistence de l’âme de Jésus. Origène émit cette hypothèse pour deux raisons :

  • pour expliquer comment le livre de la Genèse peut dire que l’homme est à l’image de Dieu, (l’âme préexistante serait l’image à partir de laquelle Adam a été créé)[34] ; à partir d’une telle idée, il n’y a plus qu’un pas à franchir pour dire que le Fils de Dieu est un être créé et qu’il n’est donc pas Dieu (Origène ne franchit pas le pas, mais Arius le franchira).[35]
  • et pour expliquer comment le Christ est sans péché : Origène explique l’impeccabilité de Jésus par une décision de son âme préexistante[36].

 

            Expliquons comment Origène est tombé dans cette erreur[37]. Saint Paul parle du Christ « Premier-né ». « Il est l’Image du Dieu invisible, Premier-né de toute créature » (Col 1, 15)

            Origène voit dans ce verset une réponse à Celse. Lorsque le Christ dit : « Celui qui m’a vu a vu le Père » (Jn 14, 9), cela ne se réalise que dans la mesure où il est reconnu (dans la foi) comme « le Monogène, en tant que Dieu, le Fils de Dieu, premier-né de toute la création » et malgré l’incarnation, toujours comme le « Logos ». Celui qui reconnaît tout cela « saura comment, voyant l’image du Dieu invisible, on connaîtra le Père et l’auteur de cet univers »[38].

            Origène réfléchit aussi à partir du récit de la création : quand Dieu a créé l’homme à son image (Gn 1, 27), il avait un modèle, et ce modèle était l’âme humaine du Christ. L’âme du Christ est le modèle de notre intériorité, tandis que notre corps a simplement été formé avec la terre (Gn 2, 1). De la sorte, Origène peut expliquer à Celse que le Christ est à la fois le médiateur de la création et le rénovateur de l’homme intérieur[39]. Mais l’idée d’une âme préexistante implique aussi qu’une âme, créée, soit quelque peu dans la sphère du divin. C’est là que l’erreur commence. L'âme humaine, comme le corps humain et en même temps que lui, est créée. Origène n'insistait pas sur l'idée de la préexistence de l'âme, malheureusement, dès lors que l'on insinue une confusion entre ce qui est créé et ce qui divin, d'autres erreurs naissent. Au IV° siècle, Arius interprétait saint Paul en disant : « S’il est le premier-né de toute créature. Il est alors lui-même logiquement une des créatures ».

            Or saint Paul disait aussi que le Christ est la tête du corps qui est l’Eglise ; c’est dans cette perspective que saint Athanase, donne la bonne interprétation du verset de saint Paul :

« "Il est l’Image du Dieu invisible, Premier-né de toute créature" (Col 1, 15). Dans ce verset, saint Paul contemple le Christ par rapport à nous : il est le premier des hommes, le plus grand. Il est le premier ressuscité. Le Christ est appelé "Premier-né" parce qu’"en lui toutes choses ont été créées" ; et ensuite, à cause de sa ressemblance (selon Rm 8, 29) avec notre chair, «il est le premier d’entre les frères" ; et enfin, en vertu de sa Résurrection, il est le premier de ceux qui attendent la révélation de la gloire des enfants de Dieu (Rm 8. 19.21) »[40].

 

L’âme humaine du Christ : la postérité d’Origène.

             A cause de son erreur, Origène, qui avait été ordonné à Césarée, a été déchu du sacerdoce et il est retourné à Alexandrie.

            Si Origène a mêlé une erreur à son raisonnement, il a cependant apporté beaucoup à la christologie. Sans parler de la préexistence de l’âme du Christ, le fait de parler de l’âme du Christ est conforme à l’Ecriture et c’est la meilleure réponse aux hérésies d’Arius et d’Apollinaire.

            Arius et Apollinaire ont tous les deux niés explicitement l’âme du Christ. En conséquence, le Logos divin doit être directement uni à la chair, soit en diminuant le Logos (Arius), soit en imaginant une chair exceptionnelle (Apollinaire). Ce sont des erreurs graves : dès lors que l’on nie l’âme du Christ, la nature de la Rédemption ne peut plus être pleinement mise en valeur.

            Athanase avait aussi un schéma « Logos-Sarx », il ne parlait pas de l’âme du Christ, mais il ne la niait pas, c’est pourquoi son enseignement n’avait pas une force de persuasion suffisante pour stopper l’hérésie.

 

            Plus tard, saint Grégoire de Nazianze a hérité d’Origène sa doctrine de l’âme (ou esprit) du Christ :

« Cette cause [de sa naissance], c’était que tu sois sauvé, insulteur, toi qui méprises la divinité parce qu’elle a accueilli ton épaisseur ; s’étant associé à une chair par l’intermédiaire d’un esprit, l’homme d’ici-bas est devenu Dieu lorsqu’il s’est mêlé à Dieu, et il est devenu un seul- ce qui était le meilleur l’ayant emporté, afin que je devienne Dieu autant que lui est devenu homme »[41].

 

            Grégoire de Nysse s’inspire aussi d’Origène pour préciser que la cause de la mort du Christ sur la croix est la séparation de l’âme et du corps, non pas celle de la divinité et de l’humanité[42].

            Plus tard encore, l’insistance sur l’âme humaine du Christ a été reprise par saint Maxime le Confesseur († 662), dont la doctrine a été reprise par le 2° concile de Latran en l’an 649. Il affirme avec une grande décision : l’Ecriture Sainte ne nous montre pas un homme amputé, sans volonté, mais un véritable homme complet: Dieu, en Jésus Christ, a réellement assumé la totalité de l’être humain - excepté le péché, bien évidemment - et donc également une volonté humaine. Et alors on comprend la rédemption : c’est l’union de la volonté humaine avec la volonté divine ; il y a une tension, mais Jésus n’est pas schizophrène. La rédemption, c’est la restauration de l’homme (et surtout de son âme) dans l’union à Dieu.

 

            Malheureusement, Evagre le Pontique (vers 345 – vers 399-400) pousse tout à l’extrême et il opère une transposition[43]. Contredisant la proclamation traditionnelle de la foi, il dit que celui qui s’est fait chair n’est pas tant le Logos mais bien l’âme préexistante en laquelle le Logos habite. « Ici j’appelle Christ l’âme spirituelle qui entra dans la vie des hommes avec le Dieu Logos »[44]. Evagre fait de l’âme du Christ le démiurge. Elle a toutes les fonctions que les ariens ont attribuées au Logos amoindri. Sur ce point, il y a chez Evagre et chez Arius la même influence de Platon.

            Dans Les centuries gnostiques, la mort, la résurrection et l’Ascension du Christ sont sans importance car : « le corps grossier, en effet, n’est pas susceptible de la science, et Dieu est connu » (IV 80). Ce mépris du corps, typique de la gnose, est grave. De plus, puisque, en principe, toutes les âmes sont égales, tous les sauvés deviennent d’autres « christs » ou les cohéritiers du Christ qui arrive à l’Unité et se délecte de la contemplation avec le Christ (IV 8). « L’héritage du Christ est la science de l’Unité et si tous deviennent cohéritiers du Christ, tous connaîtront l’unité sainte » (III 72). Evagre souligne avec tant de force cette union du Christ et de chaque âme avec Dieu qu’il se rapproche dangereusement du monisme[45].

 

Les condamnations contre Origène ou l’origénisme.

            L’évêque Pierre d’Alexandrie († 311) lutta contre la première erreur, celle d’Origène concernant la préexistence de l’âme du Christ[46].

            Critiquant moins Origène que les origénistes dans la mouvance d’Evagre le Pontique Théophile d’Alexandrie (385-412) accuse Origène de dire que ce n’est pas la divinité qui a assumé une nature charnelle, mais l’âme du Christ (ce qu’Evagre a dit mais qu’Origène n’a jamais dit !). Cependant, si Théophile est aussi parvenu à des idées claires contre Apollinaire, il ne faut pas oublier que c’est grâce à l’argument de l’âme humaine du Christ, autrement dit, c’est dû à l’héritage d’Origène ![47]

            Saint Jérôme (347-420) fait des accusations similaires.

           

            L’incompréhension d’Origène par ses contemporains, l’erreur d’Origène sur la préexistence de l’âme, puis la transposition d’Evagre le Pontique pervertissant le sens de l’incarnation, tout cela explique les mises en garde du magistère, des mises en garde qui n’excluent pas tout ce que dit Origène !

            Le décret du pape Gélase (vers495) : « De même nous recevons comme devant être lues certaines œuvres d’Origène que le très bienheureux Jérôme ne rejette pas. Mais tout le reste, nous disons que cela doit être rejeté avec son auteur » (DS 353).

            Origène est cité dans la liste des hérétiques au 2° concile de Constantinople en l’an 553 (DS 433), au 2° concile de Latran en l’an 649 (DS 519). Il faut bien situer ce que vise cette mise à l’écart. Citons l’édit de l’empereur Justinien, lu au 2° concile de Constantinople : « Si quelqu’un dit ou tient que le corps de notre Seigneur Jésus Christ a d’abord été formé dans le sein de la sainte Vierge et qu’ensuite Dieu le Verbe et l’âme, déjà existante, lui ont été unie, qu’il soit anathème » (DS 405).

 

Conclusion   

            On ne doit cependant pas réduire Origène à cette erreur ; elle n’a pas empêché le Moyen âge chrétien de voir en Origène un grand docteur marial ! En effet, Origène a défendu contre Celse la conception virginale du Seigneur, il a commenté avec profondeur l’appellation pleine de grâce (Lc 1, 28) et tout le dialogue de l’Annonciation. Origène, comme beaucoup d’Egyptiens de son temps appelait déjà Marie « Theotokos ». En lisant attentivement les homélies sur l’Evangile de Luc qu’Origène a faite en 233 ou 234 aux fidèles de Césarée, on se rend compte qu’Origène, toujours attentif à l’âme, parle avec prédilection d’un « chemin de Marie » en nous, de sorte que vivent en nous toutes les vertus de Marie, sa charité, la présence de Dieu en elle, etc.

            Le Commentaire d’Origène sur le Cantique des Cantiques est aussi un chef d’œuvre qu’il aurait été dommage de laisser tomber dans l’oubli.

 

 

[1] Cf. R. SANLES, « Origène », dans le Dictionnaire de spiritualité, Beauchesne, Paris1981,Tome XI, col.934

[2] ORIGENE, Commentaire sur le Cantique des Cantiques, Sources Chrétiennes 375, par Luc Brésard et Henri Crouzel, Cerf, Paris, 1991, Livre III,4,3 ; Tome II, p. 517-519

[3] Ibid., Livre II,10,4 ; Tome I, p. 449

[4] Ibid., Livre III, 2,9 ; Tome II, p. 507

[5] Ibid., Livre I, 3,10 ; Tome I, p. 215

[6] La kénose signifie un grand abaissement.

[7] Ibid., Livre I, 3,10 ; Tome I, p. 215

[8] Ibid., Livre I, 3,11 ; Tome I, p. 215

[9] Ibid., Prologue 2,48 ; Tome I, p. 125

[10] Ibid., Livre I, 4,27-28 ; Tome I, p. 237-239

[11] Ibid., Livre I, 4,4 ; Tome I, p. 223

[12] Ibid., livre II, 4,16 ; Tome I, p.339-341

[13] Ibid., Livre II, 10,11 ; Tome I, p. 453

[14] Ibid., Livre I, 4,28 ; Tome I, p. 237-239

[15] Ibid., Livre III, 14,31 ; Tome II, p. 673

[16] Ibid., Livre III, 14,28 ; Tome II, p. 673

[17] Ibid., Livre I, 4,5 ; Tome I, p. 223

[18] Ibid., Livre I, 4,4 ; Tome I, p. 223

[19] Ibid. Livre III, 9,1 ; Tome II, p. 583

[20] Ibid. Livre III, 9,2-3 ; Tome II, p. 583

[21] Ibid. Livre III, 9,5 ; Tome II, p. 585

[22] Ibid. Livre III, 9,8 à 10 ; Tome II, p. 585 à 587

[23] ORIGENE, Traité des Principes, Livre II, Sources chrétiennes 252, (par H. Crouzel et M Simoneth), Paris 1978, p. 317-321

 

[24] ORIGENE , Homélie sur Luc VI,7

[25] ORIGENE, Fragment 17 sur Homélie Luc 7,4

[26] ORIGENE, Contre Celse I, 32, GCS 83.16

[27] SOCRATE, Histoire Ecclésiastique, VII, 32, PG 67,812 A

[28] ORIGÈNE, Commentaire sur St Matthieu X, 17

[29] ORIGENE, Contre Celse IV, 18. SC 136, p. 225

[30] « Que le Dieu de la paix lui-même vous sanctifie totalement, et que votre être entier, l’esprit, l’âme et le corps, soit gardé sans reproche à l’Avènement de notre Seigneur Jésus Christ. » 1Thessaloniciens 5, 23

[31] ORIGENE, Entretien 7, 14-18 : SC 67, p. 71).

[32] ORIGENE, Entretien 7, 19 : SC 67, p. 71

[33] PAMPHILE MARTYR, Apologie pro Origène CPG 1715

[34] ORIGENE, De principiis II, 6, 3. Il faudra attendre Grégoire de Nysse pour comprendre que l’âme humaine est créée avec le corps à chaque conception humaine pour former un homme parfait par un acte créateur parfait.

[35] Cf. Cardinal Aloys GRILLMEIER, Le Christ dans la tradition chrétienne, Ibid., p. 371-389

[36] ORIGENE, De Principiis II, 6, 5.6

[37] Cardinal Aloys GRILLMEIER, Ibid., p. 165-168

[38] ORIGENE, Contre Celse VII 43, SC 150. p. 117

[39] cf. ORIGENE, Contre Celse V, 37, SC 147. p. 115

[40] ATHANASE, Contre les Ariens II, 62-63 : PG 26. 277-280

[41] GREGOIRE DE NAZIANZE, or. 29. 19 : PG 36. 100A ; SC 250, p. 217-219

[42] GREGOIRE DE NYSSE, Ant. Adv Apoll 30 ; cf. Cardinal Aloys GRILLMEIER, Le Christ dans la tradition chrétienne, Ibid., p. 728

[43] Cardinal Aloys GRILLMEIER, Ibid., p. 757-762

[44] EVAGRE LE PONTIQUE, Scholies sur les Psaumes, Ps 131 : P 7

[45] Cardinal Aloys GRILLMEIER, Ibid., p. 762

[46] ORIGENE, De anima (fragment) CPG 1637

[47] Cf. Cardinal Aloys GRILLMEIER, Ibid., p. 722

Date de dernière mise à jour : 13/07/2019