« Il m’a été fait miséricorde, pour que je sois fidèle » (1Co 7,25)
Pour bien comprendre le Concile de Trente, il faut se souvenir du Parcours biblique. En lisant la Bible, nous avons pu nous étonner du langage de l’amitié entre Dieu et les hommes : le Seigneur appelle Abraham « mon ami » (Is 41, 8 ; Dn 3, 35), il parle « à Moïse face à face, comme un homme parle à son ami » (Ex 33, 11). « La Sagesse est un esprit ami des hommes » (Sg 1, 6 ; cf. 7, 23). Le prophète Isaïe parle du Seigneur comme de son ami : « Que je chante à mon bien-aimé le chant de mon ami pour sa vigne » (Is 5, 1). Et le psalmiste prie dans une relation d’amitié avec le Seigneur : « Garde mon âme, car je suis ton ami, sauve ton serviteur qui se fie en toi. Tu es mon Dieu » (Ps 86,2 ; cf. Ps.16, 10 ; 22, 9…). Dans le Nouveau Testament, Jésus dit à ses disciples « Je vous appelle mes amis » (Jn 15, 15) et dans une parabole, le Seigneur déclare : « C’est bien, bon serviteur, lui dit-il ; puisque tu t’es montré fidèle en très peu de chose, reçois autorité sur dix villes » (Lc 19, 17), autrement dit, l’amitié va jusqu’à partager l’autorité et, par-là, jusqu’à coopérer au salut des autres.
Ce langage de l’amitié entre Dieu et les hommes n’est-il pas excessif ? Effectivement, Dieu est Dieu et l’homme n’est pas à égalité avec Dieu pour traiter avec Lui comme avec un ami ; par lui-même, l’homme ne peut pas être ami de Dieu. C’est donc Dieu qui élève l’homme pour qu’il puisse être son ami. On peut repérer un certain processus : l’Alliance avec Abraham est inconditionnelle, c’est une initiative et une promesse de Dieu. Dès que le consentement de la foi est donné, Dieu ajuste progressivement l’homme à lui et lui donne de pouvoir entrer dans une amitié (il le « justifie »). L’Alliance prend alors la forme d’un chemin. Le péché, qu’il faut lentement apprendre à éviter, peut détruire l’Alliance, mais le pardon, comme entre deux amis, est toujours possible.
Avec raison, saint Thomas d’Aquin parle d’une « amitié de l’homme pour Dieu »[1], cette amitié se fonde sur la grâce, d’abord la toute première grâce où l’homme est attiré, puis, dès lors que l’homme adhère librement par la foi, la grâce sanctifiante par laquelle Dieu élève l’homme à lui et l’invite à coopérer, ce sur quoi le concile de Trente insistera.
La question de la justification a été largement expliquée au 2° concile d’Orange en l’an 553 ; l’hérésie de ce temps-là était le pélagianisme qui minimisait la nécessité de la grâce, comme si l’homme pouvait être d’emblée l’ami de Dieu ; il fallait donc insister sur la grâce et sur le fait que nous ne faisons rien de bien sans la grâce divine.
Au moment du concile de Trente, l’hérésie est plutôt celle de Luther, qui considère la grâce d’une manière trop extérieure à l’homme. Luther insistait sur la foi : « Car nous estimons que l’homme est justifié par la foi sans la pratique de la Loi » (Rm 3, 28) est une parole fondatrice du protestantisme, elle apaisa Luther en butte à ses récidives. Mais Luther a nettement moins vu que la foi n’est qu’une porte d’accès qui doit mener plus loin dans la vie de la grâce, comme le dit aussi saint Paul : « Lui qui nous a donné d’avoir accès par la foi à cette grâce en laquelle nous sommes établis et nous nous glorifions dans l’espérance de la gloire de Dieu » (Rm 5, 2). De sorte que Paul peut aussi dire : « Quand j’aurais la plénitude de la foi, une foi à transporter des montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien » (1Co 13, 2). La confiance ne fait qu’ouvrir le chemin de l’amitié, de même, la foi ne fait qu’ouvrir le chemin de la charité. Le concile de Trente insiste sur cette dimension, tandis que Luther insiste sur la foi seule, au point d’écrire contre Erasme : « même si cela était possible, je ne voudrais pas recevoir un libre arbitre ou quelques possibilités de m’efforcer moi-même vers le salut »[2]. Luther craint qu’en étant libre, il ne soit abandonné (comme en Enfer). Il n’a pas vu qu’il existe une liberté pour aimer, la liberté du Ciel.
Dans le décret du concile de Trente sur la justification en 1547, le premier chapitre rappelle la doctrine du péché originel et, en conséquence, ni les païens ni les Juifs « ne pouvaient se relever de l’état déchu, même si le libre arbitre n’était aucunement éteint en eux, bien qu’affaibli et dévié en sa force » (DS 1521). La « nature » (c’est-à-dire l’effort personnel, ou encore je ne sais quelle force cosmique) est impuissante à justifier les hommes, de même, la loi de Moïse. Et pourtant, les hommes continuent de pouvoir exercer leur libre arbitre, même quelqu’un qui n’est pas baptisé est capable de vouloir le bien et de rejeter le mal.
Le concile parle ensuite de la rédemption accomplie par le Christ, et pour cela, le concile s’appuie de nouveau sur la lettre aux Romains : « C’est lui que "Dieu a établi victime propitiatoire par son sang moyennant la foi" (Rm 3,25) » (DS 1522). Rappelons les notions bibliques : au Jour de l’expiation (Yom Kippour - cf. Lv 16), le propitiatoire, c’est-à-dire le couvercle de l’Arche de l’Alliance, est aspergé du sang d’un taureau immolé. Or, le propitiatoire est aussi le lieu de la mystérieuse présence de Dieu. Le sang du sacrifice, dans lequel tous les péchés des hommes ont été absorbés, est purifié en « touchant » la divinité, et les hommes représentés par ce sang sont rendus purs. (La « propitiation » n’était pas un mot abstrait, c’est un mot issu de ce rituel biblique).
Jésus est la présence du Dieu vivant. En lui se touchent Dieu et l’homme. En lui se réalise ce que le rite du Jour de l’expiation voulait exprimer : sur la Croix, Jésus dépose tout le péché du monde dans l’amour de Dieu et le fait fondre en lui.
Les pères du concile rendent grâce ; avec l’apôtre Paul, ils remercient le Seigneur :
« Mais, bien que lui soit "mort pour tous" (2Co 5,15), tous cependant ne reçoivent pas le bienfait de sa mort mais ceux-là seulement auxquels le mérite de sa Passion est communiqué. […]Pour ce bienfait l’Apôtre nous exhorte à toujours "rendre grâce au Père qui nous a rendus dignes d’avoir part à l’héritage des saints dans la lumière et nous a arrachés à la puissance des ténèbres et transférés dans le Royaume de son Fils bien-aimé, en qui nous avons la Rédemption et la rémission des péchés" (Col 1,12-14)» (DS 1523).
Ils continuent en disant : « Et "Nul ne peut entrer dans le Royaume de Dieu s’il ne renaît pas de l’eau et de l’Esprit Saint" Jn 3,5 » (DS 1524) et ils interprètent cette renaissance comme étant le baptême ou le désir du baptême.
La justification est alors décrite avec beaucoup de soin : elle comporte la grâce prévenante et la coopération humaine à cette grâce[3] :
- la justification «a son origine dans la grâce prévenante de Dieu par Jésus Christ, c’est-à-dire dans un appel de Dieu par lequel ils sont appelés sans aucun mérite en eux ».
- « poussés et aidés par la grâce, ils se disposent à se tourner vers la justification que Dieu leur accorde, en acquiesçant et coopérant librement à cette même grâce ».
Ce double mouvement est appuyé sur l’Ecriture « lorsqu’il est dit dans la sainte Ecriture "Tournez-vous vers moi et moi je me tournerai vers vous" (Za 1,3), notre liberté nous est rappelée ; lorsque nous répondons "Tourne-nous vers toi, Seigneur, et nous nous convertirons" (Lm 5,21), nous reconnaissons que la grâce de Dieu nous prévient » (DS 1525).
Nous demandons la grâce prévenante par laquelle Dieu nous tourne vers lui, mais nous devons nous tourner vers Dieu, c’est notre coopération.
Le concile explique ensuite comment l’homme se prépare à recevoir la justification par le baptême (cela concerne surtout les catéchumènes) :
« Ils s’élèvent à l’espérance, confiants que Dieu, à cause du Christ, leur sera favorable, commencent à l’aimer comme source de toute justice, et, pour cette raison, se dressent contre les péchés, animés par une sorte de haine et de détestation, c’est-à-dire par cette pénitence que l’on doit faire avant le baptême Ac 2,38 » (DS 1526).
« Cette disposition ou préparation est suivie par la justification elle-même, qui n’est pas seulement rémission des péchés, mais à la fois sanctification et rénovation de l’homme intérieur par la réception volontaire de la grâce et des dons. Par-là, d’injuste l’homme devient juste, d’ennemi ami, en sorte qu’il est "Héritier, en espérance, de la vie éternelle" (Tt 3,7) » (DS 1528).
Ainsi, la justification est une rénovation et une amitié.
Le concile analyse ensuite les causes de cette justification:
- « cause finale : la gloire de Dieu et du Christ, et la vie éternelle » (DS 1529). Il y a une sorte d’élargissement de notre cœur ; on ne se regarde plus ; on regarde Dieu.
- « cause efficiente : Dieu qui, dans sa miséricorde, lave et sanctifie gratuitement 1Co 6,11 par le sceau et l’onction 2Co 1,21-22 de l’Esprit Saint promis "qui est le gage de notre héritage" Ep 1,13-14 ;
- « cause méritoire : le Fils unique bien-aimé de Dieu, notre Seigneur Jésus Christ qui, "alors que nous étions ennemis" Rm 5,10, "à cause du grand amour dont il nous a aimés" Ep 2,4, par sa très sainte Passion sur le bois de la croix nous a mérité la justification et a satisfait pour nous à Dieu son Père ;
- cause instrumentale : le sacrement du baptême, "sacrement de la foi" sans laquelle il n’y a jamais eu de justification pour personne. » (DS 1529)
- Enfin l'unique cause formelle est la justice de Dieu, "non pas celle par laquelle il est juste lui-même, mais celle par laquelle elle nous fait justes", c'est-à-dire celle par laquelle, l'ayant reçue en don de lui, nous sommes "renouvelés par une transformation spirituelle de notre esprit" Ep 4,23 nous ne sommes pas seulement réputés justes, mais nous sommes dits et nous sommes vraiment justes 1Jn 3,1, recevant chacun en nous la justice, selon la mesure que l'Esprit Saint partage à chacun comme il le veut 1Co 12,11 et selon la disposition et la coopération propres à chacun. » (DS 1529).
Le mot « coopération » arrive tout à la fin du paragraphe : notre coopération est en position seconde par rapport à la grâce.
Par la justification, l’homme reçoit tous les dons infus : la foi, l’espérance et la charité. (DS 1530)
Alors que Luther parlait de la foi seule, le concile de Trente, en associant la lettre de saint Paul et la lettre de saint Jacques, unit la foi, l’espérance et la charité.
« On dit en toute vérité que la foi sans les œuvres est morte et inutile (Jc 2,17-20), et que dans le Christ Jésus ni la circoncision, ni l’incirconcision n’ont de valeur, mais la foi "qui opère par la charité" (Ga 5,6 ; 6,15) » (DS 1531).
Les catholiques, et sur ce point ils sont bien d’accord avec les protestants, enseignent que le salut est un don gratuit. Et le concile insiste sur ce point, tout en insistant aussi sur la coopération humaine.
« Lorsque l’Apôtre dit que l’homme est "justifié par la foi" et gratuitement Rm 3,22-24, il faut comprendre ces mots dans le sens où l’a toujours et unanimement tenu et exprimé l’Eglise catholique, à savoir que si nous sommes dits être justifiés par la foi, c’est parce que "la foi est le commencement du salut de l’homme", le fondement et la racine de toute justification, que sans elle "il est impossible de plaire à Dieu" He 11,6 et de parvenir à partager le sort de ses enfants 2P 1,4 ; et nous sommes dits être justifiés gratuitement parce que rien de ce qui précède la justification, que ce soit la foi ou les œuvres, ne mérite cette grâce de la justification. En effet "Si c’est une grâce, elle ne vient pas des œuvres ; autrement (comme le dit le même Apôtre) la grâce n’est plus la grâce" Rm 11,6 » (DS 1532)
En disant cela, le concile de Trente reprend le 2° concile d’Orange, en l’an 529, qui citait encore beaucoup d’autres passages de l’Ecriture :
« Canon 8. Si quelqu’un prétend que certains peuvent arriver à la grâce du baptême par la miséricorde, d’autres par le libre arbitre, dont il est clair qu’il est vicié en tous ceux qui sont nés de la prévarication du premier homme, il démontre qu’il est étranger à la vraie foi. Il affirme en effet que ce libre arbitre n’a pas été affaibli en tous par le péché du premier homme, ou au moins il croit qu’il a été lésé seulement, de telle sorte que néanmoins certains hommes peuvent encore d’eux-mêmes, sans révélation divine, conquérir le mystère du salut éternel. Combien cette doctrine est contraire, le Seigneur le montre, qui atteste que ce ne sont pas certains mais personne qui peut venir à lui "si le Père ne l’a attiré" (Voir Jn 6,44), comme il dit aussi à Pierre : "Tu es bienheureux, Simon, fils de Jonas, parce que ce ne sont pas la chair et le sang qui te l’ont révélé mais mon Père qui est dans les cieux" (Mt 16,17) ; l’Apôtre dit aussi : "Personne ne peut dire : ‘Jésus est Seigneur’, si ce n’est dans l’Esprit Saint" (1Co 12,3) » (2° concile d’Orange, DS 378).
"C’est par la grâce que vous êtes sauvés, moyennant la foi, et cela ne vient pas de vous ; c’est le don de Dieu"(Ep 2,8), et ce que l’Apôtre dit de lui-même : "Il m’a été fait miséricorde, pour que je sois fidèle" (1Co 7,25 ; 1 Tm 1,13) ; il ne dit pas : "parce que j’étais», mais "pour que je sois". Et ce texte : "Qu’as-tu que tu n’aies reçu ?" (1Co 4,7), et celui-ci : "Tout don de valeur et tout cadeau parfait descend du Père des lumières" (Jc 1,17) »[4]
Césaire d’Arles ajoutait : « Nous croyons aussi, selon la foi catholique, qu’après avoir reçu la grâce par le baptême tous les baptisés peuvent et doivent accomplir, avec l’aide et la coopération du Christ, tout ce qui concerne le salut de leur âme, s’ils veulent fidèlement y travailler. Non seulement nous ne croyons pas que certains hommes soient prédestinés au mal par la puissance divine, mais s’il était des gens qui veuillent croire une telle horreur, nous leur disons avec toute notre réprobation : anathème ! »[5]
Cette idée de coopération est peu développée par le concile d’Orange car elle n’était pas contrariée par le pélagianisme, mais elle est davantage développée par le concile de Trente qui se trouve face au protestantisme.
Dans le chapitre 9 du décret sur la justification, le concile de Trente met en garde contre la vaine confiance des hérétiques : il ne s’agit pas de se dire : je crois que je suis sauvé, donc je suis certainement sauvé.
« En effet, de même qu’aucun homme pieux ne doit mettre en doute la miséricorde de Dieu, les mérites du Christ, la vertu et l’efficacité des sacrements, de même quiconque se considère lui-même, ainsi que sa propre faiblesse et ses mauvaises dispositions, peut être rempli d’effroi et de crainte au sujet de sa grâce, puisque personne ne peut savoir, d’une certitude de foi excluant toute erreur, qu’il a obtenu la grâce de Dieu » (DS 1534).
Nous ne devons pas nous juger nous-mêmes, ni en mal, ni en bien ; sans pour autant vivre dans la peur, nous vivons dans une humilité et une crainte de Dieu.
Le chapitre 11du décret reviendra sur ce thème en insistant : personne ne doit se rassurer dans la foi seule. Il faut sans cesse s’appliquer aux commandements et aux bonnes œuvres (DS 1538).
Entre temps, le chapitre 10 développe l’idée d’accroissement de la grâce reçue.
« Ainsi donc, ceux qui ont été justifiés et sont devenus "amis de Dieu" et "membres de sa famille" (Jn 15,15 ; Ep 2,19) marchant "de vertu en vertu"(Ps 83,8) se renouvellent (comme dit l’Apôtre) de jour en jour (2Co 4,16), c’est-à-dire en mortifiant les membres de leur chair (Col 3,5) et en les présentant comme des armes à la justice pour la sanctification (Rm 6,13-19), par l’observation des commandements de Dieu et de l’Eglise ; ils croissent dans cette justice reçue par la grâce du Christ, la foi coopérant aux bonnes œuvres (Jc 2,22) et ils sont davantage justifiés, selon ce qui est écrit : "Celui qui est juste, sera encore justifié"(Ap 22,11) et aussi : "Ne crains pas d’être justifié jusqu’à la mort"(Si 18,22) et encore "Vous voyez que l’homme est justifié par les œuvres et non par la foi seule" (Jc 2,24). Cet accroissement de justice, la sainte Eglise le demande quand elle dit dans la prière : "Seigneur, augmente en nous la foi, l’espérance et la charité" » (DS 1535).
Si nous sommes fidèles à chaque grâce, la grâce augmente en nous. La parabole des talents nous montre aussi cela (Mt 25, 14-30). Les saints sont ceux qui ont fait fructifier la grâce. Et comme c’est la grâce qui fait la valeur de nos actions, les saints ont une vie très féconde…
Important aussi est le chapitre sur le don de la persévérance.
« Il est écrit à son sujet : "Celui qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé"(Mt 10,22 ; 24,13) : cela ne peut se faire que par celui qui "a le pouvoir de maintenir celui qui est debout pour qu’il continue de l’être" (Rm 14,4) et de relever celui qui tombe. Que personne donc ne se promette rien de sûr avec une certitude absolue, bien que tous doivent placer et faire reposer dans le secours de Dieu la plus ferme espérance. Car Dieu, s’ils ne sont pas infidèles à sa grâce, mènera à son terme la bonne œuvre, comme il l’a déjà commencée (Ph 1,6), opérant en eux le vouloir et le faire (Ph 2,13).
Pourtant, que ceux qui se croient être debout, veillent à ne pas tomber (1Co 10,12) et travaillent à leur salut avec crainte et tremblement (Ph 2,12) dans les fatigues, les veilles, les aumônes, les prières et les offrandes, dans le jeûne et la chasteté (2Co 6,5-6). […] » (DS 1541).
On lit en résumé, dans les canons sur la justification :
«Canon 24. Si quelqu’un dit que la justice reçue ne se conserve pas et même ne s’accroît pas devant Dieu par les bonnes œuvres, mais que ces œuvres ne sont que le fruit et le signe de la justification obtenue et non pas aussi la cause de son accroissement : qu’il soit anathème » (DS 1574).
Le concile est donc extrêmement dynamique ; en quelque sorte, il nous dit : d’accord Dieu nous fait un don gratuit, mais, dans l’Alliance, Dieu souhaite que les hommes, dont il a fait ses amis, agissent à leur tour ; même si notre action est toute petite et que l’on ne peut donner à Dieu que ce qu’il nous a d’abord donné…
Le concile évoque ensuite le sacrement de la pénitence, institué par le Christ ressuscité (Jn 20, 22-23) pour relever ceux qui sont tombés dans le péché après le baptême. (DS 1542)
Le concile précise aussi :
« La grâce de la justification, qui a été reçue, se perd non seulement par l’infidélité, par laquelle se perd la foi elle-même, mais aussi par n’importe quel péché mortel, bien qu’alors ne se perde pas la foi. On défend ainsi la doctrine de la loi divine qui exclut du Royaume de Dieu non seulement les infidèles mais aussi les fornicateurs, adultères, voleurs, avares, médisants, rapaces (cf. 1Co 6, 9-10) et tous les autres qui commettent des péchés mortels, dont, avec l’aide de la grâce divine, ils peuvent s’abstenir et à cause desquels ils sont séparés de la grâce du Christ » (DS 1544).
En conséquence, la vie éternelle est à la fois une grâce miséricordieusement accordée, et on le comprend bien, la vie éternelle est un cadeau bien trop grand pour que nous puissions dire « j’y ai droit ». En même temps, la vie éternelle est aussi une récompense qui couronnera nos efforts, selon l’Ecriture :
« Et c’est pourquoi, à ceux qui agissent bien "jusqu’à la fin" Mt 10,22 ; 24,13 et qui espèrent en Dieu, il faut proposer la vie éternelle à la fois comme la grâce miséricordieusement promise par le Christ Jésus aux fils de Dieu et "comme la récompense", que Dieu, selon la promesse qu’il a faite lui-même, accordera à leurs œuvres bonnes et à leurs mérites. Telle est, en effet, "la couronne de justice" dont l’Apôtre disait qu’elle lui était "réservée après son combat et sa course et lui serait donnée par le juste juge, non seulement à lui, mais aussi à tous ceux qui attendent avec amour son avènement" 2Tm 4,7-8 » (DS 1545).
Les notions de récompenses et de mérites ne sont pas contraires à l’amour. Une récompense est une manière de reconnaître l’autre…
Comme dans une synthèse, le concile reprend l’image de la vigne et des sarments :
« Le Christ Jésus lui-même communique constamment sa force à ceux qui ont été justifiés, comme la tête aux membres Ep 4,15, comme le cep aux sarments Jn 15,5 force qui toujours précède, accompagne et suit leurs bonnes œuvres et sans laquelle celles-ci ne pourraient en aucune manière être agréables à Dieu et méritoires » (DS 1546).
Le Concile de Trente vise aussi les hérésies sur la prédestination, présentes chez les protestants (et plus tard chez les jansénistes), et qui découlent d’une mauvaise compréhension de la justification.
Et c’est encore saint Paul qui nous donne la clé. Nous sommes comme de bonnes et de mauvaises poteries (Rm 9,21) ; Dieu "a préparé" les vases d’élection (Rm 9, 23), mais ce n’est pas lui qui prépare les vases pour la perdition, il les "supporte" (Rm 9, 22).
Le Canon 4 explique que nous ne sommes pas des marionnettes pour Dieu, même dans nos bonnes actions.
« Canon 4. Si quelqu’un dit que le libre arbitre de l’homme, mû et poussé par Dieu, ne coopère en rien quand il acquiesce à Dieu, qui le pousse et l’appelle à se disposer et préparer à obtenir la grâce de la justification, et qu’il ne peut refuser d’acquiescer, s’il le veut, mais que tel un être inanimé il ne fait absolument rien et se comporte purement passivement: qu’il soit anathème[6] » (DS 1554).
Le canon 6 découle de l’image du potier qui façonne les justes mais qui supporte les mauvais (Rm 9, 21-23) :
« Canon 6. Si quelqu’un dit qu’il n’est pas au pouvoir de l’homme de s’engager dans les voies du mal, mais que ses mauvaises comme ses bonnes actions sont l’œuvre de Dieu, non seulement parce qu’il les permet, mais encore proprement et par lui-même, tellement que la trahison de Judas ne serait pas moins son œuvre propre que la vocation de Paul : qu’il soit anathème » (DS 1556).
Les canons 15 et 17 corrigent une idée païenne du destin et de la prédestination, comme s’il existait des livres du destin sur lesquels tout serait écrit d’avance (idée que l’on trouve aussi dans l’islam).
« Canon 15. Si quelqu’un dit que l’homme né de nouveau et justifié est tenu par la foi de croire qu’il est certainement au nombre des prédestinés : qu’il soit anathème » (DS 1565).
« Canon 17. Si quelqu’un dit que la grâce de la justification n’échoit qu’à ceux qui sont prédestinés à la vie et que tous les autres qui sont appelés, le sont assurément, mais ne reçoivent pas la grâce, parce que prédestinés au mal par la puissance divine : qu’il soit anathème » (DS 1567).
© Françoise Breynaert
[1] Saint THOMAS D’AQUIN, Somme Théologique, II-II Qu.23 a.1
[2] LUTHER, De servo arbitrio (1525). Du serf arbitre, Œuvres tome V, Labor et fides, Genève 1958, p. 228
[3] Une doctrine déjà présente au concile d’Orange, au temps de l’Eglise indivise.
[4] 2° concile d’Orange, conclusion de Césaire d’Arles, DS 396
[5] 2° concile d’Orange, conclusion de Césaire d’Arles, DS 397
[6] Par cette formule, le concile entend définir la limite de l’hérésie ; il ne s’agit pas de définir qui va en enfer, le jugement des personnes n’appartient qu’à Dieu et Jésus est sévère à ce sujet : « si quelqu’un dit à son frère : Renégat!, il en répondra dans la géhenne de feu » (Mt 5, 22).