Première lecture (1 R 19, 9a.11-13a)
En ces jours-là, lorsque le prophète Élie fut arrivé à l’Horeb, la montagne de Dieu, il entra dans une caverne et y passa la nuit. Le Seigneur dit : « Sors et tiens-toi sur la montagne devant le Seigneur, car il va passer. » À l’approche du Seigneur, il y eut un ouragan, si fort et si violent qu’il fendait les montagnes et brisait les rochers, mais le Seigneur n’était pas dans l’ouragan ; et après l’ouragan, il y eut un tremblement de terre, mais le Seigneur n’était pas dans le tremblement de terre ; et après ce tremblement de terre, un feu, mais le Seigneur n’était pas dans ce feu ; et après ce feu, le murmure d’une brise légère. Aussitôt qu’il l’entendit, Élie se couvrit le visage avec son manteau, il sortit et se tint à l’entrée de la caverne. – Parole du Seigneur.
Nous sommes au temps du roi Achab dans le royaume du Nord (Samarie), Achab a épousé Jézabel qui a réintroduit dans le pays le culte de Baal sensé apporter la pluie et la fécondité au prix de prostitutions dites sacrées et même de sacrifice d’enfants. Et Jézabel a fait tuer les prophètes du Dieu vivant. Élie reste seul. Sur sa parole advient une sécheresse qui est un avertissement : le culte des Baals est inefficace ! Puis, sur le mont Carmel, Élie confond 450 prophètes de Baal : Baal souvent représenté la foudre à la main ne peut pas faire descendre le feu du ciel sur leurs offrandes. Mais le Dieu vivant fait descendre le feu du ciel sur le sacrifice d’Élie (1R 18).
Après ce miracle, Élie massacre les prophètes de Baals, ce qui explique qu’il devra fuir la colère de la reine Jézabel. En effet, très vite, Jézabel menace Élie de mort. Et Élie s’enfuit, il « marcha dans le désert un jour de chemin et il alla s'asseoir sous un genêt. Il souhaita de mourir et dit : "C'en est assez maintenant, Seigneur ! Prends ma vie, car je ne suis pas meilleur que mes pères." Il se coucha et s'endormit. Mais voici qu'un ange le toucha et lui dit : "Lève-toi et mange." Il regarda et voici qu'il y avait à son chevet une galette cuite sur les pierres chauffées et une gourde d'eau ». Et ainsi une seconde fois. Ensuite, Élie, « soutenu par cette nourriture marcha 40 jours et 40 nuits jusqu'à la montagne de Dieu, l'Horeb » (1R 19, 4-8). La montagne de Dieu, l’Horeb, est une autre façon de désigner le Sinaï : Élie fait un retour aux sources. Il est menacé et le Dieu vivant ne dit rien, mais, du moins, il vient de reproduire le miracle de l’Exode, l’eau et la manne, et Élie en p va refaire la traversée des Hébreux au désert, 40 jours au lieu de 40 ans.
Élie a connu la peur, il a été un vrai petit qui ne peut plus aller de l’avant par lui-même, et qui gémit vers son Dieu : "C'en est assez maintenant, Seigneur ! Prends ma vie, car je ne suis pas meilleur que mes pères" (1R 19, 4). Oui, Élie, tu expérimentes toute ta faiblesse. Ce n’est que par la force de Dieu que tu tiens debout. Tu ne peux pas te complaire en toi-même. Tu avanceras comme dans l’Exode, porté par la force de ton Dieu. Nous aussi, comme toi, nous avons touché du doigt notre faiblesse. Comme Élie, acceptons d’être constitués perdus et libérés, portés, emmenés par notre Dieu.
Soutenu par la nourriture venue du Ciel, qui préfigurait l’Eucharistie, porté par le Pain Vivant, Élie va vers la montagne de Dieu, l’Horeb. Et voici que le grand silence de la nuit approche et Élie se retire dans la solitude de sa grotte. Là, est le lieu où Dieu vient dialoguer avec lui. Et alors, le cœur d’Élie déborde de toute sa soif. « "Que fais-tu ici, Elie ?" Il répondit : "Je suis rempli d'un zèle jaloux pour le Seigneur Sabaot, parce que les Israélites ont abandonné ton alliance, qu'ils ont abattu tes autels et tué tes prophètes par l'épée. Je suis resté moi seul et ils cherchent à m'enlever la vie." » (1R 19, 9-10).
Jadis, au Sinaï, avant la révélation du décalogue, « la montagne tremblait violemment. Le son de trompe allait en s'amplifiant ; Moïse parlait et Dieu lui répondait dans le tonnerre » (Ex 19, 18-19). Ici, À l’approche du Seigneur, il y eut, comme au Sinaï, un ouragan, un tremblement de terre et un feu, mais le Dieu d’amour ne s’impose pas, et il est celui que seul le silence peut contenir sans mesure… On ne peut l’entendre que si on entend le silence même respirer, que si l’on demeure à l’écoute du pas silencieux de Celui qui vient. Élie l’a perçu, parce qu’il demeurait, toujours, simplement, silencieux en face du Dieu vivant.
Ce doux murmure d’une brise légère fut un réconfort. Le Dieu vivant qui a confondu les prophètes de Baal saura bien mettre un terme au règne de Jézabel. Et de fait, elle mourra bientôt, et les chiens la dévoreront (2R 9, 36). Le Dieu vivant qui a nourri Élie au torrent du Kérit (1R17, 1-6) et qui a multiplié la farine et l’huile de la veuve de Sarepta sauvera encore la vie d’Élie. Jarre de farine ne s'épuisera, cruche d'huile ne se videra » (1R 17, 13-14). L’huile est le symbole de la joie de Dieu, de l’Onction de l’Esprit. Le Dieu vivant qui, à l’intercession d’Élie, a daigné faire revenir la pluie en Israël (1R 18, 41-46), saura bien lui donner un successeur en la personne d’Élisée.
Et, plus profondément encore, ce doux murmure d’une brise légère est une rencontre avec son Créateur qui se montre comme le plus fascinant, le plus ineffable des bien-aimés… Et le prophète se prépare à se laisser emporter par son Dieu. Le Dieu du Sinaï, le Dieu de l’Alliance, veut pouvoir tout partager avec son Aimé, son bien-aimé, et ce sera une longue transformation d’amour. Lumière et Vérité, Dieu va irradier sa créature. L’âme se voit en toute vérité. Après l’expérience de la peur, Élie a fait l’expérience de son imperfection « je ne suis pas meilleur que mes pères » (1R 19, 4), c’est la grande épreuve… Va-t-il perdre courage ? Non, son abîme de petitesse le rend capable de recevoir l’abîme de la grandeur et de l’amour Infini, n’étant qu’un petit rien, tout léger, sans valeur ni bagages. Le jour viendra où un char de feu emportera Élie au Ciel (2R 2, 11).
Psaume (Ps 84 (85), 9ab-10, 11-12, 13-14)
J’écoute : Que dira le Seigneur Dieu ? Ce qu’il dit, c’est la paix pour son peuple et ses fidèles. Son salut est proche de ceux qui le craignent, et la gloire habitera notre terre. Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent ; la vérité germera de la terre et du ciel se penchera la justice. Le Seigneur donnera ses bienfaits, et notre terre donnera son fruit. La justice marchera devant lui, et ses pas traceront le chemin.
Ce psaume est une prière qui constitue une belle réponse à la première lecture, où nous avons raconté comme Élie, après le miracle du mont Carmel, fut persécuté par la reine Jézabel, et marcha jusqu’à la montagne de Dieu, l’Horeb.
Dans le silence de la nuit, Élie aurait pu dire ce psaume : « J’écoute : Que dira le Seigneur Dieu ? » Et le murmure d’une brise légère qu’Élie entendit devait être la suite du psaume : « Ce qu’il dit, c’est la paix pour son peuple et ses fidèles. Son salut est proche de ceux qui le craignent, et la gloire habitera notre terre. »
Persécuté, Élie a connu la peur, il a été un vrai petit qui ne peut plus aller de l’avant par lui-même, et qui gémit vers son Dieu : "C'en est assez maintenant, Seigneur ! Prends ma vie, car je ne suis pas meilleur que mes pères" (1R 19, 4). Oui, et comme Élie, toi qui écoutes, tu expérimentes toute ta faiblesse. Désormais tu sauras que ce n’est que par la force de Dieu que tu tiens debout. Désormais tu ne pourras plus te complaire en toi-même. Tu ne seras fort que de la force de ton Dieu. Oui, désormais tu avanceras comme dans l’Exode, porté par la force de ton Dieu. Comme Élie, acceptons d’être constitués perdus et libérés, portés, emmenés par notre Dieu.
« Amour [ṭaybūtā : bonté, grâce, miséricorde] et vérité [qūštā : vérité ou justice] se rencontrent »
Dans toutes ses oeuvres Dieu montre sa bienveillance, sa bonté, sa grâce, son amour [ṭaybūtā] mais aussi sa fiabilité, sa constance, sa fidélité, sa vérité [qūštā]. Il est la Vérité, car "Dieu est Lumière, en Lui point de ténèbres" (1Jn 1,5); Il est "Amour", comme l'apôtre Jean l'enseigne (1Jn 4,8).
« La vérité [haymānutā : la vérité, la foi, la fidélité] germera de la terre et du ciel se penchera la justice [zadiqūtā].».
Le symbole des cieux nous renvoie au mystère de l'Alliance que nous vivons lorsque nous prions notre Père. Il est aux cieux, c'est sa Demeure, la Maison du Père est donc notre "patrie". « Or c'est dans le Christ que le ciel et la terre sont réconciliés (cf. Is 45,8 Ps 85,12), car le Fils "est descendu du ciel", seul, et il nous y fait remonter avec lui, par sa Croix, sa Résurrection et son Ascension » (CEC 2795)
Le psaume nous parle ainsi de Jésus, et nous pourrions parler aussi de Marie. « Personne n'a expérimenté autant que la Mère du Crucifié le mystère de la croix, la rencontre bouleversante de la justice divine transcendante avec l'amour : ce "baiser" donné par la miséricorde à la justice (Ps 85, 11 selon le latin) ». (Jean-Paul II, encyclique Dives in Misericordia 9)
« Le Seigneur donnera ses bienfaits, et notre terre donnera son fruit. »
Ce psaume contient une promesse, notre terre donnera son fruit.
Cette promesse a un sens au temps d’Élie : il va pleuvoir et il y aura une bonne récolte.
Cette promesse a un sens au temps de Jésus : la terre, en la personne de la Vierge Marie, va porter son fruit béni, Jésus : « notre terre donnera son fruit. »
Cette promesse a un sens eschatologique : la terre doit accomplir le dessein du créateur, quand l’humanité ayant accueilli son Sauveur, accomplira la volonté de Dieu sur la terre comme au Ciel. Cela aussi se réalisera un jour : « notre terre donnera son fruit. »
« La justice marchera devant lui, et ses pas traceront le chemin ».
La justice, c’est zadiqūtā : justice, probité, un mot qui a les mêmes consonnes que le mot zedqetā aumône, bienfaisance. Nous trouvons ce mot en Mt 6, 1 traduit par justice ou par aumône selon les manuscrits, ce qui constitue d’ailleurs une preuve de l’origine araméenne de l’évangile, l’évangile a été composée oralement par Matthieu qui parlait araméen, et c’est ensuite que l’évangile a été traduite en grec.
Le monde doit pratiquer la justice zadiqūtā, à la fois la probité et la bienfaisance. La première charité étant de donner aux autres ce qui leur est dû, mais la justice est aussi bienfaisance.
Deuxième lecture (Rm 9, 1-5)
Frères, c’est la vérité que je dis dans le Christ, je ne mens pas, ma conscience m’en rend témoignage dans l’Esprit Saint : j’ai dans le cœur une grande tristesse, une douleur incessante. Moi-même, pour les Juifs, mes frères de race, je souhaiterais être anathème, séparé du Christ : ils sont en effet Israélites, ils ont l’adoption, la gloire, les alliances, la législation, le culte, les promesses de Dieu ; ils ont les patriarches, et c’est de leur race que le Christ est né, lui qui est au-dessus de tout, Dieu béni pour les siècles. Amen. – Parole du Seigneur.
Paul est « Israélite, de la race d'Abraham, de la tribu de Benjamin » (Rm 11, 1), et « quant à la Loi, un Pharisien ; quant au zèle, un persécuteur de l'Église ; quant à la justice que peut donner la Loi, un homme irréprochable » (Ph 3, 5-6). Paul n’a pas connu Jésus dans sa vie incarnée. Il en a seulement entendu parlé. Il fut présent à la lapidation d’Étienne et il l’approuvait, il était un pharisien fanatique jusqu’à l’injustice « ne respirant toujours que menaces et carnage à l'égard des disciples du Seigneur » (Ac 9, 1). Mais sur le chemin de Damas, « une lumière venue du ciel l'enveloppa de sa clarté. Tombant à terre, il entendit une voix qui lui disait : "Saoul, Saoul, pourquoi me persécutes-tu" -- "Qui es-tu, Seigneur ?" Demanda-t-il. Et lui : "Je suis Jésus que tu persécutes » (Ac 9, 3-5). Et dès lors, lui qui était un pharisien ardent et intransigeant, devint un ardent apôtre de Jésus-Christ. Dans la lecture d’aujourd’hui Paul reste fier du sang noble qu’il a reçu de ses aïeux. Il le dit malgré l’expérience foudroyante qu’il a eue sur le chemin de Damas. Et c’est normal : nous sommes tenus d’aimer notre prochain, à plus forte raison ceux de la même descendance, les compatriotes. Puis Paul dit : « ma conscience m’en rend témoignage dans l’Esprit Saint » : l’Esprit Saint demeure dans le cœur des justes, et il parle à la conscience de Paul. Et Paul nous fait cette confidence extraordinaire : « j’ai dans le cœur une grande tristesse, une douleur incessante. Moi-même, pour les Juifs, mes frères de race, je souhaiterais être anathème, séparé du Christ ». L’affection qu’il avait pour ses frères d’antan s’élève et devient sublime. Elle devient un martyre de charité. Paul voudrait tous ses frères présents dans le Royaume, convertis, repentis, renouvelés par le Christ, pour le Christ, dans le Christ. D’ailleurs, Jésus est un descendant de David et d’Abraham (Mt 1, 1-17). Paul éprouve une grande tristesse devant leur obstination qui les fait persister dans le péché de la persécution du Christ qui deviendra la persécution des chrétiens. Paul demande presque d’être séparé du Christ, Amour de ses amours, si cela devait permettre à ses frères juifs de se convertir et d’aimer le Christ. Paul témoigne ainsi d’une parfaite formation dans le Christ qui a montré l’exemple et qui a enseigné. C’est ainsi que nous pouvons gémir et prier par exemple pour ceux qui sont tombés dans des sectes anti-chrétiennes, ou dans la magie.
Paul explique : « Ils sont en effet Israélites, ils ont l’adoption, la gloire, les alliances, la législation, le culte, les promesses de Dieu ; ils ont les patriarches, et c’est de leur race que le Christ est né, lui qui est au-dessus de tout, Dieu béni pour les siècles. »
« Ils ont l’adoption ». L’histoire d’Ésaü est cependant un avertissement : il est fils d’Isaac fils d’Abraham, cependant, Ésaü perdit la bénédiction de son père pour un plat de lentilles (Gn 25, 29-34), il prit ses femmes parmi les filles de Canaan et eut pour descendance le pays d’Édom (Gn 36, 2. 19), ce faisant, il n’a plus fait partie du peuple de la promesse.
« Ils ont la gloire ». La gloire, c’est le poids de présence, le poids d’amour qui vient de Dieu, le rayonnement qui vient d’être aimé de Dieu : « D’un amour éternel, je t’ai aimée » (Jr 31, 3).
« Ils ont les Alliances [qyāme], la législation, le culte ». L’alliance [1] avec Moïse est liée à l’observance de la Loi. Elle peut donc échouer. Après le péché du veau d’or, Moïse brisa les tables écrites par Dieu (Ex 32, 19) ; ensuite, la miséricorde de Dieu redonne des tables à Israël. Israël chemine ainsi d’étape en étape avec de nouvelles alliances : l’alliance se décline au pluriel. L’amour de Dieu est indestructible, mais la défaillance humaine, la rupture de l’alliance fait aussi partie de l’histoire de l’alliance entre Dieu et l’homme. C’est pourquoi Jésus apporte une « nouvelle Alliance » (Luc 22, 19-20), en référence à Jérémie. À chaque reprise d’alliance, Dieu offre un nouveau pardon, mais, attention, il n’y a pas une « alliance dans la grâce » qui abolirait une « alliance dans la loi ». Notamment, Luc 22, 19-20 a un parallèle en 1Co 11, 23-26 qui enchaîne aussitôt en disant : « Ainsi donc, quiconque mange le pain ou boit la coupe du Seigneur indignement aura à répondre du corps et du sang du Seigneur » (1Co 11, 27). Et c’est logique. Conformément à l’Alliance, il s’agit d’avoir « la Loi » écrite « dans le cœur » (Jr 31, 33). Le Dieu vivant nous élève à la dignité de partenaire d’Alliance, mais l’Alliance n’est pas symétrique. L’araméen désigne souvent l’Alliance avec le terme « dīaṯīqī » directement dérivé du grec « diatheke » (et non pas du grec « syntheke » qui aurait suggéré une égalité des partenaires). Largement utilisé dans l’Ancien Testament, notamment par Jérémie qui annonce une nouvelle alliance 31, 31.33 ; « dīaṯīqī » est utilisé dans les récits de l’institution eucharistique : en Luc 22, 20 ainsi qu’en Mt 26, 28 et Mc 14, 24. Le culte chrétien reprend largement le culte hébraïque dans sa structure essentielle, et il l’accomplit. Le Temple, que le péché détruit, est relevé en Jésus (Jn 2, 19).
« Les promesses de Dieu, les patriarches ». Les Écritures appartiennent aux Juifs. Ils pensent que Jésus n’est pas le Messie car disent-ils il n’a pas apporté la paix promise (Is 2, 2-5 ou Mi 4, 1-5). En réalité, cette paix dépend de l’accueil du salut, et puisque l’évangile n’est pas reçu par tous, et puisque les déformations de l’annonce évangélique produiront l’Antichrist, la paix promise n’adviendra qu’après le jugement de l’Antichrist, lors de la Venue glorieuse du Christ qui est aussi une promesse.
Évangile (Mt 14, 22-33)
« [Après avoir nourri la foule dans le désert],
22 Et aussitôt, il obligea ses disciples / à monter dans le bateau
et à le précéder sur l’autre rive, / jusqu’à ce qu’il ait libéré les foules.
23 Et après avoir libéré les foules, / il monta à la montagne, lui seulement, pour prier.
L’obscurité venue, / il était là, seul, là-bas.
24 La barque était distante de la terre, / de nombreux stades.
Et elle était battue grandement / par les vagues,
le vent en effet, / lui était contraire.
25 Or, à la quatrième veillée de la nuit,
Jésus vint vers eux / en marchant sur les eaux.
26 Et ils le virent, ses disciples, / marcher sur les eaux.
Ils furent affolés :
et ils dirent : / ‘C’est un mirage’
Et, du fait de leur peur, / ils crièrent !
27 Mais, lui, Jésus, / à l’heure même,
parla avec eux / et dit :
‘Reprenez cœur, c’est Moi, / n’ayez pas peur !’
28 Pierre répondit / et lui dit :
‘Seigneur, si c’est bien toi, / ordonne-moi de venir vers toi sur les eaux !’
29 Or Jésus lui dit : / ‘Viens !’
Et Pierre descendit de la barque, / et marcha sur les eaux pour aller vers Jésus.
30 Mais, en voyant le vent violent, / il eut peur et commença à enfoncer.
Il éleva la voix / et dit :
‘Seigneur, / sauve-moi !
31 A l’heure même, Jésus étendit la main / et le saisit et lui dit :
‘Petit de foi, / pourquoi as-tu douté ?’
32 Et quand ils furent montés dans la barque, / le vent se calma.
33 Ceux qui étaient dans la barque vinrent se prosterner devant lui, / et ils dirent :
‘Vraiment, / tu es le Fils de Dieu !’ »
« Jésus obligea ses disciples à monter dans le bateau » (v. 22) : C'était malgré eux que les disciples se séparaient du Sauveur, et dans l'affection qu'ils avaient pour ce divin Maître, ils ne voulaient même pas le quitter un seul instant.
« et à le précéder sur l’autre rive, jusqu’à ce qu’il ait libéré les foules » : Jésus vient d’opérer un grand miracle par la multiplication des pains, mais il renvoie le peuple, et nous enseigne ainsi à ne pas rechercher la gloire qui vient des hommes, et à ne pas attirer le peuple après nous. Il nous apprend aussi à ne pas nous mêler continuellement à la multitude et à ne pas la fuir non plus toujours, mais à fréquenter tour à tour le monde et la solitude (v. 23).
Les disciples avaient déjà essuyé une tempête (Mt 8, 23-27), mais ils avaient le Sauveur avec eux dans leur barque. Maintenant ils sont seuls (Mt 14, 24) ; c'est ainsi que le Seigneur les conduit par degrés à de plus grandes épreuves, et qu'il leur apprend à tout supporter avec courage. Pendant toute la nuit, Jésus les laisse ballottés par les flots ; il veut, par là, leur inspirer un vif désir de sa personne.
La mort de Jean Baptiste (Mt 14, 3-12) est un présage de la Passion de Jésus. La tempête sur le lac est un présage de la tempête de persécution qui atteindra bientôt Jésus et les disciples.
25 Or, à la quatrième veillée de la nuit,
Jésus vint vers eux / en marchant sur les eaux.
26 Et ils le virent, ses disciples, / marcher sur les eaux.
Ils furent affolés :
et ils dirent : / ‘C’est un mirage’
Et, du fait de leur peur, / ils crièrent !
Les Apôtres craignent de voir un fantôme, c’est la preuve que Marcion et les Manichéens se trompaient lorsqu’ils disaient que le Seigneur n’était pas né d'une vierge, et qu'il n'avait qu'une apparence fantastique.
Ce que nous traduisons par mirage, est littéralement une vision menteuse, trompeuse, daggālā, de la même racine qui donne en arabe le Dajjâl, qui est le nom donné à l’antichrist, le faux messie.
Nous suivons la Chaine dorée de saint Thomas (Catena Aurea 4422).
S. Hilaire [3] explique : « Lorsque le Christ reviendra à la fin des temps, il trouvera l'Église fatiguée et comme assiégée de tous côtés, et par l'esprit de l'Antéchrist, et par les agitations du monde entier. Et comme les fourberies de l'Antéchrist inspireront aux fidèles une juste défiance contre toute nouveauté, ils seront effrayés même de l'avènement du Seigneur, craignant d'être le jouet de fausses représentations et de fantômes destinés à tromper les yeux. Mais le bon Maître dissipera toutes leurs craintes en leur disant : «C'est moi», et par la foi qu'ils auront en son avènement, il les délivrera du naufrage qui les menace ». [Voyez la belle foi des premiers Pères de l’Église, pour qui le retour du Christ n’est pas la fin du monde mais la vivification de ceux qui l’attendent, et le jugement de l’Antéchrist].
« Seigneur, si c’est bien toi, ordonne-moi de venir vers toi sur les eaux ! » (v. 28) On admire la foi vive de Pierre, qui dans cette circonstance comme dans toutes les autres, lui fait espérer, alors que tous les autres gardent le silence, qu'il pourra faire par la puissance du Maître ce qui lui était naturellement impossible. Pierre, qui vient de triompher de la plus grande difficulté en marchant sur les eaux de la mer, se laisse troubler par un obstacle beaucoup moindre, par le souffle du vent. Telle est la nature humaine, elle déploie souvent un courage admirable au milieu des grandes épreuves, et elle faiblit dans les circonstances ordinaires.
Mais le Seigneur laisserait-il chanceler celui dont il a entendu la prière ? «Et aussitôt Jésus étendant la main», etc. Jésus ne commande pas aux vents de s'apaiser, mais il étend la main pour soutenir Pierre ; il ne supprime pas l’épreuve, mais il soutient son disciple. Et pour le convaincre que ce n'est pas la violence du vent, mais son peu de foi qui l'a mis en danger, il lui dit : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ?» [Petit de foi, / pourquoi as-tu douté ?’] Preuve que le vent n'aurait pu rien contre lui, si sa foi avait été plus ferme. Le verbe douter (au pael) dérive du verbe diviser (au peal). Celui qui doute est divisé en lui-même.
S. Hilaire : Pierre qui, de tous ceux qui sont dans la barque, est le seul pour oser adresser la parole au Seigneur et lui demander l'ordre d'aller à lui sur les eaux, semble prédire les dispositions de son âme au temps de la passion, alors que s'attachant aux pas du Sauveur, il voulut le suivre jusqu'à la mort. Mais la crainte qui s'empare de lui annonce aussi la faiblesse qu'il a montrée dans cette épreuve, lorsque la crainte de la mort le porta jusqu'à renier son divin Maître. Le cri qu'il jette exprime les gémissements de sa pénitence.
« Et quand ils furent montés dans la barque, / le vent se calma » (v. 32).
S. Jérôme : En voyant Jésus rendre à la mer par un seul signe le calme qu'elle ne recouvre ordinairement qu'après de violentes secousses, les matelots et les passagers le proclament le vrai Fils de Dieu. Pourquoi donc Arius ose-t-il enseigner dans l'Église qu'il n'est qu'une créature ?
S. Hilaire : Le calme que Jésus rend aux vents et à la mer est une figure de cette paix et de cette tranquillité éternelles qu'il doit rendre à l'Église en revenant dans sa gloire. Et comme cet avènement sera beaucoup plus éclatant que le premier, tous s'écrient pleins d'admiration : « Vous êtes vraiment le Fils de Dieu», car tous proclameront alors d'une manière absolue et publique que le Fils de Dieu descendu sur la terre non plus dans l'humilité de la chair, mais au milieu de la gloire dont il est environné dans les cieux, a rendu la paix à son Église.
Evangile du 19e dimanche du Temps Ordinaire Mt 14, 22-33 (60.78 Ko)