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23° dimanche - Temps ordinaire
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Evangile du 23e dimanche du Temps ordinaire Mt 18, 15-20 (79.58 Ko)
Première lecture (Ez 33, 7-9) 1
Psaume (Ps 94 (95), 1-2, 6-7ab, 7d-8a.9) 4
Deuxième lecture (Rm 13, 8-10) 6
Première lecture (Ez 33, 7-9)
La parole du Seigneur me fut adressée : « Fils d’homme, je fais de toi un guetteur pour la maison d’Israël. Lorsque tu entendras une parole de ma bouche, tu les avertiras de ma part. Si je dis au méchant : ‘Tu vas mourir’, et que tu ne l’avertisses pas, si tu ne lui dis pas d’abandonner sa conduite mauvaise, lui, le méchant, mourra de son péché, mais à toi, je demanderai compte de son sang. Au contraire, si tu avertis le méchant d’abandonner sa conduite, et qu’il ne s’en détourne pas, lui mourra de son péché, mais toi, tu auras sauvé ta vie. » – Parole du Seigneur.
Le méchant mourra. C’est une théologie de la rétribution.
Dans l’histoire d’un individu, il est bon de commencer par se demander si nous n’avons pas provoqué nos malheurs, ou si ces malheurs n’ont pas été provoqués par « nos pères » (parents ou entourage) ! On peut avoir mal mangé, mal travaillé, on peut s’être mal comporté. Mais il existe des gifles imméritées. Il existe des jugements négatifs injustes. Il existe des échecs innocents. Il existe des blessures faussement interprétées comme des reproches et des condamnations. De nos jours, beaucoup tentent d’établir une correspondance entre maladies et conflits. Certains observent les conflits dans les quelques mois qui précèdent la maladie, d’autres thérapeutes iront chercher jusqu’à l’enfance, ou dans les générations précédentes. Ces méthodes séduisent parce qu’elles offrent la satisfaction d’offrir une explication. Il est certain qu’un sourire, une parole d’encouragement, rendent les gens plus forts, y compris physiquement. A l’inverse, un stress prolongé diminue l’immunité. De là à construire une théorie détaillée sur le lien entre la résolution du conflit et la guérison, il y a évidemment danger : en cas d’incapacité à régler un conflit, les souffrances du malade deviennent une nourriture de la rancœur et de la haine, ou de culpabilisation du malade lui-même…
Dans la Bible, la théologie de la rétribution permet d’expliquer l’exil à Babylone comme étant la conséquence des fautes. Mais cette explication est fragile, car elle n’explique pas la prospérité au temps de Manassé pourtant très idolâtre, ni la mort brutale de Josias à Megiddo, alors qu’il convertissait le pays. Les prophètes Jérémie, Ezéchiel, Job, Isaïe, et d’autres ont su remettre cette théologie de la rétribution dans un cadre plus large, respectueux de la transcendance divine. En l’occurrence, puisque nous lisons Ézéchiel, rappelons le début de son livre, avant son exil à Babylone : la transcendance de Dieu ne peut être décrite : il voit un char divin et ne peut pas le décrire : il est comme… il avait la ressemblance… il paraissait… (Ez 1). Ézéchiel se tait devant une telle grandeur.
Ézéchiel est un prophète qui a beaucoup développé le thème de la responsabilité individuelle. Chacun est responsable de soi-même, par exemple, si Dieu frappe tout le pays parce que dans son ensemble il est infidèle, trois hommes « sauveraient leur vie grâce à leur justice, oracle du Seigneur » (Ez 14, 13-14). De même, un fils juste « ne mourra pas à cause des fautes de son père, il vivra » (Ez 18, 16). Comme aussi Jérémie, Ézéchiel opère un tournant dans la pensée biblique, car auparavant on parlait de manière collective, par exemple, au temps de Gédéon : « Les Israélites firent ce qui est mal aux yeux du Seigneur ; le Seigneur les livra pendant sept ans aux mains de Madiân » (Jg 6, 1) ou bien, au temps du premier Isaïe : « Préparez le massacre de ses fils pour la faute de leur père » (Is 14, 21). Cette solidarité simpliste permettait aussi à chacun d’éviter son examen de conscience personnel.
Le tournant opéré par Ézéchiel suscite des protestations, le peuple trouve qu’une telle responsabilité personnelle, ce n’est pas juste ! (Ez 18, 25). Plus tard, la révélation biblique apportera d’autres nuances : le retour à une certaine solidarité (on dira de nos jours des structures de péché), et la rétribution outre-tombe (certains justes souffrent et meurent, mais ils seront récompensés au ciel).
Éduquer à la responsabilité individuelle demeure très important. Saint Augustin lui-même reconnaît par exemple que, dans sa jeunesse, il n’aurait pas fait le vol des poires sans l’entraînement d’un groupe, mais il sait voir qu’il était, lui, responsable de son propre péché. Personnellement, j’ai toujours été très frappée d’entendre par exemple le témoignage des jeunes de la communauté du « Cenacolo » : conscients de leur jeunesse, où, par exemple, ils étaient matériellement trop gâtés mais abandonnés à eux-mêmes, ils disent à peu près tous : « Personne ne m’a obligé à me droguer, à voler, à me prostituer, etc. C’est moi qui en suis le seul responsable ». Et ils disent cela debout, fiers des amitiés nouées dans une communauté où l’on se lève tôt et où on s’assoie rarement. C’est-à-dire une communauté de courage où l’on dépasse chaque jour ses limites, en apportant la preuve que l’on est « capable ».
« Je fais de toi un guetteur ». Proche de nous, nous avons l’exemple de sainte Thérèse dans son Carmel de Lisieux, chargée de seconder la maîtresse des novices : « De loin cela paraît tout rose de faire du bien aux âmes, de leur faire aimer Dieu davantage, enfin de les modeler d'après ses vues et ses pensées personnelles. De près c'est tout le contraire, le rose a disparu... on sent que faire du bien c'est chose aussi impossible sans le secours du bon Dieu que de faire briller le soleil dans la nuit... On sent qu'il faut absolument oublier ses goûts, ses conceptions personnelles et guider les âmes par le chemin que Jésus leur a tracé, sans essayer de les faire marcher par sa propre voie. Mais ce n'est pas encore le plus difficile, ce qui me coûte par-dessus tout, c'est d'observer les fautes, les plus légères imperfections et de leur livrer une guerre à mort. J'allais dire : malheureusement pour moi, (mais non, ce serait de la lâcheté) je dis donc : heureusement pour mes sœurs, depuis que j'ai pris place dans les bras de Jésus, je suis comme le veilleur observant l'ennemi de la plus haute tourelle d'un château fort. Rien n'échappe à mes regards ; souvent je suis étonnée d'y voir si clair et je trouve le prophète Jonas bien excusable de s'être enfui au lieu d'aller annoncer la ruine de Ninive. Jon 1,2-3 » (Histoire d'une âme G 22-23)
Psaume (Ps 94 (95), 1-2, 6-7ab, 7d-8a.9)
« Venez, crions de joie pour le Seigneur, acclamons notre Rocher, notre salut ! Allons jusqu’à lui en rendant grâce, par nos hymnes de fête acclamons-le ! Entrez, inclinez-vous, prosternez-vous, adorons le Seigneur qui nous a faits. Oui, il est notre Dieu ; nous sommes le peuple qu’il conduit. Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ? ‘Ne fermez pas votre cœur comme au désert, où vos pères m’ont tenté et provoqué, et pourtant ils avaient vu mon exploit’. »
Explications :
« Venez, crions de joie pour le Seigneur, acclamons notre Rocher, notre salut ! Allons jusqu’à lui en rendant grâce, par nos hymnes de fête acclamons-le ! Entrez, inclinez-vous, prosternez-vous, adorons le Seigneur qui nous a faits ». L'adoration est la première attitude de l'homme qui se reconnaît créature devant son Créateur. Elle exalte la grandeur du Seigneur qui nous a fait et la toute- puissance du Sauveur, « ils avaient vu mon exploit ».
« Vos pères m’ont tenté et provoqué » : l'action de tenter Dieu consiste en une mise à l'épreuve, en parole ou en acte, de sa bonté et de sa toute-puissance. C'est ainsi que Satan voulait obtenir de Jésus qu'il se jette du Temple et force Dieu, par ce geste, à agir (cf. Lc 4, 9). Jésus lui oppose la parole de Dieu : "Tu ne tenteras pas le Seigneur, ton Dieu" (Dt 6, 16). Le défi que contient pareille tentation de Dieu blesse le respect et la confiance que nous devons à notre Créateur et Seigneur. Il inclut toujours un doute concernant son amour, sa providence et sa puissance.
Les Évangiles parlent d'un temps de solitude de Jésus au désert (cf. Mc 1,12-13). A la fin de ce temps, Satan le tente par trois fois cherchant à mettre en cause son attitude filiale envers Dieu. Jésus repousse ces attaques qui récapitulent les tentations d'Adam au Paradis et d'Israël au désert, et le diable s'éloigne de lui "pour revenir au temps marqué" (Lc 4,13). Jésus est le nouvel Adam, resté fidèle là où le premier a succombé à la tentation. Jésus accomplit parfaitement la vocation d'Israël : contrairement à ceux qui provoquèrent jadis Dieu pendant quarante ans au désert (cf. Ps 95,10).
« Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ? » Le temps est entre les mains du Père ; c'est dans le présent que nous le rencontrons, ni hier ni demain, mais aujourd'hui. Cet "aujourd'hui" du Dieu vivant où l'homme est appelé à entrer est "l'Heure" de la Pâque de Jésus qui traverse et porte toute l'histoire…
Ce que ne dit pas l’extrait choisi dans le Missel, c’est que ce psaume désigne le but, qui est d’entrer dans « le repos de Dieu » [Ps 95, 11]. Dans l’Ancien Testament, le « repos de Dieu » (cf. Gn 2,2) est le repos offert par lui au peuple de l'exode avec l'entrée dans la terre promise. Par exemple, en quittant le Sinaï : « Moïse dit au Seigneur : ‘Vois, tu me dis : Fais monter ce peuple, et tu ne me fais pas connaître qui tu enverras avec moi. Tu avais pourtant dit : Je te connais par ton nom et tu as trouvé grâce à mes yeux. Si donc j'ai trouvé grâce à tes yeux, daigne me faire connaître tes voies pour que je te connaisse et que je trouve grâce à tes yeux. Considère aussi que cette nation est ton peuple’. Le Seigneur dit : ‘J'irai moi-même, et je te donnerai le repos’ » (Ex 33, 12-14).
La Lettre aux Hébreux au chapitre 3 reprend ce sens matériel : « 15 Dans cette parole : Aujourd'hui, si vous entendez sa voix, n'endurcissez pas vos coeurs comme cela s'est produit dans la Querelle, 16 quels sont donc ceux qui, après avoir entendu, ont querellé ? Mais n'étaient-ce pas tous ceux qui sont sortis d'Égypte grâce à Moïse? 17 Et contre qui s'irrita-t-il pendant 40 ans ? N'est-ce pas contre ceux qui avaient péché et dont les cadavres tombèrent dans le désert ? 18 Et à qui jura-t-il qu'ils n'entreraient pas dans son repos [Ps 95, 11], sinon à ceux qui avaient désobéi ? 19 Et nous voyons qu'ils ne purent entrer à cause de leur infidélité » (Hé 3, 15-19).
Puis, au chapitre 4, la Lettre aux hébreux continue : « 1 Craignons donc que l'un de vous n'estime arriver trop tard, alors qu'en fait la promesse d'entrer dans son repos reste en vigueur. 2 Car nous aussi nous avons reçu une bonne nouvelle absolument comme ceux-là. Mais la parole qu'ils avaient entendue ne leur servit de rien, parce qu'ils ne restèrent pas en communion par la foi avec ceux qui écoutèrent. 3 Nous entrons en effet, nous les croyants, dans un repos, selon qu'il a dit : Aussi ai-je juré dans ma colère : Non, ils n'entreront pas dans mon repos [Ps 95, 11]. Les oeuvres de Dieu certes étaient achevées dès la fondation du monde, 4 puisqu'il a dit quelque part au sujet du septième jour : Et Dieu se reposa le septième jour de toutes ses oeuvres. 5 Et de nouveau en cet endroit : Ils n'entreront pas dans mon repos. [Ps 95, 1]6 Ainsi donc, puisqu'il est acquis que certains doivent y entrer, et que ceux qui avaient reçu d'abord la bonne nouvelle n'y entrèrent pas à cause de leur désobéissance, 7 de nouveau Dieu fixe un jour, un aujourd'hui, disant en David, après si longtemps, comme il a été dit ci-dessus : Aujourd'hui, si vous entendez sa voix, n'endurcissez pas vos coeurs... 8 Si Josué avait introduit les Israélites dans ce repos, Dieu n'aurait pas dans la suite parlé d'un autre jour. 9 C'est donc qu'un repos, celui du septième jour, est réservé au peuple de Dieu. 10 Car celui qui est entré dans son repos lui aussi se repose de ses oeuvres, comme Dieu des siennes » (Hé 4, 1-10).
La révélation du Nouveau Testament qui enseigne qu’après Jésus, l’histoire est une lutte qui trouvera son paroxysme lors de la manifestation de l’Antichrist que la Venue glorieuse du Messie anéantira (2Th 2, 3-12), en apportant à ceux qui l’attendent le salut et la vie – « Ainsi le Christ, après s’être offert une seule fois pour enlever les péchés de la multitude, apparaîtra une seconde fois, non plus à cause du péché, mais pour le salut [la vie] de ceux qui l’attendent » (He 9, 28) – permettant alors la réalisation du Règne de Dieu sur la terre comme aux Ciel (Mt 6, 10). L’étude de nombreux textes montre qu’il y a en effet un temps intermédiaire entre la Venue glorieuse du Christ et l’Assomption finale dans l’éternité. S. Irénée utilise le terme « Royaume des justes » qui n’est pas « le Ciel » mais une réalité terrestre par laquelle les justes s’accoutumeront à l’éternité. Et de nombreux Pères de l’Église désignent le temps de la Parousie en parlant du « septième jour » c’est-à-dire comme le jour du shabbat, le repos de Dieu, avant le « huitième jour » qui figure la vie éternelle (par exemple, saint Augustin, Sermon 259).
Deuxième lecture (Rm 13, 8-10)
« Frères, n’ayez de dette envers personne, sauf celle de l’amour mutuel, car celui qui aime les autres a pleinement accompli la Loi. La Loi dit : Tu ne commettras pas d’adultère, tu ne commettras pas de meurtre, tu ne commettras pas de vol, tu ne convoiteras pas. Ces commandements et tous les autres se résument dans cette parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. L’amour ne fait rien de mal au prochain. Donc, le plein accomplissement de la Loi, c’est l’amour. » – Parole du Seigneur.
En araméen, l’impératif négatif se dit avec un futur : « tu ne commettras pas de meurtre, tu ne commettras pas de vol, etc. » est la traduction mot à mot qui signifie normalement « ne tue pas, ne vole pas, etc. »
L'amour de Dieu, répandu dans nos coeurs par l’Esprit Saint, implique l'amour du prochain. Et saint Paul dit que la charité est l'accomplissement plénier de la Loi. L'amour du prochain ne connaît pas de limites, il s'étend aux ennemis et aux persécuteurs. La perfection, image de celle du Père, à laquelle le disciple doit tendre, réside dans la miséricorde. La parabole du Bon Samaritain donne l’exemple d’un amour plein de compassion, qui se met au service du prochain, et la parabole détruit les préjugés qui dressent les groupes ethniques ou sociaux les uns contre les autres. Tous les livres du Nouveau Testament rendent témoignage de cette inépuisable richesse de sentiments dont est porteur l'amour chrétien du prochain.
Gardons toute la lecture de ce jour. Celui qui force à travailler le jour du Seigneur n’aime pas son prochain. Celui qui pousse son prochain au suicide assisté, il ne l’aime pas, car il y a un cheminement de fin de vie qu’il faut respecter et qui est aussi l’occasion pour l’entourage de grandir dans l’amour, sans pour autant pratiquer un acharnement thérapeutique. Celui qui commet l’adultère n’aime pas son prochain, il le blesse et le conduit aux ténèbres intérieures. Celui qui convoite et jalouse son prochain ne l’aime pas, même s’il le flatte, n’a pas d’amour pour son prochain, il est incapable de dire « je suis heureux pour toi », et, dans le fond, il préfèrerait qu'il ne lui fasse pas d'ombre et meure.
Depuis le début de l’ère moderne, plane sur l’ensemble de la question morale, l’ombre d’une pensée anti-juive, surtout depuis Luther, pour qui, depuis l’expérience de la tour, le refus de la Loi est fondamental. Cet événement s’est ensuite rattaché à la pensée de Marcion qui rejetait l’Ancien Testament et ce marcionisme pseudo-religieux imprègne la pensée contemporaine sans avoir été véritablement remis en cause. Or, le Christ Seigneur n'a pas du tout voulu détruire l'antique héritage de la Loi et des Prophètes, qui s'était formé peu à peu à travers l'histoire et l'expérience du Peuple de Dieu, mais il est venu l'accomplir Mt 5,17 de sorte que ce patrimoine est devenu partie intégrante de l'héritage du Nouveau Testament.
Saint Paul enseigne que la justification ne s'obtient pas par les oeuvres de la loi, mais par la foi Rm 3, 28 ; Ga 2, 16, cependant, il n'annule pas pour autant le caractère obligatoire du décalogue Rm 13, 8-10 ; Ga 5, 13-25 ; 6,2, et il ne nie pas non plus l'importance de la discipline dans l'Église de Dieu 1Co 5, 6. Dans l’Église, le Code de droit Canon n'entend aucunement se substituer à la foi, à la grâce et aux charismes dans la vie de l'Église ou des fidèles. Au contraire, son but est plutôt de créer un ordre qui rende plus facile leur épanouissement.
Ouvrons l’Apocalypse. Avertie par les fléaux des sept trompettes, l’Église trouve refuge au désert. Elle va ressortir au moment de la venue glorieuse du Christ, mais avant cette heureuse issue, le dragon part faire la guerre contre la descendance de la femme « ceux qui gardent les commandements de Dieu et auprès de qui il y a le témoignage de Jésus » (Ap 12, 17) : ils apportent le feu d’amour et la lumière de vérité, comme les deux témoins qui sont des flambeaux (racine « Nūr ») qui dérangent le monde entier (Ap 11, 4 – 7e trompette).
L’Apocalypse comporte un « noyau » où « deux signes » antagonistes sont entremêlés. D’une part, la mère du Messie enveloppée de soleil et « ceux qui gardent les commandements de Dieu » (Ap 12, 17), et d’autre part, le dragon qui est appelé « Accusateur et Satan, lui qui a trompé toute la terre » (Ap 12, 7) et « serpent » (Ap 12, 14.15.16) et la bête à laquelle le dragon « offrit sa puissance, et son trône, et une grande autorité » (Ap 13, 2). Le dragon, après avoir voulu dévorer l’enfant à sa naissance, s’acharne contre ceux qui « gardent les commandements de Dieu et le témoignage de Jésus » (Ap 12, 17) : il inspire une persécution d’ordre moral (les commandements) et doctrinal (la transmission du témoignage de Jésus). Le jugement final marquera la victoire de « ceux qui gardent les commandements de Dieu et le témoignage de Jésus » (Ap 12, 17) » : « Là est la foi et la persévérance des saints ! » (Ap 13, 10).
Attention, à l’ouverture du fil que j’appelle « les sept prises de position », en Ap 13, 11-17, apparaît une deuxième bête ou organisation. La « bête de la terre » ressemble à un agneau, c’est-à-dire à Jésus, l’Agneau, mais elle parle comme un dragon. Cette bête est un pouvoir médiatique et une parodie christianisme. Par exemple, elle présente le péché comme une valeur et cherche à détruire le témoignage de Jésus (la réalité historique des miracles, la résurrection du Christ et sa divinité…), ou alors, tout en se présentant correctement du point de vue chrétien, elle s’acharne contre des personnes particulières pour leur nuire. Par ses manœuvres, elle fait en sorte que « tous se fassent marquer du nom de la bête ou du chiffre de son nom ».
L’Apocalypse s’achève sur cette promesse :
« Voici, Je viens, / d’un [coup] !
Et Mon salaire avec Moi, / et Je [le] donne à tout homme selon son œuvre !
Je [suis] l’Aleph et Je [suis] le Taw,
le Premier et le Dernier,
le Commencement et l’Accomplissement.
Bienheureux sont-ils [ceux] qui font Ses commandements : / leur autorité sera sur le bois de la Vie !
Et, par la Porte, ils entreront dans la Cité ! / Et les ‘prostitués’ et meurtriers et idolâtres : dehors !
Et les impurs et les magiciens ! / et tous les observateurs et faiseurs d’imposture ! » (Ap 22, 12-15).
Ce qui nous prépare à l’évangile où Jésus dit : « Amen, / je vous le dis :
tout ce que vous lierez sur la terre / sera lié dans le ciel,
et tout ce que vous délierez sur la terre / sera délié dans le ciel. » (Mt 18, 18)
Évangile (Mt 18, 15-20)
Chers auditeurs, pourquoi mes traductions de l’araméen, faites pour être apprise par cœur et transmises avec le cœur ? Pour retrouver ce que les apôtres ont fait et ne pas trop s’en écarter, car c’est ainsi qu’ils évangélisèrent le monde. Avant de parler dans des synagogues, les apôtres évangélisaient à partir des maisons et rayonnaient à partir d’une maison (Lc 10, 5-7). La maîtresse de maison, à l’exemple de la Vierge Marie, médite et garde toute chose dans son cœur (Lc 2, 19. 51), et elle transmet à sa maisonnée. Dans l’évangile de ce dimanche, la phrase de Jésus « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, là, je suis au milieu d’eux » désigne d’abord le cercle de la famille. La famille transmet l’évangile aux enfants, et aux familiers, et aux amis. Et le samedi soir a lieu un rassemblement communautaire autour de la parole apprise par cœur, l’équivalent de la première partie de la liturgie, avant l’aube du dimanche matin où se célébraient les Saints Mystères eucharistiques, pour les baptisés uniquement.
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples :
15 Si ton frère a fauté [agi sottement] / contre toi,
va lui faire des reproches / entre toi et lui seulement.
S’il t’écoute, / tu as gagné ton frère.
16 S’il ne t’écoute pas, / emmène avec toi une ou deux [personnes]
pour que sur la bouche de deux ou trois témoins / toute l’affaire soit établie.
17 Or… /, si eux non plus,
il ne les écoute pas, / dis-le à l’Église ;
s’il n’écoute même pas l’Église, / qu’il soit pour toi…
comme un publicain / ou comme un païen.
18 Amen, / je vous le dis :
tout ce que vous lierez sur la terre / sera lié dans le ciel,
et tout ce que vous délierez sur la terre / sera délié dans le ciel.
19 Et pareillement, / je vous le dis,
si deux d’entre vous se mettent d’accord sur la terre / pour demander quoi que ce soit,
[cela] leur adviendra / de la part de mon Père qui est aux cieux.
20 En effet, là où deux ou trois / sont réunis en mon nom,
là, je suis / au milieu d’eux. »
– Acclamons la Parole de Dieu.
« 15 Si ton frère a fauté [agi sottement] / contre toi ». En araméen, nous avons ici « ᵓen dēn ᵓaskel bāḵ » : si ton frère agit sottement contre toi, il s’agit du verbe « se tromper, agir sottement, pécher ». Ce verbe a la même racine qu’en Mt 25, 2 quand il est question des vierges sages et des vierges sottes (on traduit souvent vierges folles, mais c’est de la même racine, il s’agit de sottise. C’est pourquoi nous devons avertir le prochain.
« Va lui faire des reproches / entre toi et lui seulement.
S’il t’écoute, / tu as gagné ton frère ».
Nous devons avertir le prochain, le former, un peu comme on éduque les postulantes récemment entrées au Carmel, et il est opportun d’écouter sainte Thérèse de Lisieux dans son expérience d’adjointe à la maîtresse des novices :
« J'aimerais mille fois mieux recevoir des reproches que d'en faire aux autres, mais je sens qu'il est très nécessaire que cela me soit une souffrance car lorsqu'on agit par nature, c'est impossible que l'âme à laquelle on veut découvrir ses fautes comprenne ses torts […]. Je sais bien que vos petits agneaux me trouvent sévère. S'ils lisaient ces lignes, ils diraient que cela n'a pas l'air de me coûter le moins du monde de courir après eux, de leur parler d'un ton sévère en leur montrant leur belle toison salie ou bien de leur apporter quelque léger flocon de laine qu'ils ont laissé déchirer par les épines du chemin.
Les petits agneaux peuvent dire tout ce qu'ils voudront ; dans le fond, ils sentent que je les aime d'un véritable amour, que jamais je n'imiterai le mercenaire qui voyant venir le loup laisse le troupeau et s'enfuit Jn 10,10-15. Je suis prête à donner ma vie pour eux, mais mon affection est si pure que je ne désire pas qu'ils la connaissent. Jamais avec la grâce de Jésus, je n'ai essayé de m'attirer leurs coeurs […]
J'ai vu d'abord que toutes les âmes ont à [peu] près les mêmes combats, mais qu'elles sont si différentes […] [qu’il est] impossible d'agir avec toutes de la même manière. Avec certaines âmes, je sens qu'il faut me faire petite, ne point craindre de m'humilier en avouant mes combats, mes défaites ; voyant que j'ai les mêmes faiblesses qu'elles, mes petites soeurs m'avouent à leur tour les fautes qu'elles se reprochent et se réjouissent que je les comprenne par expérience. Avec d'autres j'ai vu qu'il faut au contraire pour leur faire du bien avoir beaucoup de fermeté et ne jamais revenir sur une chose dite. S'abaisser ne serait point alors de l'humilité, mais de la faiblesse. Le bon Dieu m'a fait la grâce de ne pas craindre la guerre, à tout prix il faut que je fasse mon devoir. » (Histoire d'une âme G 23).
« Pour moi il en est de cela comme du reste, je sens qu'il faut pour que mes lettres fassent du bien qu'elles soient écrites par obéissance et que j'éprouve plutôt de la répugnance que du plaisir à les écrire. Ainsi, quand je parle avec une novice, je tâche de le faire en me mortifiant, j'évite de lui adresser des questions qui satisferaient ma curiosité ; si elle commence une chose intéressante et puis passe à une autre qui m'ennuie sans achever la première, je me garde bien de lui rappeler le sujet qu'elle a laissé de côté, car il me semble qu'on ne peut faire aucun bien lorsqu'on se recherche soi-même. » (Histoire d'une âme G 32).
Ce n’était pas facile pour la jeune Thérèse de Lisieux, en écho à la première lecture où le Seigneur disait à Ézéchiel : « Si je dis au méchant : ‘Tu vas mourir’, et que tu ne l’avertisses pas, si tu ne lui dis pas d’abandonner sa conduite mauvaise, lui, le méchant, mourra de son péché, mais à toi, je demanderai compte de son sang. Au contraire, si tu avertis le méchant d’abandonner sa conduite, et qu’il ne s’en détourne pas, lui mourra de son péché, mais toi, tu auras sauvé ta vie » (Ez 33, 7-9).
17 Or… /, si eux non plus,
il ne les écoute pas, / dis-le à l’Église ;
s’il n’écoute même pas l’Église, / qu’il soit pour toi…
comme un publicain / ou comme un païen.
18 Amen, / je vous le dis :
tout ce que vous lierez sur la terre / sera lié dans le ciel,
et tout ce que vous délierez sur la terre / sera délié dans le ciel.
19 Et pareillement, / je vous le dis,
si deux d’entre vous se mettent d’accord sur la terre / pour demander quoi que ce soit,
[cela] leur adviendra / de la part de mon Père qui est aux cieux.
20 En effet, là où deux ou trois / sont réunis en mon nom,
là, je suis / au milieu d’eux. »
« Voici une cause qui détruit l'effet de nos prières ; nous ne sommes parfaitement unis entre nous, ici-bas, ni par la foi, ni par la conformité de la vie. Car de même que la musique ne peut charmer les oreilles, s'il y a défaut d'accord dans les voix, de même si l'harmonie ne règne dans l'Église, Dieu ne peut ni s'y complaire ni écouter les voix de ses enfants. Il s’agit notamment de prier pour recevoir un pénitent, ou rejeter un orgueilleux ou pour toute autre chose qu'ils demanderont et qui ne sera pas contraire à l'unité de l'Église, ce qu'ils demandent leur sera accordé par mon Père qui est dans les cieux. Il s’agit de prier ‘en mon nom’, comme si Jésus disait : Si je suis le motif principal de l'affection qu'un chrétien a pour son frère ». (Cf. Saint Thomas d’Aquin, Catena Aurea 4818)
Date de dernière mise à jour : 05/08/2023