Première lecture (Ac 8, 5-8.14-17)
Psaume (Ps 65 (66), 1-3a, 4-5, 6-7a, 16.20)
Deuxième lecture (1 P 3, 15-18)
Évangile (Jn 14, 15-21)
« En ces jours-là, Philippe, l’un des Sept, arriva dans une ville de Samarie, et là il proclamait le Christ. Les foules, d’un même cœur, s’attachaient à ce que disait Philippe, car elles entendaient parler des signes qu’il accomplissait, ou même les voyaient. Beaucoup de possédés étaient délivrés des esprits impurs, qui sortaient en poussant de grands cris. Beaucoup de paralysés et de boiteux furent guéris. Et il y eut dans cette ville une grande joie. Les Apôtres, restés à Jérusalem, apprirent que la Samarie avait accueilli la parole de Dieu. Alors, ils y envoyèrent Pierre et Jean. À leur arrivée, ceux-ci prièrent pour ces Samaritains afin qu’ils reçoivent l’Esprit Saint ; en effet, l’Esprit n’était encore descendu sur aucun d’entre eux : ils étaient seulement baptisés au nom du Seigneur Jésus. Alors Pierre et Jean leur imposèrent les mains, et ils reçurent l’Esprit Saint. – Parole du Seigneur.
L’épisode se situe après le martyre du diacre Étienne, mais la dispersion qui s’en suit est l’occasion d’une activité missionnaire. C’est au nom de Jésus que Philippe opère des signes. D’ailleurs, du vivant même de Jésus, les disciples opèrent des guérisons et des exorcismes « au Nom de Jésus », Jean s’étonne que quelqu’un qui n’est pas du groupe des Douze chasse des démons au nom de Jésus, mais Jésus lui dit de le laisser faire (Lc 9, 49), peu après, les 70 disciples reviennent joyeux d’avoir soumis les démons au nom de Jésus (Lc 10, 17). Au cours de la prédication de Philipe, « beaucoup de possédés étaient délivrés des esprits impurs. Beaucoup de paralysés et de boiteux furent guéris ». Cela donne beaucoup de joie, mais ce n’est pas encore la plénitude de la vie chrétienne, c’est une joie humaine, celle d’être libéré ou guéri. Les Samaritains se mettent à croire en Jésus et, dans la foulée, Philippe les baptise « au Nom de Jésus ».
On peut être étonné que ce ne soit pas le baptême au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit que Jésus ressuscité a demandé de pratiquer (Mt 28, 19). Quand Jésus a donné cette instruction, il n’a pas précisé qui, comment, où ? Les apôtres découvrent la manière de procéder, en l’occurrence, ici, Philippe baptise au nom de Jésus et Pierre et Jean prient pour que ces Samaritains reçoivent l’Esprit Saint. « L'imposition des mains est à bon droit reconnue par la tradition catholique comme l'origine du sacrement de la Confirmation » (CEC 1288). « En Occident le nom de Confirmation suggère à la fois la ratification du baptême, qui complète l'initiation chrétienne, et l'affermissement de la grâce baptismale, tous fruits du Saint-Esprit » (CEC 1289). Le baptême, donc trinitaire, apporte des fruits intérieurs, la foi, l’espérance et la charité, qui sont plus qu’humains, on parlera de vertus théologales et de vie surnaturelle. Ces fruits font rayonner les personnes. Il y a des charismes visibles qui confirment une réalité qui est moins visible et qui est de l’ordre de la vivification intérieure. Le mot salut en araméen est exprimé par le mot « vies ».
Dans l'Ancien Testament, Isaïe a annoncé que l'Esprit du Seigneur reposerait sur le Messie espéré (cf. Is 11, 2). C’est ce qui s’est réalisé en Jésus, conçu de l'Esprit Saint, il fut toute sa vie en une communion totale avec l'Esprit Saint que le Père lui donne "sans mesure" (Jn 3, 34). Or, cette plénitude de l'Esprit ne devait pas rester uniquement celle du Messie, elle devait être communiquée à tout le peuple messianique (cf. Ez 36, 25-27 que nous allons lire ; Jl 3,1-2 que Pierre cite dans son discours de Pentecôte. Attentifs à ce qui se passe en Samarie, Pierre et Jean arrivent. À l’imposition des mains, c’est l’Esprit du peuple messianique qui est communiqué de sorte que les Samaritains vont devenir missionnaires à leur tour.
Dans les Actes, il est d’ailleurs aussi question d’un certain Simon le magicien. Il est dit qu’il « ne lâchait plus Philippe, et il était dans l'émerveillement à la vue des signes et des grands miracles qui s'opéraient sous ses yeux » (Ac 8, 13) comme s’il voulait capter un pouvoir de guérison, et non pas suivre Jésus. Il se fait baptiser au nom de Jésus. Mais quand Pierre arrive et que les gens reçoivent l’Esprit Saint, Simon le magicien n’a pas les dispositions intérieures pour le recevoir, mais il voit chez les autres les signes extérieurs du surcroît de vie, une grâce de vie surnaturelle, que l’on appelle aussi le salut. Et c’est ce surcroit de vie qu’il veut alors acheter aux apôtres. Son erreur et son péché consistent à transformer la mission en une histoire de pouvoir magique acquis (à prix d’argent) et transmis. Or le salut étant divin, personne ne peut mettre la main dessus !
Cette leçon vaut encore de nos jours. Quand il y a des gens qui imposent les mains, il faut vérifier si c’est bien la foi des apôtres qui est transmise, pas seulement « au nom de Jésus » comme une formule magique, mais tout l’évangile avec l’enseignement de Jésus, la méditation de sa Passion, de sa résurrection, son Pain de Vie, etc. Il faut être prudent et vérifier les fruits de vie morale et spirituelle.
L’évangile de ce dimanche avertit que « le monde n’est pas capable de recevoir » « l’Esprit de vérité », que l’on peut traduire « l’Esprit véritable » parce que, dit Jésus, « il ne l’a pas vu et le connaît pas », et Jésus ajoute en s’adressant à ses apôtres : « Mais vous, vous le connaissez, car c’est auprès de vous qu’il habite, et c’est en vous qu’il est ! » (Jn 14, 17)
Un mot sur la Samarie. Après le roi Salomon, à cause du péché de Jéroboam en 931, la Samarie, ou royaume du Nord, fut séparée du royaume du Sud. Envahie en 721 avant J-C, la Samarie était devenue le théâtre d’un syncrétisme religieux. Plus tard, Jérusalem (le royaume du Sud) fut envahie par les armées de Babylone, et le Temple fut incendié, enfin, au retour d’exil, Zorobabel organisa la reconstruction du Temple, mais il rejeta les Samaritains désireux d’y contribuer (Esdras 4, 1-23). Les Samaritains avaient bâti un Temple sur le mont Garizim, qui fut détruit par Jean Hirçan en 128 avant J-C, puis rendu au culte (cf. Jn 4, 20). Certains Samaritains avaient commencé à accueillir Jésus après sa rencontre avec une Samaritaine au puits de Jacob (Jn 4), mais d’autres l’avaient mal accueilli parce qu’il montait à Jérusalem. Avec toute l’histoire qui a précédé, on comprend pourquoi.
Or, Ézéchiel avait donné le fameux oracle : « Je répandrai sur vous une eau pure et vous serez purifiés […]. Et je vous donnerai un coeur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau […]. Je mettrai mon esprit en vous et je ferai que vous marchiez selon mes lois et que vous observiez et pratiquiez mes coutumes » (Ez 36, 25-27). Notons qu’avec l’eau, l’esprit, la loi, c’est déjà une préfiguration du baptême trinitaire. Ézéchiel donne ensuite une vision d’Israël qui ressuscite à la manière d’ossements desséchés : « Je mettrai mon esprit en vous et vous vivrez » (Ez 37, 14), enfin (Ez 37, 17) il mime la réunification de la Samarie (appelée Éphraïm) avec le reste de la maison d’Israël (appelé Juda), en ajoutant « et les nations sauront que je suis le Seigneur qui sanctifie Israël » (Ez 37, 28).
Les événements relatés dans cette première lecture semblent suivre le déroulé des oracles d’Ézéchiel (Ez 36 – 37) depuis la promesse d’une eau pure (le baptême) celle du don de l’Esprit de Dieu, et celle de la réunification de Samarie avec le reste de la maison d’Israël, de sorte que les nations soient aussi touchées.
« Acclamez Dieu, toute la terre ; fêtez la gloire de son nom, glorifiez-le en célébrant sa louange. Dites à Dieu : ‘Que tes actions sont redoutables !’ ‘Toute la terre se prosterne devant toi, elle chante pour toi, elle chante pour ton nom’. Venez et voyez les hauts faits de Dieu, ses exploits redoutables pour les fils des hommes. Il changea la mer en terre ferme : ils passèrent le fleuve à pied sec. De là, cette joie qu’il nous donne. Il règne à jamais par sa puissance. Venez, écoutez, vous tous qui craignez Dieu : je vous dirai ce qu’il a fait pour mon âme ; Béni soit Dieu qui n’a pas écarté ma prière, ni détourné de moi son amour ! »
« Acclamez Dieu, toute la terre » Donc pas seulement la Judée, mais aussi la Samarie, comme dans la première lecture, et même toute la terre.
Dites à Dieu : ‘Que tes actions sont redoutables !’ ‘Toute la terre se prosterne devant toi, elle chante pour toi, elle chante pour ton nom’. Venez et voyez les hauts faits de Dieu, ses exploits redoutables pour les fils des hommes.
Saint Augustin : « Pourquoi redoutables, et non pas aimables ? Qu'est-ce que cela signifie ? Entendez la réponse de l'Apôtre : ‘Travaillez à votre salut’, nous dit-il, ‘avec crainte et avec tremblement’. Pourquoi ‘avec crainte et tremblement ?’ Il en donne la raison : ‘Car c'est Dieu qui, par sa volonté, opère en vous le vouloir et le faire (Ph 2, 12-13)’. Si donc c'est Dieu qui agit en toi, tu ne fais le bien que par la grâce de Dieu, et non par tes propres forces. Donc, à ta joie unis la crainte ; de peur que Dieu n'enlève à ton orgueil ce qu'il a donné à ton humilité. » (Augustin, sur les Psaumes 66).
Nous pouvons faire le lien avec la première lecture et la suite dans les Actes des Apôtres (Ac 8). Simon le magicien n’avait pas compris que ce qu’il voyait était le signe extérieur d’une habitation de l’Esprit Saint et que les effets qu’il observait dépendaient d’une force divine qui ne pouvait pas être achetée. Il avait l’idée d’un pouvoir (magique) transmissible au gré du détenteur. La foi nouvelle est au contraire une vie spirituelle et morale où il s’agit de recevoir un don gratuit dans l’action de grâce. »
Reprenons le psaume : « Venez et voyez les hauts faits de Dieu, ses exploits redoutables pour les fils des hommes. Il changea la mer en terre ferme : ils passèrent le fleuve à pied sec ».
Il s’agit d’une allusion à l’événement fondateur de la sortie d’Égypte. La mer, c’est la mer rouge, ou la mer des roseaux (livre de Josué), et le fleuve, c’est le Jourdain.
On peut faire le lien avec la première lecture. Le commentaire samaritain du Pentateuque (le « Mémar Marqah ») parlait de l’Exode en insistant sur le merveilleux, et les Samaritains semblent au départ être incités à la conversion par le merveilleux qui entoure la prédication de Philippe. Mais le psaume ne nous invite pas à exagérer le merveilleux, ni à y attacher notre imaginaire pour enjoliver l’histoire. L’important se situe ailleurs. Pour commenter le psaume 65, saint Augustin cite un autre psaume. « ‘Les uns comptent sur leurs chariots, les autres sur leur cavalerie’, ‘Mais nous’, dit le Prophète, ‘nous nous glorifierons dans le nom du Seigneur notre Dieu. Ceux-là donc mettent leur confiance dans leurs chars et dans leurs coursiers ; mais nous, c'est dans le Seigneur notre Dieu que nous mettons notre gloire’ (Ps 20, 8). Vois comment les uns se glorifient d'eux-mêmes, et comment les autres ne s'exaltent qu'en Dieu. » (Augustin, sur les Psaumes 66). Les bons chrétiens exaltent Dieu, mais ceux qui imitent Simon le magicien cherchent leur propre gloire, ils cherchent à ce que tout le monde les admire.
Le psaume continue : « De là, cette joie qu’il nous donne. Il règne à jamais par sa puissance. Venez, écoutez, vous tous qui craignez Dieu : je vous dirai ce qu’il a fait pour mon âme »
Dans la première lecture, la joie qui vient des guérisons opérées par Philippe est une joie humaine, mais ensuite, avec l’imposition des mains, les Samaritains découvrent une joie beaucoup plus profonde qui est de l’ordre de la vivification de l’âme.
Saint Augustin commente le psaume : « ‘Le bien qu'il a fait à mon âme, ma bouche le crie vers lui’ +Ps 66,17. Or, que dit l'Apôtre ? ‘Vous le savez, quand vous étiez païens, vous vous laissiez conduire à des idoles muettes 1Co 12,2’. Que telle soit maintenant l'hymne de l'Église : ‘Quel grand bien il a fait à mon âme, ma bouche le crie vers lui’. Homme, je m'adressais à la pierre, je m'adressais à un bois sourd, je parlais à des simulacres sourds et muets ; mais l'image de Dieu s'est retournée vers son Créateur [l’image de Dieu, c’est l’homme créé à l’image de Dieu]. ‘Moi qui disais au bois : ‘Tu es mon Père ; et à la pierre : Tu m'as engendré Jr 2,27’ ; je dis maintenant : ‘Notre Père, qui êtes aux cieux’ Mt 6,9. »
[Le psaume] conclut : ‘Béni soit Dieu qui n’a pas écarté ma prière, ni détourné de moi son amour !’. « C'est ainsi que l'interlocuteur arrive à la résurrection. ‘Béni soit mon Dieu qui n'a point éloigné de moi ma prière et sa miséricorde’. Tant que la prière ne sera pas loin de tes lèvres, sois en sûreté, parce que sa miséricorde n'est pas loin de toi. » (Augustin, sur les Psaumes 66).
La doxologie classique était « Gloire au Père, par le Fils, dans l’Esprit ».
C’est saint Basile qui a ajouté une nouvelle doxologie : « Gloire au Père, et au Fils, et au Saint Esprit » pour souligner que les trois sont sur le même niveau de divinité, comme c’était déjà très explicite dans l’ordre donné par Jésus de baptiser « au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit » (Mt 28, 19).
Saint Basile distingue la substance divine et celle de l’univers créé. Il distingue les personnes divines par leurs propriétés éternelles : le Père engendre, le Fils est engendré, l’Esprit Saint procède. L’activité propre à l’Esprit Saint est de donner la vie, de sanctifier, d’enseigner, de donner les charismes, d’achever la création. Les Samaritains, grâce à la prière des apôtres vont recevoir l’Esprit Saint, cet Esprit qui, parce qu’il est saint, peut les sanctifier ! Et aussi leur donner des charismes.
Alors à la fin du psaume, disons avec plus d’attention que d’habitude : « Gloire au Père, et au Fils et au Saint Esprit » !
« Bien-aimés, honorez dans vos cœurs la sainteté du Seigneur, le Christ. Soyez prêts à tout moment à présenter une défense devant quiconque vous demande de rendre raison de l’espérance qui est en vous ; mais faites-le avec douceur et respect. Ayez une conscience droite, afin que vos adversaires soient pris de honte sur le point même où ils disent du mal de vous pour la bonne conduite que vous avez dans le Christ. Car mieux vaudrait souffrir en faisant le bien, si c’était la volonté de Dieu, plutôt qu’en faisant le mal. Car le Christ, lui aussi, a souffert pour les péchés, une seule fois, lui, le juste, pour les injustes, afin de vous introduire devant Dieu ; il a été mis à mort dans la chair ; mais vivifié dans l’Esprit. – Parole du Seigneur ».
Commentons : « Honorez dans vos cœurs la sainteté du Seigneur, le Christ ».
À l’Annonciation, l’ange Gabriel dit à Marie :
« L’Esprit Saint viendra, / et la Puissance du Très Haut t’envahira,
c’est pourquoi celui qui sera enfanté en toi / sera saint,
et c’est Fils de Dieu / qu’il sera appelé » (Lc 1, 35).
Au cours de sa vie publique :
« Et il y avait dans la synagogue,
un gars qui avait en lui / un esprit de génie impur !
Et il hurla / à voix haute,
et dit : / ‘Lâche-moi !
Quoi donc entre nous et toi, / Jésus le Nazaréen ?
Es-tu venu / pour notre perdition ?
Je sais, moi, qui tu es, toi : / le Saint de Dieu !’
Et Jésus l’admonesta / et dit :
'Ferme ta bouche ! / et sors de lui !’
Et il le jeta, / le génie, au milieu,
et il sortit de lui, / sans lui avoir nui en quelque chose.
Et une immense stupéfaction / se saisit de tout homme !
Et ils parlaient les uns avec les autres, / en disant :
‘Qu’est-ce, donc, / que cette parole,
qui avec autorité et puissance commande aux esprits impurs, / et ils sortent ?’ » (Lc 4, 22-36)
Et, après le discours du Pain de Vie, alors que beaucoup de ses disciples se retirèrent, « Jésus dit alors aux Douze : "Voulez-vous partir, vous aussi ? "Simon-Pierre lui répondit : "Seigneur, à qui irons-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Nous, nous croyons, et nous avons reconnu que tu es le Saint de Dieu." » (Jean 6, 67-69).
La sainteté de Jésus se manifeste durant sa Passion, car il aurait pu fuir au jardin des Oliviers, il aurait aussi assez facilement pu convaincre Pilate, mais il a voulu s’immoler comme victime sans tache, il a voulu réparer les péchés du monde, tous les péchés du monde, tous les péchés de tout le monde. Il s’est immolé par amour, en union avec la volonté suprême du Très Haut. Il s’est immolé, agneau immaculé et divin, en sacrifice éternel, une fois pour toutes. Il est en quelque sorte le nouveau Temple, le nouveau Saint des Saints.
Le matin de Pâques, les disciples ont d’abord trouvé le tombeau vide. Le temps pascal a commencé par une épreuve, l’épreuve de l’impensable. Le tombeau est vide, le corps de Jésus a été perdu. On ne comprend pas immédiatement. Jean voit le tombeau vide et il croit, il croit que Jésus est passé dans la gloire. La résurrection de Jésus n’est pas simplement que Jésus « revive », comme avant. Ensuite le Christ apparaît aux saintes femmes puis aux apôtres, il mange avec eux, mais il est différent puisqu’il apparaît toutes les portes étant fermées. Le temps pascal nous ouvre à l’espérance parce qu’il s’agit de s’ouvrir à une réalité nouvelle que l’on ne peut pas imaginer, c’est pourquoi l’expérience pascale est une épreuve, l’épreuve de l’impensable
Saint Jean de la croix explique que « l'âme, pour arriver à s'unir avec Dieu en espérance, doit renoncer à toute possession de la mémoire, puisqu'afin que l'espérance soit toute de Dieu, il ne doit rien y avoir dans la mémoire qui ne soit Dieu ; et qu'il n'y a forme, figure ni image ni autre notion qui puisse tomber en la mémoire, qui soit Dieu ni semblable à Lui, qu'elle soit céleste, terrestre, naturelle ou surnaturelle, comme David l'enseigne en disant : Seigneur, parmi les dieux, il n'y en a aucun qui te ressemble (Ps 85,8) d'où vient que, si la mémoire s'arrête à quelque chose, elle empêche de s'unir avec Dieu ; d'abord, parce qu'elle s'embarrasse, ensuite parce que plus elle a de possession, moins elle a d'espérance » (Montée Carmel III, 11). L’expérience pascale est une épreuve, l’épreuve de l’impensable, et il nous faut pour un temps oublier tout ce qui a été jusque-là, même les choses saintes vécues auprès de Jésus, pour s’ouvrir à une nouveauté.
Ceci étant dit, il est possible de rendre compte de l’espérance chrétienne, car elle s’appuie sur des événements très solides. « Soyez prêts à tout moment à présenter une défense devant quiconque vous demande de rendre raison de l’espérance qui est en vous » c’est aussi savoir, si possible par cœur, les récits de l’évangile, et notamment les récits de la résurrection de Jésus. Marie la Magdalène au tombeau. Une femme seule n’aurait pas pu rouler la pierre d’une tonne, ni même ouvrir les scellés (de chaux ou de mortier) qui avaient été posés. Que, parmi les disciples, la découverte du tombeau ouvert ait été faite par une femme seule est un argument juridique (Jn 20, 1-2). Il fallait aussi le récit de la visite des deux apôtres ensemble, Pierre et Jean, deux témoins étant nécessaires pour une déposition au tribunal. Et ce que voient Pierre et Jean, ce sont « les lins » (le linceul et les bandes) à plat [sīmīn]. Le corps s’est comme volatilisé (Jn 20, 3-10). Saint Paul explique que nous ressusciterons avec un corps « incorruptible, glorieux, fort, spirituel » (1Cor 15, 35-44). Ainsi, lorsque Jésus reviendra, non pas sur terre, mais « sur les nuées » (Mt 24, 30), certains le reconnaîtront et l’accepteront, d’autres ne supporteront pas de le voir, ainsi s’accomplira le jugement du monde dans sa Rencontre.
Jésus règnera non pas par une contrainte physique, militaire, comme le pensent les musulmans au sujet de ‘Issa Al Massiah, mais par l’attraction de son amour. En attendant, Jésus ressuscité peut déjà nous rencontrer par son Esprit Saint et nous demander, comme à Pierre au bord du lac : « M’aimes-tu ? » (Jean 21, 15). Et il préparera ceux qui vivront encore à la vie du Ciel. Et alors s’accomplira totalement la promesse de l’ange Gabriel à Marie : « Son règne n’aura pas de fin » (Luc 1, 30).
Notre espérance, c’est que le mal n’aura pas le dernier mot.
Notre espérance, c’est que la mort ne peut pas retenir le Christ.
Notre espérance, c’est que le péché peut être pardonné, parce que Jésus ressuscité a donné aux apôtres le pouvoir de remettre les péchés, ou de les retenir (non pas juger les gens, mais retenir les péchés jusqu’à ce que les dispositions du pécheur soient adéquates).
Notre espérance, c’est que la mort est vaincue.
Notre espérance, c’est que le Christ nous a ouvert le Ciel.
Notre espérance, c’est que le Christ reviendra dans la gloire.
Notre espérance, c’est que le but de la création s’accomplira.
Évangile (Jn 14, 15-21)
« [En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : ]
Si vous m’aimez, / mes commandements, gardez-les !
Et, moi, je supplierai mon Père, / et il vous donnera un autre Paraclet,
afin qu’il soit avec vous pour toujours : / l’Esprit de Vérité [ou Esprit véritable] !
Celui que le monde / n’est pas capable de recevoir,
parce qu’il ne l’a pas vu / et ne le connaît pas !
Mais vous, / vous le connaissez,
car c’est auprès de vous qu’il habite, / et c’est en vous qu’il est !
Je ne vous laisse pas / orphelins :
je viens, en effet, auprès de vous, / dans encore un peu [de temps]
Et le monde / ne me verra pas ;
mais vous, / vous me verrez.
Car je [suis] Vivant, / et vous aussi, vous vivrez !
Vous saurez, en ce jour-là, / que je [suis] en mon Père,
et que, vous, vous [êtes] en moi, / et que, moi, Je [suis] en vous.
Celui qui a mes commandements et qui les garde, / c’est lui qui m’aime ardemment !
Celui, donc, qui m’aime / est aimé de mon Père !
Et moi je l’aimerai / et je me manifesterai moi-même à lui ! » (de l’araméen)
Ce dont on ne s’aperçoit pas dans les traductions françaises, c’est qu’en araméen Jésus utilise deux verbes « aimer », rHem avec la nuance d’affection et de tendresse, et Habbeb avec la nuance d’ardeur, de volonté. On commence avec la racine « Hab » : la volonté aimante et fidèle du disciple le conduira à la communion avec le Père et le Fils, qui l’aimeront, dans la tendresse et la miséricorde ─ racine « rHm ». « Celui qui a mes commandements et qui les garde, c’est celui-là qui m’aime [Hab] ; or celui qui m’aime [rHm] sera aimé [rHm] de mon Père ; et je l’aimerai [rHm] et je me manifesterai à lui » (Jn 14, 21).
Jésus avait annoncé son départ : refusé, il va repartir. Que Jésus s’en aille à cause du refus des pécheurs, on comprend. Mais les autres ? Les autres continueront le « foyer d’amour », et, dans la mesure où ils garderont les commandements, Jésus leur promet le « Paraclet ». Le mot « Paraclet » a deux étymologies possibles, selon l’araméen ou le grec. Il est celui qui défait la malédiction : être suspendu au gibet de la croix était considéré comme une malédiction, et il faut l’Esprit Saint le Paraclet pour percevoir que ce n’était pas le cas, mais que Jésus est le Sauveur. Par ailleurs, dans une civilisation d’oralité, le « Paraclet » est, au tribunal, celui qui soutient la mémoire en soufflant la déposition.
De plus, en tant qu’il est « Esprit de Vérité » que l’on peut traduire de l’araméen « Esprit véritable », il est celui qui déjoue les pièges, les tentations de l’Accusateur, Satan. Il y a en effet un combat spirituel, une alternative, une prise de position.
J’ai montré dans mon ouvrage, Jean, l’évangile en filet, la possibilité de lire l’évangile de Jean par des fils transversaux. Le passage que nous venons de lire fait ainsi partie d’un fil de huit perles qui déclinent sous différentes formes l’alternative qui se pose à tout un chacun : va-t-on préférer la Torah de Moïse interprétée par le Sanhédrin ou accueillir la Torah messianique ? Va-t-on s’attacher aux miracles ou à la personne même du Christ ? Va-t-on accepter que Jésus vienne d’en haut ? Va-t-on se prosterner devant le Fils de l’homme, ou s’aveugler ? Va-t-on offrir le parfum de l’amour, ou préfère-t-on calculer et vouloir contrôler la divinité elle-même ? Va-t-on accueillir la vérité ? Va-t-on être pardonné ?
Ici, l’alternative concerne l’Esprit de vérité, destiné à ceux qui aiment Jésus et gardent ses commandements. Les choix posés à la suite des apôtres auront un impact global. Le monde qui en sortira ne sera plus le même qu’avant le Christ, il sera désormais marqué par le christianisme et par des cultures chrétiennes, mais aussi par les cultures postchrétiennes qui s’enracinent dans les réponses négatives à ces choix.
« Et le monde / ne me verra pas :
ais vous, / vous me verrez » (Jn 14, 19)
Il s’agit de sa venue dans la Résurrection après sa mort. Jésus n’annonce pas ici sa Venue glorieuse qui anéantira l’Antichrist et ses suppôts (2Th 2, 8), ou la bête de l’apocalypse, Jésus doit en effet d’abord former son Église.
Nous avons vu dans la première lecture de ce dimanche la succession du baptême des Samaritains et d’une imposition des mains de sorte que ces Samaritains reçoivent l’Esprit Saint. J’ai montré dans mon ouvrage, Jean, l’évangile en filet, que la lecture de ce dimanche s’enfile dans un fil d’oralité qui offre une méditation sur l’esprit des sacrements. On a notamment le récit de la guérison de l’aveugle-né dans le bassin de Siloé, c’est-à-dire de l’Envoyé, et c’est un enseignement sur le baptême, et nous avons le passage lu ce dimanche et où Jésus promet d’envoyer le Paraclet, l’Esprit de vérité-fermeté, qui donne le sens du sacrement de la confirmation.
« Vous saurez, en ce jour-là, / que je [suis] en mon Père,
et que vous, vous [êtes] en moi / et que, Moi, je [suis] en vous » (Jn 14, 20).
Les disciples ont déjà entendu l’enseignement de Jésus sur son union au Père, mais dans le temps de l’Église, ils seront « habités » par la présence eucharistique et leur connaissance sera d’ordre mystique.
Mettons aussi en évidence la belle structure en inclusion de la lecture de ce dimanche. Au cénacle, Jésus dit :
A) « Si vous éprouvez de l’amour [rHm] pour Moi, mes commandements, gardez-les ! » (Jn 14, 15 F. Guiguain)
B) L’Esprit de vérité-fermeté, « c’est en vous qu’il habite » (Jn 14, 16-17)
B’) Moi (Le Christ, le Fils), « je suis en vous » (Jn 14, 19-20)
A’) Celui qui garde mes commandements, « c’est celui qui brûle d’amour [Hab] pour moi » (Jn 14, 21 F. Guiguain)
Les paroles de Jésus sur les commandements entourent celles qui évoquent un Temple spirituel, ce qui fait penser au psaume 15 : « Seigneur, qui logera sous ta tente, habitera sur ta sainte montagne ?… Celui qui agit en juste et dit la vérité de son cœur, … ne jette pas d’opprobre à son prochain, … ne prête pas son argent à intérêt, … n’accepte rien pour nuire à l’innocent » (Ps 15).
Par ailleurs, j’ai montré dans ce même ouvrage, Jean, l’évangile en filet, le lien entre le discours de Jésus après la Cène et la liturgie de saint Jacques qui était l’ancien rite de Jérusalem et c’est encore la liturgie principale de l’Église orientale syriaque. À ce stade du parallèle, nous en sommes au moment d’un rite d’accès à l’autel : inclination devant l’autel et transfert des oblats. Les prières ou les chants connotent avec le besoin d’être gardé sans transgressions, sans condamnation, dans la justice du Seigneur, c’est-à-dire d’être gardé dans la voie des commandements.
D’ailleurs, la suite du chapitre 14 de l’évangile correspond très bien au baiser de paix et aux paroles du prêtre « élevons notre cœur » quand on se met debout avant l’oblation à l’autel.
Françoise Breynaert