7e dimanche de Pâques (A)

Et pour transmettre par coeur, de coeur à coeur, 
7e dimanche de Pâques : Jn 17, 1-117e dimanche de Pâques : Jn 17, 1-11 (111.97 Ko)

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1ère lecture (Ac 1, 12-14)

Psaume (Ps  26 (27), 1, 4, 7-8)

Deuxième lecture (1P 4, 13-16)

Évangile (Jn 17, 1b-11a)

1ère lecture (Ac 1, 12-14)

« Les Apôtres, après avoir vu Jésus s’en aller vers le ciel, retournèrent à Jérusalem depuis le lieu-dit ‘mont des Oliviers’ qui en est proche, – la distance de marche ne dépasse pas ce qui est permis le jour du sabbat. À leur arrivée, ils montèrent dans la chambre haute où ils se tenaient habituellement ; c’était Pierre, Jean, Jacques et André, Philippe et Thomas, Barthélemy et Matthieu, Jacques fils d’Alphée, Simon le Zélote, et Jude fils de Jacques. Tous, d’un même cœur, étaient assidus à la prière, avec des femmes, avec Marie la mère de Jésus, et avec ses frères. – Parole du Seigneur ». 

Les représentations de Marie à l’Ascension [1] représentent traditionnellement Marie dans la position de l’orante, c’est-à-dire dessinée de face avec les deux bras symétriquement élevés, les paumes tournées vers le ciel.

Le geste des mains exprime sa disponibilité totale à être remplie d’en haut, son attitude d’ouverture totale au Dieu vivant, à la venue de Dieu. Il y a un lien naturel entre la position de l’Orante et le mystère de l’Incarnation, dans le type de l’Orante avec l’Enfant, appelée par la Russie chrétienne « Vierge du Signe » [2] (Le Signe en question fait référence à la prophétie d’Isaїe (Is 7,14) appliquée à l’Incarnation). Mais on peut voir ainsi la Vierge orante seule [3].

Le geste des mains levées suppose aussi un effort. Un bon exemple est celui de Moïse au moment de la bataille contre Amalek : « Quand Moïse levait les mains Israël était le plus fort, mais quand il les laissait tomber, Amalek était plus fort. Comme Moïse sentait les mains s’appesantir par la fatigue, ils prirent une pierre et la placèrent pour que Moїse s’assit, pendant qu’Aaron et Cur, chacun d’un côté, soutenaient ses mains. » (Ex 17,11-12). Ce geste est largement repris dans l’Ancien Testament : « Ma prière monte vers toi comme l’encens, mes mains sont levées comme le sacrifice du soir » (Ps 141,2). Dans le Nouveau Testament, il en est de même : « Je veux donc que les hommes prient en levant au ciel des mains pures, sans colère et sans querelles. » (1 Tm 2,8). En même temps, chez les chrétiens, ce geste s’enrichit d’un sens nouveau à travers la référence à la Passion du Seigneur. Tertullien (2ème siècle) nous en offre une très belle explication : « Nous ne levons pas les bras seulement mais nous les étendons et, en imitant ainsi la Passion du Seigneur, en priant nous professons notre foi dans le Christ. » (Tertullien Oraison 14, l)

Dans les représentations de l’Ascension, la position de Marie est souvent très différente de celle des apôtres. Les apôtres sont dans les attitudes animées des témoins d’une vision, à un moment précis. Marie est immobile, les deux bras levés, elle est dans la vision intemporelle de la foi, elle voit le Seigneur de la gloire, invisible aux regards corporels, le Seigneur qui a dit : « Je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde » (Mt 28,20) [4].

Parfois, l’artiste a voulu que les cercles de l’amande de gloire qui enveloppe le Seigneur trouve sa correspondance terrestre dans le dessin des bras levés de Marie. L’artiste a voulu représenter un lien très étroit entre Marie et Jésus. Marie, ou l’Église, ou l’âme, est celle qui vit dans la foi, dans la présence du Seigneur Jésus, le Seigneur de l’histoire qui reviendra à la fin des temps [5]. L’esprit filial de Jésus habite Marie. Jésus est monté vers le Père et Marie intérieurement l’a suivi.

L’Ascension de Jésus sur le mont des Oliviers rappelle la vision d’Ézéchiel : la gloire du Seigneur s'éleva du milieu de la ville et s'arrêta sur la montagne qui se trouve à l'orient de la ville (Ez 11, 23), c’est-à-dire le Mont des Oliviers. Sous les yeux du prophète, la gloire du Seigneur se préparait à quitter la Ville sainte pour aller rejoindre les exilés au lieu de leur déportation ; ainsi le Seigneur pourrait être « un sanctuaire pour eux dans les pays où ils sont allés » (Ez 11, 16). Suit immédiatement la promesse « Je mettrai en eux un esprit nouveau » (Ez 11, 19), promesse précisée plus loin : « Je mettrai mon esprit en vous » (Ez 36, 27). L’Ascension est tout le contraire d’un point final. C’est bien plutôt comme l’inauguration d’une œuvre incroyable de grâce et de bénédiction.

Luc évoque la distance de marche qui « ne dépasse pas ce qui est permis le jour du shabbat » : 2000 coudées (des pas moyens), soit environ 880m (Traité Sotah V, 3 de la Mishnah). Jésus est le Seigneur du Shabbat (Lc 6, 5). Le soir de sa crucifixion, il était précisé que le Shabbat avait commencé à poindre (Lc 23, 54), ce n’était pas seulement ce Shabbat là, mais le grand Shabbat de l’histoire, à la Parousie, que les Pères de l’Église appellent le 7e jour, quand Dieu et l'homme, après le jugement eschatologique de l’Antichrist, se reposeront sur une terre renouvelée, avant la résurrection finale, ou 8e jour [6].

Et les apôtres se mettent en prière au cénacle, confiants en la parole de Jésus : « Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-il l'Esprit Saint à ceux qui l'en prient ! » (Lc 11, 13).

La liste des apôtres est presque la même qu’en Lc 6, 14-16. Mais Judas est mort, et Jean, frère de Jacques et fils de Zébédée a changé de place avec André, le frère de Simon-Pierre : cela s’explique par le fait que dans la prédication sous les colonnades de Salomon, c’est Jean qui accompagnera Pierre, car on témoigne deux par deux. Thomas a également permuté avec Barthélemy pour être maintenant en compagnie de Philippe. Précisons aussi que, selon l’araméen, Jude peut être le frère de Jacques et non pas son fils.

Quant aux frères de Jésus, ce sont sans doute ceux qu’évoque Mc 6, 3 : Jacques, dont il sera question plus loin (Ac 15, 13 ; 21, 18), Joset, Jude et Simon. Dans l’évangile, Marie est celle qui met Dieu au monde, et elle est maintenant Mère de l’Eglise. « D’un même cœur », leur prière commune est un lieu de discernement pour entrer dans l’intelligence des événements, à l’exemple de Marie, qui, après la visite des bergers de Noël ou après l’épisode de Jésus perdu et retrouvé au Temple, gardait ces événements et les méditait dans son cœur (Lc 2, 19. 51). Le groupe des apôtres est ainsi en prière avec Marie et, par un travail de mémoire, ils s’imprègnent de l’esprit de l’Évangile. Et Marie « appelle de ses prières le don de l’Esprit qui, à l’Annonciation, l’avait déjà prise sous son ombre [cf. Lc 1, 35] » [7].

 

Psaume (Ps  26 (27), 1, 4, 7-8)

« Le Seigneur est ma lumière et mon salut ; de qui aurais-je crainte ? Le Seigneur est le rempart de ma vie ; devant qui tremblerais-je ? J’ai demandé une chose au Seigneur, la seule que je cherche : habiter la maison du Seigneur tous les jours de ma vie, pour admirer le Seigneur dans sa beauté et m’attacher à son Temple. Écoute, Seigneur, je t’appelle ! Pitié ! Réponds-moi ! Mon cœur m’a redit ta parole : ‘Cherchez ma face’. » 

Nous allons commenter le début : « Le Seigneur est ma lumière et mon salut ; de qui aurais-je crainte ? » avec la lettre de sainte Catherine de Sienne au roi de France, le 6 mai 1379, à une époque où le roi voulait un pape à Avignon pour servir ses propres intérêts.

« 1. Mon très cher Père dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de voir en vous une vraie et parfaite lumière qui vous fasse véritablement reconnaître ce qui est nécessaire à votre salut. Sans cette lumière nous marchons dans les ténèbres, et les ténèbres nous empêchent d'apercevoir ce qui nuit à l'âme et au corps et ce qui leur est utile ; et alors le goût de l'âme se corrompt, les choses bonnes paraissent mauvaises, et les mauvaises paraissent bonnes ; le vice et ce qui conduit au péché nous semblent agréables, tandis que la vertu et les moyens d'y parvenir nous semblent amers et pénibles. Mais celui qui a la lumière connaît bien la vérité, il aime la vertu. Dieu est la cause de toute vertu ; il hait le vice, et la sensualité, qui est la cause de tout vice et qui nous prive de cette véritable et douce lumière. L'amour que l'homme a pour lui-même est un nuage qui obscurcit l'oeil de l'intelligence et qui recouvre la prunelle de la très sainte Foi. […]
2. D'où viennent les injustices et les autres fautes ? De l'amour-propre : c'est lui qui fait commettre l'injustice contre Dieu, contre soi-même, contre le prochain et contre la sainte Église. On la commet contre Dieu en ne rendant pas honneur et gloire à son nom, comme on y est obligé ; contre soi-même en ne haïssant pas le vice et en n'aimant pas la vertu ; et contre le prochain en n'étant pas bon à son égard. Celui qui est puissant n'observe pas la justice lorsqu'il ne la rend que pour plaire aux créatures et dans son intérêt humain, lorsqu'il n'obéit pas à l'Église, qu'il ne la soutient pas, mais qu'il la persécute sans cesse. […]
Pardonnez-moi, si j'ai trop parlé. L'amour de votre salut me fait désirer de vous dire ces choses de vive voix plutôt que par des lettres. Que Dieu vous remplisse de sa très douce grâce. Doux Jésus, Jésus amour » (Catherine de Sienne, Lettres - Lettre n. 33, au roi de France).

 

Nous allons maintenant commenter la suite du psaume : « J’ai demandé une chose au Seigneur, la seule que je cherche : habiter la maison du Seigneur tous les jours de ma vie, pour admirer le Seigneur dans sa beauté et m’attacher à son Temple. Écoute, Seigneur, je t’appelle ! Pitié ! Réponds-moi ! Mon cœur m’a redit ta parole : ‘Cherchez ma face’. »

Alors que saint Paul écrit : « Ne savez-vous pas que vous êtes un temple de Dieu ? » (1Co 3, 16), l’Apocalypse dit que le Temple sera Dieu lui-même. Quand nous verrons la Jérusalem qui descend du ciel (comme une apparition des saints) : « De temple, je n’en vis point en elle ; c’est que le Seigneur, le Dieu Maître-de-tout, est son Temple, ainsi que l’Agneau » (Ap 21, 22). Faut-il choisir saint Paul (l’homme est un temple) ou l’Apocalypse (Dieu est le Temple) ? La clé consiste à regarder Jésus : il savait que le temple construit par les hommes serait détruit (par leur faute) et il annonça : « Détruisez ce sanctuaire et, en trois jours, je le relèverai » (Jn 2, 19). Jésus, vrai Dieu et vrai Homme est un Temple à la fois humain et divin. Il s’agit de vivre en Lui, de nous greffer à lui, comme le sarment sur la vigne (Jn 15, 1-5).

Qu’il soit passé (livre de l’Exode, livre des rois) ou futur (vision d’Ézéchiel), le Temple forme un tout cohérent : son architecture est révélée.

1) Le Temple est par excellence un lieu de Vie. On y entre par le parvis des femmes parce qu’elles sont les éducatrices de la vie. Et il est tout naturel de s’adresser à la mère de Jésus, Marie. Une demeure digne de Dieu est une demeure vidée de ce que nous avons construit seul, et sans Dieu. Mais on ne se vide pas à la manière des bouddhistes qui cherchent l’extinction, l’anéantissement de leur être. On se vide pour trouver l’autre, comme une fiancée qui cherche la solitude pour être avec son fiancé. Le Temple est la demeure du Dieu vivant.

2) Une porte nous fait passer du parvis des femmes au parvis d’Israël, réservé aux seuls hommes. Encore en plein air, ils sont tournés vers l’autel et le sanctuaire : ils s’approchent de Dieu pour apprendre de Lui comment organiser la vie sur la terre, comment la protéger. Comme le parvis des hommes est l’une des parties du Temple, il est aussi le lieu de la divinisation, mais sur un autre registre que précédemment. Notre divinisation se réalise en nous greffant à Jésus, et par son humanité à sa divinité. Il s’agit ici de nous greffer à Jésus qui a assumé le travail humain (notamment à Nazareth) afin d’agir avec lui.

3) On s’approche de Dieu par l’offrande d’un sacrifice qui est offert sur l’autel en plein air, par des prêtres auxquels est réservé un bâtiment sacré, le sanctuaire. L’autel est donc à la charnière entre les « parvis » et la partie sacrée du Temple, ce qui explique aussi que l’on ne s’approche pas de l’autel chrétien sans préparation. Les prêtres officient à l’autel et ont aussi la mission importante de garder la loi dans le sanctuaire. Comme tout dans le Temple divin, l’autel et le sanctuaire sont le lieu de la divinisation, mais sur un nouveau registre, le troisième. Il s’agit maintenant d’être greffé à Jésus, vrai homme et vrai Dieu, sur le registre du sacrifice et de la loi intériorisée.

4) Au cœur du Temple, à l’intérieur du sanctuaire, il y a le « Saint des Saints ». L’unique Grand-Prêtre y pénètre une seule fois par an pour être en contact avec Dieu et transmettre ensuite Sa bénédiction. Les Hébreux ont découvert peu à peu que le Seigneur n’était pas simplement leur Dieu ‒ un Dieu au-dessus d’autres dieux ‒ mais LE Dieu unique de toute la création, le Créateur. La prière à ce Dieu porte donc une dimension universelle, au-delà de toute nation ou langue, pour toute l’humanité. Composante du Temple divin, le Saint des Saints symbolise alors notre divinisation sur le registre de la prière la plus profonde. La divinisation se fait toujours en nous greffant à Jésus, et par son humanité à sa divinité. Il s’agit ici de nous greffer à Jésus en tant qu’il est le Grand-Prêtre unique pour toute l’humanité. D’où les prières universelles.

Pour que la liturgie représente correctement ces réalités spirituelles, chers auditeurs, il est très important que l’architecture soit significative et respectée. Traditionnellement, le tabernacle est le lieu de Jésus, le grand prêtre unique, le Saint des Saints, et le chœur est réservé aux prêtres. Il s’agit de permettre aux croyants de se représenter la réalité intérieure que Dieu nous appelle à vivre [8].

 

Deuxième lecture (1P 4, 13-16)

« Bien-aimés, dans la mesure où vous communiez aux souffrances du Christ, réjouissez-vous, afin d’être dans la joie et l’allégresse quand sa gloire se révélera. Si l’on vous insulte pour le nom du Christ, heureux êtes-vous, parce que l’Esprit de gloire, l’Esprit de Dieu, repose sur vous. Que personne d’entre vous, en effet, n’ait à souffrir comme meurtrier, voleur, malfaiteur, ou comme agitateur. Mais si c’est comme chrétien, qu’il n’ait pas de honte, et qu’il rende gloire à Dieu pour ce nom-là. – Parole du Seigneur. » 

Selon le bilan de l’année 2023 établi par l’association Portes Ouvertes, plus de 360 millions de chrétiens sont fortement persécutés ou discriminés dans le monde, soit un chrétien sur sept. La persécution s’intensifie : le nombre de pays en rouge (persécution extrême) est en hausse. La persécution s’étend : de plus en plus de pays sont touchés. Actuellement 76 pays sont fortement concernés. Et leur score de persécution augmente. En outre, la persécution est de plus en plus numérisée : les nouvelles technologies entrainent une surveillance accrue. Dans le dernier index, c’est-à-dire entre le 1er octobre 2021 et le 30 septembre 2022, il y a eu 5 621 chrétiens tués, soit 15 par jour. 2 110 églises ciblées, dont 1000  en Chine. 4 542 chrétiens détenus dont 1750  en Inde.

En Occident, on a oublié que le combat contre le Mal fait partie de la vie chrétienne ; les chrétiens persécutés pour leur foi sont marginalisés, voire parfois moqués. Pourtant, « Nous savons que nous sommes de Dieu, alors que le monde entier est au pouvoir du Mauvais » (1Jn 5,19). N’imaginons pas qu’étant en Occident, nous serions à l’abri. Ne soyons pas des chrétiens endormis. Dans la récente « guerre sanitaire », des intérêts mondiaux ont abrogé de fait les lois en vigueur et ainsi réussi, par une sorte de coup d’État, à introduire un contrôle dans tous les aspects de notre vie. Devant cette situation que même des non-chrétiens qualifient « d’apocalypse », un passage central de ce texte vient à l’esprit :

« [Il fut donné à la Bête] de faire qu’à tous les petits et les grands, / les riches et les pauvres, les seigneurs et les esclaves,
il leur soit donné une marque sur leurs mains de droite / ou entre leurs yeux,
et qu’aucun homme n’achète / ou encore ne vende,
sinon celui sur qui il y a la marque du nom de la bête / ou le nombre de son nom » (Ap 13, 15-17).

À l’opposé, certains portaient le signe de la croix marqué sur le front (Ap 9, 4), tandis que d’autres le portaient sur la main ou plutôt sur le poignet, comme le font courageusement les chrétiens coptes d’Égypte aujourd’hui encore. En ce dimanche, saint Pierre nous dit : « Bien-aimés, dans la mesure où vous communiez aux souffrances du Christ, réjouissez-vous, afin d’être dans la joie et l’allégresse quand sa gloire se révélera », et l’Apocalypse précise ce message d’espérance et de gloire. Grande consolation pour ceux qui « décèdent en Notre-Seigneur » (Ap 14, 13), il est dit que Jésus le Messie le Verbe de Dieu, viendra accompagné d’une cavalerie céleste : « Et les puissances des Cieux Le suivent sur des cavales blanches et revêtues de byssus blanc et pur ! » (Ap 19, 14). Les « puissances des Cieux » désignent les anges, qui, comme dans la parabole de l’ivraie (Mt 13, 41-42), opèrent le jugement. L’image du byssus pur désigne « les [actions] droites des saints » (Ap 19, 8). Autrement dit, Jésus viendra avec les justes qui sont décédés et qui sont avec lui au Paradis, et leurs œuvres bonnes « courent » jusqu’au jour où la milice céleste accompagnant la Venue glorieuse du Christ livrera une guerre d’Amour, non sanguinaire, en apportant des cadeaux, des grâces, des remèdes, de quoi stupéfier les hommes et les attacher au Seigneur.

Nous lisons aussi le 5e sceau de l’Apocalypse, dans une traduction de l’araméen :

« Et lorsqu’Il [Jésus] ouvrit le cinquième sceau, / je vis, en dessous de l’Autel,
les âmes [de ceux] qui avaient été tués, / à cause de la Parole de Dieu,
et à cause du témoignage de Jésus, / celui qu’ils avaient eu ;
et ils crièrent, à grande voix, / en disant :
'Jusqu’à quand, / Seigneur saint et véridique,
n’auras-Tu pas jugé / et n’auras-Tu pas réclamé notre sang aux habitants de la terre ?’
et il fut donné, à tout un chacun parmi eux, / une robe blanche,
et il leur fut dit de se reposer encore un moment, / un petit [peu de] temps,

jusqu’à ce que soient au complet / aussi leurs compagnons et leurs frères,

ceux qui allaient être tués, / aussi comme eux » (Ap 6, 9-11).

Ces vêtements blancs leur donnent de pouvoir participer à la liturgie céleste, mais aussi, et on l’oublie souvent, de pouvoir accompagner le Christ lors de sa Venue glorieuse. « Et les puissances des Cieux Le suivent sur des cavales blanches et revêtues de byssus blanc et pur ! » (Ap 19, 14). Au temps de la Parousie (Ap 20, 1-10), les saints qui ont été comptés pour rien et sont morts dans des conditions infamantes vont être honorés par Dieu qui va leur donner de participer à la gloire de Jésus, c’est-à-dire à son jugement et à son règne. Ils se manifesteront visiblement au côté du Christ, comme l’explique très bien saint Irénée, lui qui a vécu justement à une époque de persécution :

« Aussi est-il nécessaire de déclarer à ce sujet que les justes doivent d’abord, dans ce monde rénové, après être ressuscités à la suite de l’apparition du Seigneur, recevoir l’héritage promis par Dieu aux pères et y régner [c’est la Parousie] ; ensuite seulement aura lieu le jugement de tous les hommes [ici Irénée parle du jugement dernier à la fin du monde]. Il est juste, en effet, que, dans ce monde même où ils ont peiné et où ils ont été éprouvés de toutes les manières par la patience, ils recueillent le fruit de cette patience ; que, dans le monde où ils ont été mis à mort à cause de leur amour pour Dieu, ils retrouvent la vie [ce n’est pas une réincarnation mais une apparition auprès du Christ dans la gloire] ; que, dans le monde où ils ont enduré la servitude, ils règnent. Car Dieu est riche en tous biens, et tout lui appartient. Il convient donc que le monde lui-même, restauré en son état premier, soit, sans plus aucun obstacle, au service des justes. » (Traité contre les hérésies (AH), V, 32, 1)

Certains commentateurs d’Irénée ont cru qu’il imaginait une surpopulation avec les saints qui reprennent une vie biologique sur la terre. Mais c’est une erreur. Pour régner « dans ce monde même où ils ont peiné », il leur suffit d’apparaître à la manière du Christ ressuscité. Le Christ sera vu partout, de l’Orient à l’Occident… Les saints du ciel se manifestent aussi, mais à tel ou tel endroit, là où ils ont des raisons d’apparaître. Les hommes encore présents sur terre à ce moment seront « ceux qui auront été jugés dignes du Royaume », parce qu’ils auront accepté, dans la joie, cette manifestation, celle de Jésus dans la gloire, qui durera.

« Ainsi donc, certains se laissent induire en erreur par les discours hérétiques, au point de méconnaître les ‘économies’ de Dieu et le mystère de la résurrection des justes (Lc 14, 14) et du royaume qui sera le prélude de l’incorruptibilité, royaume par lequel ceux qui en auront été jugés dignes s’accoutumeront peu à peu à saisir Dieu. » (Traité contre les hérésies  (AH) V, 32, 1).

En ce dimanche, saint Pierre nous dit : « Bien-aimés, dans la mesure où vous communiez aux souffrances du Christ, réjouissez-vous, afin d’être dans la joie et l’allégresse quand sa gloire se révélera », AMEN ! MARANATHA !

 

Évangile (Jn 17, 1b-11a)

Le chapitre 17 de l’évangile de Jean, qui est un filet d’oralité, constitue son sceau, en araméen le « ḥūtāmā »[9]. En voici une traduction de l’araméen, faite pour être mémorisée et transmise oralement, (on respire au milieu et on se balance légèrement de gauche à droite, avec des gestes sobres).

« 1. De ces choses / parla Jésus,
et il éleva les yeux vers les cieux / et dit :
Mon-Père, / l’heure est venue !
Glorifie ton Fils, / afin que ton Fils te glorifie !
2. Comme tu lui as donné  / autorité sur toute chair,
qu’à tout ce que tu lui as donné / il donne la Vie qui est pour toujours !
3. Telle est, donc, / la Vie qui est pour toujours,
qu’ils
te connaissent,  / et que c’est Toi,

le Dieu de Vérité / le Seul,

et celui que tu as envoyé :  / Jésus, le Messie !

4. Moi, / je t’ai glorifié sur la terre,

et l’œuvre que tu m’as donnée de faire / je l’ai accomplie ! 

5. Et, maintenant, / glorifie-moi, toi, Mon-Père, auprès de toi,

de cette gloire qu’il y avait pour Moi auprès de toi / avant que ne soit le monde !

6. J’ai fait connaître TON NOM aux hommes, /ceux que tu m’as donnés du monde ;

ils étaient les tiens, / et à Moi tu les as donnés !

Et ils ont gardé / ta Parole !

7. Maintenant, / j’ai su que

tout ce que tu m’as donné, / est d’auprès de toi ;

8 et que les paroles que tu m’as données, / je [les] leur ai données !

9 Et eux, ils ont accueilli et su vraiment / que d’auprès de toi je suis sorti,

et ils ont cru  / que toi, tu m’as envoyé !

9 Et moi, je demande pour eux ; / ce n’est pas pour le monde que je demande,

mais pour ceux-là que tu m’as donnés, / car ils sont les tiens

10 et tout ce qui est à Moi / est à Toi,

et tout ce qui est à Toi / est à moi.

Et je suis glorifié / en eux ! »

11 Dès lors, / je ne suis plus dans le monde ;

et, ceux-ci, / ils sont dans le monde,

et, moi, / je viens auprès de toi. »
(traduction de F. Guigain modifiée)

  • Une prière « Grand-Sacerdotale »

Sept fois Jésus dit au Père « tu m’as donné ». « Donner » correspond à ce que fait un Père vis-à-vis d’un Fils. Puis, comme le Père donne au Fils, Jésus donne aux hommes. Il donne la vie (Jn 17, 2) et les paroles du Père (Jn 17, 8). Ce rôle de donateur est aussi celui du Grand-Prêtre. C’est ainsi que l’on parle d’une prière sacerdotale, on devrait dire « Grand-Sacerdotale » : le rôle des prêtres étant plutôt d’offrir les sacrifices, tandis que celui du Grand-Prêtre est de transmettre la grâce divine.

  • La glorification du Père sur la terre

Jésus dit à son Père : « Moi, je t’ai glorifié sur la terre ; et l’œuvre que tu m’as donnée de faire, je l’ai accomplie ! » (Jn 17, 4). Durant ses années sur la terre, Jésus a été celui qui sauve, et en ce sens, dès le premier signe à Cana, « il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui » (Jn 2, 11). Au moment de ressusciter Lazare, Jésus dit à sa sœur Marthe : « Ne t’ai-je pas dit que si tu crois, tu verras la gloire de Dieu ? » (Jn 11, 40). En disant, « l’œuvre que tu m’as donnée à faire, je l’ai accomplie » (Jn 17, 4), Jésus devance sa mort au calvaire, où il dira « tout est accompli » et remettra l’Esprit (Jn 19, 30).

L’œuvre de salut, par laquelle Jésus glorifie le Père, demande à être reçue par l’humanité ; et c’est en ce sens que Jésus fait d’autres demandes à son Père.

  • La glorification du Père et du Fils dans la Résurrection

Ce que Jésus demande à son Père en disant : « Glorifie ton Fils, afin que ton Fils te glorifie » (Jn 17, 1), c’est la glorification par la Résurrection. La Résurrection est une glorification du Fils : elle contredit le jugement qui le condamnait comme imposteur ; elle ennoblit Jésus et donne à sa présence une majesté jusque-là inconnue. Ayant vaincu le mal et la mort, Jésus est le Seigneur et le souverain maître de l’histoire.

La Résurrection est aussi une glorification du Père : c’est une manifestation de la puissance de Dieu ; c’est une confirmation de toute la révélation du Père à travers la geste du Christ. La Résurrection de Jésus suscite la louange du Père. « Glorifie ton Fils, afin que ton Fils te glorifie » (Jn 17, 1).

La Résurrection a rapport à la « chair » : le tombeau est vide, le Ressuscité mange. La Résurrection est « vie pour toujours », Jésus ne meurt plus. Aussitôt après, Jésus dit : « comme tu lui as donné autorité sur toute chair, qu’à tout ce que tu as donné, il donne la vie qui est pour toujours » (Jn 17, 2).

  • La glorification de cette gloire d’avant que ne soit le monde

Jésus continue sa demande :

« Et, maintenant, / glorifie-moi, toi, Mon-Père, auprès de toi, de cette gloire qu’il y avait pour moi auprès de toi / avant que ne soit le monde ! » (Jn 17, 5).

La pensée juive avait déjà conçu un mémorial dans le temps et dans l’espace. Dans « le temps » parce que depuis Josias et le Deutéronome, on sait que « ce n’est pas avec nos pères que le Seigneur a conclu cette alliance, mais avec nous, nous-mêmes qui sommes ici aujourd’hui tous vivants » (Dt 5, 3). Dans l’espace parce que depuis le prophète Ézéchiel on sait que la présence divine peut quitter le Temple et accompagner les exilés (Ez 1─11). En demandant d’être glorifié de la gloire « d’avant que ne soit le monde », Jésus demande une gloire qui le rende transcendant au temps et à l’espace, ce qui lui donne de pouvoir exercer sa seigneurie comme souverain maître de l’histoire.

  • La glorification dans la vie des disciples

 « Je demande pour eux ; / ce n’est pas pour le monde que je demande » (Jn 17, 9). Jésus ressuscité, le soir de Pâque, ayant soufflé sur les apôtres, les envoie remettre les péchés (Jn 20, 19-25), ce qui est une prérogative du Grand-Prêtre. Jésus est l’unique Grand-Prêtre ; les apôtres exercent cette prérogative parce que Jésus est en eux, glorifié en eux. « Et je suis glorifié / en eux !  » (Jn 17, 10). Pour le dire autrement, la glorification du Christ va de pair non pas avec la glorification du monde comme le point Omega d’un processus d’évolution quasi biologique [cf. La pensée de Teilhard], mais avec la glorification des disciples, de ceux qui ont cru. L’Incarnation du Verbe ne produit pas dans le monde une transformation qui en ferait globalement un lieu théologique, une médiation de la divinité ; cela, c’est la dérive panthéiste, gnostique. L’unique médiation du Christ se prolonge par la médiation de ceux qui lui appartiennent et qui coopèrent avec lui.

Alors chers auditeurs, coopérons avec Jésus et prions pour nos prêtres, nos évêques, les successeurs des apôtres.

© F. Breynaert



[1]
           Cf. Cf. Maria Giovanna Muzj, Il linguaggio catechetico dell’iconografia mariana, in Aa Vv, Il posto di Mara nella nuova evangelizzazione, (E. Toniolo ed.), p. 206-233

[2]
           Exemple : Vierge orante de Jaroslavl

[3]
           Exemple : Vierge Orante, plaque de marbre, Saint-Maximin (Provence), 5ème- 6ème siècle.

[4]
           Exemple : L’Ascension, miniature, codex de Rabbula, 6ème siècle

[5]
           Exemple : Ascension, icône, école de Novgorod 1341

[6]
Cf. par exemple : Gabrielle Lévy, Le 3e Temple et l’ultime Shabbat, éditions Vérone 2022.

[7] VATICAN II, Constitution dogmatique Lumen gentium 59.
[8]
On pourra consulter : F. Breynaert, Préparer dès maintenant le retour glorieux du Christ, avec les écrits de Luisa Piccarreta (préface Mgr Rey), 2e édition, Téqui 2023.

[9]
Cf. Françoise Breynaert, Jean, L’évangile en filet. L’oralité d’un texte à vivre. (Préface Mgr Mirkis – Irak) Éditions Parole et Silence. Paris, 8 décembre 2020.

 

Date de dernière mise à jour : 26/04/2024