Première lecture (Ac 6, 1-7)
« En ces jours-là, comme le nombre des disciples augmentait, les frères de langue grecque récriminèrent contre ceux de langue hébraïque, parce que les veuves de leur groupe étaient désavantagées dans le service quotidien. Les Douze convoquèrent alors l’ensemble des disciples et leur dirent : « Il n’est pas bon que nous délaissions la parole de Dieu pour servir aux tables. Cherchez plutôt, frères, sept d’entre vous, des hommes qui soient estimés de tous, remplis d’Esprit Saint et de sagesse, et nous les établirons dans cette charge. En ce qui nous concerne, nous resterons assidus à la prière et au service de la Parole. » Ces propos plurent à tout le monde, et l’on choisit : Étienne, homme rempli de foi et d’Esprit Saint, Philippe, Procore, Nicanor, Timon, Parménas et Nicolas, un converti au judaïsme, originaire d’Antioche. On les présenta aux Apôtres, et après avoir prié, ils leur imposèrent les mains. La parole de Dieu était féconde, le nombre des disciples se multipliait fortement à Jérusalem, et une grande foule de prêtres juifs parvenaient à l’obéissance de la foi. – Parole du Seigneur. »
Précisons que le chapitre 6 des Actes des apôtres est en général très mal compris en Occident. Il est inimaginable de faire servir à table des femmes par des hommes. Les « veuves » désignent les « veuves du monde » (n’ayant pas forcément été mariées), et qui se retiraient ensemble pour « garder » les Paroles en vue des réceptions rassemblant à l’orientale les maisonnées. Elles ont aussi un rôle majeur dans l’apprentissage des récitatifs ééé par les catéchumènes. Certaines sont grecques et elles demandent des traductions solides.
On ne peut comprendre le rôle des diacres sans connaître la constitution primitive du rassemblement liturgique dominical, qui, rappelons-le, est né dans une civilisation orientale.
La première notion à redécouvrir est celle du qūbālā (pluriel : qoubalé), c’est une réception qui fait partie des traditions sociales de la civilisation orale hébréo-mésopotamienne.
Le qūbālā devient dans l’Église primitive une catéchèse-liturgie où l’on se retrouve pour échanger la Parole apprise en maison et pour partager de la nourriture. Cette liturgie était celle du shabbat chrétien (ou de la veille des fêtes), on y rappelait les Écritures, et aussi les récitatifs mis au point par les apôtres (et aussi par d’autres témoins), des récitatifs qui racontent comment les Écritures ont été accomplies en Jésus. Le qūbālā constituait la première partie originelle des célébrations chrétiennes (agapè en grec). Le mot qūbālā vient de la racine araméenne « qbl » et désigne un temps pour recevoir les personnes (avec une nourriture) et accueillir la parole (en la prenant dans son cœur, en l’apprenant par cœur). C’est la première partie de la liturgie. Elle avait lieu le samedi soir, rassemblant les maisonnées et leurs catéchumènes, chaque maison ayant à proclamer ce qu’elle avait appris comme récitatif(s) de « l’Évangile ». Paul raconte qu’à l’une de ces occasions, un adolescent s’endormit sur le rebord d’une fenêtre et tomba et Paul lui rendit la vie (Ac 20, 1-12).
À la fin de cette réunion « qūbālā » (qui va devenir la première partie des célébrations du dimanche), les catéchumènes rentraient chez eux, et ne restaient que les baptisés qui priaient le reste de la nuit. C’est seulement aux lueurs de l’aurore, le premier jour de la semaine donc, que ceux-ci célébraient le « qūrbānā » (« Saints Mystères »), réalisé par un « ancien » (ou « prêtre »). Ils se tenaient tous tournés vers l’est, dans l’attente du soleil levant, analogie du Christ ressuscité (ceci deviendra la seconde partie des célébrations du dimanche). Le mot qūrbānā a plusieurs significations qui découlent l’une de l’autre : il désigne une offrande rituelle, un sacrifice, ainsi qu’une rencontre jusqu’au toucher : l’offrande est sanctifiée parce que Dieu en quelque sorte la touche. Les Saints Mystères célèbrent le sacrifice de Jésus et la rencontre avec le Ressuscité, jusqu’à le toucher en consommant l’hostie et le vin consacrés.
Le qūbālā du samedi soir ou veille de fêtes est ainsi une étape intermédiaire qui permet de conduire le catéchumène vers le baptême et de préparer en communauté la liturgie du dimanche matin.
L’ignorance occidentale de cette institution des qūbbālé dans l’Eglise primitive a fait prendre les « Saints Mystères » pour un repas convivial, le qūbālā, dont parlent les Evangiles et les lettres apostoliques, mais qui a lieu avant. Cette confusion a contribué à estomper la dimension sacrificielle de la Messe, ou à ne pas comprendre la distinction des ministères du diacre (surtout lors du qūbālā) et du prêtre (surtout lors du qūrbānā). Alors le qūrbānā – seconde partie de la messe actuelle ou « Eucharistie » − était célébrée à la fin de la nuit, et les saintes paroles de l’Eucharistie étaient prononcées au lever du soleil (du dimanche matin).
Les apôtres désignent sept hommes, dont Étienne et Philippe, pour traduire les récitatifs qui ont déjà été composés. Les Apôtres, eux, continuent à servir le Verbe en composant les Évangiles. Les sept hommes sont 6 + 1. Dans une civilisation orale, un maître (un rabbin par exemple) forme généralement 6 disciples. Le septième, Nicolas, c’est sans doute le catéchumène qui joue le rôle de néophyte chargé de vérifier que le texte obtenu par la traduction est accessible. Ainsi ces « Sept » traduisent et leur travail de traduction entraîne la conversion de beaucoup de gens (Ac 6, 7). Leur rôle est comparable à celui d’Esdras quand il lut le livre de la Loi de Dieu, traduisant et donnant le sens » (Né 8, 8), Esdras était un lévite (Né 12, 1). Dans l’église ancienne, ils sont d’ailleurs indifféremment appelés « diacres » ou « lévites », ainsi encore au concile de Carthage (en l’an 390).
Le rôle des « Sept » ne se limite pas à traduire : ils opèrent des miracles (Ac 8, 6-7), annoncent la parole (Ac 8, 4) et baptisent (8, 38), Philippe, est appelé en Ac 21, 8 ‘évangéliste’, en fait sss collaborateur des apôtres dans l’évangélisation de la Samarie : les diacres ont été formés par les apôtres dans une dynamique de vie missionnaire.
C’est saint Irénée qui lit en Ac 6, 5-6 l’institution du diaconat, il dit brièvement : « Les Nicolaïtes ont pour maître Nicolas, un des sept premiers diacres qui furent constitués par les apôtres Ac 6,5-6 » [1].
Les Orientaux, comprenant le mécanisme de la transmission orale, comprenaient que le nombre « Sept » était un nombre pratique, à adapter.
Les Occidentaux, ayant perdu la signification originelle d’Actes 6, 1-6, ont pris ce passage à la lettre. Mgr R. Minnerath écrit : « Le concile de Néocésarée, vers 314 ou 319 (canon 15) demandera encore que chaque Église, quelle que soit son importance numérique, ne possède pas plus de sept diacres, en souvenir de Actes 6, 1-6. Cette mesure, encore rappelée par Isidore de Séville était peu observée, surtout en Orient » [2]. Partout où leur nombre était réduit à sept, les diacres en tiraient un accroissement de prestige et abandonnent un certain nombre de fonctions à des ministres inférieurs ; au IV° siècle, écrit Mgr Minnerath [3], les ministères inférieurs procèdent d’un éclatement des fonctions diaconales.
Psaume (Ps 32 (33), 1-2, 4-5, 18-19)
« Criez de joie pour le Seigneur, hommes justes ! Hommes droits, à vous la louange ! Rendez grâce au Seigneur sur la cithare, jouez pour lui sur la harpe à dix cordes. Oui, elle est droite, la parole du Seigneur ; il est fidèle en tout ce qu’il fait. Il aime le bon droit et la justice ; la terre est remplie de son amour. Dieu veille sur ceux qui le craignent, qui mettent leur espoir en son amour, pour les délivrer de la mort, les garder en vie aux jours de famine ».
Je voudrais vous faire goûter le commentaire de saint Augustin sur ce psaume :
Le psaume : « Criez de joie pour le Seigneur, hommes justes ».
Saint Augustin, sur les Psaumes, 32 : Ce psaume nous invite à nous épanouir dans le Seigneur. Que l'impie trouve sa joie dans le siècle ; le siècle finira, et avec lui la joie de l'impie. Mais que les justes tressaillent dans le Seigneur, car le Seigneur est éternel, et leur joie le sera aussi. Celui-là plaît à Dieu, qui se plaît en Dieu. Et gardez-vous de croire, mes frères, que ce soit chose facile. Voyez combien sont nombreux, ceux qui murmurent contre Dieu, combien trouvent à redire dans ses oeuvres. Quand il lui plaît d'agir contrairement à la volonté des hommes, parce qu'il est le maître, qu'il connaît ce qu'il fait, et qu'il s'arrête moins à considérer nos désirs que notre avantage.
Le psaume : « Hommes droits, à vous la louange ! »
Saint Augustin, sur les Psaumes, 32 : « Quels sont les hommes au coeur droit ? Ceux qui l'assouplissent selon la volonté de Dieu ; qui se consolent dans la justice divine des troubles que leur cause l'humaine fragilité, quoique la faiblesse humaine leur fasse désirer de temps à autre ce qui pourrait leur convenir en particulier, ce qui serait en harmonie avec l'état actuel de leurs affaires, ou avec une nécessité qui se déclare, néanmoins lorsqu'ils reconnaissent et qu'ils savent que Dieu désire autre chose, ils préfèrent à leur volonté, la volonté du plus sage, à la volonté de l'infirme, la volonté du Tout-Puissant, à la volonté de l'homme, la volonté de Dieu. Car autant Dieu est au-dessus de l'homme, autant la volonté divine est au-dessus de la volonté humaine.
C'est pourquoi le Christ s'étant fait homme, nous donne sa vie comme un modèle, et voulant tout à la fois nous apprendre à vivre et nous en mériter la grâce, nous fait voir en lui une certaine volonté humaine et privée, qui figurait à la fois la sienne et la nôtre, car il est notre chef, et vous le savez, nous lui appartenons comme ses membres : «Mon Père», dit-il, «s'il est possible, que ce calice s'éloigne de moi». Voilà une volonté humaine, qui s'arrêtait sur un objet propre et particulier. Mais comme il voulait que l'homme eût le coeur droit, afin de le porter à redresser sur le modèle qui est toujours droit, ce qu'il pouvait avoir de tortueux, quelque peu que ce fût, il ajoute : «Et pourtant, non point ce que je veux, mais ce que vous voulez, ô mon Père» (Mt 26, 39). Or, quelle volonté perverse pouvait avoir le Christ ? Que pouvait-il vouloir, que ne voudrait point son Père ? Ils n'ont qu'une même divinité, et ne peuvent avoir une volonté différente. Mais il voulait personnifier dans cette humanité tous les siens, comme il les personnifiait en lui-même, quand il dit : «J'ai eu faim et vous m'avez donné à manger» : comme il les personnifiait, quand lui, que nul ne blessait, cria du haut du ciel à Saul qui frémissait de rage, et persécutait les saints : «Saul, Saul, pourquoi me persécuter ?» Il voulait donc te montrer en lui une volonté qui est propre à l'homme. Il est difficile pour toi de n'avoir aucune volonté propre : mais à l'instant… soumets ta volonté à sa volonté, en disant: «Toutefois, ô mon Père, non point ce que je veux, mais ce que vous voulez». Alors comment pourrais-tu être séparé de Dieu quand tu veux ce qu'il veut ? C'est alors que tu seras droit, et qu'il te siéra de bénir Dieu : «Car c'est aux coeurs droits de le louer». […]
Ne vous méprisez point, ne désespérez point de vous-mêmes. Vous êtes hommes ; vous êtes créés à l'image de Dieu : celui qui a fait de vous des hommes, s'est lui-même fait homme pour vous : et afin que vous fussiez adoptés en plus grand nombre pour l'éternel héritage, pour vous le sang de son Fils unique a été répandu. Si la faiblesse d'une chair terrestre vous rend méprisables à vos yeux, estimez-vous du moins au prix que vous avez coûté. Pensez mûrement à votre nourriture, à votre breuvage, [saint Augustin pense ici au pain et au vin consacrés, à l’Eucharistie] et à quoi vous souscrivez en disant : Amen.
Le psaume : « Rendez grâce au Seigneur sur la cithare, jouez pour lui sur la harpe à dix cordes ». Saint Augustin rapproche les dix cordes des dix commandements, on rend grâce à Dieu en étant fidèle aux dix commandements.
Le psaume : « Oui, elle est droite, la parole du Seigneur ; il est fidèle en tout ce qu’il fait. Il aime le bon droit et la justice ». Saint Augustin : « Je ne veux pas vous questionner au sujet de votre justice ; car nul d'entre vous sans doute n'oserait me répondre : Je suis juste ; mais je vous interroge au sujet de votre foi ; et de même que nul n'oserait me répondre : Je suis juste ; nul aussi n'oserait me dire: Je n'ai pas la foi. Je ne cherche donc point quelle est ta vie, je demande ce que tu crois. Tu me répondras que tu crois en Jésus-Christ. N'entends-tu point l'Apôtre qui te dit : «Le juste vit de la foi ?» Ta foi, c'est là ta justice : car, si tu crois, tu es sur tes gardes ; si tu es sur tes gardes, tu fais des efforts, et tes efforts sont connus de Dieu. »
Le psaume : « La terre est pleine des miséricordes du Seigneur ».
Saint Augustin : Où donc l'Évangile n'est-il pas prêché ? Où cette parole de Dieu ne se fait-elle pas entendre ? Où n'offre-t-on pas le salut ? Le psaume : «La terre est pleine des miséricordes du Seigneur » !
Le psaume : « Voilà que les yeux du Seigneur s'arrêtent sur ceux qui le craignent ». Saint Augustin : Si tu cherches le salut, Dieu incline son amour sur ceux qui le craignent « et qui espèrent en sa miséricorde», qui espèrent, non dans leur propre vertu, mais dans la divine miséricorde.
Le psaume : « Afin d'arracher leurs âmes à la mort, et de les nourrir pendant la famine ». Saint Augustin : Afin de les nourrir de son Verbe et de l'éternelle vérité.
Deuxième lecture (1P 2, 4-9)
« Bien-aimés, approchez-vous du Seigneur Jésus : il est la pierre vivante rejetée par les hommes, mais choisie et précieuse devant Dieu. Vous aussi, comme pierres vivantes, entrez dans la construction de la demeure spirituelle, pour devenir le sacerdoce saint et présenter des sacrifices spirituels, agréables à Dieu, par Jésus-Christ.
En effet, il y a ceci dans l’Écriture : Je vais poser en Sion une pierre angulaire, une pierre choisie, précieuse ; celui qui met en elle sa foi ne saurait connaître la honte. Ainsi donc, honneur à vous les croyants, mais, pour ceux qui refusent de croire, il est écrit : ‘La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle, une pierre d’achoppement, un rocher sur lequel on trébuche’. Ils achoppent, ceux qui refusent d’obéir à la Parole, et c’est bien ce qui devait leur arriver.
Mais vous, vous êtes une descendance choisie, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple destiné au salut, pour que vous annonciez les merveilles de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière. – Parole du Seigneur ».
Ce texte important est cité dans le catéchisme de l’Eglise catholique : « Les baptisés sont devenus des "pierres vivantes" pour "l'édification d'un édifice spirituel, pour un sacerdoce saint" (1P 2,5). Par le Baptême ils participent au sacerdoce du Christ, à sa mission prophétique et royale, ils sont "une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple acquis pour annoncer les louanges de Celui qui (les) a appelés des ténèbres à son admirable lumière" (1P 2,9). Le Baptême donne part au sacerdoce commun des fidèles ». (CEC 1268)
Il y a en effet une dimension sacerdotale dans la nature humaine : chaque être humain est en relation avec son Créateur, il est appelé à prier pour sa famille, sa tribu et sa nation. Cependant, dans la liturgie, il faut que cette dimension soit représentée pour être comprise. C’est ainsi que dans l’Ancien Testament, toute cette prière est portée par les descendants de Lévi à l’autel, et lorsqu’ils franchissent la porte du Saint, à l’intérieur de celui-ci. Les Hébreux ont aussi découvert peu à peu que le Seigneur n’était pas simplement leur Dieu ‒ un Dieu au-dessus d’autres dieux ‒ mais LE Dieu unique de toute la création, le Créateur. La prière à ce Dieu porte donc une dimension universelle, au-delà de toute nation ou langue. C’est le culte « grand-sacerdotal ». Anthropologiquement, cette dimension grand-sacerdotale de la nature humaine s’était rarement exprimée dans le vécu des civilisations anciennes. A Jérusalem, désormais, tous les peuples sont concernés par ce qui s’y passe. La nature humaine comporte une dimension grand-sacerdotale qui rend capable d’intercéder pour le monde entier et aussi écouter la révélation divine, il faut que cette dimension soit représentée visiblement dans le culte par le grand prêtre afin d’être comprise et vécue. En fait, seul Jésus sera le véritable Grand-Prêtre capable d’intercéder pour toute l’humanité. Et j’ai montré dans mon livre Jean, l’évangile en filet que Jésus ressuscité institue ses apôtres grands prêtres en son nom.
Revenons à la lecture. Pierre cite le psaume 118 (117) que Jésus avait lui-même déjà cité en se comparant à la pierre rejetée qui est pourtant la principale, ou première pierre (Lc 20, 17 ; Mt 21,42).
Par cette image, Pierre donne de l’Église l’image d’un Temple ou d’un palais, non d’une pyramide ; les apôtres en constituent les fondements, et de ces fondements, Jésus est la pierre essentielle. Sur ces fondements, l’Église reçoit fermeté et cohésion.
Dans les évangiles eux-mêmes, on trouve une autre image encore, sans doute la plus riche de toutes, et donnée par Jésus lui-même : celle de la vigne et des sarments. C’est sur ce registre que l’on doit parler de la hiérarchie de l’Eglise, nécessaire dans la transmission apostolique. Il y aura toujours une hiérarchie parce que l’Église vit du témoignage des apôtres qui se transmet de génération en génération. Mais cette hiérarchie ne se traduit pas par une pyramide de domination, mais par des branches nourricières. Les évêques et le pape sont là pour nourrir le peuple chrétien afin qu’il porte du fruit, ils sont aussi présents pour le protéger éventuellement d’une nourriture frelatée.
Revenons à l’image de la construction. Le premier grand commentaire chrétien du Cantique des Cantiques, celui d’Origène (183-254), met sur les lèvres du Christ ces paroles de l’époux du Cantique des Cantiques : « Les solives de nos maisons sont des cèdres, nos poutres, des cyprès (Ct 1,17) ». Et il explique que Jésus est l’époux qui admire les poutres et les solives, c’est-à-dire les évêques et les prêtres [4]. Origène explique que l’épouse, c’est-à-dire l’Église, partage le même regard d’admiration et d’affection. Les ministres sont chargés de soutenir une « maison » [5], un lieu spirituel à l’abri des tentations, où l’épouse (toi…) s’unit au Christ. L’image de la maison est très respectueuse du rapport direct de chacun avec le Christ.
Continuons la lecture. Quand Pierre dit : « Vous êtes une descendance choisie, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple destiné au salut, pour que vous annonciez les merveilles de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière », il s’agit de l’accomplissement de la promesse du livre de l’Exode « Je vous tiendrai pour un royaume de prêtres, une nation sainte. Voilà les paroles que tu diras aux Israélites." 7 Moïse alla et convoqua les anciens du peuple et leur exposa tout ce que le Seigneur lui avait ordonné, 8 et le peuple entier, d'un commun accord, répondit : "Tout ce que le Seigneur a dit, nous le ferons." Moïse rapporta au Seigneur les paroles du peuple » (Exode 19, 6-8).
Cependant la promesse de former une nation sainte ou un peuple est entravée par les ennemis de Dieu, aussi cette promesse ne s’accomplira qu’à travers le jugement eschatologique, c’est pourquoi, dans le livre de l’Apocalypse qui commence pourtant par les lettres à sept Églises, l’Église n’est appelée « peuple de Dieu » qu’au moment du jugement par le Christ revenant dans la gloire, plus précisément au moment de la chute de Babylone, Babel la grande, symbole de l’emprise démoniaque sur le monde : « Sortez, ô mon peuple, quittez-la, de peur que, solidaires de ses fautes, vous n'ayez à pâtir de ses plaies ! » (Ap 18, 4)
Évangile (Jn 14, 1-12)
« En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Que votre cœur ne soit pas bouleversé : vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi. Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures ; sinon, vous aurais-je dit : ‘Je pars vous préparer une place’ ? Quand je serai parti vous préparer une place, je reviendrai et je vous emmènerai auprès de moi, afin que là où je suis, vous soyez, vous aussi. Pour aller où je vais, vous savez le chemin. » Thomas lui dit : « Seigneur, nous ne savons pas où tu vas. Comment pourrions-nous savoir le chemin ? » Jésus lui répond : « Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie ; personne ne va vers le Père sans passer par moi. Puisque vous me connaissez, vous connaîtrez aussi mon Père. Dès maintenant vous le connaissez, et vous l’avez vu. » Philippe lui dit : « Seigneur, montre-nous le Père ; cela nous suffit. » Jésus lui répond : « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe ! Celui qui m’a vu a vu le Père. Comment peux-tu dire : ‘Montre-nous le Père’ ? Tu ne crois donc pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ! Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même ; le Père qui demeure en moi fait ses propres œuvres. Croyez-moi : je suis dans le Père, et le Père est en moi ; si vous ne me croyez pas, croyez du moins à cause des œuvres elles-mêmes. Amen, amen, je vous le dis : celui qui croit en moi fera les œuvres que je fais. Il en fera même de plus grandes, parce que je pars vers le Père » – Acclamons la Parole de Dieu ».
Nous donnons ici une traduction de l’araméen adaptée pour la récitation orale, disponible en pdf sur foi-vivifiante.fr
1 Que votre cœur ne soit pas troublé !
Croyez en Dieu / et croyez en moi !
2 Elles sont nombreuses, / les demeures chez mon Père !
Sinon, vous aurai-je dit : / ‘Je m’en vais vous préparer un lieu ?
3 Et si je m’en vais vous préparer un lieu, / je reviendrai vous emmener auprès de moi !
Afin que là où moi je suis, / vous aussi vous soyez !
4 Et là où je vais, moi, / vous le savez ;
et le chemin, / vous le connaissez.
5 Thomas lui disait : / ‘Notre Seigneur !
Nous ne savons pas / où tu vas,
et comment serions-nous capables d’en connaître / le chemin ?’
Jésus lui disait :
‘Je suis moi, / le Chemin,
la Vérité / et la Vie !
Personne ne vient auprès de mon Père, / sinon par moi !
7 Si vous me connaissiez, / Mon Père aussi vous le connaîtriez !
Et, dès maintenant, vous le connaissez, / et vous l’avez vu !’
8 Philippe lui disait : / ‘Notre Seigneur !
Montre-nous le Père, / c’est suffisant pour nous !’
9 Jésus lui disait :
‘Voici que moi, je suis tout le temps avec vous, / et tu ne m’as connu, Philippe ?
Qui me voit / a vu le Père !
Et comment, toi, dis-tu : / ‘Montre-nous le Père ?’
10 Ne crois-tu pas que Je [suis] dans mon Père / et mon Père en moi ?
Et ces paroles / que je dis
ce n’est pas de moi-même / que je [les] dis,
mais mon Père / qui habite en moi,
c’est Lui / qui fait ces œuvres-ci.
11 Croyez que je [suis] dans mon Père / et mon Père en moi !
Sinon, au moins, / à cause des œuvres, croyez !
12 Amen, amen, / je vous [le] dis :
Qui croit en moi, / ces œuvres que, moi, je fais,
lui aussi, / il [les] fera,
et de plus grandes que celles-ci, / il [en] fera
parce que, moi, / c’est auprès du Père que, moi, je vais. (F. Guigain modifiée)
Le contexte est la perspective dramatique où Pierre veut donner sa vie pour Jésus et où Jésus le met en doute, annonçant plutôt son reniement (Jn 13, 37-38). En termes voilés, la mort de Jésus est annoncée, ce qui n’est pas une nouveauté en soi. Jésus avait déjà dit : « Quand je serai élevé de la terre, j’attirerai tous les hommes auprès de moi. Or il dit cela pour indiquer par quelle mort il mourrait » (Jn 12, 32-33). Jésus ne mourra pas lapidé, il mourra crucifié. Or cette mort est une malédiction, comme il est écrit : « Si un homme, coupable d’un crime capital, a été mis à mort et que tu l’aies pendu à un arbre, son cadavre ne pourra être laissé la nuit sur l’arbre ; tu l’enterreras le jour même, car un pendu est une malédiction de Dieu » (Dt 21, 22-23). Voilà pourquoi cette perle-ci commence par :
« Que votre cœur ne soit pas troublé !
Croyez en Dieu / et croyez en moi ! » (Jn 14, 1).
Ce qu’explique ensuite Jésus montre que sa mort n’est pas une malédiction, ni pour lui, ni pour les disciples qui l’ont suivi :
« 2 Elles sont nombreuses, / les demeures chez mon Père !
Sinon, vous aurai-je dit : / ‘Je m’en vais vous préparer un lieu ?
3 Et si je m’en vais vous préparer un lieu, / je reviendrai vous emmener auprès de moi !
Afin que là où moi je suis, / vous aussi vous soyez ! » (Jn 14, 2-3).
Jésus dit à ses disciples :
« ‘Je suis, moi, / le Chemin,
la Vérité / et la Vie !
Personne ne vient auprès de mon Père, / sinon par moi ! » (Jn 14, 6).
Cependant, les disciples ne sont pas appelés à aller tout de suite au Ciel auprès du Père. Ils sont appelés à faire des « œuvres ». Et c’est ce que Jésus précise maintenant : bientôt, les disciples seront capables de grandes choses :
« 12 Amen, amen, / je vous [le] dis :
Qui croit en moi, / ces œuvres que, moi, je fais,
lui aussi, / il [les] fera,
et de plus grandes que celles-ci, / il [en] fera
parce que, moi, / c’est auprès du Père que, moi, je vais » (Jn 14, 12).
La liturgie de saint Jacques était l’ancien rite de Jérusalem ; en témoignait saint Cyrille de Jérusalem. La forme originelle est en araméen, elle est encore la liturgie principale de l’Église orientale syriaque. Il y a aussi une forme traduite en grec dans les églises orthodoxes occidentales. J’ai montré dans mon ouvrage « Jean l’évangile en filet » (Parole et Silence 2020) que le discours après la Cène semble être une source d’inspiration de cette très ancienne liturgie.
Observons le parallèle avec l’évangile de ce dimanche.
Au Cénacle, Jésus dit :
« 12 Amen, amen, / je vous [le] dis :
Qui croit en moi, / ces œuvres que, moi, je fais,
lui aussi, / il [les] fera » (Jn 14, 12).
+ La divine liturgie de saint Jacques, après le saint Evangile, demande à Dieu d’illuminer nos âmes « afin que nous ne soyons pas seulement des auditeurs de chants spirituels, mais également des acteurs de bonnes choses »[6].
Au cénacle, Thomas disait : « Nous ne savons pas où tu vas, / et comment serions-nous capables d’en connaître la voie ? » (Jn 14, 5)
+ Dans la divine liturgie de saint Jacques, le chant du chœur après le saint Evangile indique cette voie sur laquelle il faut s’avancer : « Que fasse silence toute chair mortelle /…/ car le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs s’avance pour être immolé et donné en nourriture aux fidèles » .
Au cénacle, Jésus répond à Thomas : « Je suis, Moi, le Chemin, la Vérité, et la Vie ! » (Jn 14, 6).
+ Dans la divine liturgie de saint Jacques, la prière « du voile » fait dire au prêtre : « Nous te rendons grâce, Seigneur notre Dieu, de nous accorder la confiance de pénétrer dans ton sanctuaire par ce nouveau et vivifiant chemin, qui nous est ouvert par le voile, le chemin de la chair de ton Christ » [8].
Le chemin de la chair de ton Christ n’est pas le chemin d’un Christ cosmique éthéré, c’est le chemin de Jésus-Christ, qui est né à Bethléem, a travaillé comme fils du charpentier, a mené une vie publique, a peiné sur le chemin du calvaire, est mort, a été enseveli, il est ressuscité et les apôtres ont pu le toucher le soir de la résurrection. Ce chemin de la chair du Christ est pour nous le vivifiant chemin.
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Saint IRÉNÉE, Contre les Hérésies Liv.1 ch.26, n° 3
ORIGENE, Commentaire sur le Cantique des Cantiques, Sources Chrétiennes 375, par Luc Brésard et Henri Crouzel, Cerf, Paris, 1991., Livre III, 3,1 ; Tome II, p. 511
ORIGENE, Ibid., Livre III, 3,5-6 ; Tome II, p. 513
https://www.pagesorthodoxes.net/liturgie/jacques.htm
https://www.pagesorthodoxes.net/liturgie/jacques.htm
https://www.pagesorthodoxes.net/liturgie/jacques.htm