Première lecture (Ac 2, 14.22b-33)
« Le jour de la Pentecôte, Pierre, debout avec les onze autres Apôtres, éleva la voix et leur fit cette déclaration : […]
Vous, Juifs, et vous tous qui résidez à Jérusalem, sachez bien ceci, prêtez l’oreille à mes paroles. Il s’agit de Jésus le Nazaréen, homme que Dieu a accrédité auprès de vous en accomplissant par lui des miracles, des prodiges et des signes au milieu de vous, comme vous le savez vous-mêmes. Cet homme, livré selon le dessein bien arrêté et la prescience de Dieu, vous l’avez supprimé en le clouant sur le bois par la main des impies. Mais Dieu l’a ressuscité en le délivrant des douleurs de la mort, car il n’était pas possible qu’elle le retienne en son pouvoir. »
Nous nous arrêtons là pour le moment, nous lirons la fin ensuite.
Jésus est « Nazaréen ». En araméen « nāṣrāyā », comme partout dans le Nouveau Testament, c’est partout le même mot araméen, dérivé de « nāṣraṯ Nazareth ». En grec, il existe dans le Nouveau Testament deux termes, ναζωραιος (comme ici et partout dans l’évangile de Matthieu ou de Jean et Lc 18, 37) ou ναζαρηνος (dans l’évangile de Marc ou en Lc 4, 34 ; 24, 19), on a imaginé que le mot ναζωραιον avait un sens idéologique, Nazôréen, mais ce n’est pas le cas, car il n’y a qu’un seul mot en araméen. Tout simplement Jésus est Nazaréen, de Nazareth.
« Cet homme que Dieu a accrédité auprès de vous en accomplissant par lui des miracles, des prodiges et des signes au milieu de vous, comme vous le savez vous-mêmes ». Les miracles (prodiges et signes) ont accrédité Jésus comme eeee ils avaient aussi accrédité jadis Élie et Moïse. Plusieurs miracles de Jésus sont d’ailleurs très comparables aux miracles d’Élie ou de Moïse, sauf que Jésus les fait toujours de sa propre autorité. Par exemple, Jésus ressuscite la fille de Jaïre et Élie ressuscite le fils de la veuve de Sarepta. Mais Élie priait « mon Dieu, je t'en prie, fais revenir en lui l'âme de cet enfant ! » (1R 17, 21) alors que Jésus, c’est de sa propre autorité qu’il déclara « jeune fille, mets-toi debout ! » (Lc 8, 54).
« Cet homme, livré selon le dessein bien arrêté et la prescience de Dieu, vous l’avez supprimé en le clouant sur le bois par la main des impies ».
Vous l’avez entendu, le livre des Actes engage la responsabilité des Juifs dans la mort de Jésus. L’évangile de Luc raconte très tôt comment les scribes et les pharisiens se remplirent de jalousie contre Jésus et méditèrent sur ce qu’ils allaient lui faire (Lc 6, 11). L’évangile de Jean évoque le prétexte trouvé par grand prêtre Caïphe. Il ne faut pas qu’Israël, divisé entre partisans et adversaires de Jésus au moment de la fête, ne soit détruit par les légions romaines chargées de maintenir l’ordre (cf. Jn 11, 50). Alors Jésus a été cloué au bois, c’est-à-dire la croix, par la main des impies, c’est-à-dire après le procès de Pilate. Pilate avait convoqué les dignitaires qui s’étaient donc dispersés après avoir déposé plainte, ce qui demande un certain temps. Ici, nous devons suivre le manuscrit Khabouris et la Pshitta de l’édition de Mossoul (édition 1896) : « Pilate convoqua… les magistrats du peuple [arḵūne dᶜammā] » (Lc 23, 13), et non pas beaucoup d’autres manuscrits [1] et la Bible de Jérusalem elle-même qui donne : « Pilate convoqua… les magistrats et le peuple » (v. 13), ce qui est irréaliste et donne l’impression que c’est tout le peuple qui réclame la crucifixion de Jésus (on s’en sort en considérant qu’il ne s’agit que du peuple des partisans de Bar-Abba manipulés par les magistrats).
Jésus est réellement mort, les témoignages sont formels, les évangélistes ont pris soin de noter le constat légal par Pilate, et d’autres détails tels que le coup de lance, l’eau et le sang, et les détails de la mise au tombeau.
La mort de Jésus appartient au plan rédempteur. Ce que nous expliquerons encore en commentaire de la 2e lecture. Pour le moment, comprenons l’enjeu de la mention du dessein de Dieu, c’est-à-dire du Vouloir divin. Tout l’enjeu de la Passion de Jésus est l’union de cet homme avec le divin Vouloir. Le livre de la Sagesse donne : « Dieu a créé l'homme pour l'incorruptibilité, il en a fait une image de sa propre nature ; c'est par l'envie du diable que la mort est entrée dans le monde » (Sg 2, 23-24). Autrement dit, c’est après le péché d’Adam et Éve que la mort est entrée dans le monde. La mort est la conséquence de la séparation de la volonté humaine avec la volonté divine, la conséquence du manque d’amour pour Dieu. Jésus est entré par amour dans sa Passion, dans son chemin de croix selon le dessein divin, c’est-à-dire en union avec la volonté divine, ce qui, en soi, reconnecte si l’on peut dire l’humanité avec la divinité et constitue une réparation de la faute originelle. La mort de Jésus, parce qu’elle est vécue en union avec le dessein divin, avec le vouloir divin qui est toujours Lumière, Vie et Vivification, contient déjà le germe de la résurrection pour Jésus et pour tous ceux qui croiront en Jésus.
Ouvrons une parenthèse. Dans les Rouleaux de Qumrân on voit apparaître une mouvance évoquant un Messie qui n’est pas mort, il ne peut pas être mis en échec, il est ressuscité sans être mort, il est gardé aux cieux pour réapparaître un jour physiquement et mener un combat militaire. Ainsi, le 4e Livre d’Esdras enseigne précisément que le Messie de l’avenir qui établira le Royaume de Dieu mourra au terme de 400 ans de règne – de mort naturelle si l’on peut dire, puisque toute l’Humanité mourra à ce moment-là [2]. Curieusement, une idée comparable se retrouve dans la théologie islamique qui, tout en niant que le Messie-Jésus (al-masiḥ ‘Isa selon les termes propres du Coran) soit mort sur la croix, le fait mourir après son retour eschatologique ; mais la théologie islamique (bien postérieure au Coran) a divisé les 400 ans par dix : après avoir tué le dragon et vaincu ses armées, ce messie ne vit que 40 ans encore [3].
« Mais Dieu l’a ressuscité en le délivrant des douleurs de la mort, car il n’était pas possible qu’elle le retienne en son pouvoir ». Plus encore que les prodiges et les miracles, la résurrection est un démenti opposé par Dieu au jugement du sanhédrin. Pierre affirme que Jésus est le Messie, le Roi davidique, par la résurrection. Anciennement situé à la droite du Temple ou de l’autel, le trône est maintenant au ciel. Jésus avait refusé, de son vivant, de s’asseoir sur le trône terrestre de David et d’y jouer le rôle d’un messie libérateur, mais il maintenant qu’il est monté au ciel, il siège à la droite de Dieu. C’est alors que Pierre va faire une sorte de midrash avec le psaume 16 (15).
Psaume (Ps 15 (16), 1-2a.5, 7-8, 9-10, 11)
« Garde-moi, mon Dieu : j’ai fait de toi mon refuge. J’ai dit au Seigneur : ‘Tu es mon Dieu ! Seigneur, mon partage et ma coupe : de toi dépend mon sort’.»
Dieu est d’autant plus notre refuge que nous faisons de sa volonté notre nourriture, notre partage et notre coupe. En effet, le Créateur protège l’existence de ceux qui vont faire réussir son projet créateur. Comme Jésus, beaucoup de justes sont cependant crucifiés d’une manière ou d’une autre, mais ils apparaîtront avec lui lors de sa venue glorieuse, comme nous l’avons souvent dit (1Th 3, 13) ou les cavales blanches revêtues de byssus blanc (la soie des rois) qui sont les actions droites des saints (Ap 19, 8.14).
« Je bénis le Seigneur qui me conseille : même la nuit mon cœur m’avertit. Je garde le Seigneur devant moi sans relâche ; il est à ma droite : je suis inébranlable ».
Ce psaume est une prophétie de ce que Jésus a vécu pendant sa vie sur la terre. Il s’agit non seulement du respect de la loi divine, mais d’une union à la volonté divine, à toutes ses motions, à toutes ses inspirations, une union de chaque instant. « Je garde le Seigneur devant moi sans relâche ». À cette bonne volonté, le Créateur répond par un soutien permanent, un influx continuel de vie : « Il est à ma droite : je suis inébranlable ».
« Mon cœur exulte, mon âme est en fête, ma chair elle-même repose en confiance : tu ne peux m’abandonner à la mort ni laisser ton ami voir la corruption. Tu m’apprends le chemin de la vie : devant ta face, débordement de joie ! À ta droite, éternité de délices ! »
C’est cette partie du psaume qui fut citée dans la première lecture :
« Le jour de la Pentecôte, Pierre, debout avec les onze autres Apôtres, éleva la voix et leur fit cette déclaration : […] En effet, c’est de lui [Jésus] que parle David dans le psaume : Je voyais le Seigneur devant moi sans relâche : il est à ma droite, je suis inébranlable. C’est pourquoi mon cœur est en fête, et ma langue exulte de joie ; ma chair elle-même reposera dans l’espérance : tu ne peux m’abandonner au séjour des morts ni laisser ton fidèle voir la corruption. Tu m’as appris des chemins de vie, tu me rempliras d’allégresse par ta présence".
Frères, il est permis de vous dire avec assurance, au sujet du patriarche David, qu’il est mort, qu’il a été enseveli, et que son tombeau est encore aujourd’hui chez nous. [D’ailleurs, le discours de Pierre a lieu depuis la terrasse du cénacle et le tombeau de David est juste en contrebas]. Comme il était prophète [David], il savait que Dieu lui avait juré de faire asseoir sur son trône un homme issu de lui. Il a vu d’avance la résurrection du Christ, dont il a parlé ainsi : Il n’a pas été abandonné à la mort, et sa chair n’a pas vu la corruption. Ce Jésus, Dieu l’a ressuscité ; nous tous, nous en sommes témoins. Élevé par la droite de Dieu, il a reçu du Père l’Esprit Saint qui était promis, et il l'a répandu sur nous, ainsi que vous le voyez et l’entendez. »
Le psaume exprimait la confiance qu’avait David de ne pas être battu, ni laissé sans sépulture sur le champ de bataille. Mais dans notre contexte, Jésus est déjà mort. L’espérance incluse dans le Psaume de ne pas voir l’Hadès ni la corruption s’applique de ce fait à la Résurrection du Christ et non plus à l’invincibilité du Roi David. Peut-être ce psaume était-il déjà lu à l’époque de Jésus dans le cadre des spéculations sur la résurrection. En tout cas, il est maintenant appliqué sans ambages à la résurrection de celui qui est, dans le même temps, désigné comme Roi, Fils de David.
Cette désignation posait un problème important. En effet, on lit dans l’évangile de Marc un épisode où, « Prenant la parole, Jésus disait en enseignant dans le Temple : Comment les scribes peuvent-ils dire que le Christ est fils de David ? C'est David lui-même qui a dit par l'Esprit Saint, [et Jésus cite ici le psaume 110 :] Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Siège à ma droite, jusqu'à ce que j'aie mis tes ennemis dessous tes pieds. David en personne l'appelle Seigneur ; comment alors peut-il être son fils ? » (Mc 12, 35-37).
Pierre affirme que Jésus est le Messie, le Roi davidique, par la résurrection. Pour cela il place au ciel le trône davidique anciennement situé à la droite du Temple ou de l’autel. Jésus avait refusé, de son vivant, de s’asseoir sur le trône terrestre de David et d’y jouer le rôle d’un messie libérateur, mais il est maintenant monté au ciel, il siège à la droite de Dieu.
Sa royauté est spirituelle, cela signifie qu’elle ne s’exerce pas par les moyens de coercition, mais par le rayonnement de l’amour. Le titre de sa royauté était déjà écrit sur l’écriteau de sa croix. Au calvaire, c’était ironique, mais c’était une vérité. Lors de sa résurrection, sa royauté est le fruit de sa Passion.
L’homme a péché par manque d’amour. La Passion de Jésus est celle de l’amour, et l’amour fut restauré et replacé à son juste niveau, céleste.
Le péché a volé à Dieu la gloire qui lui était due. En souffrant pour les péchés, la gloire du Père fut restaurée et replacée à son niveau, céleste.
Le péché a engendré la faiblesse chez l’homme, par sa Passion, Jésus restaure en l’homme sa force perdue ; la force des créatures est restaurée et replacée à son niveau, céleste.
Désormais, nous pouvons accueillir avec joie la royauté de Jésus. Et nous aussi, nous pouvons prier pour nous-mêmes ce beau psaume, ce n’est plus David qui prie Dieu de lui épargner la mort sur le champ de bataille, ce n’est plus Jésus qui prie Dieu de le ressusciter d’entre les morts, c’est chacun de nous qui prions Jésus, notre Seigneur, de restaurer en nous l’amour, de glorifier pour nous le Père, et de restaurer en nous la force et la joie.
« Garde-moi, mon Dieu : j’ai fait de toi mon refuge. J’ai dit au Seigneur : ‘Tu es mon Dieu ! Seigneur, mon partage et ma coupe : de toi dépend mon sort’. Je bénis le Seigneur qui me conseille : même la nuit mon cœur m’avertit. Je garde le Seigneur devant moi sans relâche ; il est à ma droite : je suis inébranlable. Mon cœur exulte, mon âme est en fête, ma chair elle-même repose en confiance : tu ne peux m’abandonner à la mort ni laisser ton ami voir la corruption. Tu m’apprends le chemin de la vie : devant ta face, débordement de joie ! À ta droite, éternité de délices ! »
Deuxième lecture (1 P 1, 17-21)
« Bien-aimés, si vous invoquez comme Père celui qui juge impartialement chacun selon son œuvre, vivez donc dans la crainte de Dieu, pendant le temps où vous résidez ici-bas en étrangers. Vous le savez : ce n’est pas par des biens corruptibles, l’argent ou l’or, que vous avez été rachetés de la conduite superficielle héritée de vos pères ; mais c’est par un sang précieux, celui d’un agneau sans défaut et sans tache, le Christ. Dès avant la fondation du monde, Dieu l’avait désigné d’avance et il l’a manifesté à la fin des temps à cause de vous. C’est bien par lui que vous croyez en Dieu, qui l’a ressuscité d’entre les morts et qui lui a donné la gloire ; ainsi vous mettez votre foi et votre espérance en Dieu. – Parole du Seigneur ».
Quand il a créé le monde, Dieu avait un but : il œuvra avec sagesse, toute-puissance et justice. Mais nous devons parler au présent. Dieu créé l’univers et le cosmos par amour et cet amour est perceptible, Dieu veut que tout ce qui nous entoure existe et c’est son amour qui palpite en tout.
Quel est le but du Créateur ? Que l’homme participe à sa vie divine.
Grand théologien de l’Église orientale, Nicolas Cabasilas († 1391) explique que Dieu n’a pas créé l’humanité parfaite au point de ne plus avoir à grandir pour atteindre sa plénitude : il lui a donné le libre arbitre, et l’humanité doit progresser librement, en exerçant la vertu, dans une lutte directe contre les passions, lutte pour laquelle Dieu lui a donné les indications de sa loi divine et toutes les capacités requises. Quand serait atteinte la plénitude des temps, Dieu s’incarnerait, entrant non seulement dans l’histoire mais encore dans le cosmos, il assumerait la vie de l’homme. En effet, l’homme est un microcosmos, rassemblant les qualités des êtres inférieurs dans son corps et les perfections des anges dans son esprit. Donc, en s’incarnant, Dieu assumerait toute la création dans la vie divine.
Nicolas Cabasilas souligne la coopération humaine et le fait que l’humanité mérite l’immutabilité dans le bien et l’incorruptibilité. En outre, avant les noces définitives, Dieu demanderait encore à l’humanité son consentement.
« Quand vint la plénitude des temps, Dieu envoya son Fils unique, né d’une femme… » (Ga 4, 4s). En Marie, le projet créateur a réussi : Nicolas Cabasilas écrit, dans une homélie pour la Nativité de Marie : « Elle a prêté son concours à l’artiste pour réaliser son chef-d’œuvre. […] Elle seule a mis en valeur le pouvoir que Dieu nous avait donné de triompher du mal ; elle seule a obtenu à notre nature la récompense promise à cette victoire, c’est-à-dire l’immutabilité dans le bien, par le fait qu’elle est devenue la Mère d’un Fils absolument parfait [4]. »
Mais tous les autres hommes, depuis les premiers, ont abandonné la route du bien, ils ont déformé leur nature humaine, au point que la nature humaine, créée bonne, semble maintenant mauvaise. Ils se sont rendus incapables du projet créateur, le ciel leur est fermé.
Dans ce contexte, Dieu ajoute à son premier plan (le plan de la création), un second plan, celui de la rédemption. Il veut sauver le corps de l’humanité qui n’est plus qu’une plaie, mais il veut le faire encore par la coopération humaine. L’Incarnation n’aura plus seulement le sens d’un accomplissement de la création, elle aura en plus le sens d’une miséricorde. L’Incarnation sera toujours une noce, mais elle sera accompagnée de souffrance, les noces seront scellées sur la croix.
La 2e lecture de ce dimanche évoque ce double plan du Créateur en nous disant : « Dès avant la fondation du monde, Dieu l’avait désigné d’avance et il l’a manifesté à la fin des temps à cause de vous ».
La 2e lecture s’achève en disant : « C’est bien par lui que vous croyez en Dieu, qui l’a ressuscité d’entre les morts et qui lui a donné la gloire ; ainsi vous mettez votre foi et votre espérance en Dieu ». Le verbe « croire » ou le mot « foi » ne désignent pas seulement une croyance mais une relation de confiance. Nous avons confiance en Dieu, il a un plan, un dessein d’amour, et son projet réussira : Dieu est fort, il est puissant, il est le plus fort et la création accomplira son but.
C’est par Jésus que nous avons confiance.
Nous avons confiance parce que Dieu a été fidèle et qu’il a ressuscité Jésus.
Nous avons aussi confiance « par Jésus », c’est-à-dire en laissant vivre Jésus en nous, nous nous approprions l’humanité de Jésus et l’extraordinaire confiance qu’il a vécue envers Dieu son Père. Jésus s’est fait homme pour nous communiquer cette confiance. Comme disait le psaume « Je garde le Seigneur devant moi sans relâche ; il est à ma droite : je suis inébranlable ».
De plus, dans le corps humain, le sang est ce qui est à l’intérieur, s’il s’écoule à l’extérieur, c’est dangereux ou mortel. Or, nous avons été sauvés par le sang de Jésus, saint Pierre dit : « ce n’est pas par des biens corruptibles, l’argent ou l’or, que vous avez été rachetés de la conduite superficielle héritée de vos pères ; mais c’est par un sang précieux, celui d’un agneau sans défaut et sans tache, le Christ ». Nous avons été sauvés par le sang précieux qui porte en lui l’amour de Dieu, qui donne profondeur à notre existence et à nos relations humaines. Saint Pierre parle de « la conduite superficielle héritée de vos pères », c’était une conduite superficielle parce qu’elle n’était pas guidée par une relation vivante avec Dieu, les gens étaient comme un Temple qui n’aurait pas de « Saint des Saints » mais uniquement des parvis extérieurs… L’amour, que Jésus a manifesté sur la croix, restaure en nous la profondeur de notre cœur, notre Saint des Saints intérieur [5].
Évangile Lc 24, 13-35
« 13 Et voici que deux d’entre eux / en ce même jour,
allaient à un village du nom d’Emmaüs, / distant de Jérusalem de 60 stades,
14 et eux ils parlaient, / l’un avec l’autre,
de toutes ces choses-ci / qui étaient arrivées.
15 Et tandis qu’eux parlaient / et se questionnaient l’un l’autre
lui, Jésus, il vint et les rejoignit, / et il marchait avec eux ;
16 Et leurs yeux étaient aveuglés / de sorte qu’ils ne le reconnurent pas.
17 Et il leur dit :
‘Quels sont ces dires / que vous dites l’un à l’autre
en marchant / et en étant sombres ?’
18 L’un d’eux, nommé Cléopa, répondit / et lui dit :
‘Tu es bien / le seul étranger de Jérusalem
à ne pas connaître ce qui y est arrivé / en ces jours !’
19 Il leur dit : / ‘Quoi ?’
Ils lui disaient :
‘Au sujet de Jésus / celui de Nazareth !
Un homme qui était / prophète !
Il fut puissant en parole / et en actes,
devant Dieu / et devant tout le peuple !
20 Et ils l’ont livré, / les grands prêtres et les anciens,
à une condamnation à mort / et l’ont élevé [crucifié] !
21 Or, nous, nous espérions, / que lui, il allait délivrer Israël !
Et voilà trois jours / que, voilà, toutes ces choses sont arrivées !
22 Mais aussi quelques femmes d’entre nous / ont créé la stupeur.
Elles sont allées de grand matin / à la chambre sépulcrale,
23 et comme elles n’ont pas trouvé son corps, / elles sont revenues nous dire :
‘Nous avons vu là-bas des anges / qui disaient à son sujet :
‘Il est vivant !’
24 Et aussi quelques hommes d’entre nous / sont allés à la chambre sépulcrale
et ils ont trouvé les choses [ainsi] / comme avaient dit les femmes ;
mais lui, / ils ne l’ont pas vu !’
25 Alors / Jésus leur dit :
‘O déficients d’intelligence, / et appesantis de cœur
pour croire toutes les choses / dont parlèrent les Prophètes !
26 Le Messie ne devait-il pas endurer ces [choses] / pour entrer dans sa gloire ?’
27 Et il avait commencé à partir de Moïse / et à partir de tous les Prophètes,
il leur interprétait ce qui le concernait / à partir de toutes les Écritures.
28 Et ils s’étaient approchés de ce village / où ils se rendaient,
et lui, il leur faisait supposer / qu’il allait vers un lieu plus lointain.
29 Mais ils le pressèrent en lui disant : / ‘Reste auprès de nous !
Parce que le jour maintenant / a décliné pour s’obscurcir !’
Et il entra / pour demeurer avec eux. / Et ce fut tandis qu’il était à table avec eux,
qu’il prit le pain, bénit [dit la bénédiction], [le] rompit / et [le] leur donna.
31 Et aussitôt s’ouvrirent leurs yeux / et ils le reconnurent !
Et lui, / il fut emporté [loin] d’eux !
32 Et ils se disaient l’un à l’autre : / ‘Notre cœur n’était-il appesanti au-dedans de nous,
quand il nous parlait en chemin, / et qu’il nous expliquait les Écritures ?’
33 Et ils se mirent debout à l’heure même, / et s’en retournèrent à Jérusalem.
Et ils trouvèrent les Onze réunis / et ceux qui étaient avec eux,
34 pendant qu’ils disaient :
‘Vraiment, notre Seigneur s’est relevé / et il est apparu à Simon !’
35 Et, eux aussi,
Ils racontèrent ce qui s’était passé en chemin, / et comment il s’état fait reconnaître à eux tandis qu’il rompit le pain » (Luc 24, 13-35).
Tout d’abord, une remarque sur la traduction. Jésus ressuscité reproche aux disciples d’Emmaüs leur cœur « appesanti [yaqīr] » (Lc 24, 25), puis, en Lc 24, 32, les disciples reconnaissent qu’en chemin ils avaient eu le cœur trop lourd, appesanti [yaqīr] pour comprendre les explications de Jésus. La plupart des manuscrits syriaques disent en effet « appesanti [yaqīr] », mais la plupart des manuscrits grecs (exception du codex de Bèze) disent « brûlant », comme s’ils avaient lu non pas « yaqīr », mais « yaqīd » – le « r » et le « d » étant deux lettres très proches en syriaque, l’une avec le point au-dessus et l’autre le point au-dessous, d’où la confusion possible. C’est un indice de la primauté de la version syriaque par rapport à la version grecque (beaucoup d’autres exemples en annexe).
Jésus commence par Moïse, la Torah, où on lit, dans la Genèse, comment Satan tente Adam de prendre du fruit de l’arbre. La chute d’Adam (et Ève) livre toute sa descendance, et même tout le cosmos à l’emprise de Satan. C’est ce que Jésus va réparer, notamment sur « l’arbre » de la croix. Jésus fut d’abord tenté au désert par exemple quand l’Accusateur, Satan, voulait que Jésus utilise pour lui-même la puissance divine de miracles (Lc 4, 9-12). Durant la Passion, à travers les propos des magistrats, des soldats et du premier malfaiteur, Satan réitéra ses tentations : « qu’il se sauve [vivifie] lui-même, s’il est le Messie, l’élu de Dieu ! » (Lc 23, 35). Or seul un faux prophète se sert des signes dans son propre intérêt, et seuls les hypocrites sont tentés de réclamer un tel miracle : Jésus ne se sauve pas lui-même, et, ce faisant, il a triomphé de Satan !
Sur le chemin d’Emmaüs, Jésus continue par les prophètes, où l’on peut lire par exemple au rouleau d’Isaïe, ce chant du Serviteur : « Or ce sont nos souffrances qu’il portait et nos douleurs dont il était chargé. Et nous, nous le considérions comme puni, frappé par Dieu et humilié. Mais lui, il a été transpercé à cause de nos crimes, écrasé à cause de nos fautes. Le châtiment qui nous rend la paix est sur lui, et dans ses blessures nous trouvons la guérison » (Is 53, 4-5), et encore : « À la suite de l’épreuve endurée par son âme, il verra la lumière et sera comblé. Par sa connaissance, le juste, mon serviteur, justifiera les multitudes en s’accablant lui-même de leurs fautes » (Is 53, 11).
On comprend que l’Hostie du mémorial de son Sacrifice soit rayonnante : elle rayonne de la lumière et justifie les multitudes. Par son rayonnement, elle nous ajuste à Dieu !
Jésus « prit le pain et bénit [il bénit Dieu : il dit la bénédiction] et rompit et leur donna [ » (Lc 24, 30). Ces gestes permettent aux deux disciples de reconnaître Jésus parce qu’ils avaient probablement été présents parmi les 5000 hommes pour qui Jésus avait multiplié les pains, par quatre gestes similaires : il « prit », « bénit » et « rompit » et « donna à ses disciples… » (Lc 9, 16) ; mêmes verbes : nsaḇ - ḇarreḵ - qṣā - yaḇ].
Nous reconnaissons aussi en Lc 24, 30 les quatre premiers verbes de l’institution de l’Eucharistie selon saint Marc : « Jésus prit du pain, il bénit, il rompit, et le donna à ses disciples, et dit : » (Mc 14, 22). Cependant, dans le récit de l’institution de l’Eucharistie selon saint Luc, à la place du verbe « il bénit [ḇarreḵ] », Luc a écrit « et il rendit grâce [wawdī, racine ydc] » (Lc 22, 19). De plus, à Emmaüs, Jésus ne prononce pas de parole sur le pain, et il ne prend de coupe de vin. Ce n’est donc pas à proprement parler une Eucharistie (« qūrbānā »), d’ailleurs, comment les disciples d’Emmaüs, qui n’ont pas participé à la dernière Cène, auraient-ils pu reconnaître les paroles eucharistiques ?
Ceci étant dit, l’expérience des disciples d’Emmaüs est inclassable : comment comparer un sacrement avec une telle rencontre avec Jésus ressuscité ? Certainement, ils ont vécu ce que la communion eucharistique procure : une mort à soi-même et une vivification de vie divine. Les deux disciples, en effet, se levèrent debout (« qām » Lc 24, 33) comme Jésus s’était relevé ressuscité (« qām » Lc 24, 34).
Au verset 35, « et eux aussi racontèrent [eštaᶜīw] », le verbe a la nuance de « jouer » : il s’agit d’un récit légèrement mimé : un récitatif.
Comme la Pshitta de la Bible London society, la Curetonienne et le Sinaïtique (wlᶜammā), comme aussi la vulgate clémentine (et plebe) et le texte grec (και τον λαον – Nestlé Aland ou le texte grec liturgique).
4Esd 7,28-31 – cf. 1.5.3.3. Écrits apocryphes chrétiens, Gallimard, 1997, p.1420.
On pourra lire aussi la partie « La quaternité du Temple, image de la nature humaine » dans mon livre F. Breynaert, Jean, L’évangile en filet. L’oralité d’un texte à vivre. (Préface Mgr Mirkis – Irak) Éditions Parole et Silence. Paris, 8 décembre 2020, p. 357 et s.
Tous droits réservés (comme partout sur le site) F. Breynaert