3e dimanche carême (B)

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Voici pour mémoriser le texte de l'évangile de ce jour en vue d'une récitation orale avec reprises de souffles.

Evangile Jn 2, 13-25Evangile Jn 2, 13-25 (84.64 Ko)

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Sur Radio espérance : tous les mardi, mercredi, jeudi et vendredi à 8h15
et rediffusées le dimanche à 8h et 9h30). 

Première lecture (Ex 20, 1-17)

Psaume (18b (19), 8, 9, 10, 11)

Deuxième lecture (1 Co 1, 22-25)

Évangile (Jn 2, 13-25)

Première lecture (Ex 20, 1-17)

En ces jours-là, sur le Sinaï, Dieu prononça toutes les paroles que voici : « Je suis le Seigneur ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison d’esclavage. Tu n’auras pas d’autres dieux en face de moi. Tu ne feras aucune idole, aucune image de ce qui est là-haut dans les cieux, ou en bas sur la terre, ou dans les eaux par-dessous la terre. Tu ne te prosterneras pas devant ces dieux, pour leur rendre un culte. Car moi, le Seigneur ton Dieu, je suis un Dieu jaloux : chez ceux qui me haïssent, je punis la faute des pères sur les fils, jusqu’à la troisième et la quatrième génération ; mais ceux qui m’aiment et observent mes commandements, je leur montre ma fidélité jusqu’à la millième génération. Tu n’invoqueras pas en vain le nom du Seigneur ton Dieu, car le Seigneur ne laissera pas impuni celui qui invoque en vain son nom. Souviens-toi du jour du sabbat pour le sanctifier. Pendant six jours tu travailleras et tu feras tout ton ouvrage ; mais le septième jour est le jour du repos, sabbat en l’honneur du Seigneur ton Dieu : tu ne feras aucun ouvrage, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni tes bêtes, ni l’immigré qui est dans ta ville. Car en six jours le Seigneur a fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qu’ils contiennent, mais il s’est reposé le septième jour. C’est pourquoi le Seigneur a béni le jour du sabbat et l’a sanctifié. Honore ton père et ta mère, afin d’avoir longue vie sur la terre que te donne le Seigneur ton Dieu. Tu ne commettras pas de meurtre. Tu ne commettras pas d’adultère. Tu ne commettras pas de vol. Tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton prochain. Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain ; tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne : rien de ce qui lui appartient. » – Parole du Seigneur.

Les balises sur une piste de ski marquent la limite qu’il est dangereux de franchir car on se trouverait confronté à des ravins, de même, les commandements tracent la frontière de ce que l’on appelle communément les « péchés mortels », qui sont mortels lorsqu’ils sont commis de manière délibérée, volontairement. Les commandements décrivent une règle de vie bonne.

En araméen, comme en hébreu, l’impératif négatif s’écrit comme un futur négatif. Par exemple, le 5e commandement, « Tu ne commettras pas de meurtre », doit être compris comme « Ne tue pas ».

Le mot « décalogue » signifie littéralement (du grec) « dix paroles ». On parle usuellement de dix commandements, mais la première parole n’est pas un commandement, c’est une parole d’Amour du Seigneur : « Je suis le Seigneur ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison d’esclavage ». Cette première parole nous donne pour règle de vie de remercier chaque jour le Seigneur, notre libérateur et sauveur. Viennent ensuite les commandements proprement dits.

  1. « Tu n’auras pas d’autres dieux en face de moi. Tu ne feras aucune idole, aucune image de ce qui est là-haut dans les cieux, ou en bas sur la terre, ou dans les eaux par-dessous la terre. Tu ne te prosterneras pas devant ces dieux, pour leur rendre un culte. Car moi, le Seigneur ton Dieu, je suis un Dieu jaloux : chez ceux qui me haïssent, je punis la faute des pères sur les fils, jusqu’à la troisième et la quatrième génération ; mais ceux qui m’aiment et observent mes commandements, je leur montre ma fidélité jusqu’à la millième génération. »

Cette première parole nous donne pour règle de vie d’adorer et de louer notre Créateur pour son Amour et sa splendeur, et de rejeter toute idolâtrie, divination et sorcellerie. Aime Dieu de tout ton cœur, c’est lui ta joie et ton bonheur. La Bible parle d’un Dieu unique, plus précisément « ’éhad », ce qui signifie UN. Ce n’est pas une question arithmétique, c’est être libre des liens du mythe et de la magie [1].

  1. « Tu n’invoqueras pas en vain le nom du Seigneur ton Dieu, car le Seigneur ne laissera pas impuni celui qui invoque en vain son nom ». Cette seconde parole nous donne pour règle de vie de respecter la Parole et le Nom du Seigneur, et donc aussi de rejeter l’indifférence et toute forme d’hypocrisie.  Secours les pauvres et les petits, ainsi le jour où tu invoqueras le Seigneur, tu seras écouté.
  2. « Souviens-toi du jour du sabbat pour le sanctifier. Pendant six jours tu travailleras et tu feras tout ton ouvrage ; mais le septième jour est le jour du repos, sabbat en l’honneur du Seigneur ton Dieu : tu ne feras aucun ouvrage, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni tes bêtes, ni l’immigré qui est dans ta ville. Car en six jours le Seigneur a fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qu’ils contiennent, mais il s’est reposé le septième jour. C’est pourquoi le Seigneur a béni le jour du sabbat et l’a sanctifié ». Le repos du Shabbat est ici mis en relation avec le récit de la Création. Alors que pendant six jour, Dieu a produit des œuvres, il s’est reposé le septième jour de sorte que nous sommes invités à rencontrer Dieu sur un autre registre que la production d’œuvre, sur un autre registre que nos affaires et notre travail. Créé à l’image de Dieu, l’être humain ne se réduit pas à son travail.  Dieu veut être rencontré sur un registre de gratuité celui des noces de l’alliance.
  3. « Honore ton père et ta mère, afin d’avoir longue vie sur la terre que te donne le Seigneur ton Dieu ». Non pas pour avoir l’héritage, la terre agricole, mais une longue vie. Le quatrième commandement nous donne pour règle de vie de respecter les parents.
  4. « Tu ne commettras pas de meurtre = Ne tue pas ». Ce cinquième commandement nous donne pour règle de vie de respecter et d’accueillir la vie humaine. Comme on peut aussi tuer par des paroles, il s’agit aussi de rejeter la médisance et la haine.
  5. « Tu ne commettras pas d’adultère = ne commets pas d’adultère ». Ce sixième commandement nous donne pour règle de vie de respecter le corps humain « temple de l’Esprit Saint », et de rejeter l’indignité, et l’infidélité. Aime ton corps dans la pureté.
  6. « Tu ne commettras pas de vol = ne vole pas ». Ce septième commandement nous donne pour règle de vie de respecter le bien d’autrui, de rejeter toute tricherie. Partage tes biens et prie.
  7. « Tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton prochain = ne mens pas ». Ce huitième commandement nous donne pour règle de vie de respecter notre parole, de rejeter tout esprit mensonger, de témoigner de Jésus vérité.
  8. « Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain ; tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne : rien de ce qui lui appartient ». Ne convoite pas. Ce neuvième commandement nous invite à respecter les autres dans nos regards, à rejeter l’envie, la jalousie, l’orgueil. Désire seulement de Dieu sa volonté. C’est une invitation au jardinage du cœur.

Psaume (18b (19), 8, 9, 10, 11)

La loi du Seigneur est parfaite, qui redonne vie ; la charte du Seigneur est sûre, qui rend sages les simples. Les préceptes du Seigneur sont droits, ils réjouissent le cœur ; le commandement du Seigneur est limpide, il clarifie le regard. La crainte qu’il inspire est pure, elle est là pour toujours ; les décisions du Seigneur sont justes et vraiment équitables : plus désirables que l’or, qu’une masse d’or fin, plus savoureuses que le miel qui coule des rayons. 

Le psaume commence par la louange du Créateur : « Les cieux racontent la gloire de Dieu, et l'oeuvre de ses mains, le firmament l'annonce » (Ps 19 (18), 2). Le psalmiste admire notamment le soleil : « A la limite des cieux il a son lever  et sa course atteint à l'autre limite, à sa chaleur rien n'est caché » (Ps 19 (18), 7). Ce n’est qu’après ses considérations sur la création que le psaume nous parle de la loi du Seigneur au verset 8. Mais les deux parties du psaume sont inséparables. De même que Dieu nous a donné le soleil qui nous éclaire et nous réchauffe, de même Dieu nous a donné une loi parfaite « qui redonne vie ».

Les commandements de Dieu sont le mode d’emploi de la vie. De même qu’il y a un ordre dans l’univers physique, avec le soleil qui se lève le matin à l’est et se couche le soir à l’ouest, de même il y a un ordre à respecter dans l’existence humaine. Cette loi, le décalogue, est aussi stable et parfaite que l'ordre des astres. De même que le soleil donne la vie aux plantes, Adam vivait au soleil de Dieu, mais après la faute, il a perdu la lumière. Un midrash dit qu’après la faute d’Adam, et après le crime de Caïn, Dieu se retira au premier puis au deuxième ciel, et ainsi de suite jusqu’au septième ciel, autrement dit l’humanité fut dans les ténèbres, perdant la vie par conséquent. Mais avec la venue des justes, Noé, Abraham, puis Moïse,  Dieu redescend, et donc il y a plus de lumière ! [2] Ainsi, « La loi du Seigneur est parfaite, qui redonne vie ».

« La charte du Seigneur est sûre, qui rend sages les simples ». Remercier Dieu et renoncer à la divination rend sages les simples. A l’inverse, ceux qui pratique les horoscopes, l’occultisme en deviennent fous, même s’ils avaient fait de grandes études… Respecter le repos hebdomadaire rend sage les simples, mais vivre sans s’arrêter conduit à des bêtises.

« Les préceptes du Seigneur sont droits, ils réjouissent le cœur ». Honorer ses parents par exemple permet de goûter des joies simples et profondes.

« Le commandement du Seigneur est limpide, il clarifie le regard ». Ne pas commettre d’adultère, ne pas tuer, ne pas voler, ne pas mentir, ne pas convoiter confère une vraie sagesse, un art de vivre sobre et merveilleux, un regard franc, un visage pur.

« La crainte qu’il inspire est pure, elle est là pour toujours ». La crainte n’est pas ici la peur qui paralyse, c’est la peur de rater quelque chose de magnifique, c’est le respect plein d’amour envers Celui qui est grand et vivifiant. Cette crainte est la conscience de la grande noblesse que Dieu nous a donnée. Cette crainte est un don de l’Esprit Saint pour ne pas passer à côté de l’essentiel, pour ne pas rater le but et la grandeur pour lesquels nous avons été créés. Dans son Magnificat, la Vierge Marie dit que la bonté du Seigneur s’étend d’âge en âge « sur ceux qui le craignent ».

« Les décisions du Seigneur sont justes et vraiment équitables : plus désirables que l’or, qu’une masse d’or fin, plus savoureuses que le miel qui coule des rayons ». Ici, les décisions du Seigneur correspondent à ce qui vient d’être dit, c’est la loi du Seigneur. La loi contient des impératifs négatifs, mais il y a aussi des commandements positifs, par exemple le jour du Shabbat, jour de délices, pour remercier Dieu et le louer pour sa bonté et tout ce qu’il est en lui-même. Dieu a décidé ce jour du Shabbat, comme il a aussi voulu les fêtes religieuses. Ces décisions « sont plus savoureuses que le miel qui coule des rayons ». 

Attention, Dieu ne décide pas à notre place. Par exemple C’est Judas qui a trahi Jésus en préméditant sa trahison, ce n’est pas Dieu qui l’a décidé à la place de Judas, mais Jésus a vécu passion comme une offrande rédemptrice, la manière dont Jésus a vécu sa passion ne supprime pas le fait que la trahison de Judas soit un crime. Comme Jésus, nous pouvons assumer toutes les circonstances de la vie pour en faire à notre tour une offrande d’amour, « une masse d’or fin » parce que l’or est purifié au creuset, parce que l’or a de la valeur, comme aussi le fait de traverser courageusement des circonstances difficiles. En faire une œuvre d’amour est aussi en faire une œuvre « plus savoureuse que le miel qui coule des rayons », car à travers la patience, il y a une douceur, il y a une bonté.

Attention il y a certaines idées juives qui ne sont pas chrétiennes.  Irving Yitzchak Greenberg réfléchit à la Shoah et considère révolu l’Ancien Testament. Selon lui, Dieu n’ayant pas répondu aux prières des juifs et ayant donc rompu unilatéralement son Alliance avec le peuple juif, Dieu n’a plus l’autorité morale pour ordonner aux gens de suivre sa loi et vivre dans sa volonté. Greenberg justifie sa théologie par l’épisode de Jacob luttant avec Dieu au gué du Yabboq, pour être finalement béni sous le nom d’Israël (Gn 32, 23-32), c’est le titre de son ouvrage phare « Wrestling with God » (lutter avec Dieu). L’enseignement chrétien nous parle de la venue d’un Antichrist, parodie du Christ, contrefaçon du Messie, et il est normal que les livres bibliques antérieurs au christianisme ne soient pas suffisants pour répondre aux drames annonciateurs de l’Antichrist. C’est la venue glorieuse du Christ qui anéantira l’Antichrist, et en attendant, ce n’est pas contre Dieu qu’il faut lutter –– mais contre l’Antichrist !

Reprenons le psaume dans toute sa profondeur et son actualité. En attendant le retour glorieux du Christ, Dieu ne nous invite pas à la facilité d’un laisser faire, il nous donne une loi qu’il est parfois difficile de suivre, mais « qui redonne vie » ; Dieu ne nous invite pas à l’indifférence, où finalement l’homme se perd : où est le bien, où est le mal ? où est le haut, où est le bas ? et l’homme tourne et devient fou. Le psaume dit : «  La charte du Seigneur est sûre, qui rend sages les simples ». Dieu ne nous invite pas à la mollesse, à la stagnation dans une vulgaire médiocrité. « Les préceptes du Seigneur sont droits, ils réjouissent le cœur ; le commandement du Seigneur est limpide, il clarifie le regard. La crainte qu’il inspire est pure, elle est là pour toujours ; les décisions du Seigneur sont justes et vraiment équitables ».

Dieu est esprit. Nous ne le voyons pas, mais il existe et il a créé le monde. Parce qu’il est le Créateur, il est en position légitime pour nous indiquer le haut et le bas, l’ordre des choses et le chemin qui mène à une vie plus désirable « qu’une masse d’or fin », plus savoureuse « que le miel qui coule des rayons ».

Deuxième lecture (1 Co 1, 22-25)

Frères, alors que les Juifs réclament des signes miraculeux, et que les Grecs recherchent une sagesse, nous, nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les nations païennes. Mais pour ceux que Dieu appelle, qu’ils soient juifs ou grecs, ce Messie, ce Christ, est puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes. – Parole du Seigneur. 

Les Juifs réclament des signes miraculeux, le miracle vient de Dieu, mais les signes sont encore trop extérieurs à la personne humaine, ils appartiennent au monde sensible. Ils ne valent que jusqu’à un certain point, mais il faut savoir y renoncer, et ce renoncement est une mort. Il faut crucifier la chair, car Dieu est esprit. « Nous, nous proclamons un Messie crucifié » : crucifié, le Messie a renoncé à s’imposer par la voie des signes miraculeux. Il est le vrai Messie, celui qui est « Oint Saint des Saints » (Dn 9, 24), il est puissance de Dieu, et cette puissance de Dieu, même si elle s’est manifestée au niveau sensible dans des signes miraculeux, veut se manifester bien au-delà de ce niveau sensible, au niveau de l’intériorité profonde, comme dans le Saint des Saints du Temple. Le Messie crucifié ne parle plus par les signes miraculeux, il parle par le fait qu’il a accepté de prendre sur lui le mal et le péché du monde, il parle par son pardon, par son côté transpercé. Le Messie crucifié est le grand prêtre que l’Ancien Testament préparait.

Le Messie crucifié est un scandale pour les Juifs qui s’attendaient à ce que Dieu protège le juste, mais plusieurs prophètes avaient annoncé un serviteur souffrant, notamment Isaïe 53. Ce Messie souffrant, ce Messie supprimé, massacré (Dn 9, 26), qui est puissance de Dieu, c’est la victime innocente, c’est le Fils de l’homme qui jugera le monde.

Il est plus facile de proclamer des signes et des prodiges que de proclamer la Passion du Christ. La Passion du Christ est un scandale qui au premier abord nous heurte et que nous repoussons. Mais pour celui qui s’approche avec le cœur, la Passion du Christ est une fontaine jaillissante, une source purificatrice, une source de vie pour toujours. L’annonce de la Passion du Christ va beaucoup plus loin que tous les signes et les prodiges.

Pour opérer des signes et des prodiges, il suffit d’être un canal des dons de l’Esprit Saint. Mais celui qui s’approche de la Passion de Jésus devient une source d’amour et de vie. Les miracles peuvent venir aussi, mais c’est en plus, comme un signe extérieur d’une réalité intérieure.

« Vraiment nous avons aujourd'hui, dans l'Église, beaucoup de canaux, mais bien peu de fontaines » (Saint Bernard In  sermo XVIII, PL 183, 1321).

Le Christ, le mot Christ est l’équivalent du mot Messie, le mot Christ venant du grec, et le mot Messie venant de l’hébreu.

Les Grecs recherchent une sagesse, en grec σοφίαν (une philosophie : ils énoncent diverses sagesses qui sont des philosophies de la vie, tirée d’une réflexion sur l’existence) en latin sapientia (qui donne aussi le mot saveur, les Grecs recherchent le bonheur), en araméen ḥeḵmṯā, une sagesse, une morale, une science. De nos jours, nous avons des sciences humaines, nous avons une éthique des droits de l’homme, éthique qui fluctue selon les pressions médiatiques et la majorité électorale. Comme pour les Grecs de jadis, l’annonce du Christ ou Messie crucifié semble à nos contemporains une folie et une faiblesse.

F. Nietzsche (1844-1900) exalte la volonté personnelle qu’il oppose à un Dieu auquel le christianisme aurait abandonné la puissance et la vie. Pour lui, le passé, ce serait l’homme asservi à Dieu, le présent, ce serait la libération, et le futur, ce serait le surhomme. Ce « surhomme » édicterait ses propres lois, avec une volonté sans limites, comme un petit dieu. Et, comme dans toutes les spiritualités gnostiques, l’humanité est divisée entre les gens ordinaires méprisables et ceux qui connaissent le secret et qui sont des génies. De nos jours, Nietzsche est une source d’inspiration pour le « transhumanisme » selon lequel une élite dirigerait le monde et bénéficierait d’une sorte d’éternité numérique, tandis que les gens ordinaires seraient méprisés. En réalité, toute technologie cherchant à interférer dans l’intériorité profonde de l’homme, loin d’en faire un surhomme, ne peut que le détruire radicalement (dans l’image du temple, on occulte le Saint des Saints), et, falsifier l’image de Dieu en l’homme. Une telle science n’écrira qu’une histoire si vile et si basse que les siècles n’en garderont pas le souvenir

Le Christ, lui, n’a pas exalté sa volonté propre. Au contraire, il en a fait le sacrifice jusqu’à la croix parce que la volonté humaine ne peut pas atteindre la même puissance que la volonté divine, comme le dit saint Paul « ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes » (1Co 1, 25). « Le Fils n’est capable de faire aucune chose de par sa volonté propre [men ṣḇūṯ napšēh] » (Jn 5, 19). La langue araméenne distingue rūḥā (l’esprit, le souffle) et napšā (l’âme, la gorge). Comme la gorge fait passer le souffle, la volonté propre doit s’offrir (par un sacrifice volontaire) à la volonté divine. La volonté humaine n’est pas appelée à être détruite, mais elle est appelée à travailler, excusez l’anthropomorphisme, en « donnant la main » au Père dont les hommes se sont dramatiquement éloignés depuis le péché originel.

« Nous, nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les nations païennes ». Non pas que Dieu le Père ait voulu la croix, qui reste un homicide, mais Dieu a saisi l’occasion pour permettre la manifestation radicale de l’union de la volonté humaine à celle du Père. En effet, dans les circonstances ordinaires, il n’est pas facile de distinguer la volonté humaine de la volonté de Dieu que l’on ne peut pas voir. C’est par ce sacrifice volontaire de sa volonté propre pour s’unir à la volonté du Père que Jésus pourra opérer la victoire sur le Prince de ce monde (Jn 12, 31), et cette victoire s’accomplit sur la Croix. Il s’agit d’agir dans la puissance de Dieu, dans la puissance du Créateur de l’univers, et non pas simplement dans une force humaine limitée. Mais la volonté divine et la puissance divine ne pourraient pas être manifestées aux hommes sans le passage par la croix. Pour que nous puissions bien comprendre que Jésus n’agit pas par une volonté humaine, fusse-t-elle la puissance du sur-homme rêvé par Nietzche, Jésus passe par la croix, de sorte que l’on puisse comprendre, à la résurrection, que c’est la puissance divine qui agit en lui.

Évangile (Jn 2, 13-25) 

-1-

13 Et la Pâque des Juifs était proche / et Jésus monta à Jérusalem.
14
Et il trouva, dans le Temple, ceux qui vendaient les bœufs, moutons et colombes, / et les changeurs assis.

15 Et il se fit / un fouet de corde,
et, tous,
/ il les fit sortir du Temple :

et les moutons et les bœufs,
/ et les changeurs ;

et il renversa leur monnaie
/ et retourna leurs tables !

16 Et, à ceux qui vendaient des colombes,  il dit :
‘Emportez ceci d’ici !
/ Et n’en faites pas, de la maison de mon Père, une maison de commerce !’

Et ses disciples se souvinrent qu’il est écrit : / ‘Le zèle de Ta maison m’a dévoré !’

-2-

18 Or les Juifs répondirent / et lui dirent :
‘Quel signe nous montres-tu
/ pour que tu fasses ceci ?’

19 Jésus répondit / et leur dit :
‘Abattez
/ ce Temple-ci,

et, en trois jours,
/ moi, je le relève !’

20 Les Juifs lui disaient : / ‘En quarante-six ans a été édifié ce Temple-ci,
et, toi,
/ en trois jours tu le relèves ?’

21
Or, lui, il disait [cela] / au sujet du Temple de son corps.

22 Or, lorsqu’il se releva debout de chez les morts, / ses disciples se souvinrent qu’il avait dit cela.
Et ils crurent aux Écritures
/ et à la Parole que Jésus dit.

-3-

23 Or, tandis que Jésus était à Jérusalem, / durant la Pâque, durant la fête,

beaucoup crurent en lui, / car ils virent les signes qu’il faisait.

24 Or, lui, Jésus, / il ne se fiait pas à eux,

parce qu’il connaissait, lui, / tout homme.

25 Il n’avait pas besoin qu’on lui rende témoignage, / au sujet de tout homme ;

lui, en effet, il connaissait / ce qu’il y a dans l’homme.

– Acclamons la Parole de Dieu. 

Le Temple est orienté vers l’autel des sacrifices et vers le Saint des Saints, lieu de la divine Présence. Les gens vont au Temple pour être vu de Dieu et leur sacrifice est présenté à Dieu pour qu’il le « touche » de sa présence sanctifiante, c’est le sens du qūrbānā. Malheureusement, la vue peut être obstruée par les affaires, marchands et changeurs ; Jésus dégage l’entrée du Temple et annonce qu’il va relever le Temple afin de rétablir le contact avec Dieu.

  • Première partie : Jn 2, 13-17

La Pâque est proche. Jésus entre dans le Temple et chasse les changeurs de monnaie et les vendeurs d’animaux en déclarant : « Et n’en faites pas, de la maison de mon Père, une maison de commerce ! » (Jn 2, 16). 

Au temps d’Hérode le grand, le commerce entre Rome et la Mésopotamie passait par l’intermédiaire des Hébreux. Les années sabbatiques et les pèlerinages étaient l’occasion de foires commerciales, hors les murs pour l’essentiel. L’esplanade du Temple était immense, beaucoup plus vaste que ne l’étaient, à Athènes, l’Agora et le portique de l’Attale. Outre les lieux d’enseignement des rabbis sous les portiques de Salomon, il y avait de la place pour une gigantesque activité bancaire et commerciale, où se rencontraient les Hébreux d’Espagne et ceux des marches de l’Inde… Après la mort d’Hérode, les Romains prirent l’avantage économique, mais les hauts responsables du Temple avaient déjà été corrompus par les énormes richesses accumulées à la faveur des pèlerinages. Avec leurs sacrifices d’animaux et leurs offrandes d’encens, les liturgies de Jérusalem continuaient de procurer d’énormes bénéfices [3].

En s’opposant à la corruption ambiante, Jésus montre son zèle pour la maison du Seigneur, à la manière de Pinhas. Le livre des Nombres raconte les débauches des Hébreux dans les plaines de Moab avec des cultes aux Baals, mais le prêtre Pinhas s’y opposa, c’est pourquoi le Seigneur parla à Moïse et promit « pour lui Pinhas et pour sa descendance après lui une alliance, qui lui assurera le sacerdoce à perpétuité. En récompense de sa jalousie pour son Dieu, il pourra accomplir le rite d’expiation sur les Israélites » (Nb 25, 12-13). Plus tard, les résistants au paganisme des Grecs se souviennent de Pinhas et le louent en ces termes : « pour avoir brûlé d’un beau zèle, il a reçu l’alliance d’un sacerdoce éternel » (1M 2, 54). Et l’évangile dit : « Et ses disciples se souvinrent qu’il est écrit : / ‘Le zèle de Ta maison m’a dévoré !’ » (Jn 2, 16)

Le geste de Jésus accomplit aussi la prophétie de Zacharie : « En ce jour-là, il y aura sur les grelots des chevaux : "consacré au Seigneur", et les marmites de la maison du Seigneur seront comme des coupes à aspersion devant l’autel. Toute marmite, à Jérusalem et en Juda, sera consacrée au Seigneur, tous ceux qui offrent un sacrifice viendront en prendre et cuisineront dedans, et il n’y aura plus de marchand dans la maison du Seigneur Sabaot, en ce jour-là » (Za 14, 20-21).

De plus, chasser les vendeurs d’animaux peut s’entendre comme une manière d’annoncer la fin des sacrifices d’animaux, ce qui sera confirmé par la suite.

Enfin, puisque « la Pâque est proche », les gens nettoient soigneusement les maisons du vieux levain. Dans ce contexte, le geste de Jésus est aussi une manière de prendre possession du Temple et de purifier « sa » maison de l’idolâtrie du pouvoir et de l’argent.

Les Juifs demandent à Jésus de prouver sa légitimité pour purifier ainsi le Temple. Et c’est alors que Jésus donne une réponse très surprenante :

« Abattez / ce Temple-ci
Et, en trois jours, / moi, je le relève ! » (Jn 2, 19).

« Abattez / ce Temple-ci ». Au moment du procès de Jésus, de faux témoins prétendront que Jésus a dit qu’il détruirait le Temple. Mais Jean rapporte la version exacte de ce qu’a dit Jésus : « Abattez / ce Temple-ci » (Jn 2, 19). Jésus ne détruit rien, mais, comme Jérémie l’avait vu avant lui (Jr 7, 11-14), Jésus sait que c’est l’iniquité qui chasse la présence divine du Temple et par conséquent « détruit » le Temple. Cela ne fait pas de doute que Jésus ait annoncé à l’avance la fin du Temple « ─ et précisément sa fin théologique. Nous en avons confirmation par la parole concernant la maison laissée déserte [4], et par la parole concernant les faux témoins pendant le procès de Jésus [5]. » [6] 

« Et, en trois jours, / moi, je le relève ! » Cette expression annonce la Résurrection de Jésus. Mais elle annonce aussi la structure future de l’Église qui devra s’inspirer de la structure du Temple, révélée à Moïse. Tout cela, les disciples le comprendront, mais plus tard (Jn 2, 21-22). Dans une église, le tabernacle tient la place du Saint des Saints avec Jésus l’unique grand prêtre, le chœur tient la place du Saint où officient les prêtres. La nef tient lieu des parvis extérieurs, celui des hommes et celui des femmes.

 

Or, tandis que Jésus était à Jérusalem,
« beaucoup crurent en lui, / car ils virent les signes qu’il faisait.
Or, lui, Jésus, / il ne se fiait pas à eux » (Jn 2, 23-24).

Pendant la fête de la Pâque, les Hébreux font mémoire des grands miracles que Dieu fit pour eux : les plaies d’Égypte, le passage de la mer ! La foi hébraïque s’est construite sur ces grands signes divins. Cependant, on le sait, peu après, ils construisirent un veau d’or et retombèrent dans l’idolâtrie ; cet épisode reflète le péché originel et commun à tout homme, c’est pourquoi Jésus ne se fie pas aux gens. La foi doit être éprouvée par le feu de l’épreuve pour que Jésus puisse se fier à quelqu’un.

Prions pour que notre foi soit éprouvée dans le feu de l’épreuve et que Jésus puisse se fier à nous.

 


[1] Cf. Dr. K. KOHLER, (President Hebrew Union College New York), Jewish Theology Systematically and Historically Considered, Michigan, Macmillan company, 1918.

[2] Tanhuma naso 16, éditions Eshkol Jer. 1972, pp. 687-688

[3] Cf. Pierre PERRIER, Evangile de l’oral à l’écrit, éditions du Jubilé, 2000, p. 26-33.

[4] Mt 23, 37s ; Lc 13, 34

[5] cf. Mt 26, 61 ; 27, 40 ; Mc 14, 58 ; 15, 29 ; Ac 6, 14

[6] Joseph RATZINGER, BENOÎT XVI, Jésus de Nazareth, tome II, Parole et Silence, Paris 2011., p. 51.

Date de dernière mise à jour : 17/02/2024