Dimanche de la miséricorde (B)

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Voici pour mémoriser le texte de l'évangile de ce jour en vue d'une récitation orale avec reprises de souffles.

Evangile jn 20 19 31Evangile Jn 20, 19-31 (85.04 Ko)

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Sur Radio espérance : tous les mardi, mercredi, jeudi et vendredi à 8h15
et rediffusées le dimanche à 8h et 9h30). 

 

Première lecture (Ac 4, 32-35)

Psaume (117 (118), 2-4, 16ab-18, 22-24)

Deuxième lecture (1 Jn 5, 1-6)

Évangile (Jn 20, 19-31)

Première lecture (Ac 4, 32-35)

La multitude de ceux qui étaient devenus croyants avait un seul cœur et une seule âme ; et personne ne disait que ses biens lui appartenaient en propre, mais ils avaient tout en commun. C’est avec une grande puissance que les Apôtres rendaient témoignage de la résurrection du Seigneur Jésus, et une grâce abondante reposait sur eux tous. Aucun d’entre eux n’était dans l’indigence, car tous ceux qui étaient propriétaires de domaines ou de maisons les vendaient, et ils apportaient le montant de la vente pour le déposer aux pieds des Apôtres ; puis on le distribuait en fonction des besoins de chacun. – Parole du Seigneur. 

Le partage vécu par les premières communautés chrétiennes leur permettait de résister à l’endettement qui à cette époque pouvait les réduire en esclavage.

Je vais vous lire un extrait de Fédor DOSTOÏEVSKI, Les Frères Karamazov. L’auteur met en scène un grand inquisiteur qui mettrait en prison Jésus-Christ, alors qu’il est réapparu sur le parvis de la cathédrale. Ce grand inquisiteur pose à Jésus des questions qui rappellent l’épisode des trois tentations de Satan au désert. Et dans le roman, la première question est l’occasion d’une méditation formidable sur le partage et la liberté. Une méditation qui déjoue les pièges de l’Antichrist.

« Voici la première question, [posée par le grand inquisiteur à Jésus] — le sens, sinon le texte : Tu veux te présenter au monde les mains vides, annonçant aux hommes une liberté que leur sottise et leur méchanceté naturelles ne leur permettent pas de comprendre, une liberté épouvantable, — car pour l’homme et pour la société il n’y eut jamais rien d’aussi épouvantable que la liberté ! mais vois ces pierres dans ce désert aride : change-les en pains, et tu verras l’humanité courir après toi comme un troupeau, reconnaissante, soumise, craignant seulement que ta main se retire et que les pains redeviennent pierres. Mais toi, tu n’as pas voulu priver l’homme de la liberté, tu as repoussé la tentation : Car que deviendrait l’humanité si l’obéissance était achetée avec des pains ?  Tu as répondu que l’homme ne vit pas seulement de pain ; — mais tu ne savais pas que l’esprit de la terre, au nom de ce pain de la terre, devait se dresser contre toi, te livrer bataille et te vaincre ! et tous le suivront en criant : « Qui est semblable à cette bête ? elle nous a donné le feu du ciel ! » Des siècles passeront, et l’humanité proclamera par la bouche de ses savants et de ses sages qu’il n’y a pas de crimes, et, par conséquent, pas de péché ; qu’il n’y a que des affamés. […] Et c’est nous qui achèverons leur Babel : il n’y manquait que du pain et nous leur en donnerons. Et nous leur en donnerons en ton nom ! Nous savons mentir, nous parlerons en ton nom. Eh ! ne mourraient-ils pas de faim, sans nous ? Est-ce leur science qui les nourrira ? Point de pain tant qu’ils auront la liberté ! Mais ils finiront par nous l’apporter, leur liberté, par la déposer à nos pieds : « Des chaînes et du pain ! » Ils comprendront que la liberté n’est pas compatible avec une juste répartition du pain terrestre entre tous les vivants, parce que jamais, — jamais ! — ils ne sauront faire le partage entre eux ! Ils se convaincront aussi qu’ils sont indignes de la liberté ; faibles, vicieux, sots et révoltés comme ils sont. Tu leur promettais le pain du ciel : de grâce ! peux-tu comparer ce pain-là avec celui de la terre, la race humaine étant la chose vile et incorrigiblement vile qu’elle est ?
Tu pourras, avec ton pain du ciel, attirer et séduire des milliers d’âmes, voire des dizaines de milliers ; mais, et les millions et les dizaines de milliers de millions qui n’auront pas le courage de préférer ton pain du ciel à celui de la terre ? […] Ils nous sont pourtant chers, à nous , ces êtres faibles : ils finiront, tout vicieux et révoltés qu’ils soient, par se laisser dompter, ils nous admireront, nous serons leurs dieux, nous qui aurons consenti à prendre sur nous le poids de leur liberté et à régner sur eux, — tant la liberté finira par leur faire peur ! et nous nous appellerons « disciples de Jésus », nous régnerons en ton nom, — sans te laisser approcher de nous. Cette imposture constituera notre part de souffrance, car il nous faudra mentir. — Voilà le sens de la première des trois questions » [1].

Le grand romancier russe avait donc vu, qu’être capable de partager librement, comme dans les Actes des apôtres, est une attitude clé dans la résistance à l’Antichrist. Lorsque l’on partage, on peut avoir l’impression de mourir un peu. Dans l’Occident actuel, la philosophie est celle de l’égoïsme. L’autre est perçu comme une menace. On prône l’épanouissement personnel. Mais qu’est-ce qu’un être humain ? Jésus nous rappelle que l’être humain est créé pour le don réciproque et qu’il s’épanouit lorsqu’il peut donner et se donner. On craint d’avoir des enfants parce qu’on a peur de devoir donner son temps, sa vie, mais qu’est-ce que l’être humain, sinon de se donner à d’autres  et de participer au mouvement trinitaire qui est pur don ?

Le partage chrétien a diverses modalités pratiques ; on voit dans le livre des Actes des apôtres qu’il était permis de garder une propriété personnelle : Pierre déclare en effet à Ananie : « Quand tu avais ton bien, n'étais-tu pas libre de le garder, et quand tu l'as vendu, ne pouvais-tu disposer du prix à ton gré ? » (Actes 5, 4). Dieu a créé les êtres humains comme des êtres libres, et la liberté a besoin d’un espace privé où s’exercer. Les grands systèmes collectivistes finissent généralement par ne pas être efficaces et par générer toutes sortes d’abus, et surtout ils privent de l’espace concret où s’exerce la liberté.

Les Actes des apôtres font écho à l’évangile de Luc, et les apôtres suivent les conseils de Jésus :

« Or, quelqu’un lui dit, / de parmi cette foule :
‘Docteur, / dis à mon frère de partager avec moi l’héritage !’
Jésus, donc, / lui dit :
‘Homme, / qui m’a établi sur vous juge et partageur ?’
Et il dit à ses disciples :
‘Prenez garde à toute avidité, / parce que ce n’est pas dans l’abondance des richesses qu’il y a la vie !’ » (Lc 12, 13-15)

Dans le monde rural d’alors, Jésus oriente son interlocuteur vers l’idéal exprimé par le psaume 132 (133) qui consiste pour les frères à vivre ensemble, c’est-à-dire sans diviser la propriété. Et à un niveau élargi, c’est ce que vivaient les premières communautés chrétiennes. 

« Lorsque tu fais une réception, appelle : les pauvres, les invalides, les boiteux, les aveugles ! » (Lc 14, 13). Cette réception [qūbālā] deviendra le repas du samedi soir où l’on partage la parole qui sauve et guérit, avant les Saints Mystères du dimanche matin (réservés aux baptisés). De nos jours, un partage est vécu au niveau du clergé diocésain et des services diocésains aidant les plus pauvres.

Il y a un lien entre ce partage vécu et la puissance du témoignage des apôtres. Un homme avide ne croit pas véritablement en Dieu. Un chrétien qui vit dans l’entre-soi de ses amis aussi riches que lui, ne témoigne pas de l’amour de Dieu. Il faut toujours un moment de générosité, générosité un peu folle, un geste qui vous mord un peu, un don qui vous pince le cœur, et qui déclenche une bénédiction, une grâce abondante. « C’est avec une grande puissance que les Apôtres rendaient témoignage de la résurrection du Seigneur Jésus, et une grâce abondante reposait sur eux tous ».

Psaume (117 (118), 2-4, 16ab-18, 22-24)

Oui, que le dise Israël : Éternel est son amour ! Que le dise la maison d’Aaron : Éternel est son amour ! Qu’ils le disent, ceux qui craignent le Seigneur : Éternel est son amour ! Le bras du Seigneur se lève, le bras du Seigneur est fort ! Non, je ne mourrai pas, je vivrai pour annoncer les actions du Seigneur. Il m’a frappé, le Seigneur, il m’a frappé, mais sans me livrer à la mort. La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle : c’est là l’œuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux. Voici le jour que fit le Seigneur, qu’il soit pour nous jour de fête et de joie ! 

« La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle ». Ce verset du psaume a été cité par Jésus dans une parabole importante, celle que l’on appelle la parabole des vignerons homicides :

« 9 Et il se mit à dire au peuple cette parabole :
"Un homme planta une vigne,
et il la fit entretenir par des vignerons / et partit au loin, longtemps.
10 Et, le moment venu, il envoya son serviteur aux vignerons / pour qu’ils lui donnent du fruit de la vigne ;
mais les vignerons le frappèrent / et le renvoyèrent à vide.

11 Il recommença, / envoyant son autre serviteur ;
or eux, / celui-là aussi,
ils le frappèrent, le bafouèrent, / et le renvoyèrent à vide.

12 Il recommença, / et en envoya un troisième ;
or eux, / celui-là aussi,
ils le blessèrent / et le firent sortir.

13 Le seigneur de la vigne dit alors : / ‘Que vais-je faire ?
J’enverrai… / mon fils bien-aimé !
Peut-être que… / quand ils le verront, ils le respecteront’.

14 Or les vignerons, / l’ayant vu,
calculaient en eux-mêmes / en disant :
‘C’est lui / l’héritier !
Venez, / tuons-le,
et l’héritage / sera à nous !’.

15 Et, ils le firent sortir hors de la vigne, / et le tuèrent.
Que fera d’eux par conséquent / le maître de la vigne ?

16 Il viendra faire périr ces vignerons / et donnera la vigne à d’autres !"

Or, l’ayant entendu, / ils dirent :
‘Que cela / ne soit pas !’
17 Or, lui, il les fixa du regard, / et dit :
‘Pourquoi y a-t-il / cette écriture :
La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs, / c’est elle qui est devenue la principale [2] de la corne d’angle ?” » (Lc 20, 9-17)

Je voudrais maintenant vous parler de sainte Faustine à qui nous devons, en ce dimanche, la fête de la divine miséricorde.

Faustine est née le 25 août 1925 en Pologne, son père, paysan, réveillait la maisonnée en chantant les laudes de très bonne heure... Elle est devenue sœur converse (cuisinière, jardinière, vendeuse, portière..). Son noviciat fut marqué par une longue période où les vérités de la foi lui semblèrent incompréhensibles, elle reçoit à l’envers les paroles de consolation de sa supérieure, elle est aux prises avec des tentations de blasphème et se sent damnée. Elle dit : « Jésus j’ai confiance en Toi ». Puis avec l’épuisement il lui semble que même la fine pointe de l’âme a cessé de lutter, elle s’effondre dans sa chambre, la supérieure entre et lui dit : ‘mon enfant au nom de l’obéissance, lève-toi’. Peu après, le Seigneur lui révèle combien elle est sa bien-aimée et les révélations sur la miséricorde divine suivent.

Faustine a été refaite par le Seigneur, la guérison, c’est la visite par la miséricorde. Jésus dit : « Ma fille, tu ne m’as pas encore tout donné, tu ne m’as pas donné ce qui est vraiment tien, donne-moi ta misère. »

Faustine dit : « Je vis l’abîme de ma misère, si j’avais commis tous les crimes de tous les damnés, je ne perdrai pas confiance. »

Jésus lui demande que soit faite une image telle qu’il lui est apparu : dans un mouvement de résurrection, avec de flots de lumière rouge et blanc : l’eau qui lave et le sang qui vivifie, et de faire inscrire sous l’image : « Jésus j’ai confiance en toi »

Puis il fait des promesses solennelles aux personnes, aux villes, aux pays qui Le vénèreront sous ses traits de Christ Miséricordieux.

Jésus demande que soit instituée la fête de la Divine miséricorde, le dimanche de l’octave de Pâque.

Faustine, moins de 50 ans après sa mort, a été béatifiée par Jean Paul II, pour l’octave de Pâques 1993. (Et pour son encyclique sur la miséricorde, Jean Paul II dit avoir reçu d’elle l’inspiration.) Et elle fut canonisée en l’an 2000 pour l’octave de Pâques instituée fête de la miséricorde.

Chers auditeurs, il n’y a aucune raison d’être désespéré, jamais. En cette fête de la divine miséricorde, citons, dans le journal de sainte Faustine, la « Conversation avec l’âme désespérée ».

« - Jésus : Âme plongée dans les ténèbres, ne désespère pas, tout n’est pas encore perdu, entre en conversation avec ton Dieu qui est tout Amour et Miséricorde. Âme, entend la voix de ton Père Miséricordieux.

 Mais l’âme reste sourde et aveugle, alors, sans aucune coopération de l’âme, Dieu lui donne sa dernière grâce. 

- Jésus : Je te vois si faible, c’est pourquoi je te prend dans mes bras.

- Jésus : Âme, sache bien que tous tes péchés ne m’ont pas blessé aussi douloureusement que tu ne le fais par ta méfiance actuelle.

- L’âme : O Seigneur sauvez-moi tout seul !

Jésus conduisit l’âme dans la demeure de son cœur où tous ses péchés disparurent.

- L’âme : O Seigneur, je sens une nouvelle vie qui me pénètre. Enhardie de votre bonté je vais vous dire tout ce qui fait la douleur de mon cœur.

- Jésus : Dis tout mon enfant

- L’âme : Je vois que j’aurai mérité la profondeur de l’enfer pour avoir gaspillé vos grâces.

- Jésus : Ne t’enfonce pas dans ta misère, tu es trop faible pour parler, regarde plutôt mon cœur plein de bonté. Imprègne-toi de ma façon de sentir et efforce-toi au calme et à l’humilité. Sois miséricordieuse comme je sens que Je Suis avec toi, et lorsque tu sentiras que tes forces faiblissent, viens à la source de la Miséricorde et fortifie ton âme. » (Sainte Faustine, Petit Journal n° 1486).

Deuxième lecture (1 Jn 5, 1-6)

Bien-aimés, celui qui croit que Jésus est le Christ, celui-là est né de Dieu ; celui qui aime le Père qui a engendré aime aussi le Fils qui est né de lui. Voici comment nous reconnaissons que nous aimons les enfants de Dieu : lorsque nous aimons Dieu et que nous accomplissons ses commandements. Car tel est l’amour de Dieu : garder ses commandements ; et ses commandements ne sont pas un fardeau, puisque tout être qui est né de Dieu est vainqueur du monde. Or la victoire remportée sur le monde, c’est notre foi. Qui donc est vainqueur du monde ? N’est-ce pas celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu ? C’est lui, Jésus-Christ, qui est venu par l’eau et par le sang : non pas seulement avec l’eau, mais avec l’eau et avec le sang. Et celui qui rend témoignage, c’est l’Esprit, car l’Esprit est la vérité. – Parole du Seigneur. 

« Ses commandements ne sont pas un fardeau, puisque tout être qui est né de Dieu est vainqueur du monde ». « Parfois, dans les discussions sur les problèmes nouveaux et complexes en matière morale, il peut sembler que la morale chrétienne soit en elle-même trop difficile, trop ardue à comprendre et presque impossible à mettre en pratique. C’est faux, car, pour l’exprimer avec la simplicité du langage évangélique, elle consiste à suivre le Christ, à s’abandonner à Lui, à se laisser transformer et renouveler par sa grâce et par sa miséricorde qui nous rejoignent dans la vie de communion de son Église. » (Jean-Paul II, Veritatis Splendor 119)

« Ses commandements ne sont pas un fardeau, puisque tout être qui est né de Dieu est vainqueur du monde ». Dans ce que j’appelle le noyau de l’Apocalypse [3], le dragon s’acharne et inspire une persécution d’ordre moral contre ceux qui « gardent les commandements de Dieu et une persécution doctrinale, contre la transmission « du témoignage de Jésus » (Ap 12, 17). Un peu plus loin, en Ap 13, 11-17, il s’agit d’une bête, une deuxième bête ou organisation. La « bête de la terre » ressemble à un agneau, c’est-à-dire à Jésus, l’Agneau, mais elle parle comme un dragon. Cette bête qui ressemble à un agneau, mais qui parle comme un dragon, est un pouvoir médiatique et une parodie du christianisme. Tout en se présentant au nom de Jésus, ou comme de grands chrétiens, cette bête, c’est-à-dire cette organisation parle comme un dragon dont il a été dit qu’il s’acharne contre ceux qui « gardent les commandements de Dieu et le témoignage de Jésus » (Ap 12, 17). Par exemple, elle présente le péché comme une valeur et cherche à détruire le témoignage de Jésus (la réalité historique des miracles, la résurrection du Christ et sa divinité…).

La suite de l’Apocalypse nous montre la victoire de Jésus. L’Agneau est le vainqueur du monde, comme le dit aussi la première lettre de saint Jean : « C’est lui, Jésus-Christ, qui est venu par l’eau et par le sang : non pas seulement avec l’eau, mais avec l’eau et avec le sang. Et celui qui rend témoignage, c’est l’Esprit, car l’Esprit est la vérité ». Et ce passage rappelle ce verset de l’évangile :

« Mais un des soldats / frappa son côté par une lance
et, aussitôt, il sortit du sang / et de l’eau.
» (Jn 19, 34).

Le coup de lance et le côté ouvert du Christ d’où jaillissent l’eau et le sang révèlent de quelle mort Jésus est mort (avant le coup de lance) : il est mort d’une déchirure du myocarde, donc, plus encore que par la crucifixion, Jésus est mort d’un effort d’amour. Jésus donne sa vie, par amour. La Passion de Jésus est une Passion d’amour. On ne peut pas comprendre la Passion du Christ sans comprendre qu’elle est un don d’amour, une intercession d’amour. Lorsque Jésus sera déjà mort, un soldat transpercera son cœur, jailliront l’eau et le sang, signe médical d’une déchirure du myocarde ayant causé la mort du Christ : c’est une angoisse d’amour qui, ultimement a causé la mort du Christ.

Mais les courants messianiques, tels que l’islam, nient la mort de Jésus. Puisque la perspective messianiste est le salut du monde, il est impensable que le Messie ait échoué dans le projet de domination mondiale que Dieu est présumé lui avoir confié, au point de mourir sur une croix ‒ ce qui est une malédiction au regard biblique (Dt 21, 23) ‒; quelqu’un d’autre lui a été substitué et il a été enlevé au Ciel [4], où il attend le moment de revenir sur terre, de reprendre le travail et de réussir la conquête du monde. Comme le Messie est un surhomme, il règnera 400 ans [5].

Quant à la perspective spiritualiste (dite « gnostique »), elle ne peut pas non plus envisager que le Messie Fils de Dieu soit réellement mort ‒ et donc il ne s’est pas non plus réellement relevé des morts. C’est son corps, ou une apparence, qui a été crucifié : le Maître n’était plus là, il avait déjà quitté son corps ‒ on lui fait dire : “Je ne suis pas celui qui est attaché à la croix”[6]. On a appelé cela le « docétisme », mais il s’agit simplement d’un élément propre à tous les systèmes spiritualistes.

Dans son Apocalypse, saint Jean est clair. L’ange, porte-parole de Jésus, dit sa préexistence et son mystère de Pâques : « Ainsi dit celui qui est le Premier et le Dernier, Celui qui fut mort et qui a [re]vécu » (Ap 2,8). Et Jean a la vision, au milieu du trône, d’un Agneau immolé (Ap 5,6). Il est le Verbe-Parole de Dieu (Ap 19, 13). Dieu et l’Agneau siègent ensemble sur le Trône d’où sort le fleuve d’eaux vives (Ap 22, 1) !

Venons-en à sainte Faustine, à qui nous devons la fête de la Divine Miséricorde. En 1935, Jésus lui dit : « Tu prépareras le monde à mon ultime venue » (Petit Journal § 429). « Avant de venir comme un Juge équitable, – lui dit Jésus – je viens d’abord comme Roi de miséricorde. Avant que n’advienne le jour de Justice, il sera donné aux hommes un signe dans le ciel. Toute lumière dans le ciel s’éteindra et il y aura de grandes ténèbres sur toute la terre. Alors le signe de la croix se montrera dans le ciel, et des plaies des mains et des pieds du Sauveur, sortiront de grandes lumières, qui pendant quelques temps illumineront la terre » (Petit journal n° 83). Ce texte est un rappel d’un passage de l’évangile de Matthieu : « Et alors apparaîtra dans le ciel le signe du Fils de l'homme ; et alors toutes les races de la terre se frapperont la poitrine ; et l'on verra le Fils de l'homme venant sur les nuées du ciel avec puissance et grande gloire » (Mt 24, 30).

Il n’y a qu’une seule venue glorieuse du Christ. La succession de la miséricorde et de la justice ne signifie pas que Dieu puisse cesser un jour d’être miséricordieux, d’ailleurs, en 1934, Jésus demande à sœur Faustine « proclame que la miséricorde est le plus grand attribut de Dieu » (Petit Journal § 301). Cela signifie, comme l’Apocalypse l’enseigne, que les hommes vont un jour se fixer dans le bien (le sceau de Dieu) ou dans le mal (la marque de la bête), et qu’un jugement du monde aura alors lieu, car ceux qui auront rejeté le Créateur ne pourront plus vivre sur la terre.

La foi chrétienne ne doit pas être confondue avec ses contrefaçons qui, toutes, prétendent opérer le jugement du monde à la place du Créateur. On voit cela dans les mots qu’ils utilisent. Ils parlent de « fils de la lumière » (eux) et de « fils des ténèbres » (qu’ils se donnent le droit de censurer ou d’éliminer). Certes, Jésus a parlé des « fils de lumière » (Jn 12, 36), mais il n’a jamais employé l’expression « fils des ténèbres » ‒ et on ne la trouve nulle part non plus dans le Nouveau Testament. On lit seulement ceci, à la fin d’une parabole : « Les fils de ce monde sont plus habiles que les fils de la lumière » (Luc 16, 8). L’expression « fils des ténèbres » implique une condamnation, presque une prédestination à l’Enfer, tandis que ldeded « fils de ce monde », expression certes négative, laisse la porte ouverte.

Ce qui nous revient, c’est la fidélité aux commandements de Jésus, et la pratique de la miséricorde, de la douceur, de la patience, de la fidélité dans l’espérance.

Évangile (Jn 20, 19-31)

L’évangile dans une traduction adaptée à la récitation orale.

« 19 Or, lorsque ce fut le soir, / de ce jour qui est le premier de la semaine,
et que les portes étaient maintenues fermées, / là où se trouvaient les disciples,

à cause de la crainte des Juifs,

Jésus vint, / se tint debout parmi eux,
et leur dit : / ‘La paix [plénitude] avec vous !’

20 Il dit ceci,
et il leur montra ses mains / et son côté.

Et les disciples se réjouirent /de ce qu’ils virent Notre Seigneur.

21 Or Jésus leur dit de nouveau : / ‘La paix avec vous.
De la même façon que Mon Père m’a envoyé, / Moi, aussi, Je vous envoie !’

          22 Et, ayant dit ces choses-là,
il souffla en eux / et leur dit :

‘Recevez / l’Esprit Saint !

23 Si vous remettez les péchés à quelqu’un, / ils lui seront remis.
Si vous retenez [ceux] de quelqu’un, / ils sont retenus’.

24 Or Thomas, l’un des Douze, / celui qui est dit le Jumeau,
il n’était pas là, avec eux, / lorsque vint Jésus.

25 Les disciples lui disaient : / ‘Nous avons vu Notre Seigneur !’
Or, lui, / il leur dit :

‘Si je ne vois dans ses mains les endroits des clous, / et ne jette en eux mes doigts,
et n’étends ma main dans son côté, / je ne croirai pas !’ 

          26 Et, après huit jours,
de nouveau, les disciples étaient à l’intérieur, / et Thomas avec eux.

Et Jésus vint, tandis que les portes étaient maintenues fermées, / et se tint debout au milieu,
et il leur dit : /
la paix [plénitude] soit avec vous !’

          27 Et il dit à Thomas :
Fais venir ton doigt ici même/ et vois mes mains !

Et fais venir ta main / et étends[-la] dans mon côté !

Et ne sois pas incroyant, / mais croyant.’

28 Et Thomas répondit / et lui dit :
‘Mon Seigneur / et mon Dieu !’

          29 Et Jésus lui disait : 
Maintenant que tu m’as vu, / tu as cru !

Bienheureux sont-ils, / ceux qui ne m’ont pas vu et qui ont cru !

30 Or ce sont beaucoup d’autres signes / que fit Jésus devant ses disciples.
et qui ne sont pas écrits
/ dans ce livre.
Mais ceux-là ont été écrits pour que vous croyiez / que

Jésus est le Messie, / le Fils de Dieu,

et que dès que vous avez cru,
/ vous ayez en son nom la vie pour toujours » (traduction de F. Guigain modifiée par F. Breynaert).

« Croire » : appuyer ses mains devant soi comme sur un appui de fenêtre.

« Mon Seigneur et mon Dieu » : geste d’adoration, par exemple, les mains croisées sur la poitrine en s’inclinant.

Il est stupéfiant que Jésus donne aux apôtres le pouvoir de remettre les péchés, ce qui est la prérogative du Grand-Prêtre au Yom Kippour. L’investiture d’un Grand-Prêtre fait l’objet de solennités qui durent sept jours (Ex 29, 35 ; Lv 8, 33), ce qui explique cette autre apparition où Thomas est désormais présent. L’appellation Grand-Prêtre est en effet attestée pour désigner les évêques par les anciennes traditions, par exemple, au début du III° siècle, la Tradition apostolique s’exprime ainsi concernant les visites aux malades « que s’il plait à l’évêque, il leur rende visite : c’est en effet un grand réconfort pour un malade que le Grand-Prêtre se souvienne de lui »[7]. Pierre Perrier a démontré que saint Thomas est représenté dans un grand bas-relief sur la falaise de Kong Wang Shan en Chine, et cette représentation est datée de la fin du premier siècle, vers l’an 70. Or on observe sur Thomas la coiffe plate et la plaque (dorée) caractéristique du Grand-Prêtre.

Attention dans l’évangile à l’ordre des mots ; d’abord « Recevez l’Esprit de Sainteté » (Jn 20, 22), ensuite « Remettez les péchés » (Jn 20, 23). Il y a une action à l’intérieur des personnes, une sanctification, une transformation des apôtres : l’Esprit de Sainteté leur confère de pouvoir recevoir les confessions sans être atteints par leur négativité, mais en apportant la parole qui relève et sanctifie. Cette transformation sera ensuite appelée par l’Église « le sacrement de l’ordre ». Le sacrement de l’ordre est donc très fortement associé à celui de la rémission des péchés ‒ l’association des deux sacrements mérite attention : supprimer le sacrement de réconciliation, c’est vider l’essence du sacerdoce.

Le Grand-Prêtre est normalement unique. Dans l’Église, les apôtres et leurs successeurs sont participants de l’unique Grand Sacerdoce du Christ. Cette participation n’est pas uniquement extérieure à eux : remettre les péchés, c’est obtenir la conversion des pécheurs, et pour l’obtenir, le Christ a offert sa Passion, et le prêtre participe à cette offrande.

En invitant Thomas à voir ses mains et à mettre sa main dans son côté (Jn 20, 27), Jésus suggère que le sacerdoce chrétien est un contact avec la Passion et la Résurrection du Christ. Non pas une école de pensée ou un parti, mais une fidélité à Jésus jusqu’à la Croix et la résurrection. Le contact (qūrbānā) de Thomas avec Jésus est une rencontre (qūrbānā) bouleversante avec l’Amour divin, être prêtre signifie donc être spécialiste de la rencontre de l’homme avec Dieu (qūrbānā, ce mot araméen qui désigne les Saints Mystères eucharistiques) !

« Si vous remettez [racine šbq] les péchés à quelqu’un, ils lui seront remis [racine šbq] ». Remettre les péchés, c’est les laisser tomber. C’est le même verbe que quand, au bord du Lac, Jésus appelle Simon, André, Jacques et Jean qui « laissent [verbe šḇaq] leur filet » et se mettent à la suite de Jésus (Mc 1, 20). Les apôtres peuvent remettre les péchés, avec le discernement procuré par l’assistance de l’Esprit Saint. Le péché pardonné est pardonné pour l’éternité.

Mais si, par exemple, il n’y a aucun regret, les apôtres peuvent « retenir – [racine ‘ḥd] » les péchés, les maintenir jusqu’à ce que peut-être les dispositions du pécheur changent… Il ne s’agit pas de condamnation définitive, mais d’une mise à l’écart à cause de l’absence de repentir (c’est le sens originel du mot « excommunication »). En araméen, jamais ce verbe « retenir » ne signifie condamner. Jésus ne donne pas aux apôtres le pouvoir de juger, c’est lui le Fils de l’homme qui jugera le monde lors de sa venue glorieuse. Il donne aux apôtres le pouvoir de remettre les péchés, mais, avec discernement (Jn 20, 21-23).

 

[1] Fédor DOSTOÏEVSKI, Les Frères Karamazov, Traduction par Ely Halpérine-Kaminsky, Charles Morice, Plon, 1888, p. 236 et ss.  https://fr.wikisource.org/wiki/Les_Fr%C3%A8res_Karamazov,_traduction_Halp%C3%A9rine-Kaminsky_et_Morice

[2] « rīš » ne désigne pas forcément la tête, donc la clé de voûte, mais la principale, le commencement, donc la première, la pierre de fondation.

[3] Cf. Françoise BREYNAERT, L’Apocalypse revisitée. Une composition orale en filet. Imprimatur. Parole et Silence, 2022.

[4] Dans cet autre passage du Testament de Lévi, écrit comme un reproche aux juifs qui refusent Jésus comme Messie, il n’est pas précisé que Jésus est mort : “L’homme qui aura renouvelé la Loi par la puissance du Très-Haut, vous le saluerez du titre d’imposteur, vous vous jetterez sur lui pour le tuer, sans savoir s’il se relèverait et faisant retomber dans votre malice le sang innocent sur votre tête. Mais je vous le dis, à cause de lui, votre sanctuaire sera dévasté jusqu’aux fondations” (16,3-4).
Curieusement, on lit dans le Coran : “[Les juifs disent :] Nous avons vraiment tué le Messie Jésus fils de Marie, messager de Dieu. Or ils ne l’ont ni tué ni crucifié mais quelque chose de ressemblant à lui fut pour eux [à leurs yeux] … mais Dieu l’a élevé vers Lui” (sour. 4,157-158).

[5] Le chiffre de 400 se lit dans les versions latine, géorgienne et proto-arabe du IVe livre d’Esdras (7,28-31 – Écrits apocryphes chrétiens, Gallimard, 1997, p.1420). L’islam hérite de cette attente d’une redescente de « le Messie Jésus » (al-masiḥ ‘Isa selon les termes propres du Coran), une attente essentielle dans la prédication historique de Mahomet selon de nombreux hadith-s (AMIR-MOEZZI), et loin du personnage créé par la légende ; mais la théologie islamique (bien postérieure au Coran) a divisé les 400 ans par dix : après avoir tué le dragon et vaincu ses armées, Jésus ne vit que 40 ans encore.

[6] Actes de Jean, n° 99 in JAMES M. R., The Apocryphal New Testament, Oxford, Clarendon Press, 1924 ‒ 2nd éd. 1953, p. 255. Ce texte est subtilement gnostique, il n’attaque jamais de front la foi chrétienne. Au n° 101, on lit : “Je n’ai rien souffert de ce qu’on dira de moi, et même la souffrance que je t’ai montrée, à toi et aux autres, dans la danse, je veux qu’on l'appelle un mystère […] Je suis, non pas ce que j’ai dit mais ce que tu es capable de savoir, parce que tu y es apparenté. Tu entends que j’ai souffert, et que je n'ai pas souffert ; que je n'ai pas souffert, et que j'ai souffert ; que j'ai été transpercé, et que je n’ai pas été frappé ; que j’ai été pendu, et que je n’ai pas été pendu ; que du sang a coulé de moi, et qu’il n'a pas coulé ; en un mot, ce qu’on dit de moi, ce n’est pas ce qui m’est arrivé, mais ce qu’on ne dit pas, c’est ce que j’ai souffert. Or, ce que sont ces choses, je te l’indique, car je sais que tu veux les comprendre” (p. 255).        
Concernant la négation de la croix, voir aussi IGNACE d’Antioche, Epistola ad Smyrnaeos, 2 ‒ P.G. V,707 : “Tout cela, il l’a souffert pour nous, pour que nous soyons sauvés. Et il a véritablement souffert, comme aussi il s’est véritablement ressuscité, non pas, comme disent certains incrédules, qu’il n’ait souffert qu’en apparence” ; Ad Trallianos, 10 ‒ P.G. V, 682 ; ÉPIPHANE, Panarion, 24,3 ‒ P.G. XLI, 311.

[7] TRADITION APOSTOLIQUE § 34, Ed. B. Botte, Münster, 1963, p. 80-81

Date de dernière mise à jour : 29/02/2024