19e dimanche ordinaire B

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Voici pour mémoriser le texte de l'évangile de ce jour en vue d'une récitation orale avec reprises de souffles.

Jn 6 41 5119e dimanche du temps ordinaire Jn 6, 41-51 (135.3 Ko)

Podcast sur  : https://radio-esperance.fr/antenne-principale/entrons-dans-la-liturgie-du-dimanche/#

Sur Radio espérance : tous les mardi, mercredi, jeudi et vendredi à 8h15
et rediffusées le dimanche à 8h et 9h30). 

Première lecture (1 R 19, 4-8)

Psaume (Ps 33 (34), 2-3, 4-5, 6-7, 8-9)

Deuxième lecture (Ep 4, 30 – 5, 2)

Évangile (Jn 6, 41-51)

Première lecture (1 R 19, 4-8)

En ces jours-là, le prophète Élie, fuyant l’hostilité de la reine Jézabel, marcha toute une journée dans le désert. Il vint s’asseoir à l’ombre d’un buisson, et demanda la mort en disant : ‘Maintenant, Seigneur, c’en est trop ! Reprends ma vie : je ne vaux pas mieux que mes pères’. Puis il s’étendit sous le buisson, et s’endormit. Mais voici qu’un ange le toucha et lui dit : ‘Lève-toi, et mange’. Il regarda, et il y avait près de sa tête une galette cuite sur des pierres brûlantes et une cruche d’eau. Il mangea, il but, et se rendormit. Une seconde fois, l’ange du Seigneur le toucha et lui dit : « Lève-toi, et mange, car il est long, le chemin qui te reste. » Élie se leva, mangea et but. Puis, fortifié par cette nourriture, il marcha quarante jours et quarante nuits jusqu’à l’Horeb, la montagne de Dieu. – Parole du Seigneur.

Élie commença par annoncer une sécheresse comme un avertissement : le culte des Baals est inefficace ! Pendant cette sécheresse, Élie se réfugia au torrent du Kérit et, miraculeusement, un corbeau lui apporte du pain (1R17, 1-6) : Élie démontre ainsi qu’est vivant le Dieu de l’Exode qui avait nourri son peuple au désert par l’eau du rocher et par la manne.

À ce Dieu vivant, il convient de tout donner, il convient de faire une confiance absolue. Le jour où le torrent devient sec, Élie va chez une veuve de Sarepta, c’est-à-dire une étrangère. Elle n’a de réserve que pour un maigre ultime repas. À la demande d’Élie, la veuve a tout donné et, par Élie, Dieu renouvelle sa providence, son don en plénitude (1R 17, 13-14).

Ensuite (chapitre 18), sur le mont Carmel, Élie confond 450 prophètes de Baal : ils ne peuvent faire descendre le feu du ciel sur leurs offrandes. Élie manifeste la puissance du Dieu vivant par la descente du feu du ciel sur son sacrifice. Après le miracle, il massacre les prophètes de Baals, ce qui explique qu’il devra fuir la colère de la reine Jézabel.

Peu après, saisi par cette grande sécheresse qui régnait sur Israël, symbole de la grande soif de Dieu, Élie monta vers le sommet du Carmel, il priait, il suppliait. Il faisait une immense violence d’amour à son Dieu, jusqu’au moment où, enfin, un petit nuage s’élevait de la mer, présage de la pluie qui viendrait (1R 18, 41-46).

Mais dans sa colère, Jézabel menace Élie de mort. Et Élie s’enfuit, tel est le contexte de la lecture de ce dimanche.

Élie est seul, abandonné, menacé… Qui d’entre vous ne s’est pas senti poussé à bout, incompris, seul ?

Élie veut mourir, il ne fait pas une tentative de suicide, il demande avec une grande simplicité à Dieu de reprendre sa vie... Et Dieu accueille sa prière, et l’exauce à sa manière : Il touche Elie, Il lui donne nourriture et boisson.

Élie veut mourir, mais d’abord il s’est humilié , « je ne suis pas meilleur que mes pères », et la nourriture donnée avec une telle tendresse par Dieu le fortifie mystérieusement pour marcher 40 jours au désert. Jésus aussi s’est humilié profondément en demandant le baptême de Jean, en se mettant au rang des pécheurs, lui l’Agneau immaculé ; et en sortant de l’eau il s’entend appelé par le Père : « Mon fils bien-aimé en qui j’ai mis toute ma complaisance » Et Jésus passe ensuite 40 jours au désert, fortifié par cette nourriture qu’est l’Amour du Père.

La première fois, Élie mange sans se lever, sans autre but que de faire ce que l’ange lui dit : manger et boire, dire oui à la vie ! Quel bon conseil dans nos heures sombres, dans nos heures de désespoir. Prépare quelque chose à manger, donne de l’eau à boire… Et, plus profondément, entend résonner la parole de Jésus :

« 47 Amen, amen, / je vous [le] dis :
Celui qui croit en moi, / a la vie qui est pour toujours !’

48 Je suis / le Pain Vivant [le Pain de Vie] !
49
Vos pères mangèrent la manne, dans le désert, / et ils moururent !

50 Or voici le Pain / qui est descendu depuis les Cieux,
pour qu’on en mange / et qu’on ne meure pas ! » (Jn 6, 47-50)

 La seconde fois, le pain que le Seigneur donne fait tenir Élie pendant toute une longue traversée du désert... jusqu’à la montagne de Dieu. Comme à Sarepta (1 roi 17) où le pain s’est multiplié jusqu’à la fin de la sécheresse... Cette expérience d’Elie est vraie, comme est vraie aussi l’expérience de personnes aux prises au même désespoir et qui se sont approchées de l’eucharistie..., comme est vraie l’expérience de chrétiens revenus des camps de concentration où une hostie consacrée soigneusement gardée et adorée soutenait leur vigueur...

Le Pain, la route… Élie va au mont Horeb, il fait un pèlerinage… Élie aura encore une mission à accomplir, une mission importante. Et, à la fin, il ne mourra pas mais il sera emporté dans un char de feu !

Cette histoire nous rejoint tous parce qu’il s’agit d’une sortie d’une situation présente marquée par la mort, elle est un appel et une promesse : une mise en route, un projet.

L’expérience commune nous apprend que lorsque l’on a un but, on peut supporter beaucoup de situations, même très pénibles, et même si leur pénibilité est accrue par le souvenir de situations analogues ! C’est le but visé qui donne le courage. Le courage et l’espoir donnent de la force, et renforcent même l’immunité de l’organisme… La tristesse doit certes être surmontée, mais sans honte, car les larmes attestent aussi du courage de souffrir pour un but donné… Cela peut commencer simplement par la marche d’un pèlerinage, petit et local, ou plus éloigné.

Le concept de résilience développé par Boris Cyrulnik (psychiatre et psychanalyste) se rapproche de l’idée d’une « marche en avant », comme Élie qui se met à marcher 40 jours… Il suffit de très peu, une personne bienveillante, un lieu de sérénité, un contexte favorable, pour qu’un enfant ou un jeune mal parti dans la vie mette en œuvre une « résilience » qui lui ouvre un avenir équilibré et épanoui.

La relecture du passé a, elle aussi, sa place, mais elle n’est pas l’essentiel dans le processus du salut. Les Pères de l’Église, avec sagesse, évitaient de fouiller le passé de leur interlocuteur et de réveiller volontairement blessures, traumatismes, péchés et tentations. Les pensées manifestées au prêtre ou à l’accompagnateur sont des pensées actuelles ou relativement récentes (bien que la manifestation de pensées anciennes ou l’évocation de situations anciennes ne soient pas exclues). [1]

« ’Lève-toi, et mange, car il est long, le chemin qui te reste’. Élie se leva, mangea et but. Puis, fortifié par cette nourriture, il marcha quarante jours et quarante nuits jusqu’à l’Horeb, la montagne de Dieu. »

Psaume (Ps 33 (34), 2-3, 4-5, 6-7, 8-9)

Je bénirai le Seigneur en tout temps, sa louange sans cesse à mes lèvres. Je me glorifierai dans le Seigneur : que les pauvres m’entendent et soient en fête ! Magnifiez avec moi le Seigneur, exaltons tous ensemble son nom. Je cherche le Seigneur, il me répond : de toutes mes frayeurs, il me délivre. Qui regarde vers lui resplendira, sans ombre ni trouble au visage. Un pauvre crie ; le Seigneur entend : il le sauve de toutes ses angoisses. L’ange du Seigneur campe alentour pour libérer ceux qui le craignent. Goûtez et voyez : le Seigneur est bon ! Heureux qui trouve en lui son refuge !

« Magnifiez avec moi le Seigneur, exaltons tous ensemble son nom. »

St Augustin : « Stimulez donc parmi vous l’amour, mes frères, et criez à chacun des vôtres: ‘Bénissez avec moi le Seigneur’. […] Si vous aimez Dieu, entraînez à l’amour de Dieu tous ceux qui vous sont unis, tous ceux qui partagent votre demeure: si vous aimez le corps de Jésus-Christ ou l’unité de l’Église, entraînez-les à jouir de Dieu, et dites avec allégresse: ‘Bénissez avec moi le Seigneur’ ». (St Augustin : sur les Psaumes 342)

 « Je cherche le Seigneur, il me répond ». St Augustin : « ’J’ai cherché le Seigneur, et il m’a exaucé’. Où a-t-il exaucé ? à l’intérieur. Où donne-t-il sa grâce ? à l’intérieur. C’est là que tu pries, là que tu es exaucé, là que tu obtiens le bonheur. Tu as prié, tu as été exaucé, tu es heureux ; et celui qui est près de toi ne le sait point. Tout s’est fait dans le secret, selon cette parole du Seigneur dans l’Evangile : ‘Entrez dans votre chambre, fermez-en la porte, priez en secret, et votre Père, qui voit dans le secret, vous le rendra’. Mais entrer dans votre chambre, c’est entrer dans votre coeur. Bienheureux ceux qui rentrent avec joie dans leur coeur, et qui n’y trouvent rien de mauvais […] Purifiez donc votre coeur, afin de pouvoir y rentrer volontiers. «Bienheureux ceux dont le coeur est pur, car ils verront Dieu’. Ôtez les souillures des désirs mauvais, ôtez-en la tache de l’avarice, l’infection des pratiques superstitieuses ; ôtez-en les sacrilèges et les pensées honteuses; ôtez-en la haine, je ne dis pas contre vos amis, mais encore contre vos ennemis ; ôtez-en tout cela, et alors vous pourrez rentrer dans votre coeur et y trouver de la joie. Quand vous commencerez à goûter cette joie, vous trouverez aussi dans la pureté du coeur un parfum délicieux, et l’excitation à la prière ; de même qu’en arrivant dans un lieu où règne le silence, où tout est calme et respire la propreté, vous dites aussitôt : Prions ici ; la décence du lieu vous porte à croire que Dieu y exaucera vos prières. » (St Augustin, sur les Psaumes 342)

 « Je cherche le Seigneur, il me répond ». St Ambroise : « Embrasse donc celui que tu as cherché ; approche de lui et tu seras éclairée (Ps 33,6) ; tiens-le, demande qu’il ne se presse pas de partir, supplie-le de ne pas s’en aller ; le Verbe de Dieu court, l’inertie ne le saisit pas, l’indolence ne le retient pas. Que ton âme s’attache à sa parole, et suis-le au pas de la parole céleste ; car il passe vite. 75. Aussi bien, que dit-elle ? ‘Je l’ai cherché et ne l’ai pas trouvé ; je l’ai appelé et il ne m’a pas écoutée.’ (Ct 5, 6) Ne pense pas, s’il est parti si vite, que tu lui as déplu en l’appelant, en l’implorant, en lui ouvrant : il permet souvent que nous soyons éprouvés. Aussi bien, lorsque les foules le priaient de ne pas s’en aller, que dit-il dans l’Évangile ? ‘Il faut que j’annonce aussi la parole de Dieu à d’autres villes ; car c’est pour cela que j’ai été envoyé.’ (Lc 4,43) Mais, alors même qu’il te semble être parti, sors, cherche encore (Ct 5,7). 76. Ne crains pas, maintenant que tu es donnée à Dieu, les redoutables gardes spirituels qui font la ronde ; ne crains pas ceux qui parcourent la cité, ne crains pas des blessures qui ne sauraient nuire à qui cherche le Christ. Alors même qu’ils t’ôteraient ton corps, c’est-à-dire la vie de ton corps, le Christ est proche. Quand tu l’auras trouvé, reconnais où il te faut demeurer avec lui, de crainte qu’il ne s’en aille ; car il a tôt fait d’abandonner les négligents. » (St Ambroise, Traité sur la virginité 5074-5076)

« Qui regarde vers lui resplendira, sans ombre ni trouble au visage. »

St Augustin : « Ils l’ont donc approché pour le crucifier, mais nous, approchons-nous de lui, pour recevoir son corps et son sang. Le crucifié les a couverts de ténèbres ; et nous, en mangeant la chair et en buvant le sang du crucifié, soyons dans la lumière. ‘Approchez-vous de lui, et vous serez illuminés’. C’est aux Gentils [les païens] que s’adressent ces paroles. Le Christ à la croix était au milieu des Juifs, qui le voyaient et le traitaient cruellement ; les Gentils n’étaient point là, et voilà que ceux qui étaient dans les ténèbres se sont approchés, et ceux qui ne voyaient pas ont été remplis de lumière. Comment s’approchent les Gentils ? En le suivant par la foi, en exhalant les désirs de leurs coeurs, en le poursuivant par l’amour. Tes pieds sont ton amour. Marche sur deux pieds, ne sois point boiteux. Quels sont ces deux pieds ? les deux préceptes de l’amour de Dieu et du prochain. Sur ces deux pieds, cours à Dieu, approche-toi de lui, car lui-même t’engage à courir, et il ne t’a donné sa lumière, que pour te donner le moyen de le suivre d’une manière admirable et divine ! » (St Augustin, sur les Psaumes 342)

« Un pauvre crie, le Seigneur entend ! » St Ambroise : « Dans les Actes des apôtres, Pierre dit : ‘De l’argent et de l’or, je n’en ai pas ; mais ce que j’ai, je te le donne : Au nom de Jésus de Nazareth, lève-toi et marche’ (Ac 3,6) : il avait reçu ce pouvoir, parce qu’il ne désirait pas l’or. Il avait été en effet envoyé sans bâton, sans besace, sans argent (Lc 9,5). C’est pourquoi il se glorifiait de n’avoir pas ce qu’il n’avait pas reçu ; il ne rougissait pas de sa pauvreté, ayant été racheté par un pauvre. S’il a dit : ‘lève-toi et marche’, c’est qu’il avait lu : ‘Ce pauvre a crié et le Seigneur l’a exaucé’ (Ps 33,7) ». (St Ambroise, Traité sur la virginité 7041)

 « L’ange du Seigneur campe alentour pour libérer ceux qui le craignent. Goûtez et voyez : le Seigneur est bon ! Heureux qui trouve en lui son refuge ! »

Oui, goûtons le Seigneur, il est le Pain vivant :

« Je suis le Pain Vivant, / qui suis descendu depuis les Cieux, 
et si quelqu’un mange de ce pain-ci, / il vivra pour toujours !

Et le pain que, moi, je donnerai, / c’est mon corps,

qu’en faveur de la vie du monde, / je donne. » (Jn 6, 51)

Deuxième lecture (Ep 4, 30 – 5, 2)

Frères, n’attristez pas le Saint Esprit de Dieu, qui vous a marqués de son sceau en vue du jour de votre délivrance. Amertume, irritation, colère, éclats de voix ou insultes, tout cela doit être éliminé de votre vie, ainsi que toute espèce de méchanceté. Soyez entre vous pleins de générosité et de tendresse. Pardonnez-vous les uns aux autres, comme Dieu vous a pardonné dans le Christ. Oui, cherchez à imiter Dieu, puisque vous êtes ses enfants bien-aimés. Vivez dans l’amour, comme le Christ nous a aimés et s’est livré lui-même pour nous, s’offrant en sacrifice à Dieu, comme un parfum d’agréable odeur. – Parole du Seigneur.

« Frères, n’attristez pas » … Ne soyez pas tristes, ni découragés, car vous avez un bel avenir… « car vous êtes marqués de son sceau [scellés en lui deṯḥṯemton bēh] en vue du jour de la délivrance ». Il n’est pas écrit « votre délivrance » où l’on pourrait penser à quelque chose d’individuel, à l’heure de la mort, mais la délivrance [l-yawmā d-pūrqānā], c’est-à-dire la Parousie quand le monde sera délivré de l’emprise du mal à travers le jugement eschatologique, c’est-à-dire le jugement de la bête et du faux prophète, et que Satan sera lié, c’est-à-dire qu’il ne séduira plus. Ainsi donc, dans la rue, souriez à ceux que vous croisez, ayez quelque chose de joyeux dans votre tenue vestimentaire ou dans votre logement. N’attristez pas les autres, n’attristez pas « le Saint Esprit de Dieu », il est une personne qui peut être attristée. Allez de l’avant, un pas devant l’autre, un petit pas à la fois, juste pour aujourd’hui… comme le prophète Élie, nourri et fortifié par l’ange de Dieu !

« Amertume, irritation, colère, éclats de voix ou insultes, tout cela doit être éliminé de votre vie, ainsi que toute espèce de méchanceté. » Il y a une gradation, de l’amertume cachée qui nous ronge à l’intérieur, on passe à l’attitude extérieure : « irritation, colère, éclats de voix ou insultes », et enfin on passe à des actes « toute espèce de méchanceté ».

Quand ça ne va pas, et que vous vous sentez devenir méchant, partez, éloignez-vous, c’est la première manière d’éliminer la méchanceté. Coupez.

Avant d’en arriver aux actes de méchanceté, il y a les paroles, il faut apprendre à éviter un ton mordant, piquant, sarcastique, les paroles cuisantes et blessantes, et pour éliminer de telles paroles, il faut apprendre à communiquer. Commencer par demander si l’autre va bien… On veut faire un reproche acerbe, mais en demandant des nouvelles, on se rend compte d’un énorme décalage, et le reproche tombe.

Si on ne sait plus parler sans « éclats de voix ou insultes », et bien écrire sur du papier en prenant son temps, exposer la situation, les faits concrets, d’une manière factuelle. Parler à la première personne : je pense, je souffre, je propose… Etre constructif, remercier l’autre, proposer à l’autre une issue.

Beauté. Bonté. Vérité. On élimine ainsi la « colère » et « l’irritation ».

Et que faire de l’amertume qui est au fond du cœur ? L’amertume quand on est dans l’injustice au travail, qu’on est frustré dans ses possessions, quand on est aliéné de sa dignité en famille... Il y a une amertume et il faut qu’elle soit « éliminée ». Comment ? Certainement pas par le déni, en faisant semblant qu’il n’y a pas d’injustice, pas de frustration, pas d’aliénation. Mais en l’adoucissant.

Une boisson trop amère, il faut la diluer ou ajouter un peu de miel. Si votre cœur est amer, il faut l’aérer, prendre du recul, aller respirer, se détendre, et il faut le miel… Se nourrir de la Parole de Dieu, car c’est du miel. Se nourrir de la beauté des fleurs et des arbres, car Dieu les a créés avec amour. Chaque rayon de soleil est un message d’amour qu’il faut apprendre à reconnaitre, à sentir, et plus nous y prêtons attention, plus nous entendons le Créateur nous dire « je t’aime », et nous lui répondons « je te bénis, je t’adore, je te remercie ». Même dans même l’air que l’on respire. « Goûtez et voyez : le Seigneur est bon ! Heureux qui trouve en lui son refuge ! » disait le psaume… Ainsi, notre problème est relativisé, et l’amertume est noyée dans l’amour du Créateur, qui est aussi le Souverain Maître de l’histoire jusqu’à « la délivrance ».

« Soyez entre vous pleins de générosité et de tendresse ». En araméen, nous avons « basīmīn » et « mraḥmānīn ». - « basīmīn » : suaves, c’est la même racine que pour l’encens, le parfum, ou le baume qui guérit. - « mraḥmānīn » c’est comme le verbe aimer affectueusement, ou comme les entrailles maternelles, c’est déjà l’amour miséricordieux.

« Pardonnez-vous les uns aux autres, comme Dieu vous a pardonné dans le Christ ». Pardonner c’est ici le verbe šḇaq : il s’agit de lâcher, laisser tomber les offenses. « šḇaq » est une onomatopée qui peut suggérer que le pardon est rapide et entier. Cependant, pour être entier, le pardon doit parfois prendre un peu de temps, c’est une affaire sérieuse. Il concerne les pensées, le cœur, et le corps.

Parfois on voudrait pardonner très vite pour que le projet que l’on a planifié ne soit pas retardé, mais ce pardon à la va-vite n’évacue aucune tension, et quelqu’un tombe malade, le corps lâche et rien ne va. On a voulu aller vite, mais on perd du temps. On a l’idée de pardonner, mais le moment venu, on se raidit, on fuit, il y a une mémoire inscrite dans le corps qui exprime que nous n’avons pas encore lâché, qu’il y a besoin d’un peu de temps encore, le chemin n’est pas terminé.

Parfois, le souvenir du bonheur passé suscite un mouvement affectif, et l’on voudrait pardonner vite afin de réactiver ces sentiments chaleureux. Mais le travail de vérité n’est pas fait, et l’on ne trouve pas la paix ; une amertume ressort au moindre événement et éventuellement s’aggrave. Il y a eu le cœur, mais pas l’intelligence.

Les saints pardonnent très rapidement parce que leurs pensées sont dépourvues de calculs et dépourvus d’égoïsme. Les saints pardonnent rapidement parce qu’ils sont détachés de ce monde, ils regardent tous les événements en Dieu, ils reçoivent toutes leurs relations, leurs amitiés, comme venant de Dieu : leurs sentiments sont commandés par l’amour éternel de Dieu, ils sont stables.

« Pardonnez-vous les uns aux autres, comme Dieu vous a pardonné dans le Christ ». Nous ne savons pas tout ce que le Christ nous a pardonné, nous n’avons pas la juste mesure de nos offenses et infidélités. Alors, pardonnons aux autres…

« Oui, cherchez à imiter Dieu, puisque vous êtes ses enfants bien-aimés. Vivez dans l’amour [ḥūbbā l’amour ardent, c’est la même racine que brûler], comme le Christ nous a aimés [a brûlé d’amour] et s’est livré lui-même pour nous, s’offrant en sacrifice à Dieu, comme un parfum d’agréable odeur [rīḥā basīmā] ».

Se laisser aimer par Dieu, et ensuite tout devient clair. Le Christ nous a aimés et s’est livré lui-même pour nous, on peut par exemple se représenter dans les yeux de Jésus quand Jésus est crucifié et regarde la foule, et dans le cœur de Jésus au moment où Jésus s’offre comme un parfum d’agréable odeur et pardonne.

Évangile (Jn 6, 41-51)

41 Les Juifs, cependant, / murmuraient contre lui,
car il avait dit : ‘Je [suis] moi / le pain qui est descendu des Cieux !’

42
Et ils disaient :

‘N’est-il pas, celui-ci, Jésus, le fils de Joseph, / celui-là dont, nous, nous connaissons le père et la mère ?

Comment dit-il, celui-ci : / ‘Je suis descendu des Cieux ?’

43 Jésus répondit / et leur dit :
‘Ne murmurez pas, / les uns avec les autres !

44 Personne n’est capable de venir auprès de moi, / à moins que ne l’attire le Père qui m’a envoyé !
Et, moi, je le remettrai debout, / au jour dernier !

45 Il est écrit, en effet, / dans le prophète :
‘Ils seront tous / enseignés [1]
 par Dieu !’

Quiconque alors écoute / le Père,

et apprend de lui, / vient auprès de moi !

46 Personne / n’a vu le Père ;
mais celui qui est de Dieu, / c’est Lui qui voit le Père !’ 

47 ‘Amen, amen, / je vous [le] dis :
Celui qui croit en moi, / a la vie qui est pour toujours ! [2]’
48 Je suis / le Pain Vivant [le Pain de Vie] !
49 Vos pères mangèrent la manne, dans le désert, / et ils moururent !
50 Or voici le Pain / qui est descendu depuis les Cieux, pour qu’on en mange / et qu’on ne meure pas !
51 Je suis le Pain Vivant[3], / qui suis 
descendu depuis les Cieux,
et si quelqu’un mange de ce pain-ci, / il vivra pour toujours !
Et le pain que, moi, je donnerai, / c’est mon corps,
qu’en faveur de la vie du monde, / je donne ».

Acclamons la Parole de Dieu.

Jésus a dit : « ‘Abattez ce Temple-ci, et, en trois jours, moi, je le relève !’» (Jn 2, 19). Jésus parlait de son corps et annonçait sa Résurrection. Le Temple sera comme une maison déserte [5], et il sera même détruit. À la suite de la Résurrection et de la Pentecôte, la présence de Dieu sera donnée à ceux qui suivent Jésus, tout en conservant les fondements cultuels du Temple, qui ont été révélés par Dieu à Moïse, correspondent à des fondements anthropologiques, il ne faut pas les perdre.

Expliquons. On entre dans le « Temple » proprement dit par une porte qui fait passer du parvis des Gentils (les païens) aux parvis des femmes, non pas réservé aux femmes mais que les femmes n’avaient pas le droit de dépasser. Il y a une seconde porte pour entrer dans le parvis des hommes (ou parvis des Israélites), lequel est séparé par l’autel des sacrifices du parvis des prêtres qui donnait accès à l’édifice du Hekhal ou « Saint ». Dans cet édifice, un rideau marque la séparation entre le « Saint » et le « Saint des Saints » (Exode 26, 33), où seul le Grand Prêtre entre, le jour du Kippour.

Nous parlerons ici uniquement du parvis des hommes. L’évangile selon saint Jean est un filet d’oralité, ce qui nécessite d’avoir entre les mains un petit objet en forme de filet ou de réaliser un schéma, une carte mentale. Ce filet semble former quatre groupes de perles, appelons-les des « nœuds », à l’intersection de « tresses ». Le deuxième nœud semble en lien avec le parvis des hommes.

Il commence avec l’épisode de Jésus qui demande à un « homme [gaḇrā] malade » (Jn 5, 5) s’il veut guérir. La question est pertinente : après avoir été couché trente-huit ans, le malade aura pu s’attacher à certains accommodements liés à sa maladie. Ce dernier répond qu’il ne « peut » pas, car il n’a personne, pour l’aider. Après sa guérison, on lui demande : « Quel est l’homme [gaḇrā] qui t’a dit : Prends ton grabat et marche ? » (Jn 5, 12). Jésus est cet « homme » qui prend en compte son cas. Le paralytique guéri va au Temple (Jn 5, 14), sans doute au « parvis des hommes » pour un sacrifice d’action de grâce — Un parvis qui n’a pas sa raison d’être en lui-même, il faut rechercher « la gloire qui vient de l’Unique Dieu » (Jn 5, 44).

La lecture en « nœud de tresses » nous permet de comprendre la teneur du sacrifice chrétien, dans le Temple relevé par Jésus. Il s’agit du sacrifice de l’hypocrisie, de la vanité, de la gloire humaine, selon la parole de Jésus : « Jean était la lampe qui brûle et qui luit [nhar], et, vous, vous avez voulu vous flatter [bhar], de l’heure à sa lumière » (Jn 5, 35). Le jeu de mots dénonce ceux qui cherchent simplement à briller en société, mais qui sont vides. Il s’agit du sacrifice de la volonté propre, à la suite de Jésus : « et ce n’est pas selon mon désir que je suis venu ! » (Jn 7, 28) et « Qui veut faire Sa volonté, comprend si mon enseignement est de Dieu » (Jn 7, 17). Un sacrifice n’est pas une destruction, mais un « qūrbānā » qui sanctifie ce qui est offert. Jésus veut notre Vivification : « Les paroles que je vous ai dites sont Esprit et sont Vie » (Jn 6, 63). Il faut passer de ce qui n’est pas authentiquement une vie, à ce qui est une plénitude de Vie. Jésus, le bon berger donne sa propre vie pour que le troupeau ait la Vie qui est pour toujours (cf. Jn 10, 15).

Le parvis des hommes correspond à la seconde dimension de la nature humaine, qui se dégrade facilement en pouvoir sur les autres hommes conférant ainsi à ceux qui le possèdent une surhumanité apparentée au divin ; ce nœud montre des bergers rapaces et tueurs (Jn 10, 8). La masculinité doit être restaurée par le culte du vrai Dieu, et le sacrifice prend alors le sens d’une réconciliation et d’une réparation : « Ne pèche plus ! » est-il simplement dit à l’homme (Jn 5, 14).

Chers auditeurs, il nous faut croire en Jésus pour avoir la vie qui est pour toujours ! Il est descendu depuis les Cieux, c’est son Incarnation, il nous faut nous nourrir de sa vie, il est le Pain Vivant…

« Et le pain que, moi, je donnerai, / c’est mon corps,
qu’en faveur de la vie du monde, / je donne ».

Cf. Françoise BREYNAERT, Jean, L’évangile en filet. L’oralité d’un texte à vivre. (Préface Mgr Mirkis – Irak) Éditions Parole et Silence. Paris, 8 décembre 2020. 477 pages.

 

[1] Cf. Jean-Claude LARCHET, L’inconscient spirituel, Cerf, Paris 2005, p. 176

[2] malpe dălāhā : malpe peut être un participe passif (ils seront enseignés par Dieu) ou actif (ils seront connaisseurs, docteurs, de Dieu). Il faut retenir le passif, car l’Écriture à laquelle Jésus se réfère met l’accent sur l’action divine. Jésus fait référence à Isaïe : Il faut retenir le passif, car Jésus se réfère au passage : « Tous tes enfants seront disciples du Seigneur » (Is 54, 13) ou à Jérémie : « Ils n’auront plus à instruire chacun son prochain, chacun son frère, en disant : "Ayez la connaissance du Seigneur !" Car tous me connaîtront, des plus petits jusqu’aux plus grands » (Jr 31, 33- 34).

[3] Ou « la vie de l’éternité ».

[4] Ici, nous avons un simple adjectif. Pensons à tous les miracles eucharistiques qui nous disent que ce Pain est Vivant !

[5] Mt 23, 37s ; Lc 13, 34

Date de dernière mise à jour : 12/07/2024