26e dimanche ordinaire (B)

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Voici pour mémoriser le texte de l'évangile de ce jour en vue d'une récitation orale avec reprises de souffles.

Evangile mc 9 38 48Evangile Mc 9, 38-48 (84.4 Ko)

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Sur Radio espérance : tous les mardi, mercredi, jeudi et vendredi à 8h15
et rediffusées le dimanche à 8h et 9h30). 

Première lecture (Nb 11, 25-29)

Psaume (Ps 18 (19), 8, 10, 12-13, 14)

Deuxième lecture (Jc 5, 1-6)

Évangile (Mc 9, 38-48)

 

Première lecture (Nb 11, 25-29)

En ces jours-là, le Seigneur descendit dans la nuée pour parler avec Moïse. Il prit une part de l’esprit qui reposait sur celui-ci, et le mit sur les 70 anciens. Dès que l’esprit reposa sur eux, ils se mirent à prophétiser, mais cela ne dura pas. Or, deux hommes étaient restés dans le camp ; l’un s’appelait Eldad, et l’autre Médad. L’esprit reposa sur eux ; eux aussi avaient été choisis, mais ils ne s’étaient pas rendus à la Tente, et c’est dans le camp qu’ils se mirent à prophétiser. Un jeune homme courut annoncer à Moïse : « Eldad et Médad prophétisent dans le camp ! » Josué, fils de Noun, auxiliaire de Moïse depuis sa jeunesse, prit la parole : « Moïse, mon maître, arrête-les ! » Mais Moïse lui dit : « Serais-tu jaloux pour moi ? Ah ! Si le Seigneur pouvait faire de tout son peuple un peuple de prophètes ! Si le Seigneur pouvait mettre son esprit sur eux ! » – Parole du Seigneur.

Au temps de l’Ancien Testament.

Le livre des Nombres appartient au Pentateuque, aussi appelé la Torah. Ce livre enseigne à marcher avec Dieu présent dans la Tente de la rencontre. Plusieurs fois, quelques personnes ou l’ensemble du peuple se rebelle (Nb 11 ; 12 ; 13-14 ; 16-17 ; 20,1-13 ; 21,4-9 ; 25).

La lecture de ce dimanche nous parle de l’Esprit de Dieu, ce n’est pas encore l’Esprit de la Pentecôte chrétienne, mais l’Esprit de Dieu est déjà communiqué, du moins un peu. Si ce n’était pas le cas, les Hébreux n’auraient pas pu reconnaître le Messie, car personne ne peut dire que Jésus est Fils de Dieu sans l’Esprit Saint (1Co 12, 3). Essayons de caractériser le don de l’Esprit Saint au temps de l’Ancien Testament, et en particulier de l’Exode.

Ce qui fait vivre le peuple, ce n’est plus les ancêtres, c’est Dieu. Et il y a des femmes stériles et des femmes étrangères qui participent à la naissance d’un peuple. Un Esprit nouveau, le Ruah, fait vivre le peuple. Le prophète est reconnu comme tel si son action et son témoignage permet au peuple de vivre. S’il va à l’encontre de la loi ou s’il casse la communion populaire, alors il est rejeté. Saint Paul continue de juger ainsi les charismes : concourent-ils à la charité ?

Il n’y a pas à opposer l’Esprit aux institutions : tantôt le roi, tantôt le prophète, tantôt le prêtre vont concourir à la foi populaire.

Ce sont les fruits à long terme qui permettent de discerner l’Esprit : l’Exode est un démarrage, mais il faut la succession des générations pour dire que le Sinaï et la naissance d’Israël était véritablement l’œuvre de l’Esprit Saint. Avec le temps se forment des habitus, c’est-à-dire la souplesse acquise par l’expérience. Par exemple, dans un couple se forme un habitus de l’intelligence de la relation, l’habitus de l’éducation des enfants... L’habitus de la loi rend le peuple plus perméable à la Présence de Dieu. Au désert le peuple ne sait pas où il va et il rouspète, en exil le peuple souffre encore et dit "Seigneur tu nous conduis" : c’est l’habitus de la foi.

Dieu ne manipule pas la relation pour qu’elle produise tel ou tel résultat, l’Esprit Saint n’est pas un Esprit envoûteur. Le signe que c’est bien l’Esprit Saint qui agit c’est le fait que le peuple puisse dire non. L’Esprit veut des fils. Tant qu’on en reste au coup de foudre, au Sinaï, il y a un phénomène d’absorption de l’un par l’autre. Et cela doit évoluer dans le sens de la liberté. Sinon au réveil, on se dit, l’autre m’a eu ou bien je ne suis pas comme je me suis rêvé. Dieu veut un creusement de l’autonomie, de la distance. Cela se vérifie dans les engueulades, les malentendus, les bouderies, les colères et comme c’est important !

Au temps de Jésus Mc 9, 38-40.

« 38 Jean lui dit : / ‘Mon rabbi !
Nous avons vu un homme, / qui fait sortir les démons-génies en ton Nom,

et nous l’en avons empêché, / car il ne s’est pas attaché à nous.’

39 Jésus leur dit : / ‘Ne l’en empêchez pas !
Il n’y a personne en effet, / qui fasse des actes de puissance en mon Nom,

et soit capable, aussitôt après, / de dire du mal de moi.

40
Par conséquent, qui n’est pas contre vous, / est pour vous ! » (Mc 9, 38-40 traduit de l’araméen).

Jésus corrige l’apôtre Jean qui a pris l’initiative de limiter l’usage du nom de Jésus. L’apôtre Jean s’interroge face à un exorciste qui est extérieur au groupe des Douze, mais qui fait ses exorcismes au nom de Jésus. Jésus refuse de l’empêcher ; l’action de l’Esprit Saint n’est pas limitée aux ministères officiels.

La demande de l’apôtre Jean ressemble, dans le livre des Nombres, à l’histoire de Josué qui demande à Moïse de rappeler à l’ordre Eldad et Médad absents lors de la répartition officielle de l’Esprit : « Empêche-les ! » (Nb 11, 28), mais Moïse les laisse faire.

Au temps de l’Église

Saint Paul évoque le don de prophétie en ces termes : « N’éteignez pas l’Esprit, ne dépréciez pas les dons de prophétie ; mais vérifiez tout : ce qui est bon, retenez-le » (1Thessaloniciens 5, 19-21). Et : « Car, de même que notre corps en son unité possède plus d’un membre et que ces membres n’ont pas tous la même fonction, ainsi nous, à plusieurs, nous ne formons qu’un seul corps dans le Christ, étant, chacun pour sa part, membres les uns des autres. Mais, pourvus de dons différents selon la grâce qui nous a été donnée, si c’est le don de prophétie, exerçons-le en proportion de notre foi ; si c’est le service, en servant ; l’enseignement, en enseignant ; l’exhortation, en exhortant. » (Romains 12, 4-8).

Enfin, l’aide apportée à Moïse par les 70 anciens dans le livre des Nombres peut aussi être rapprochée de ce que le concile Vatican II dit des prêtres dans leur rapports à leur évêque : « Que les évêques donc, à cause du don de l’Esprit-Saint que les prêtres ont reçu à leur ordination, voient en eux des auxiliaires et des conseillers indispensables dans leur ministère et leur charge de docteurs, sanctificateurs et pasteurs du peuple de Dieu. C’est ce que soulignent fortement, dès les origines de l’Église, les textes liturgiques qui demandent solennellement à Dieu, pour celui qu’on ordonne prêtre, l’envoi de l’esprit de grâce et de conseil, afin qu’il assiste le peuple et le gouverne avec un coeur pur, de même qu’au désert l’esprit de Moïse fut communiqué à soixante-dix hommes prudents afin que, secondé par eux, il pût facilement gouverner les multitudes innombrables du peuple. En raison de cette communion dans le même sacerdoce et le même ministère, les évêques doivent considérer leurs prêtres comme des frères et des amis, et se préoccuper, autant qu’ils le peuvent, de leur bien, matériel d’abord, mais surtout spirituel » (1965 Vatican II, Presbyterorum Ordinis 7).

Psaume (Ps 18 (19), 8, 10, 12-13, 14)

La loi du Seigneur est parfaite, qui redonne vie ; la charte du Seigneur est sûre, qui rend sages les simples. La crainte qu’il inspire est pure, elle est là pour toujours ; les décisions du Seigneur sont justes et vraiment équitables. Aussi ton serviteur en est illuminé ; à les garder, il trouve son profit. Qui peut discerner ses erreurs ? Purifie-moi de celles qui m’échappent. Préserve aussi ton serviteur de l’orgueil : qu’il n’ait sur moi aucune emprise. Alors je serai sans reproche, pur d’un grand péché.

Avant de parcourir les versets du psaume choisis par la Liturgie, regardons-le dans son ensemble. Le Psaume est semblable à un dyptique. Dans la première partie (vv. 2-7) nous trouvons une hymne au Créateur, dont la grandeur mystérieuse se manifeste dans le soleil et dans la lune. La deuxième partie du psaume (vv. 8-15), est une hymne sapientielle à la Loi de Dieu. Les deux parties sont traversées par un fil conducteur commun : Dieu éclaire l’univers par la luminosité du soleil et il illumine l’humanité par la splendeur de sa Parole contenue dans la Révélation biblique. La Parole divine est décrite avec des caractéristiques "solaires" : « Le commandement du Seigneur est limpide, lumière des yeux » (v. 9). Et « les décisions du Seigneur sont justes et vraiment équitables. […] Aussi ton serviteur en est illuminé ; à les garder, il trouve son profit » (v. 10.12).

Le psalmiste interroge : « Qui peut discerner ses erreurs ? » Jésus donne un enseignement sur le discernement qui commence en Mt 7, 1-2.
«
7, 1 Ne jugez pas, / afin de ne n’être pas jugés ;

 2 c’est par le jugement, en effet, par lequel vous jugez, / que vous serez jugés ;

et c’est par la mesure par laquelle vous mesurez, / que vous serez mesurés. »

Mt 7, 1-2 s’interprète dans le cadre du premier fil d’oralité de l’évangile de Matthieu, un fil qui est centré sur la prière du Notre Père (Mt 6, 9-15) ; à cette occasion, Jésus avait souligné que chacun est le principe de la rémission de ses propres péchés, – « Si, en effet, vous pardonnez aux hommes leurs sottises, votre Père qui est dans les Cieux vous pardonnera aussi » (Mt 6, 14). De même, dans cette perle-ci, c’est sur nous-mêmes que sera prise la mesure de notre condamnation : « Ne jugez pas […] c’est par la mesure par laquelle vous mesurez, que vous serez mesurés ». Le parallèle avec Mt 6, 14 suggère que cet interdit s’applique à des fautes légères, d’ailleurs Jésus enchaîne en parlant d’une « paille ». La mesure [ḵyāltā] désigne un volume, c’est-à-dire la dimension que l’on donne au problème, ou de la manière dont on le dramatise. Jésus ne supprime pas la nécessité du discernement et de la correction fraternelle, Mt 7, 1-2 se lit aussi en écho au livre du Lévitique qui donne : « Tu ne haïras pas ton frère dans ton cœur. Mais tu devras réprimander ton compatriote, et tu ne toléreras pas la faute qui est en lui. Tu ne te vengeras pas » (Lv 19, 17-18). Cela la base, deded dede c

En Mt 7, 3-5, Jésus met en scène un homme qui veut enlever la paille de l’œil de son frère, mais il usurpe le rôle de maître ou de médecin : la poutre est dans son œil ! Le mot « qārīṯā » désigne la grande poutre qui tient le toit, qu’il faut bien entendu prendre au sens figuré, c’est ici l’édifice mental qui guide notre comportement comme la poutre tient le toit. Comment vas-tu t’improviser pour éclairer ton frère ou l’aider à s’orienter en faisant sortir une paille : « la poutre est dans ton œil ! » (Mt 7, 4), ce qui signifie donc : examine d’abord ton édifice mental et les valeurs qui te guident ! Un exemple vient d’être donné : servir Mammon forme un édifice mental qui aveugle et empêche de servir Dieu (Mt 6, 24), et il y aurait bien d’autres exemples.

Mt 7, 6. Pour preuve que la défense de juger ne s’oppose pas au devoir de discerner, voici que Jésus ordonne maintenant de juger entre les « chiens » et ceux qui ne méritent pas ce nom : « Ne donnez pas ce qui est sacré aux chiens, et ne jetez pas vos perles devant les porcs ».

Mt 7, 7-8. Demandez, cherchez, frappez… Une clé est maintenant donnée : le discernement n’est pas instantané, on « demande » un éclairage, on « cherche » des informations pour comprendre une situation, et on « cherche » une solution. La finale « à qui frappe, il lui est ouvert » évoque une rencontre : il faut aller voir les gens, soit pour demander conseil, soit pour essayer de comprendre l’autre. Le discernement inclut un temps de prière, de recherche, de prise de conseil. Par exemple saint Joseph a pris le temps d’une délibération intérieure (Mt 1, 19-20).

Mt 7, 9-11. Jésus prend deux images. Au registre du discernement, le pain évoque une nourriture solide et durable, comme le sont les repères dont notre vie peut avoir besoin. Le poisson, dont la fraicheur de chair ne se conserve pas longtemps, évoque la sagesse divine qui se donne dans l’instant présent.

Mt 7, 12. « Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, ainsi faites-le vous-même pour eux » pourrait être un critère dangereux, car le disciple a-t-il toujours la compétence de vouloir son vrai bien et en conséquence le vrai bien d’autrui ? La règle d’or appartient aux critères de discernement, mais ne doit pas en être séparée : il faut s’aimer soi-même (examiner son propre œil, ne pas jeter ses perles devant les porcs), et il faut aimer son prochain (lui donner de bonnes choses).

Jésus est la Sagesse, il nous a été envoyé pour nous aider à discerner nos erreurs. Le psaume : « Qui peut discerner ses erreurs ? Purifie-moi de celles qui m’échappent. Préserve aussi ton serviteur de l’orgueil : qu’il n’ait sur moi aucune emprise. Alors je serai sans reproche, pur d’un grand péché ». Et nous pouvons aussi invoquer saint Michel, qui certainement nous aide à repousser toute emprise de l’orgueil. En effet, le nom « Michel » signifie : « Qui est comme Dieu ? ».  Quand notre cœur s’enfle d’orgueil, saint Michel nous inspire l’humilité, l’action de grâce, la reconnaissance pour les dons reçus de Dieu. Quand l’orgueil nous pousse à juger de haut notre prochain, saint Michel nous rappelle que, s’il est utile de discerner, le jugement ultime n’appartient qu’à Dieu.

Dans le livre de Daniel, il est dit : « En ce temps se lèvera Michel, le grand Prince qui se tient auprès des enfants de ton peuple. Ce sera un temps d’angoisse tel qu’il n’y en aura pas eu jusqu’alors depuis que nation existe. » (Dn 12, 1). Or, l’ange demande à Daniel, de serrer ces paroles dans un livre qui doit rester scellé (Dn 12, 4). Et c’est justement un livre scellé qui nous est présenté dans l’Apocalypse et c’est Jésus, le Fils de l’homme, l’Agneau, qui en ouvre les sceaux (Ap 5, 1-7). Le collier des 7 sceaux s’ouvre avec la prière du « Sanctus ! » (Ap 4, 8), c’est-à-dire la prière d’adoration des chérubins dans le Sanctuaire (Isaïe 6, 3). Pensons-y quand nous entrons dans une église, les anges chantent le Sanctus devant le tabernacle et saint Michel est parmi eux. Le nom « Michel » signifie « Qui est comme Dieu ? » et il peut être rapproché de la question « qui peut tenir au Jour de sa colère ? » (Ap 6, 7 – 6° sceau), et de la proclamation des vainqueurs : « le salut à notre Dieu ! » (Ap 7, 10 – 7° sceau).

Deuxième lecture (Jc 5, 1-6)

Vous autres, maintenant, les riches ! Pleurez, lamentez-vous sur les malheurs qui vous attendent. Vos richesses sont pourries, vos vêtements sont mangés des mites, votre or et votre argent sont rouillés. Cette rouille sera un témoignage contre vous, elle dévorera votre chair comme un feu. Vous avez amassé des richesses, alors que nous sommes dans les derniers jours ! Le salaire dont vous avez frustré les ouvriers qui ont moissonné vos champs, le voici qui crie, et les clameurs des moissonneurs sont parvenues aux oreilles du Seigneur de l’univers. Vous avez mené sur terre une vie de luxe et de délices, et vous vous êtes rassasiés au jour du massacre. Vous avez condamné le juste et vous l’avez tué, sans qu’il vous oppose de résistance. – Parole du Seigneur.

Quand nous lisons l’histoire de Jacob chez son beau-père Laban, et comment, habilement, il sut s’enrichir et multiplier son propre troupeau, comme aussi à la lecture de certains passages de l’Ancien Testament où il est dit que le juste sera récompensé et béni, nous pourrions être tentés, si nous sommes bien éduqués, habiles et riches, de penser que nous sommes des justes et que nous sommes bénis de Dieu. Mais les choses ne sont pas aussi simples, même dans l’Ancien Testament, où nous lisons aussi, par exemple, le prophète Amos qui dénonce l’iniquité des riches qui achètent le pauvre pour une paire de sandales, et comment sa génération fut décimée par l’Empire Assyrien. Pour les jeunes, être béni de Dieu ne signifie pas être les premiers en classe et en sport, avec des gadgets et des loisirs très chics, le fait d’être béni de Dieu est beaucoup plus profond et concerne des valeurs d’éternité. Pour les adultes, si notre entreprise est prospère, est-elle pour autant juste ? Les syndicats doivent-ils seulement s’intéresser aux revenus de ses salariés ? Il faut aussi s’intéresser à l’équité extérieure de l’entreprise, non pas pour obtenir hypocritement un label vert ou équitable améliorant le commerce, mais réellement, sérieusement, sincèrement.
C’est ici que l’apôtre saint Jacques a une parole forte, importante.

Commençons par la traduction de la Bible de Jérusalem : « Votre or et votre argent sont rouillés. Cette rouille vous accusera, elle dévorera vos chairs, comme un feu. Vous avez amassé [de l’argent alors que nous sommes] dans les derniers temps ! » (Jc 5, 3 BJ) – alors qu’il serait plus judicieux de traduire littéralement : « Vous avez amassé un feu [sur vous-mêmes, lkōn dans la Pshitta] pour les jours à venir [Araméen : lyāwmātā ‘ḥrāyē ; Grec : én ‘eskhataïs ‘êmeraïs,– c’est-à-dire pour le Jugement qui va venir sur vous] ! » (Jc 5, 3). La difficulté des exégètes occidentaux à bien voir ces choses vient de l’augustinisme qui a confondu la venue glorieuse du Christ avec la Fin du monde, ce faisant, il a rendu impossible la conception même d’un « après ». Marqués par cet augustinisme, ils ne parviennent plus à imaginer « des jours à venir » (le royaume des justes dont parlait saint Irénée) qui soient réellement « après » ces choses-ci, après le vécu ordinaire des Églises.

Dans l’Apocalypse, il est dit que le vainqueur se nourrira « de l’arbre de vie qui est dans le Paradis de Dieu » source de toute sagesse (Ap 2, 7 – 1e Église) et de la « Manne qui est cachée » (Ap 2, 17 – 3e Église). S’il ne s’agissait que de l’Eucharistie, ce ne serait pas l’objet d’une promesse. Le vainqueur recevra « la couronne de vie » (Ap 2, 10 – 2e Église), ainsi que « l’autorité sur les peuples » (Ap 2, 27 – 4e Église), et viendra s’asseoir avec le Christ sur son trône (Ap 3, 20 – 6e Église). Bien sûr que dès maintenant Dieu Père « nous a ressuscités et fait asseoir aux cieux, dans le Christ Jésus » (Eph 2, 6). Cependant, l’Apocalypse parle d’une royauté et d’un règne du Christ sur les peuples, ce qui présuppose que le jugement des ennemis de Dieu ait été effectué. Le vainqueur portera « le nom de la Cité nouvelle, Jérusalem, celle qui descend de Mon Dieu, et le Nom nouveau qui [est] le Mien » (Ap 3, 12 – 6e Église). Bien sûr, le temps présent offre la possibilité d’un avant-goût et d’une préparation de cette Cité nouvelle, – Jean s’est d’ailleurs présenté comme « votre compagnon et votre frère… dans la royauté » (Ap 1, 9) – cependant, sa réalisation n’aura lieu qu’à la Parousie qui commence par un événement, un don céleste.

L’Apocalypse parle aussi de saint Michel, explicitement mentionné en Ap 12, 7. Il combat Satan. Et venant des Cieux, une voix anonyme proclame la défaite du « calomniateur de nos frères » (Ap 12, 10). « Ils ont vaincu par le sang de l’Agneau et par la main de la Parole [melṯā] de son témoignage » (Ap 12, 11).

Saint Michel accompagne le Christ dans l’ouverture des sept sceaux. En effet, le nom « Michel » signifie « Qui est comme Dieu ? » et il peut être rapproché de la question « qui peut tenir au Jour de sa colère ? » (cf. Ap 6, 7 – 6° sceau), et de la proclamation des vainqueurs : « le salut à notre Dieu ! » (Ap 7, 10 – 7° sceau).

Les 7 sceaux nous parlent d’un combat spirituel dont l’arme est la Parole [melṯā] de Dieu et la Parole [melṯā] de son témoignage. Le mot « melṯā » (la Parole, le fait de dire) est plus simple que le mot grec « Logos » (la raison, la logique), mais il est aussi beaucoup plus fondamental. Si on ne peut plus dire les choses, la raison est court-circuitée. À la guerre (2° sceau), à la spéculation (3° sceau), et à la mort infligée aux hommes (4° sceau), doivent répondre la Parole, le témoignage (5° sceau) : c’est là que réside la victoire sur le Dragon, le Serpent des origines, Satan (Ap 12, 11). Insistons sur le cheval noir : « Et voici qu’apparut à mes yeux un cheval noir ; celui qui le montait tenait à la main une balance, et j’entendis comme une voix, du milieu des quatre Vivants, qui disait : "Un litre de blé pour un denier, trois litres d’orge pour un denier ! Quant à l’huile et au vin, ne les gâche pas !" » (Ap (BJ) 6, 5-6) Tous ceux qui participent à ce petit jeu de spéculation ne tiendront pas au jour du jugement : « Le salaire dont vous avez frustré les ouvriers qui ont moissonné vos champs, le voici qui crie, et les clameurs des moissonneurs sont parvenues aux oreilles du Seigneur de l’univers. » (Jc 5, 4).

Chers auditeurs, je vous lis un passage saint Jean Chrysostome qui décrit l’avare en des termes terriblement actuels : « Il veut, afin de tout posséder, qu’il ne reste plus d’hommes sur la terre. Que dis-je ? ce n’est pas assez : après avoir perdu les hommes par sa cupidité, il désire encore détruire la substance même de la terre et la changer en or, et non seulement la terre, mais les montagnes, les forêts, les fontaines et en général toutes les choses. Il y a plus ; faites disparaitre toute crainte et toute terreur, brisez le frein salutaire des lois, et vous le verrez, le glaive à la main, portant la mort partout, n’épargnant ni ses amis, ni sa famille, ni son frère, ni son père. » (S. Jean CHRYSOSTOME, Homélies sur saint Matthieu XXVIII, Œuvres complètes, tome 12, Paris 1968, p. 79)

Alors, chers auditeurs, retenez la parole que saint Jacques adresse aux riches égoïstes : « Vous avez amassé un feu sur vous-mêmes pour les jours à venir – [c’est-à-dire pour le Jugement qui va venir sur vous] ! » (Jc 5, 3 de l’araméen).

Évangile (Mc 9, 38-48)

 « 38 Jean lui dit : / ‘Mon rabbi !
Nous avons vu un homme, / qui fait sortir les démons-génies en ton Nom,

et nous l’en avons empêché, / car il ne s’est pas attaché à nous.’

39 Jésus leur dit : / ‘Ne l’en empêchez pas !
Il n’y a personne en effet, / qui fasse des actes de puissance en mon Nom,

et soit capable, aussitôt après, / de dire du mal de moi.

40 Par conséquent, qui n’est pas contre vous, / est pour vous !

41 Quiconque, en effet, vous donne à boire un simple verre d’eau, / parce que vous êtes dans le Nom du Messie,
amen, je vous le dis : / il ne perdra pas sa récompense !

42 Et quiconque scandalise un seul parmi ces petits, / qui croient en moi,
il aurait mieux valu pour lui que soit placée une meule d’âne à son cou, / et qu’il soit jeté dans la mer.

43 Si, donc, ta main te scandalise, / coupe-la !
Il vaut mieux pour toi que, manchot / tu entres dans la Vie,

plutôt qu’en ayant tes deux mains, / tu ailles à la Géhenne ;

[44
où leur ver ne meurt pas, / et leur feu ne s’éteint pas !]

45 Ou si ton pied te scandalise, / coupe-le !
Il vaut mieux pour toi que / tu entres dans la Vie boiteux,

plutôt qu’en ayant tes deux pieds, / tu tombes dans la Géhenne ;

[46
où leur ver ne meurt pas, / et leur feu ne s’éteint pas !]

47 Et si ton œil te scandalise, / arrache-le !
Il vaut mieux pour toi qu’avec un seul œil, / tu entres dans le Règne de Dieu,

plutôt qu’en ayant tes deux yeux, / tu tombes dans la Géhenne de feu ;

48
où leur ver ne meurt pas, / et leur feu ne s’éteint pas ! »

Mc 9, 38-40. Nous avons déjà commenté ces versets à l’occasion de la première lecture. L’apôtre Jean s’interroge face à un exorciste qui est extérieur au groupe des Douze, mais qui fait ses exorcismes au nom de Jésus. Jésus refuse de l’empêcher ; l’action de l’Esprit Saint n’est pas limitée aux ministères officiels. La demande de l’apôtre Jean ressemble, dans le livre des Nombres, à l’histoire de Josué qui demande à Moïse de rappeler à l’ordre Eldad et Médad absents lors de la répartition officielle de l’Esprit : « Empêche-les ! » (Nb 11, 28), mais Moïse les laisse faire. 

Mc 9, 41 :
« Quiconque, en effet, vous donne à boire un simple verre d’eau, / parce que vous êtes dans le Nom du Messie,

amen, je vous le dis : / Il ne perdra pas sa récompense ! »

Cela paraît facile de donner un verre d’eau, mais quand il s’agit de le donner à un disciple dans un temps de persécution contre les chrétiens, cela peut devenir très méritoire. L’évangile selon saint Matthieu transmet ce même enseignement (Mt 10, 42), peu après avoir transmis la prédiction de Jésus concernant les persécutions (Mt 10, 16-18) suivie de divers conseils pour bien les traverser.

Mc 9, 42. Scandaliser, c’est faire tomber, le mot scandale « maḵšūlā » dérive du mot ḵešlā qui signifie « pierre d’achoppement », par exemple l’obstacle que l’on met devant un aveugle pour le faire tomber (racine similaire en hébreu Kašal) ; le mot « skandalon » n’existe pas en grec classique, c’est un décalque qui signifie le piège. Celui qui scandalise joue le jeu de Satan qui veut faire déchoir l’humanité de la grandeur et de la beauté pour lesquelles elle a été créée.

Le scandale est par exemple un abus de pouvoir, un détournement de fonds, une infidélité conjugale : à cette vue, les petits « chutent », par exemple, ils entrent dans une colère excessive, ou ils imitent le mauvais exemple, ou encore, ils doutent de la puissance de Dieu (impatients que Dieu, ayant laissé la liberté aux hommes, laisse faire tant de scandales – jusqu’au jugement eschatologique lors de la venue glorieuse du Christ, qui rappelons-le n’est pas la Fin du monde, la volonté de Dieu doit encore s’accomplir sur la terre comme au ciel avant l’assomption finale dans l’éternité).

Missionnaires exposés aux regards, les disciples doivent veiller sur eux-mêmes : leurs fautes seront des scandales pour les petits.

On pense en particulier à Judas. Il vaudrait mieux que les fauteurs de scandale soient noyés comme la génération du déluge (Gn 7).

Dans l’Apocalypse, Babylone, Babel la grande, la grande cité corrompue, sera effectivement anéantie comme une meule jetée à la mer (Ap 18, 21).

L’attention aux petits n’est pas une faiblesse psychologique infantilisante et aliénante comme l’imaginait Nietzsche, mais c’est parce que nous devons vivre en considérant l’éternité et la vie céleste, or à cet égard, un petit n’est pas moindre qu’un adulte.

Mc 9, 43-48. Ici, la lecture liturgique n’a laissé qu’une fois le refrain « là où le ver ne meurt pas et où le feu ne s’éteint pas » un refrain qui revient trois fois. Nous donnons ici le texte avec le refrain, sans interruption. Le refrain sert en effet à la mémorisation, et les évangiles étaient composés pour être mémorisés.

On peut se scandaliser soi-même, c’est-à-dire se laisser entraîner au mal par la main ou par le pied, c’est-à-dire par une mauvaise action, ou par une mauvaise démarche : il faut alors couper. C’est-à-dire renoncer à telle ou telle action, ou à telle fréquentations. Saint Jean Chrysostome prend ici l’exemple des employées de maison ou de collègues de travail, s’ils vous entraînent à l’infidélité conjugale ou à toute sorte de corruption, même s’ils vous rendent de précieux service, s’ils sont comme votre propre main ou votre œil, coupez. L’œil aussi peut être une occasion de scandale : il y a des images qui nous salissent et des lectures qui nous abîment, et des regards qui nous blessent. Il faut couper. Ne nous prétendons pas être forts et invulnérables, Jésus nous dit de couper, et il nous avertit que l’enjeu est grave.

Le mot « Géhenne » n’existe pas en grec, c’est un décalque de l’expression hébraïque « geï ben-Hinnôm », la vallée des fils de Hinnôm où l’on avait pratiqué des sacrifices humains dans les siècles passés, le caractère magique de ces pratiques est une forme de reprise du péché originel, et la « Géhenne » ou « Géhenne de feu » représente l’Enfer de Satan, on parle parfois de « la mort éternelle » qu’il ne faut pas comprendre comme un pur néant (c’est là « là où le ver ne meurt pas et où le feu ne s’éteint pas ») mais en opposition à la « Vie » (v. 43.45) dans laquelle Jésus voudrait que nous entrions et qui est synonyme du « règne de Dieu » (v. 47).

Date de dernière mise à jour : 24/08/2024