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7e dimanche ordinaire (C)
Podcast sur : https://radio-esperance.fr/antenne-principale/entrons-dans-la-liturgie-du-dimanche/#
Evangile 7e dimanche ordinaire Lc 6 (116.55 Ko)
Sur Radio espérance : tous les mardi, mercredi, jeudi et vendredi à 8h15
et rediffusées le dimanche à 8h et 9h30).
Première lecture (1 S 26, 2.7-9.12-13.22-23)
Psaume (Ps 102 (103), 1-2, 3-4, 8.10, 12-13)
Deuxième lecture (1 Co 15, 45-49)
Évangile (Lc 6, 27-38)
Première lecture (1 S 26, 2.7-9.12-13.22-23)
En ces jours-là, Saül se mit en route, il descendit vers le désert de Zif avec trois mille hommes, l’élite d’Israël, pour y traquer David. David et Abishaï arrivèrent de nuit, près de la troupe. Or, Saül était couché, endormi, au milieu du camp, sa lance plantée en terre près de sa tête ; Abner et ses hommes étaient couchés autour de lui. Alors Abishaï dit à David : ‘Aujourd’hui Dieu a livré ton ennemi entre tes mains. Laisse-moi donc le clouer à terre avec sa propre lance, d’un seul coup, et je n’aurai pas à m’y reprendre à deux fois.’ Mais David dit à Abishaï : ‘Ne le tue pas ! Qui pourrait demeurer impuni après avoir porté la main sur celui qui a reçu l’onction du Seigneur ?’ David prit la lance et la gourde d’eau qui étaient près de la tête de Saül, et ils s’en allèrent. Personne ne vit rien, personne ne le sut, personne ne s’éveilla : ils dormaient tous, car le Seigneur avait fait tomber sur eux un sommeil mystérieux. David passa sur l’autre versant de la montagne et s’arrêta sur le sommet, au loin, à bonne distance. Il appela Saül et lui cria : ‘Voici la lance du roi. Qu’un jeune garçon traverse et vienne la prendre ! Le Seigneur rendra à chacun selon sa justice et sa fidélité. Aujourd’hui, le Seigneur t’avait livré entre mes mains, mais je n’ai pas voulu porter la main sur le messie du Seigneur.’ » – Parole du Seigneur.
La Bible ne donne de date ni pour le début du règne de Saül ni pour le début de règne de David. C’est donc avec une certaine imprécision que nous situons son histoire au XI° siècle avant J-C. Cette imprécision ne signifie pas que nous ayons un récit légendaire sans fondements historiques.
À cette époque, le long de la côte méditerranéenne, les Philistins avaient construit cinq villes : Gaza, Ascalon, Ashdod, Gath (Gat), Eqrôn. Ils s’affrontent avec les Hébreux pour contrôler la Shefelah, zone de moyenne montagne, plus fertile que la côte sableuse et que les montagnes caillouteuses. Il est logique que, pour mieux se défendre, les Hébreux désirent un roi. La Bible raconte que Samuel résiste à répondre favorablement à cette demande du peuple, mais le Seigneur lui deil d’accorder un roi au peuple. Samuel donne d’abord l’onction royale à Saül, dans la petite localité de Miçpa (au nord de Jérusalem, 1Sam 10, 16-25), mais Saül n’obéit pas à Dieu et son onction lui est retirée. Samuel part donner discrètement l’onction au jeune David, originaire de Bethléem. « L’esprit du Seigneur fondit sur David à partir de ce jour-là et dans la suite » (1Sam 16, 13).
L’onction – notons que le mot messie veut dire celui qui a reçu l’onction, l’oint – l’onction signifie que Dieu fait un don au roi, un don de son Esprit Saint. L’Esprit Saint n’est pas uniquement sur les prophètes et les prêtres, il est aussi sur le roi. L’institution, la structuration de la société, tout cela aussi est bon, et béni de Dieu. Et malgré le comportement répréhensible de Saül, malgré le fait que Dieu l’ait réprouvé et que David ait reçu l’onction, David ne se permettra jamais de tuer Saül. Ayant reçu l’onction, Saül représente plus que lui-même, et David le sait. Saül mourra et David régnera, mais ce ne sera pas David qui l’aura fait mourir.
Après avoir reçu discrètement l’onction, le jeune David combat contre Goliath. Il ne sait pas revêtir l’armure que lui donne Saül, mais il remporte la victoire avec sa fronde de berger et sa foi confiance dans le Seigneur (YHWH) (1Sam 17). Du fait que la description de l’armure de Goliath est anachronique, c’est celle d’un mercenaire grec au temps de Josias, certains intellectuels ont relégué l’ensemble de l’histoire de David au rang d’un mythe créé de toutes pièces pour les intérêts de Josias au VII° siècle avant J-C. Cependant, le récit de David ne correspond pas à la préoccupation de ce roi Josias qui est la centralisation du culte. Josias n’a pas besoin de récits guerriers pour justifier la reconquête du royaume de Samarie, il lui suffit que de nombreux réfugiés réclament à cette époque cette reconquête.
L’histoire de David possède des jalons archéologiques (l’existence des Philistins et de la ville de Gath, l’existence d’une place forte à Jérusalem avec des terrasses et des structures à degré, et puis la stèle de Dan mentionnant la maison de David).
L’épisode donné dans la liturgie de ce dimanche raconte que David a l’occasion de tuer Saül, mais il ne le fait pas, respectant l’onction qu’il a reçue du Seigneur. Et c’est la seconde fois qu’il en a l’occasion (1Sam 24 et 26) il y a donc une insistance exprimant le respect de David pour l’institution royale que Dieu a bénie.
David aurait pourtant d’importants motifs personnels pour tuer Saül. En effet, David, après sa victoire sur le géant philistin, Goliath (1Sam 17), David avait été invité auprès de Saül pour chasser ses mauvais esprits en jouant de la cithare. Saül le prenait en affection, mais, très vite, il le jalousa et l’envoya au combat contre les Philistins, espérant qu’il meure. En fait, David remporta de nombreuses victoires. Lorsque David vient chanter auprès de Saül, ce dernier, tout à fait ingrat, tente par deux fois de le tuer avec sa lance. David s’enfuit et des hommes le rejoignent (dont tous les mécontents).
Dans sa fuite, David arrive à Nob, où le prêtre Ahimelek accepte de leur donner des pains consacrés (n’ayant que ceux-là) parce que David et ses hommes sont en état de continence, ce qui a une profonde signification : alors que les Cananéens pensaient gagner la guerre en fréquentant leurs épouses ou les prostituées pour attirer magiquement par la sexualité les forces de vie et de victoire, les Hébreux, à l’inverse, respectent une continence pendant la guerre pour signifier leur confiance dans le Seigneur (YHWH) seul (1Sam 21).
Continuant de fuir, David a une première occasion de tuer Saül, et il ne le fait pas. Non que Saül ne mériterait pas d’être tué pour avoir, lui le premier, tenté de tuer David, mais parce que David respecte en Saül l’onction. Un roi, en effet, représente plus que lui-même. Et c’est vrai pour beaucoup d’autres fonctions.
Ensuite, avec quelques hommes, David fuit dans le désert de Maön où il protège les bergers de Nabal. Là encore, il y a une révélation : la fonction du roi n’est pas de se faire servir ni de s’enrichir. La fonction du roi est de protéger les faibles (1Sam 25). Et c’est après cet épisode que David a une seconde occasion de tuer Saül, et qu’il ne le fait pas, toujours par respect pour l’institution royale, qui va bien au-delà du caractère de Saül.
David demande refuge chez le roi philistin de Gath (Gat), et, sans doute en échange, il rend service par des raids contre les bandes armées qui sont dans le Néguev. À cette occasion, il apprend l’usage des armes de fer, les Philistins maitrisant déjà la métallurgie. Mais un jour, les Philistins partent en guerre contre Saül et refusent que David, un Hébreu, soit dans leurs rangs. David retourne donc chez lui. Saül, effrayé par les Philistins, consulte Samuel par la nécromancienne d’En Dor, ce qui constitue une infidélité supplémentaire. Au début de la bataille, Saül demanda à un Amalécite de lui donner la mort. David, qui n’a décidément aucun réflexe dominateur, pleure la mort de Saül (1 Sam 31, 12). Ensuite, David devient roi à Hébron (2Sam 1, 2), puis à Jérusalem, de sorte que « David régna sur tout Israël, faisant droit et justice à tout son peuple » (2Sam 8, 15).
Psaume (Ps 102 (103), 1-2, 3-4, 8.10, 12-13)
Bénis le Seigneur, ô mon âme, bénis son nom très saint, tout mon être ! Bénis le Seigneur, ô mon âme, n’oublie aucun de ses bienfaits ! Car il pardonne toutes tes offenses et te guérit de toute maladie ; il réclame ta vie à la tombe et te couronne d’amour et de tendresse. Le Seigneur est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour ; il n’agit pas envers nous selon nos fautes, ne nous rend pas selon nos offenses. Aussi loin qu’est l’Orient de l’Occident, il met loin de nous nos péchés ; comme la tendresse du père pour ses fils, la tendresse du Seigneur pour qui le craint !
Chers auditeurs, plus encore que d’air pur, nous avons besoin de beauté, de sainteté. À toujours écouter ou lire des histoires de corruption, vous allez vous rendre malade, vous intoxiquer, à moins que le don des larmes ne vous lave. Il vous faut louer le Seigneur. La liturgie est nécessaire. La liturgie est nécessaire à l’homme, pour sa vie intérieure, pour sa noblesse et sa respiration intérieure. Parce que nous sommes faits pour la beauté du Ciel, pour la gloire divine, pour la splendeur de la gloire de Dieu.
Le psaume dit : « n’oublie aucun de ses bienfaits ! » Si ta mémoire est remplie d’actions de grâces, il n’y a pas de place pour la rancune et la dépression. Il n’y a pas de place pour les esprits mauvais si la maison de ton cœur est remplie de la louange de Dieu. Avant de parler de ce qui va mal dans notre corps, remercier pour tout ce qui va bien, c’est merveilleux d’avoir ce corps, bénir Dieu pour ce que nous mangeons, mais aussi pour notre travail, pour nos outils de travail, bénir Dieu pour nos victoires, bénir Dieu pour les petits pas, bénir Dieu pour la beauté des étoiles, des primevères, des écureuils et des mésanges… Au nom de tous, Seigneur, je t’aime, je te bénis, je t’adore, je te remercie. Bénir Dieu pour tout ce que Jésus a fait, depuis la crèche aux villages de Galilée, sur la croix, et dans les apparitions du Ressuscité. Je t’aime Jésus, je te bénis, je t’adore, je te remercie. Et pour les sacrements, pour mon baptême, Je t’aime, je te bénis Trinité Sainte, je t’adore, je te remercie.
Le psaume dit : « Car il pardonne toutes tes offenses et te guérit de toute maladie ; il réclame ta vie à la tombe et te couronne d’amour et de tendresse. Le Seigneur est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour ; il n’agit pas envers nous selon nos fautes, ne nous rend pas selon nos offenses. »
Dans la première lecture, nous avons parlé du roi David et de son grand respect pour l’institution royale. Malgré le comportement répréhensible de Saül, malgré le fait que Dieu l’ait réprouvé que David ait reçu l’onction, David ne se permet pas de tuer Saül parce que Saül ayant reçu l’onction, il représente plus que lui-même. Saül mourra et David régnera, mais ce ne sera pas David qui l’aura fait mourir.
La fidélité de David n’est cependant pas parfaite, il a notamment commis deux fautes graves :
Tout d’abord, l’adultère avec la femme d’Urie qui est parti au combat (2Sam 11, 27), et David fait mourir Urie. Par cette incontinence en période de guerre, David ne respecte plus les lois de la guerre alors qu’auparavant, il les respectait (1Sam 21). De plus, David tente de cacher l’adultère en invitant Urie auprès de son épouse ; Urie refuse. David le fait mourir. Il se comporte en roi Cananéen qui exploite les autres au lieu de servir son peuple. Le prophète Nathan lui révèle sa faute et David se repent ; il supporte une souffrance réparatrice (la mort du nouveau-né). Par la suite, il aura un autre fils, Salomon.
Ensuite, David dénombre le peuple (2Sam 24), s’appuyant ainsi sur soi plus que sur le Seigneur. Le prophète Nathan lui révèle sa faute et David se repent ; il supporte une souffrance réparatrice (la peste).
Le récit des infidélités de David revêt une grande importance. D’une part, la foi du roi en la miséricorde de Dieu est un exemple pour tous, ainsi que le processus du pardon, avec une prise de conscience, un aveu, une repentance, une pénitence. D’autre part, le récit des péchés du roi éloigne la tentation de diviniser le roi, durant sa vie, ou après sa mort.
Le psaume dit : « Aussi loin qu’est l’Orient de l’Occident, il met loin de nous nos péchés ; comme la tendresse du père pour ses fils, la tendresse du Seigneur pour qui le craint ! »
En maugréant l’un contre l’autre sur des petites choses, nous attirons l’indignation du Seigneur. Mais si nous nous jugeons l’un l’autre avec compassion, alors le Seigneur est enclin à user de miséricorde. Et nous pouvons relire à ce sujet la parabole de Mt 18, 21-35, une parabole dont l’histoire entière se situe à l’intérieur du groupe des serviteurs d’un roi. Cette parabole se donne donc pour but d’éclairer le comportement des disciples les uns envers les autres : il faut pardonner du fond de votre cœur, chacun à son frère, sa sottise [saḵlūṯā] » (Mt 18, 35). En araméen, dans la langue parlée, on dit « quelle saḵlūṯā : quelle bêtise, quelle idiotie ! » ; il y a un autre mot pour dire « péché [ḥṭā] ». Jésus parle des fautes par faiblesse, il ne parle pas ici de celui « qui parle contre l’Esprit de Sainteté » et dont il a prévenu que « cela ne lui sera pas pardonné » (Mt 12, 32).
L’Ancien Testament parle souvent de châtiments divins. La justice divine est un attribut divin. Nous voudrions souvent contrer le cours de la justice. Mais ce serait détruire l’ordre et agir contre l’homme lui même, car même la Justice est pur amour envers les hommes. Souvenons-nous que dans la prière du Magnificat (Lc 1, 46-55) Marie loue le Seigneur pour sa miséricorde ou sa tendresse (le mot araméen ḥnānā peut se traduire tendresse ou miséricorde), c’est le verset central, mais Marie loue aussi le Seigneur parce qu’il renverse les potentats qui usurpent leur pouvoir et qu’il renvoie les riches à vide parce qu’ils ne craignent pas Dieu.
Nous devons ainsi tenir ensemble les deux attributs divins de la justice et de la miséricorde. Devant la majesté et la pureté du Seigneur, personne ne peut faire face. Tous sont nécessairement effrayés et frappés par le rayonnement de la sainteté divine. L’homme voudrait presque s’enfuir loin du Seigneur parce que sa misère est si grande qu’il n’a pas le courage de rester debout en présence de Dieu.
Cependant, le Seigneur désire que nous fassions appel à sa miséricorde. C’est le sens de ce psaume qui dit : « comme la tendresse du père pour ses fils, la tendresse du Seigneur pour qui le craint ! » (Ps 102 (103), 13).
Dans le Nouveau Testament, ayant assumé une Humanité qui a partiellement voilé la lumière de sa Divinité, Jésus inspire confiance et courage à l’homme afin qu’il vienne à Lui. Avec Jésus, l’homme a la possibilité de se purifier, de se sanctifier et de se diviniser en s’unissant à Jésus, vrai homme et vrai Dieu.
Deuxième lecture (1 Co 15, 45-49)
Frères, l’Écriture dit : Le premier homme, Adam, devint un être vivant ; le dernier Adam – le Christ – est devenu l’être spirituel qui donne la vie. Ce qui vient d’abord, ce n’est pas le spirituel, mais le physique ; ensuite seulement vient le spirituel. Pétri d’argile, le premier homme vient de la terre ; le deuxième homme, lui, vient du ciel. Comme Adam est fait d’argile, ainsi les hommes sont faits d’argile ; comme le Christ est du ciel, ainsi les hommes seront du ciel. Et de même que nous aurons été à l’image de celui qui est fait d’argile, de même nous serons à l’image de celui qui vient du ciel. – Parole du Seigneur.
Plus l’évangélisation du monde progressa, et plus il est devenu évident que Jésus rejoint tous les hommes, qu’il sauve tous les hommes, justement parce qu’il est le nouvel Adam.
Combien d’héritiers du mouvement hippie, comme tous les gnostiques, sont viscéralement révoltés contre le Créateur : au lieu de s’unir au Christ nouvel Adam, ils préfèreraient s’éclater, dissoudre leur conscience, détruire le monde. C’est une impasse totale. Dieu ne nous demande pas de nous détruire nous-mêmes, mais d’accueillir Jésus, de l’aimer, de nous attacher à lui à travers nos joies et nos peines, car il est nouvel Adam qui peut partager nos joies et nos peines, notre respiration, chacun de nos pas. Nous pouvons nous nourrir de sa vie, de ses actions, des battements de son cœur. Il est le nouvel Adam pour que nous puissions le suivre, et finalement, voir toute chose comme un reflet de l’amour de Dieu. En vivant nos peines avec lui comme des douleurs purificatrices et réparatrices, être immergés dans l’amour de Dieu, dans sa paix, dans sa beauté, et tout voir en Dieu.
Dans l’évangile selon saint Luc, la généalogie de Jésus remonte jusqu’à Adam qui est « de Dieu » (Lc 3, 38), Adam n’est pas pour autant « fils » à la manière de Jésus le Messie parce qu’Adam n’a pas vécu de la volonté divine.
« Adam, qui est de Dieu » (Lc 3, 38), c’est-à-dire Adam sorti des mains du Créateur, avait en lui le souffle l’haleine de Dieu et tous ses actes rayonnaient d’une aura divine qui lui venait de ce souffle (cette haleine : Gn 2, 7). S’il était resté ainsi, il aurait été un soleil pour ses fils et les fils de ses fils, et toutes les générations auraient été unies les unes les autres. On sait que le péché a rompu ce dessein divin. Mais le Créateur chérit ce qu’il a créé et se consume du désir de l’humanité. La rupture ayant eu lieu au niveau de la volonté humaine, c’est à ce niveau que Dieu va la réparer. Or l’Esprit Saint, c’est-à-dire le souffle du lieu saint, le souffle divin, est sur Jésus, et le Père se complait en lui, avec une forme verbale du verbe vouloir, c’est ce que dit, au moment du baptême du Christ au Jourdain, la voix céleste « celui-ci est mon fils bien-aimé en qui je me complais » (Mt 3, 17). Cette voix céleste suggère que Jésus est mû ou habité par la volonté aimante de son Père – la forme verbale ᵓeṣṭḇīṯ suggérant un dynamisme. Ces nuances disparaissent dans la langue grecque, et dès lors, on aura plus de difficultés à situer l’unité des natures humaine et divine du Christ.
À Alexandrie, où l’on insiste sur la divinité du Christ, on s’étonne du fait que Jésus, le Fils de Dieu, ait pu être tenté. On répondra en disant que Satan veut savoir si Jésus est vraiment le Fils de Dieu ; alors, citant les Écritures, Jésus utilise un stratagème pour lui cacher sa divinité (Clément d’Alexandrie, Stromates 1, 9, 44, 4).
À Antioche, on aura tendance à voir en Jésus l’homme nouveau, le nouvel Adam victorieux des tentations des origines. En citant les Écritures, Jésus montre sa foi et son obéissance à Dieu. L’accent sur l’humanité du Christ encouragera des prédications morales (éviter la gloutonnerie, la vaine gloire et la cupidité) ou psychologiques (dépasser le matérialisme, la recherche de sensations ou la recherche de pouvoir sur le monde).
En fait, les deux dimensions sont inséparables. Prenons un exemple : le détachement des richesses s’entend sur le plan des vertus humaines, mais il s’entend aussi en vue d’hériter de la vie éternelle, avec le Fils de Dieu (Mt 19, 23-29).
Les locuteurs de la langue araméenne n’ont pas besoin d’attendre le 3e concile de Constantinople (680-681) pour comprendre que l’union des volontés est le lieu de l’unité de la nature humaine et de la nature divine. Pour eux, le récit des tentations du Christ, sans cesser d’être une exhortation morale, est d’abord un message d’espérance. Le jeûne et les tentations de Jésus au désert ont quelque chose d’unique : Jésus, qui est à la fois Dieu et homme, est capable de faire sortir le monde de l’emprise de Satan.
Nous avons dit que dans l’évangile selon saint Luc, la généalogie de Jésus remonte jusqu’à Adam (Lc 3, 38). C’est le présage de la réparation du dessein du Créateur. Saint Irénée, qui est l’héritier presque direct des apôtres (disciple de Polycarpe qui fut disciple de Jean), parle de « récapitulation » en Adam : « Si en effet Adam a reçu son modelage et sa substance de la terre par la main et l’art de Dieu Ps 119,73 ; Job 10,8, et si, de son côté, le Christ ne les a pas reçus de Marie par cet art de Dieu, on ne pourra plus dire que le Christ ait gardé la similitude de cet homme qui fut fait à l’image et à la ressemblance de Dieu Gn 1,26, et l’Artisan apparaîtra comme manquant de suite, faute d’avoir un objet en lequel il puisse faire la preuve de son savoir-faire. […] C’est donc cela même qu’est devenu le Verbe de Dieu, récapitulant en lui-même son propre ouvrage par lui modelé. » (Contre les Hérésies III, 22, 1) « Au reste, s’il n’avait rien reçu de Marie, il n’eût pas pris les aliments tirés de la terre, par lesquels se nourrit le corps tiré de la terre ; il n’eût pas, après avoir jeûné quarante jours comme Moïse et Élie, ressenti la faim […] Il n’aurait pas sué des gouttes de sang Lc 22,44 ; […] Ce sont là en effet autant de signes caractéristiques de la chair tirée de la terre, chair que le Seigneur a récapitulée en lui-même, sauvant ainsi son propre ouvrage par lui modelé. » (Contre les Hérésies III, 22, 2).
Comme toutes les autres choses furent créées pour l’homme et que celui ci fut créé uniquement pour Dieu, pour faire ses délices, l’homme devait surpasser tout le créé au point d’être l’image du Créateur, la Majesté suprême. Maintenant, celui qui se nourrit de la foi en Jésus-Christ, acquiert la Vie divine et en acquérant la Vie divine, il détruit en lui les germes qu’a produits le péché originel. Il ré-acquiert progressivement la nature humaine telle qu’elle est sortie des mains du Créateur, par le Christ, le nouvel Adam, notre Sauveur et notre Seigneur.
Évangile (Lc 6, 27-38)
La traduction et le commentaire sont extraits de : Françoise Breynaert, L’évangile selon saint Luc, un collier d’oralité en pendentif en lien avec le calendrier synagogal. Imprimatur. Préface Mgr Mirkis (Irak). Parole et Silence, 2024. La traduction est faite pour la récitation, avec une reprise de souffle, avec un léger balancement, comme si nous marchions.
« 27 À vous, donc, je dis, / vous qui m’écoutez :
Aimez vos adversaires, / faites ce qui est beau à ceux qui vous haïssent,
28 et bénissez ceux qui vous maudissent, / et priez pour ceux qui vous mènent avec violence.
29 À celui qui te frappe sur ta joue, / présente-lui l’autre !
Et à celui qui emporte ton manteau, / ne refuse pas non plus ta tunique !
30 À tout un chacun qui te demande, / donne-lui !
Et à qui t’enlève ton bien, / ne l’exige pas !
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31 Et de la façon dont vous voulez / qu’agissent envers vous les hommes,
ainsi agissez envers eux, / vous aussi !
32 Si vous aimez / ceux qui vous aiment,
quelle est donc / votre bonté ?
Même les pécheurs aiment / ceux qui les aiment.
33 Si vous faites le bien / à ceux qui vous font du bien,
quelle est donc / votre bonté ?
Même les pécheurs, / c’est ainsi qu’ils font !
34 Si vous prêtez à ceux / dont vous espérez être remboursés,
quelle est donc / votre bonté ?
Même les pécheurs, en effet, prêtent aux pécheurs, / et c’est ainsi qu’ils se font rembourser !
35 Au contraire, aimez vos adversaires / et faites-leur du bien !
Prêtez, / et ne coupez pas court à l’espérance d’un homme !
Et il sera grand / votre salaire !
Et vous serez / les fils du Très Haut !
Car, Lui, / il est suave
envers les mauvais, / et envers les ingrats [apostats] !
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36 Soyez, par conséquent, / miséricordieux,
de la même façon que votre Père, / aussi, est miséricordieux.
37 Ne jugez pas, / et vous ne serez pas jugés.
Ne condamnez pas, / et vous ne serez pas condamnés.
Déliez (pardonnez), / et vous serez déliés (pardonnés).
38 Donnez, / et il vous sera donné :
on versera dans votre sein une bonne mesure, / serrée, secouée et qui déborde ;
car on vous mesurera / avec la mesure dont vous vous serez servis. »
Lc 6, 27-30.
L’enseignement de Jésus concerne ici l’adversaire, celui qui ne peut pas comprendre la réprimande, il est dans l’emprise démoniaque. C’est pourquoi il faut lâcher, laisser courir, car il a un esprit mauvais et il va te détruire si tu lui résistes. Jésus enseigne ici la non-violence. Ce n’est pas une faiblesse, c’est une sagesse. Et les versets suivants 28, 29, 30 sont des illustrations. Tendre l’autre joue, signifie ne pas répondre sur le même plan, ne pas se laisser entraîner sur le terrain pervers de l’adversaire.
En Lc 6, 27, le mot « bᶜeldḇāḇā » que nous traduisons par « adversaires » a pour racine « bᶜel », qui donne le mot « Baal » ; les cultes aux « Baals » étaient perçus comme des cultes aux démons (Ba 4, 7), et le psalmiste déclare donc : « Tes ennemis, je les hais d’une haine parfaite » (Ps 139, 21-22) ; ceci explique les guerres (par exemple celles de Saül et de David) qui ont permis de lutter contre le totalitarisme du mythe et de s’ouvrir au don de Dieu. Cependant, au temps de l’exil, avec notamment le prophète Isaïe (Is 42–53), Israël a compris son rôle de témoin éclairant les nations, quitte à être témoin par le martyre (et non plus par la guerre), pour que les païens voient la grandeur de ce Dieu qui a de tels adorateurs et ce qu’il a dû faire pour eux pour qu’il en soit ainsi. Israël est donc préparé à comprendre l’exhortation de Jésus : « Aimez vos adversaires, faites ce qui est beau à ceux qui vous haïssent » (Lc 6, 27).
Lc 6, 31-35
« Et de la façon dont vous voulez qu’agissent envers vous les hommes, ainsi agissez envers eux, vous aussi ! » (Lc 6, 31) est une reprise du Lévitique : « tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lv 19, 18).
Cette règle de réciprocité est connue chez les païens (par exemple Homère et Thalès). C’est pourquoi, après avoir cité la règle d’or, Jésus fait remarquer que celui qui la pratique ne dépasse pas la bonté des païens (Lc 6, 32-34). La nouveauté que Jésus enseigne, c’est que la réciprocité doit être enracinée en Dieu. Avec Dieu comme source, le chrétien peut être généreux, même pour l’adversaire qui demande quelque chose.
Savoir prêter au pauvre, et pas uniquement à celui « dont vous espérez être remboursés » (Lc 6, 34) se réfère au Lévitique (Lv 25, 35-36).
L’amour des adversaires prend sa source en Dieu, qui est suave [basīm] envers tous (Lc 6, 35). Les adversaires [ḇᶜeldḇāḇā], comme le mot le suggère, peuvent être les païens plus ou moins livrés au culte de Baal [bᶜel] ou assimilé. Le chrétien veut les attirer à la grâce en leur faisant du bien, certains d’entre eux accueilleront la lumière, d’autres la fuiront. Saint Paul dira : « nous sommes l’odeur suave [basīmā] du Christ, pour les uns qui [en] vivent, pour les autres qui [en] périssent » (2 Co 2, 15-16 de l’araméen). Les Pères de l’Église du IIe siècle, surtout Justin (1e Apologie, 15, 9-10), ont vu dans l’amour des adversaires la grande nouveauté apportée par l’éthique chrétienne. C’est la nouveauté instaurée par une visite de Dieu, en Jésus.
Lc 6, 36-37
« Ne jugez pas… ne condamnez pas » (Lc 6, 37). La méditation en fil d’oralité évite les contresens. Jésus ne veut certainement pas endormir notre capacité de discernement. Juste après, Jésus parlera de la nécessité d’avoir du discernement, en commençant par soi-même « Fais sortir auparavant la poutre de ton œil » (v. 41), ou « Il n’y a pas de bon arbre qui fasse du mauvais fruit » (v. 43).
Jésus ne refuse pas non plus l’exercice de la justice dans la société, il ne demande pas au centurion, représentant de l’ordre, de changer de métier.
Nous sommes ici dans un « fil d’oralité » introduit par la Visitation de Marie chez Élisabeth, et qui va culminer dans la 5e perle avec l’exclamation du peuple « Dieu a visité son peuple » (Lc 7, 16). Ainsi, si Jésus demande d’aimer les adversaires (Lc 6, 27 et 35), et d’éviter de condamner, c’est pour laisser la porte ouverte à cette visite de Dieu, qui, au sein même d’une situation d’adversité, veut créer du neuf. En jugeant et condamnant le prochain, nous l’enfermons, au lieu d’être les instruments du Seigneur qui visite son peuple. Le cœur droit est orienté vers la douceur de Dieu, d’une part parce que seulement Dieu, qui est sans aucune ombre du mal, peut juger, et d’autre part parce que Dieu est vivant, et qu’il s’agit de ne pas faire obstacle à sa visite.
En un sens, l’amour des adversaires laisse le champ libre au mal, mais seulement jusqu’au temps du jugement dont il s’agit d’éviter le verdict : « et vous ne serez pas jugés… et vous ne serez pas condamnés ».
Date de dernière mise à jour : 11/01/2025