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Voici pour mémoriser le texte de l'évangile de ce jour en vue d'une récitation orale avec reprises de souffles.

Evangile jn 6 24 35Evangile Jn 6, 24-35 (171.93 Ko)

Podcast sur  : https://radio-esperance.fr/antenne-principale/entrons-dans-la-liturgie-du-dimanche/#

Sur Radio espérance : tous les mardi, mercredi, jeudi et vendredi à 8h15
et rediffusées le dimanche à 8h et 9h30). 

Première lecture (Ex 16, 2-4.12-15)

Psaume (Ps  77 (78), 3.4ac, 23-24, 25.52a.54a)

Deuxième lecture (Ep 4, 17.20-24)

Évangile (Jn 6, 24-35)

Première lecture (Ex 16, 2-4.12-15)

En ces jours-là, dans le désert, toute la communauté des fils d’Israël récriminait contre Moïse et son frère Aaron. Les fils d’Israël leur dirent : « Ah ! Il aurait mieux valu mourir de la main du Seigneur, au pays d’Égypte, quand nous étions assis près des marmites de viande, quand nous mangions du pain à satiété ! Vous nous avez fait sortir dans ce désert pour faire mourir de faim tout ce peuple assemblé ! » Le Seigneur dit à Moïse : « Voici que, du ciel, je vais faire pleuvoir du pain pour vous. Le peuple sortira pour recueillir chaque jour sa ration quotidienne, et ainsi je vais le mettre à l’épreuve : je verrai s’il marchera, ou non, selon ma loi. J’ai entendu les récriminations des fils d’Israël. Tu leur diras : ‘Au coucher du soleil, vous mangerez de la viande et, le lendemain matin, vous aurez du pain à satiété. Alors vous saurez que moi, le Seigneur, je suis votre Dieu.’ » Le soir même, surgit un vol de cailles qui recouvrirent le camp ; et, le lendemain matin, il y avait une couche de rosée autour du camp. Lorsque la couche de rosée s’évapora, il y avait, à la surface du désert, une fine croûte, quelque chose de fin comme du givre, sur le sol. Quand ils virent cela, les fils d’Israël se dirent l’un à l’autre : « Mann hou ? » (ce qui veut dire : Qu’est-ce que c’est ?), car ils ne savaient pas ce que c’était. Moïse leur dit : « C’est le pain que le Seigneur vous donne à manger. » – Parole du Seigneur.

Cette lecture pose quatre défis.

Le premier défi consiste à traverser un désert aride sans regarder en arrière. Ce n’est pas évident. Les fils d’Israël regardent en arrière, vers l’Égypte qu’ils viennent de quitter, et ils ont la nostalgie du passé, « ah… quand nous étions assis près des marmites de viande, quand nous mangions du pain à satiété ! »

Cette nostalgie déforme la vérité, car elle idéalise le passé. Les fils d’Israël oublient de dire qu’en Égypte « Les Égyptiens contraignirent les Israélites au travail et leur rendirent la vie amère par de durs travaux : préparation de l'argile, moulage des briques, divers travaux des champs, toutes sortes de travaux auxquels ils les contraignirent » (Ex 3, 13-14). Ils oublient de dire que les sages-femmes devaient faire mourir les garçons (Ex 3, 16). La nostalgie du passé est un piège, une tentation qu’il faut rejeter.

Cette nostalgie du passé est aussi une ingratitude terrible, car pour sortir d’Égypte, Dieu était intervenu à main forte… Nous sommes ici au chapitre 16 du livre de l’Exode, et au chapitre 15, nous entendions Moïse entonner un cantique pour louer le Seigneur Dieu : « Les chars de Pharaon et son armée, il les a jetés à la mer,  l'élite de ses officiers, la mer des Roseaux l'a engloutie »  (Ex 15, 4).  La sortie d’Égypte avait pour but de sortir de l’oppression sociale, elle avait aussi pour but de sortir d’un culte dominé par les pratiques magiques pour rendre un culte au Dieu vivant, sur la montage. Moïse continuait son cantique en disant : «  Qui est comme toi parmi les dieux, Seigneur Dieu (Yahvé) [Qui est comme Dieu, en hébreu Mi-ka-El : Michel] ?  Qui est comme toi illustre en sainteté, redoutable en exploits, artisan de merveilles ? Tu étendis ta droite, la terre les engloutit. Ta grâce a conduit ce peuple que tu as racheté,  ta force l'a guidé vers ta sainte demeure » (Ex 15, 11-13). La nostalgie du passé en Égypte est donc une révolte contre Dieu.

Le second défi est le fruit de cette révolte contre Dieu, et c’est une peur excessive de l’avenir, une peur mêlée de soupçon : « Vous nous avez fait sortir dans ce désert pour faire mourir de faim tout ce peuple assemblé ! » Le cantique d’action de grâce de Moïse est une antidote de cette peur.

Et alors que le peuple s’enfonce dans des pensées toutes humaines, Dieu continue de parler à Moïse : « Voici que, du ciel, je vais faire pleuvoir du pain pour vous. Le peuple sortira pour recueillir chaque jour sa ration quotidienne, et ainsi je vais le mettre à l’épreuve : je verrai s’il marchera, ou non, selon ma loi. »

Le troisième défi consiste donc à recueillir chaque jour sa ration quotidienne. Bien évidemment, en période de turbulences sociales ou militaires, chacun fait des réserves ; jadis, le patriarche Joseph avait organisé des entrepôts en prévision de sept années de famines. La leçon du passage que nous venons de lire s’interprète dans le contexte de l’appel à la confiance. Avec ce qui précède, faire des provisions, ce serait une marque de méfiance envers Dieu, c’est pourquoi le Seigneur met en place une petite loi qui est une mise à l’épreuve : que l’on ne fasse pas de provision, mais « le peuple sortira pour recueillir chaque jour sa ration quotidienne ».

Il y a quelque chose de très apaisant, chaque jour Dieu donne le pain matériel et la grâce, l’amour, la lumière dont nous avons aussi besoin.

Bien sûr, il faut tenir compte des leçons du passé, bien sûr il faut préparer l’avenir, mais la force d’agir n’est ni dans le passé ni dans l’avenir, elle est dans l’aujourd’hui.

Nous n’avons pas, aujourd’hui, la force de revivre les épreuves que nous avons traversées hier, c’est pourquoi nous ne devons pas en réactiver le souvenir, il nous suffit de savoir que nous sommes « sortis d’Égypte » et que Dieu est intervenu pour nous en faire sortir.

Nous n’avons pas non plus, aujourd’hui, la force de vivre les épreuves que nous vivrons demain, Dieu nous donnera demain la force à condition que nous soyons fidèles aujourd’hui. Pour préparer l’avenir, nous devons nous nourrir aujourd’hui des grâces spirituelles et matérielles qui nous sont offertes : « Le soir même, surgit un vol de cailles qui recouvrirent le camp ; et, le lendemain matin, il y avait une couche de rosée autour du camp. Lorsque la couche de rosée s’évapora, il y avait, à la surface du désert, une fine croûte, quelque chose de fin comme du givre, sur le sol. Quand ils virent cela, les fils d’Israël se dirent l’un à l’autre : « Mann hou ? » (ce qui veut dire : Qu’est-ce que c’est ?), car ils ne savaient pas ce que c’était. Moïse leur dit : « C’est le pain que le Seigneur vous donne à manger. »

Le 4e défi vient de l’étymologie de la « manne ». La manne est un pain donné par Dieu, et le mot « manne » est une question : « Mann hou ?  (ce qui veut dire : Qu’est-ce que c’est ?) ». L’homme doit se nourrir de questions et les questions les plus profondes qu’il faut se poser sont : d’où procède ma vie ? Quel est l’accomplissement du but pour lequel j’ai été créé ? Ainsi, chers auditeurs, ne regardons ni trop en arrière, ni trop en avant, mais regardons ce que le Seigneur nous propose de vivre aujourd’hui même, regardons ce qu’il nous donne comme nourriture pour notre corps et pour notre esprit, aujourd’hui même, et posons-nous les bonnes questions « 31 Ne vous inquiétez donc pas et ne dites pas : ‘Qu’allons-nous manger ?’ Ou bien : ‘Qu’allons-nous boire ?’ ou bien : ‘De quoi allons-nous nous couvrir ?’ 32 Tout cela, en effet, les païens le recherchent. Or votre Père qui est dans les Cieux sait que, à vous aussi, toutes ces choses sont nécessaires. » (Mt 6, 31-32). Les bonnes questions concernent le règne de Dieu et sa justice : qu’est-ce qui est juste ? Jésus continue :

« 33 Cherchez d’abord le Règne de Dieu et sa justice, et tout cela vous sera ajouté.

34 Ne vous inquiétez donc pas du lendemain : lui, en effet, le lendemain, s’inquiète de lui-même. À la journée suffit sa peine. »  (Mt 6, 31-34)

Psaume (Ps  77 (78), 3.4ac, 23-24, 25.52a.54a)

« Nous avons entendu et nous savons ce que nos pères nous ont raconté : et nous le redirons à l’âge qui vient, les titres de gloire du Seigneur. Il commande aux nuées là-haut, il ouvre les écluses du ciel : pour les nourrir il fait pleuvoir la manne, il leur donne le froment du ciel. Chacun se nourrit du pain des Forts, il les pourvoit de vivres à satiété. Tel un berger, il conduit son peuple. Il le fait entrer dans son domaine sacré ». 

Les psaumes ont un sens historique, moral, christologique et eschatologique.

Le sens historique de ce psaume est donné par la première lecture. Le livre de l’Exode relate comment Dieu a conduit son peuple, avec Moïse, il l’a fait sortir d’Égypte pour aller rendre un culte en offrant un sacrifice au Seigneur dans le désert (Ex 7 –10). Puis, au désert, Dieu a fait pleuvoir la manne, qui est le froment du ciel, le pain des Forts dont parle le psaume.

Le sens moral qui en découle est d’avoir confiance au Seigneur. Et de savoir qu’il nous conduit pour nous faire entrer dans son domaine sacré. Donc, confiance et espérance.

Le sens christologique, c’est une description de l’Eucharistie comme étant « le froment du ciel », Jésus dira : « le pain de Dieu,   c'est celui qui descend du ciel   et donne la vie au monde. » (Jn 6, 33) Et ajoutera : « Je suis le pain de vie » (Jn 6, 35) et encore : « je suis descendu du ciel   pour faire non pas ma volonté,   mais la volonté de celui qui m'a envoyé. » (Jn 6, 38) Et « Oui, telle est la volonté de mon Père,   que quiconque voit le Fils et croit en lui   ait la vie éternelle » (Jn 6, 40). Ainsi, le psaume annonce Jésus, et à la Messe, « Chacun se nourrit du pain des Forts ».

Le psaume a aussi un sens eschatologique, c’est-à-dire une signification future dont nous attendons encore la réalisation. « Tel un berger, il conduit son peuple. Il le fait entrer dans son domaine sacré ». 

L’Apocalypse décrit un grand combat contre Satan, représenté par un dragon. Comme le désert fut pour Israël un lieu de mise à l’épreuve (Dt 8, 2), la femme-Église s’y retrouve poursuivie par le dragon (Ap 12, 13). Comme le peuple hébreu y reçut la manne (Ex 16, 1-36), la « femme » y sera nourrie. De même que le désert fut une étape intermédiaire vers le lieu que Dieu avait préparé (Ex 23, 20), la femme Église ne restera au désert que pour un temps limité.

Dans l’Apocalypse, l’Église de Pergame est tentée par une consommation, qui, à travers la nourriture, tourne à l’idolâtrie [1]. À la nourriture (luxueuse et ambiguë) qu’était la viande offerte aux idoles, Jésus oppose la Manne, une nourriture offerte par Dieu à son peuple au désert, « c’est une nourriture d’anges que tu as donnée à ton peuple, et c’est un pain tout préparé que, du ciel, tu leur as fourni inlassablement, un pain capable de procurer toutes les délices et de satisfaire tous les goûts » (Sg 16, 20) et la manne cachée, c’est le Christ lui-même, lui le Pain de Vie descendu du Ciel (Jn 6, 25-59)… « Au vainqueur, je donnerai de cette manne qui est cachée » (Ap 2, 17) !

La venue glorieuse du Christ n’abolira pas l’Eucharistie : l’apparition du Christ au monde entier demeure extérieure, or il veut vivre en nous. Le Christ va non seulement se manifester comme une évidence extérieure, mais il désire aussi vivre en nous et nous sanctifier dans l’âme, l’esprit et le corps, réalisant la promesse à la 3e Église : « Au vainqueur, Je donnerai de cette Manne qui est cachée » (Ap 2, 17). Saint IRÉNÉE écrit : « Pour nous, notre façon de penser s’accorde avec l’Eucharistie, et l’Eucharistie en retour confirme notre façon de penser » (AH, IV, 18, 5).

Sur le manuscrit de Crawford édité par Gwynn, après le don de la Manne, il n’y a pas de « caillou blanc », mais il est question du « ḥbūshyā » [racine ḤBSh], un mot qui signifie clôture ou cellule pour la vie recluse, lieu solitaire. Nous traduisons donc :

« Il aura une cellule de reclus [ḥbūshyā], un nom nouveau quant à l’écriture, que personne ne connaîtra, sinon celui qui l’aura reçu » (Ap 2, 17). À quoi l’Apocalypse fait-elle allusion ? Une cellule vivante se caractérise par une membrane qui contrôle les échanges avec l’extérieur, et par un noyau où s’exerce le contrôle du des échanges. Jésus est venu relever le Temple, dont l’architecture révèle la nature humaine. Le Saint des Saints, l’intérieur de l’intérieur, correspond au noyau de la cellule, ou à la cellule de reclus puisqu’il est dit que le grand prêtre ne devait jamais en sortir (Lv 21, 10-12). Quand Jésus promet, juste après la Manne, un « ḥbūshyā », cela signifie que l’Eucharistie (la Manne) développe chez le chrétien sa cellule intérieure. D’une communion eucharistique à l’autre, le chrétien restaure en lui sa nature humaine intégrale, incluant un « Saint des saints », source de vie et de liberté spirituelle.

Quand le psaume dit : « Tel un berger, il conduit son peuple. Il le fait entrer dans son domaine sacré », le sens historique était la sortie d’Égypte pour aller rendre un culte à Dieu dans le désert, puis pour entrer en terre sainte et bâtir un temple. Mais le sens eschatologique, le but ultime, c’est de sortir de l’emprise du mal et d’entrer dans la cité sainte. Au moment de la venue glorieuse du Christ, quand le monde sera libéré de l’emprise de Satan et que la bête (le système corrompu) aura été jetée dans l’étang de feu, alors il y aura une cité sainte (sur la terre). L’Apocalypse dit que « Cette ville dessine un carré [un cube] : sa longueur égale sa largeur. Il la mesura donc à l’aide du roseau, soit 12.000 stades ; longueur, largeur et hauteur y sont égales » (Ap 21, 16). La mesure correspond au nombre de ceux qui sont marqués du sceau de Dieu, « 12.000 de chaque tribu d’Israël » (Ap 7, 5s). La forme cubique est celle du Saint des Saints. « Et la Cité était d’or pur, à la ressemblance du verre pur » (Ap 21, 18). L’or représente la gloire, dans le Temple terrestre, le Saint des Saints est recouvert d’or. Le verre pur évoque la voûte céleste. Autant dire qu’est donnée la présence du Ciel sur la terre.

Prions avec confiance le psaume : « Tel un berger, il conduit son peuple. Il le fait entrer dans son domaine sacré », car le Seigneur nous conduit. La Parousie, ou venue glorieuse du Christ, réalisera le Temple dont tous les juifs désirent la reconstruction : « Et, de Temple,  je n’en vis point en elle. Le Seigneur, en effet, [qui] détient tout, Lui, c’est son Temple, et l’Agneau. » (Ap 21, 22)

 

Deuxième lecture (Ep 4, 17.20-24)

17 Frères, je vous le dis, j’en témoigne dans le Seigneur : vous ne devez plus vous conduire comme les païens qui se laissent guider par le néant de leur pensée. 20 Mais vous, ce n’est pas ainsi que l’on vous a appris à connaître le Christ, si du moins l’annonce et l’enseignement que vous avez reçus à son sujet s’accordent à la vérité qui est en Jésus. Il s’agit de vous défaire de votre conduite d’autrefois, c’est-à-dire de l’homme ancien corrompu par les convoitises qui l’entraînent dans l’erreur. Laissez-vous renouveler par la transformation spirituelle de votre pensée. Revêtez-vous de l’homme nouveau, créé, selon Dieu, dans la justice et la sainteté conformes à la vérité. – Parole du Seigneur.

Parfois, nous voudrions tout réinventer pour être jeune imaginons-nous. Or saint Paul dit que pour être jeune, pour être renouvelé, pour être l’homme nouveau, le chemin est celui d’une conduite basée sur la connaissance du Christ, « si du moins l’annonce et l’enseignement que vous avez reçus à son sujet s’accordent à la vérité qui est en Jésus ». Rejeter la conduite et l’enseignement reçus, donc une doctrine transmise, une tradition reçue des apôtres bien sûr, c’est se conduire comme les « les païens qui se laissent guider par le néant de leur pensée ».

« Frères, je vous le dis… » Saint Paul parle aussi à notre génération, confrontée à l’abomination de l’apostasie et au désert qui menace… Au verset 17, le mot néant est le mot srīqūṯā qui dérive du verbe spolier et donne l’adjectif vide, ou le mot idole. Les pensées païennes sont vides, quelque chose a été spolié, perdu. Le paganisme a une pensée enténébrée dit aussi saint Paul au verset 18 qu’a coupé l’extrait lu dans la liturgie. La Bible de Jérusalem donne : « 17 Je vous dis donc et vous adjure dans le Seigneur de ne plus vous conduire comme le font les païens, avec leur vain jugement 18 et leurs pensées enténébrées : ils sont devenus étrangers à la vie de Dieu à cause de l'ignorance qu'a entraînée chez eux l'endurcissement du coeur, 19 et, leur sens moral une fois émoussé, ils se sont livrés à la débauche au point de perpétrer avec frénésie toute sorte d'impureté ».

Le texte liturgique reprend ensuite au verset 20. « Il s’agit de vous défaire de votre conduite d’autrefois, c’est-à-dire de l’homme ancien corrompu par les convoitises qui l’entraînent dans l’erreur ». Le vieil homme se corrompt (se détruit) par des convoitises trompeuses. Le mot convoitise, rgīgāṯā dérive du verbe rag, désirer, une racine que nous retrouvons deux fois dans le récit de la Genèse : « La femme vit que l'arbre était bon à manger et séduisant (rgīgā adjectif) à voir, et qu'il était, cet arbre désirable (rgīg adjectif absolu) pour acquérir le discernement » (Gn 3, 6). Ce désir entraîne dans l’illusion, dans l’erreur. Le récit de la Genèse parle de l’arbre de la connaissance bonne et mauvaise (il n’y a pas écrit du bien et du mal, mais il y a deux adjectifs : Gn 2, 17), manger le fruit d’un arbre est donc une image pour parler de la connaissance. Or Dieu a donné tous les arbres du jardin à manger (Gn 2, 16), sauf un. La Bible n’interdit pas le travail de la pensée, l’effort de connaissance e »e »e : Dieu invite à manger de tous les arbres du jardin (Gn 2, 16). Mais la Bible enseigne que l’intelligence de l’homme ne se réduit pas aux connaissances issues des sens et du raisonnement, ni même à la connaissance du microcosme qu’il est lui-même. La connaissance ne se réduit pas au microcosme et au macrocosme.  La Bible nous enseigne qu’il y a une autre forme de connaissance, mais qui est bonne et mauvaise (Gn 2, 17). Autrement dit, l’homme doit apprendre, l’homme doit connaître tout ce qui l’entoure, et il doit aussi connaître les lois qui régissent l’univers, et il doit aussi se connaître lui-même. Mais il y a une connaissance qui est une révélation, une insufflation divine, et cette connaissance-là, on peut la recevoir, alors elle est bonne mais on ne pas mettre la main dessus, sinon elle est mauvaise. Le serpent de la Genèse a induit Éve à confondre la sagesse révélée avec une pensée toute humaine, avec des raisonnements déduits d’analogies et de perceptions sensibles. Ne confondons l’enseignement de Jésus avec les discours du monde ! Ne confondons pas les dessins d’un jardin d’enfants avec les images saintes ! En particulier, les cérémonies “spirites” et la théosophie se développent sur une connaissance mauvaise, illusoire, occultant la révélation, et si déjà l’Ancien Testament a rompu avec les pratiques, plus encore le chrétien doit-il rompre avec.

La connaissance bonne est « selon Dieu, dans la justice et la sainteté conforme à la vérité ». La connaissance mauvaise occulte ce qui est « selon Dieu », reçu de Jésus, transmis par les apôtres, et le remplace par ce qui est une connaissance subjective ou mondaine, toute humaine. Ici, la justice, c’est zaddīqūṯā, c’est plus que simplement le droit kinūṯā, l’aspect légal de la justice. La sainteté, ḥasyūṯā, c’est aussi la pureté, le contraire donc de l’impureté que la liturgie a omis de faire lire : « 19 leur sens moral une fois émoussé, ils se sont livrés à la débauche au point de perpétrer avec frénésie toute sorte d'impureté ». Les chrétiens sont appelés à la justice et à la sainteté-pureté. Et cette sainteté-pureté est conforme à la vérité qūštā, qui a la nuance de la vérité-droiture orientant vers le but ultime, vers cette vocation humaine remplie de noblesse et de beauté puisque l’homme est appelé à ressembler à Dieu et à participer à sa vie, et à son souffle.  

« Laissez-vous renouveler par la transformation spirituelle de votre pensée. Revêtez-vous de l’homme nouveau, créé, selon Dieu, dans la justice et la sainteté conformes à la vérité. »

Saint Paul oppose l’homme renouvelé au vieil homme, et ce renouvellement se fait selon « la vérité qui est en Jésus ». Saint Paul oppose aussi, au « néant des pensées » dont il parlait au verset 17, le fait d’être littéralement renouvelés « dans l'esprit de votre intelligence b-rūḥā d-maddᶜaykon », et le mot esprit rūḥā est synonyme de souffle. Il faut que notre intelligence ait du souffle. Jésus a envoyé l’Esprit Saint, et depuis la Pentecôte cet Esprit anime nos esprits, nos intelligences. Non pas au plan des sens et des sentiments, mais au niveau de la pensée et de la compréhension de ce qui est juste et de ce qui correspond au dessein du Créateur. L’Esprit Saint agit d’abord au plan de l’intelligence sur laquelle se fonde notre volonté. Alors que le désir ou la convoitise sont mues par ce qui affecte nos sens et nos sentiments. Attention donc aux musiques…

Nous avons une âme sensitive en commun avec les animaux. Mais nous ne sommes pas des animaux, les animaux sont créés chacun selon leur espèce (Gn 1, 24-25), mais l’homme n’est pas créé selon son espèce, il est créé à l’image et à la ressemblance de Dieu (Gn 1, 27). Par conséquent, l’homme ne peut se connaître en se regardant soi-même, mais en regardant Dieu. L’homme n’a pas sa source en lui-même, son souffle lui vient d’ailleurs. Que nos pensées aient du souffle, non pas « qu’est-ce que j’y gagne, quel est mon bénéfice ? » mais selon l’enseignement de Jésus, et là c’est autre chose !

Évangile (Jn 6, 24-35)

(traduction depuis l'araméen avec reprises de souffle (petgames) et balancement).

24 Et, lorsque cette foule vit que Jésus n’était pas là, / ni ses disciples,

ils montèrent dans ces barques / et vinrent à Capharnaüm ;
et ils cherchaient… / Jésus.
25 Et, comme ils le trouvèrent sur l’autre rivage de la mer, / ils lui disaient :
‘Rabbi ! / quand es-tu venu jusqu’ici ?’

          26 Jésus répondit / et leur dit :
‘Amen, amen, / je vous [le] dis :
Vous me cherchez… / non pas parce que vous avez vu des signes,
mais parce que vous avez mangé du pain / et que vous avez été rassasiés !

27 Ne cultivez pas / l’aliment qui périt,
mais l’aliment qui demeure / pour la vie qui est pour toujours,
celui que le Fils de l’homme / vous donnera [2] ; 
celui-ci, en effet, / que Dieu le Père a marqué de son sceau !’ [3]

28 Ils lui disaient : / ‘Que ferons-nous pour cultiver les œuvres de Dieu ?’
29 Jésus répondit / et leur dit :
‘Voici l’œuvre de Dieu : / que vous croyiez en celui que Lui a envoyé !’ 

30 Ils lui disaient :
‘Quel signe fais-tu, que nous voyions et croyions en toi ? / Que réalises-tu ?
31 Nos pères, / c’est la manne qu’ils ont mangée dans le désert !
          Comme il est écrit :
Du pain, / depuis les Cieux,
Il leur donna / à manger.’

          32 Jésus leur dit :
‘Amen, amen / je vous [le] dis :
Ce ne fut pas Moïse qui vous donna le pain, / depuis les Cieux ;
mais mon Père vous donne le pain de vérité [le pain véritable] [4] / depuis les Cieux ! 

33 En effet le pain de Dieu, / c’est celui qui descend des Cieux,
et qui donne la Vie / au monde !’

          34 Ils lui disaient :
‘Seigneur ! / En tout temps donne-nous ce pain !’

35 Jésus leur dit :
‘Je suis / le Pain de Vie !’
‘Qui vient auprès de moi, / n’aura pas faim !
Et qui croit en moi, / n’aura jamais soif ! »

– Acclamons la Parole de Dieu. 

Les gens sont intéressés de manger et d’être rassasiés (cf. Jn 6, 26). Mais voir le salut comme quelque chose de purement matériel, c’est réduire l’homme et oublier Dieu. Jésus les invite à être attentifs au « signe ». L’acte de foi commence par un acte d’attention.

« La manne avait beau venir du ciel, elle n’était qu’une nourriture terrestre, voire une nourriture de substitution, qui devait cesser dès qu’on avait quitté le désert pour des contrées habitées. Mais l’homme a une faim plus grande, il a besoin de plus. Le don qui nourrit l’homme en tant qu’homme doit être plus grand, il doit se situer sur un autre plan. La Torah est-elle cette autre nourriture ? En elle, par elle, l’homme peut, d’une façon ou d’une autre, faire en sorte que la volonté de Dieu devienne sa nourriture (cf. Jn 4, 34). Oui, mais elle nous montre, pour ainsi dire, seulement le dos de Dieu, elle est ‘ombre’. "Le pain de Dieu, c’est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde" (Jn 6, 33) » [5].

L’évangile de saint Jean est un filet d’oralité, et l’évangile que nous avons entendu fait partie du troisième fil dédié au Pain de vie. La vie, c’est-à-dire le salut, sera offert partout à travers du pain : le Pain de Vie, c’est le Pain du Ciel, le corps et le sang du Fils de l’homme (perle 3C). Selon le prophète Daniel, le « Fils de l’homme » vient du Ciel et y montera (Jn 6, 62 perle 3D : personne ne comprend que manger son corps soit de l’anthropophagie, mais une communion aux réalités célestes).

Fils de l’homme venant sur les nuées du Ciel (Dn 7, 13), il ne peut être soumis au jugement humain et n'a pas besoin de se montrer en spectacle (Jn 7, 1-10 perle 3E). Pour comprendre, il faut vouloir faire la volonté de Dieu : « Qui veut faire Sa volonté, comprend si mon enseignement est de Dieu » (Jn 7, 17 perle 3F). Et vouloir vraiment faire la volonté de Dieu, c’est-à-dire vivre dans l’Esprit Saint, est beaucoup plus difficile que d’accepter Jésus simplement comme le Messie et le roi d’Israël.

L’évangile de saint Jean est un filet d’oralité et l’on peut méditer trois fils ensemble, comme une tresse, autour du thème du Pain de Vie. Cette méditation nous montre que le Pain de Vie nous introduit dans une vie trinitaire. Le Père cherche des adorateurs « en Esprit et en vérité… C’est Esprit en effet, qu’est Dieu ! » (Jn 4, 23 perle 2A).

L’Ancien Testament a préparé le Nouveau. Le Pain donné par Moïse était la Torah, et la Torah est la Sagesse éternelle (Si 24), et « En elle [la Sagesse] est un esprit intelligent, saint » (Sg 7, 22). Jésus est la nouvelle Torah, la Sagesse incarnée, et il est inséparable de l’Esprit Saint : « Mes paroles sont Esprit et elles sont Vie » (Jn 6, 63 perle 3D).

À celui qui croit, Jésus a promis « l’eau ». Or l’image de l’eau pour dire l’Esprit est connue des prophètes : « Je répandrai sur vous une eau pure, et vous serez purifiés […] Je mettrai mon Esprit en vous » (Ez 36, 25. 27) ; « Je répandrai [...] un esprit de grâce et de supplication [...] En ce jour-là, il y aura une fontaine ouverte [...] pour laver péché et souillure » (Za 12, 10 ; 13, 1). Jésus dit à la Samaritaine : « Mais cette eau-là, que moi je lui donne, sera en lui une source d’eau jaillissante, pour la vie qui est pour toujours » (Jn 4, 14 perle 2A). Puis, pendant la fête des Tentes, Jésus déclare : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive » (Jn 7, 37) « Celui qui croit en moi, selon le mot de l’Écriture, des fleuves d’eau vive couleront de ses entrailles [karasha] » (Jn 7, 38) et l’évangéliste ajouta une glose : « Or, cela il le dit au sujet de l’Esprit, qu’allaient recevoir ceux qui croient en lui. L’Esprit, en effet, n’avait pas encore été donné, parce que Jésus n’avait pas encore été glorifié. » (Jn 7, 39 perle 4A).

L’Esprit ne s’oppose pas à la loi que Jésus continue de prendre en considération : « et aucun de vous ne garde la Loi ! » (Jn 7, 19). L’Esprit qui flamboie dans le Pain de Vie unit l’homme au Père et à sa volonté divine. Par la même occasion, il fait comprendre l’enseignement de Jésus de l’intérieur :
« 17 Qui veut faire Sa volonté, / comprend si mon enseignement est de Dieu,
ou bien si c’est selon le désir de mon âme / que je parle ! » (Jn 7, 17 perle 3F).

L’homme guéri va au Temple, pour rendre grâce à Dieu le Père (perle 2D). Dans le cœur des croyants, c’est l’Esprit Saint qui conduit du Christ au Père, en disant, avec Jésus et en lui : « ce qui lui plait, je le fais, en tout temps » (Jn 8, 29 perle 4B).

Les paroles : « Moi et mon-Père / nous sommes Un » (Jn 10, 30 perle 4E) et « le Père est en Moi / et Moi dans le Père » (Jn 10, 38) nous conduisent à vivre l’Eucharistie en élevant nos cœurs vers la Trinité, par Jésus vers le Père. Ne dit-on pas dans la liturgie latine : « par lui, avec lui et en lui, Amen ! A toi Dieu le Père Tout puissant ! ». « Et le troupeau tout entier sera un, / et un unique pasteur » (Jn 10, 16 perle 4F).

Extraits de : Françoise BREYNAERT, Jean, L’évangile en filet. L’oralité d’un texte à vivre. (Préface Mgr Mirkis – Irak) Éditions Parole et Silence. Paris, 8 décembre 2020. 477 pages.

 

[1] Pour l’expliquer, nous pourrions relire ici saint Paul : « Qu’est-ce à dire ? Que la viande immolée aux idoles soit quelque chose ? Ou que l’idole soit quelque chose ? ... Mais ce qu’on immole, c’est à des démons et à ce qui n’est pas Dieu qu’on l’immole. Or, je ne veux pas que vous entriez en communion avec les démons. Vous ne pouvez boire la coupe du Seigneur et la coupe des démons ; vous ne pouvez participer à la table du Seigneur et à la table des démons » (1Co 10, 19-21).

[2] La Pshitta et le Synaïticus ont le futur ; le manuscrit de Cureton a le passé.

[3] Manuscrits Sinaïticus et Cureton : « Dieu le Père, en effet, a scellé (marqué de son sceau) celui-ci ». La Pshitta comme la Harcléenne ont un ordre différent des mots, et Etheridge traduit : for this hath the Father sealed, (even) Aloha (c’est lui que le Père a marqué de son sceau : Dieu !), cependant, si la Harcléenne, qui cherche à harmoniser le syriaque sur le grec, n’a pas jugé bon de modifier la Pshitta, c’est probablement qu’il fallait comprendre dans un sens identique au grec : « c’est lui que Dieu, le Père, a marqué de son sceau ».

[4] En araméen, l’adjectif est souvent remplacé par un complément de nom : « Pain de vérité » pour « Pain véritable », ou « Pain de Vie » pour « Pain vivant » (Grammaire Costaz § 522). En français, « Pain de vérité » évoque la nourriture de la révélation, d’autant plus que l’on vient de parler de Moïse. L’expression « Pain véritable » a un sens plus large qui suggère que Jésus nous nourrit de sa personne (vérité, mais aussi bonté, beauté, vivification, sagesse, etc.) et qu’il est la nourriture qui nous sustente vraiment. L’araméen permet de passer d’un sens à l’autre.

[5] Joseph RATZINGER, BENOIT XVI, Jésus de Nazareth, tome I, Flammarion, Paris 2007, p. 294.

Date de dernière mise à jour : 29/06/2024