29° dimanche ordinaire B

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Voici pour mémoriser le texte de l'évangile de ce jour en vue d'une récitation orale avec reprises de souffles.

Evangile mc 10 39 45Evangile Mc 10, 39-45 (85.95 Ko)

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Sur Radio espérance : tous les mardi, mercredi, jeudi et vendredi à 8h15
et rediffusées le dimanche à 8h et 9h30). 

Première lecture (Is 53, 10-11)

Psaume (Ps 32 (33), 4-5, 18-19, 20.22)

Deuxième lecture (He 4, 14-16)

Évangile (Mc 10, 35-45)

Première lecture (Is 53, 10-11)

Broyé par la souffrance, le Serviteur a plu au Seigneur. S’il remet sa vie en sacrifice de réparation, il verra une descendance, il prolongera ses jours : par lui, ce qui plaît au Seigneur réussira. Par suite de ses tourments, il verra la lumière, la connaissance le comblera. Le juste, mon serviteur, justifiera les multitudes, il se chargera de leurs fautes. – Parole du Seigneur.

Qui est le Serviteur ? Au temps de l’exil, le peuple juif semblait bien « frappé par Dieu et humilié » (Is 53, 4). Et pourtant, « par lui, la volonté du Seigneur s’accomplira » (Is 53, 10), c’est-à-dire, au temps d’Isaïe, s’accomplira la révélation que Dieu n’est pas abstrait comme l’était Mazda, le dieu de Cyrus, Dieu est vivant et il est . Cette explication fait sens, mais elle ne tient pas compte de l’ensemble du texte biblique. En effet, les compatriotes du serviteur reconnaissent que sa souffrance est rédemptrice pour eux : « Il a porté nos infirmités, il s’est chargé de nos maladies... dans ses blessures nous sommes guéris. » (Is 53, 4-5).

Isaïe 53, 4 (Bible de Mossoul) donne : « Vraiment [šarīrā’īṯ : vraiment, fermement, racine šrr], lui, il a supporté[1] nos souffrances [ḥašā, un mot qui désigne aussi la Passion], et lui, il a reçu [sval : recevoir, emporter, supporter] nos blessures [kīḇā blessure, infirmité] ». Quelle que soit la langue, Isaïe conjugue les verbes au passé, ce qui explique sans doute que les textes grecs, latins et français de Mt 8, 17 donnent aussi les verbes de cette citation au passé. En syriaque, Mt 8, 17 donne : « Lui, il prendra [nessaḇ : futur du verbe nsaḇ prendre ou recevoir] nos blessures [kīḇā blessure, infirmité] et il se chargera[2] de nos maladies [ḵūrhānā faiblesse, maladie] » (Mt 8, 17). Comme dans Isaïe, on peut y lire un aspect subi et une dimension active, mais Matthieu parle au futur : c’est dans sa Passion que Jésus prendra nos blessures et se chargera de nos faiblesses, pour nous en guérir. Et les réflexes d’une civilisation orale font remonter à la mémoire la suite de ce chant du Serviteur : « Le juste, mon serviteur, justifiera les multitudes, il se chargera de leurs fautes » (Is 53, 11). 

Dans le livre d’Isaïe, le Serviteur est appelé le pasteur des brebis errantes (Is 53, 6) et il est « frappé par Dieu » (Is 53, 4). Dans le livre de Zacharie, le pasteur est aussi « frappé par Dieu » (Za 13, 7), pourtant ce pasteur n’est pas un mauvais pasteur, il est appelé par Dieu « l’homme qui m’est proche » (la Bible de la pléiade traduit : « l’homme de ma parenté »).[3]

Le Serviteur du livre d’Isaïe est appelé « Juste » (Is 53, 11), le roi du livre de Zacharie 9,9 l’est aussi.

Zacharie annonce : « Mais je répandrai sur la maison de David et sur l’habitant de Jérusalem un esprit de grâce et de supplication, et ils regarderont vers moi. Celui qu’ils ont transpercé, ils se lamenteront sur lui comme on se lamente sur un fils unique ; ils le pleureront comme on pleure un premier-né. » (Za 12, 9-10)

Le texte hébreu dit : « Ils regarderont vers moi qu’ils ont transpercé » (Za 12, 10). Ce qui suggère que c’est YHWH Dieu lui-même qui a été atteint en la personne de son porte-parole.

Les chants du Serviteur ne seront compris qu’avec Jésus. Ses souffrances et sa mort vont obtenir le pardon des pécheurs qui n’avaient pas pu jusque-là être libérés du poids de leurs fautes. « S’il remet sa vie en sacrifice de réparation… » (Is 53,10).

Dans l’évangile de ce dimanche, Jésus dit :

 « Aussi, en effet, / le Fils de l’homme
n’est pas venu pour être servi / mais pour servir,
et se donner en rédemption / en faveur de beaucoup » (Mc 10, 45).

Jésus a vécu sa Passion dans une solitude incomparable, car sa divinité donnait à ses souffrances la dimension de l’humanité, depuis le premier homme jusqu’au dernier, et il s’est fait le Rédempteur de tous. Jésus a transformé sa souffrance en offrande et il donne aux pécheurs quelque chose qu’ils puissent offrir à Dieu, son propre corps consacré à l’accomplissement de la volonté de Dieu. Par exemple, Jésus a été attaché et lié par des chaînes, en réparation des attachements mauvais de tous et pour donner à tous les chaînes de l'Amour.

Ce plan de salut dépend de la libre acceptation par le Serviteur : « S’il remet sa vie en sacrifice de réparation, il verra une descendance, il prolongera ses jours : par lui, ce qui plaît au Seigneur réussira. » (Is 53,10). Et nous, chacune de nos actions, paroles et pensées nous poussent-elles à nous consumer d'amour pour lui ? Quand nous communions à Jésus, nous communions aussi à sa Passion, et il est bon de s'unir à Jésus, par exemple à ses mains clouées sur le bois de la croix, pour réparer avec lui les oeuvres mauvaises, les nôtres et celles de tous, et le bien mal fait ou fait avec présomption, pour donner à tous le parfum des Œuvres de Jésus.  

Après l’épreuve… « Par suite de ses tourments, il verra la lumière, la connaissance le comblera... » (Is 53, 11). L’idée de résurrection n’est pas exprimée de façon claire comme ce sera le cas plus tard (2Mac 7 ; Daniel 12 ; Targum). Après la résurrection de Jésus, un homme assis dans son char lisait Isaïe 53, 7-8, et demanda à Philippe : « Je t’en prie, de qui le prophète dit-il cela? De lui-même ou de quelqu’un d’autre ? » (Ac 8, 30-35). Et Philippe lui explique ce qui concerne Jésus.

Avec Jésus, il devient manifeste que l’efficacité rédemptrice de la souffrance du Serviteur, c’est son amour. L'Amour comporte tous les sacrifices ; l'Amour est d'un coût incommensurable.

Les récits de la Passion occupent une place très importante dans les quatre évangiles. Nous pouvons observer ce que Jésus a souffert, l’aimer et apprendre en silence. Nous acquerrons la force en voyant Jésus souffrir à ce point.

La mère de Jésus a, elle aussi, offert un grand sacrifice, jusqu’au sacrifice ultime de devoir donner la sépulture à son Fils Jésus. 

Le Serviteur souffrant prend sur lui la faute des multitudes les rendant ainsi justes (cf. Is 53, 11), mais personne n’agit à notre place. Jésus ouvre sa souffrance à la nôtre, pour que nous puissions nous identifier à lui, nous incorporer en lui, nous réchauffer dans l’ardeur de son amour.

 

Psaume (Ps 32 (33), 4-5, 18-19, 20.22) 

Oui, elle est droite, la parole du Seigneur ; il est fidèle en tout ce qu’il fait. Il aime le bon droit et la justice ; la terre est remplie de son amour. Dieu veille sur ceux qui le craignent, qui mettent leur espoir en son amour, pour les délivrer de la mort, les garder en vie aux jours de famine. Nous attendons notre vie du Seigneur : il est pour nous un appui, un bouclier. Que ton amour, Seigneur, soit sur nous comme notre espoir est en toi !

Le psaume : « Oui, elle est droite, la parole du Seigneur ». Au sens matériel, quelqu’un se tient droit quand il est correctement debout, un arbre est droit quand il pousse verticalement, vers le soleil. La parole du Seigneur est droite parce qu’elle oriente notre vie vers la Vie qui est pour toujours, vers Dieu qui est bon, vers le bien. Saint Augustin, à partir de ce psaume, explique le rôle du Christ, qui est la Parole de Dieu par excellence, le Verbe incarné. Nous allons maintenant découvrir, et goûter, son commentaire sur ce psaume (Saint Augustin, sur les Psaumes, 33:

Saint Augustin : « Le Christ s’étant fait homme, nous donne sa vie comme un modèle, et voulant tout à la fois nous apprendre à vivre et nous en mériter la grâce, nous fait voir en lui une certaine volonté humaine et privée, qui figurait à la fois la sienne et la nôtre, car il est notre chef, et vous le savez, nous lui appartenons comme ses membres : ‘Mon Père’, dit-il, ‘s’il est possible, que ce calice s’éloigne de moi’. Voilà une volonté humaine, qui s’arrêtait sur un objet propre et particulier. Mais comme il voulait que l’homme eût le coeur droit, afin de le porter à redresser sur le modèle qui est toujours droit, ce qu’il pouvait avoir de tortueux, quelque peu que ce fût, il ajoute : ‘Et pourtant, non point ce que je veux, mais ce que vous voulez, ô mon Père’. Or, quelle volonté perverse pouvait avoir le Christ ? Que pouvait-il vouloir, que ne voudrait point son Père ? Ils n’ont qu’une même divinité, et ne peuvent avoir une volonté différente. Il voulait personnifier dans cette humanité tous les siens, comme il les personnifiait en lui-même, quand il dit : ‘J'ai eu faim et vous m'avez donné à manger (Mt 25, 35)’: comme il les personnifiait, quand lui, que nul ne blessait, cria du haut du ciel à Saul qui frémissait de rage, et persécutait les saints : ‘Saul, Saul, pourquoi me persécuter (Ac 9, 4)’. Il voulait donc te montrer en lui une volonté qui est propre à l'homme. Il t'a mis sous les yeux ta propre image afin de te corriger. Reconnais-toi en moi-même, te dit-il ; tu peux, il est vrai, avoir ta volonté propre, autre que la volonté de Dieu, on le pardonne à ta fragilité, on le pardonne à l'infirmité humaine ; il est difficile pour toi de n'avoir aucune volonté propre : mais à l'instant souviens-toi qu'il est quelqu'un au-dessus de toi ; qu'il est supérieur, et toi inférieur, qu'il est créateur et toi créature, qu'il est maître et toi serviteur, qu'il est tout-puissant et toi bien faible ; et afin de te corriger, soumets ta volonté à sa volonté, en disant : ‘Toutefois, ô mon Père, non point ce que je veux, mais ce que vous voulez’.  Alors, Comment pourrais-tu être séparé de Dieu ; quand tu veux ce qu’il veut ? C’est alors que tu seras droit, et qu’il te siéra de bénir Dieu : ‘Car c’est aux coeurs droits de le louer’. […]

Il faut apprendre à ceux qui déjà bénissent Dieu dans la prospérité, à reconnaître qu’il est père encore quand il châtie, à ne point murmurer contre sa main qui les afflige, de peur qu’ils ne demeurent dans la dépravation, qu’ils ne déméritent et ne soient justement privés de l’héritage éternel ; il le faut, afin qu’ils deviennent droits, et ils seront droits quand rien dans les actes de Dieu ne leur déplaira. »

Le psaume : « Oui, elle est droite, la parole du Seigneur ; il est fidèle en tout ce qu’il fait. Il aime le bon droit et la justice ». Saint Augustin : « Je ne veux pas vous questionner au sujet de votre justice ; car nul d’entre vous sans doute n’oserait me répondre : Je suis juste ; mais je vous interroge au sujet de votre foi ; et de même que nul n’oserait me répondre : Je suis juste ; nul aussi n’oserait me dire : Je n’ai pas la foi. Je ne cherche donc point quelle est ta vie, je demande ce que tu crois. Tu me répondras que tu crois en Jésus-Christ. N’entends-tu point l’Apôtre qui te dit : ‘Le juste vit de la foi ?’ Ta foi, c’est là ta justice : car, si tu crois, tu es sur tes gardes ; si tu es sur tes gardes, tu fais des efforts, et tes efforts sont connus de Dieu. »

Le psaume : « La terre est remplie de son amour ». Saint Augustin utilise la traduction : « La terre est pleine des miséricordes du Seigneur ». Saint Augustin : « La divine miséricorde se diversifie à l’infini : Dieu a de la patience, de la longanimité. Les biens dont il gratifie les méchants ne nous montrent que mieux ceux qu’il réserve aux bons […] Où donc l’Évangile n’est-il pas prêché ? Où cette parole de Dieu ne se fait-elle pas entendre ? Où n’offre-t-on pas le salut ? Le psaume : ‘La terre est pleine des miséricordes du Seigneur’ ! » 

Le psaume : « Dieu veille sur ceux qui le craignent, qui mettent leur espoir en son amour ». Saint Augustin : « Si tu cherches le salut, Dieu incline son amour sur ceux qui le craignent. ‘Et qui espèrent en sa miséricorde’. Qui espèrent, non dans leur propre vertu, mais dans la divine miséricorde ».

Le psaume : « pour les délivrer de la mort, les garder en vie aux jours de famine ». Saint Augustin : « Afin de les nourrir de son Verbe et de l’éternelle vérité, qu’ils avaient perdue en présumant de leurs forces, et ils ont faim de la justice ».

Le psaume : « Nous attendons notre vie du Seigneur : il est pour nous un appui, un bouclier ». Saint Augustin : « Pendant qu’elle est en cette vie, notre âme attendra patiemment le Seigneur. Car il est notre secours et notre protecteur. Il nous aide quand nous nous dirigeons vers lui ; il nous protège quand nous résistons à l’ennemi. Il nous protège quand nous résistons à l’ennemi ! »

Le psaume : « Que ton amour, Seigneur, soit sur nous comme notre espoir est en toi ! » Saint Augustin utilise la traduction : « C’est en lui que s’épanouira notre coeur ». Saint Augustin : « Ce n’est pas en nous, puisque nous n’y trouvons que misère quand Dieu n’y est point, mais en Dieu que notre coeur s’épanouira. Nous avons mis notre espoir dans ‘la sainteté de son nom’. Et si nous espérons arriver un jour à Dieu, c’est qu’il nous a fait connaître son nom par la foi, quand nous étions éloignés de lui ».

Le psaume : « Que votre miséricorde, ô Dieu, descende sur nous, selon que nous avons espéré en vous ». Saint Augustin : « Oui, Seigneur, que votre miséricorde s’épanche sur nous, car nous avons mis notre espérance en vous, et cette espérance est infaillible ».

Deuxième lecture (He 4, 14-16)

Frères, en Jésus, le Fils de Dieu, nous avons le grand prêtre par excellence, celui qui a traversé les cieux ; tenons donc ferme l’affirmation de notre foi. En effet, nous n’avons pas un grand prêtre incapable de compatir à nos faiblesses, mais un grand prêtre éprouvé en toutes choses, à notre ressemblance, excepté le péché. Avançons-nous donc avec assurance vers le Trône de la grâce, pour obtenir miséricorde et recevoir, en temps voulu, la grâce de son secours.

– Parole du Seigneur.

Le v. 16 peut être traduit littéralement de l’araméen : « Avançons-nous donc ouvertement [ou « l’œil dans ce qui est révélé : bagle īn »] vers le Trône de sa grâce [ṭaybūṯēh : sa grâce, sa bonté], pour obtenir miséricorde [raḥme : la miséricorde des entrailles maternelles] et recevoir, la grâce de son secours [ṭaybūṯā l-ūḏrānā] au temps de l’oppression [ūlṣānā : oppression, tribulation] » (He 4, 16).

Pourquoi dit-on que Jésus est « grand prêtre » ? Dans les temples païens, le sacerdoce est lié à un culte de portée particulière, pour une famille, une tribu, un roi ou un empereur. Les païens savent plus ou moins clairement qu’il y a un Dieu des dieux, et donc un « grand sacerdoce » à portée universelle. Les Hébreux ont découvert peu à peu que le Seigneur n’était pas simplement leur Dieu ‒ un Dieu au-dessus d’autres dieux ‒ mais LE Dieu unique de toute la création, le Créateur. La prière à ce Dieu porte donc une dimension universelle, au-delà de toute nation ou langue. C’est le culte « grand-sacerdotal ». Anthropologiquement, cette dimension grand-sacerdotale de la nature humaine s’était rarement exprimée dans le vécu des civilisations anciennes. Cette dimension apparaît nettement dans le Temple de Jérusalem avec un « Saint des Saints ». « C’est là que je te rencontrerai, explique Dieu à Moïse. C’est de sur le propitiatoire, d’entre les deux chérubins qui sont sur l’arche du Témoignage, que je te donnerai mes ordres pour les Israélites » (Ex 25, 22). L’unique Grand-Prêtre pénètre dans le Saint des Saints ‒ et une seule fois par an ‒ pour être en contact avec Dieu et transmettre ensuite Sa bénédiction.

Dans le Saint des Saints, le Grand-Prêtre entre une fois par an pour le sacrifice des Expiations (au Yom Kippour Lv 16, 9-10), afin de remettre les péchés au nom du Seigneur, en aspergeant le propitiatoire avec le sang du sacrifice : chargé des péchés du peuple, ce sang « touchait » en quelque sorte la divinité.

Ce rite est accompli par le Christ qui verse son propre sang et dont la Résurrection offre le pardon. « Frères, en Jésus, le Fils de Dieu, nous avons le grand prêtre par excellence, celui qui a traversé les cieux » (He 4, 14).

Il a traversé les cieux deux fois, une fois pour s’incarner, et une fois dans sa résurrection ascension, il fait le lien entre la terre et les cieux.

Les apôtres ont reçu l’Esprit Saint pour exercer, en Jésus, la fonction même du Grand-Prêtre : remettre les péchés. Le soir de Pâques, le Ressuscité souffla en ses apôtres et leur dit :
« Recevez / l’Esprit Saint  [l’Esprit de Sainteté] !
Si vous remettez les péchés à quelqu’un, / ils lui seront remis.
Si vous retenez [ceux] de quelqu’un, / ils sont retenus » (Jn 20, 22-23).

Jésus ne donne pas aux apôtres le pouvoir de juger, c’est Jésus, le Fils de l’homme, qui jugera le monde lors de sa venue glorieuse. Il donne aux apôtres le pouvoir de remettre les péchés, avec discernement.

Dans l’Église, les apôtres et leurs successeurs sont participants de l’unique grand sacerdoce du Christ. La participation des apôtres au grand sacerdoce du Christ n’est pas uniquement extérieure à eux : remettre les péchés, c’est obtenir la conversion des pécheurs, et pour l’obtenir, le Christ a offert sa Passion, et le prêtre normalement participe à cette offrande. Pour cela, l’Esprit de Sainteté leur est donné. « Recevez l’Esprit de Sainteté » signifie aussi qu’il faut que les apôtres le reçoivent, en particulier pour remettre les péchés.

L’entrée en fonction d’un Grand-Prêtre fait l’objet de solennités qui durent sept jours (Ex 29, 35 ; Lv 8, 33), ce qui explique cette autre apparition où Thomas est désormais présent. En invitant Thomas à voir ses mains et à mettre sa main dans son côté (Jn 20, 27), Jésus suggère que le sacerdoce chrétien est un contact avec la Passion et la Résurrection du Christ. Le contact (qūrbānā) de Thomas avec Jésus est une rencontre bouleversante avec l’Amour divin. Être prêtre signifie donc être spécialiste de la rencontre de l’homme avec Dieu (qūrbānā) !

En tant que le Temple représente la nature humaine, chacun est appelé à participer au Grand-Sacerdoce du Christ ; mais en tant que l’Église actualise la liturgie du Temple, ce sont les apôtres et leurs successeurs qui sont investis du Grand-Sacerdoce du Christ (sinon la liturgie n’est plus représentable !). Dans nos églises, l’unique Grand Prêtre, Jésus, est présent dans le tabernacle. Le prêtre agit dans le sacerdoce de l’unique grand prêtre, et en son nom. Le chœur de l’Église est l’équivalent, dans l’architecture du Temple révélée à Moïse, au sanctuaire, qui est le lieu propre des prêtres, tandis que le peuple est dans la nef.

« Avançons-nous donc avec assurance vers le Trône de la grâce, pour obtenir miséricorde et recevoir, en temps voulu, la grâce de son secours. » (He 4, 16).

Le Grand-Prêtre portait sur son front une plaque en or (nezer en hébreu, pétalon en grec) sur laquelle étaient inscrits les mots « consacré à יהוה (YHWH) ». Jésus, bien sûr, n’a pas porté une telle inscription, mais ces apôtres oui ! Pour célébrer, ils s’habillaient comme les Grands-Prêtres, ce que l’on sait non seulement par l’allusion vague d’Eusèbe de Césarée[4] mais surtout par l’unique représentation que l’on ait de l’apôtre Thomas, datée de l’an 69-70, et gravée dans le granit à gauche d’un ensemble de bas-reliefs, à Lyanyungang sur la côte chinoise [5]. Ils étaient conscients du ministère que le Christ leur avait confié. L’appellation Grand-Prêtre est attestée pour désigner les évêques par les anciennes traditions, par exemple, au début du IIIe siècle, la Tradition apostolique s’exprime ainsi concernant les visites aux malades « que s’il plait à l’évêque, il leur rende visite : c’est en effet un grand réconfort pour un malade que le Grand-Prêtre se souvienne de lui » [6].

Avant de conclure, certes, l’Ancien Testament raconte une tentative d’usurpation du sacerdoce par Coré, Datân et Abiram, ainsi que 250 Israélites : la terre s’ouvrit et les engloutit (Nb 16, 30-32) ! L’Apocalypse semble aussi annoncer un sacerdoce politisé, avec l’image de sauterelles-scorpions dont le roi est « l’ange de l’Abîme… le Destructeur » (Ap 9, 11) et qui ont « comme » une couronne : elle ressemble à de l’or, mais elle n’en est pas [7]. Mais tout cela sera balayé.

Concluons : « Frères, en Jésus, le Fils de Dieu, nous avons le grand prêtre par excellence, celui qui a traversé les cieux ; tenons donc ferme l’affirmation de notre foi. » (He 4, 14).

Évangile (Mc 10, 35-45)

 « 35 Et s’approchèrent de lui Jacques et Jean, les fils de Zébédée, / et il lui disent :
‘Docteur,
nous voulons que tout ce que nous te demandons, / tu le fasses pour nous !’

36 Il leur dit :
‘Que voulez-vous / que je fasse pour vous ?’

37 Il lui disent :
‘Accorde-nous que l’un s’asseye à ta droite, / et l’autre à ta gauche, dans ta gloire !’

38 Or, lui, / il leur dit :
‘Vous ne savez pas ce que vous demandez.
Êtes-vous capables de boire / la coupe que moi je bois,
et l’immersion dont moi je suis immergé, / d’en être immergés ?
39 Ils lui disent : / ‘Nous en sommes capables !’

Jésus leur dit :
‘La coupe que je bois, / vous la boirez ;
et l’immersion dont je suis immergé, / vous en serez immergés.
40 Que vous siégiez, toutefois, / à ma droite et à ma gauche,
ce n’est pas à moi de l’accorder, / sinon à ceux pour qui on l’a préparé.

&

41 Et lorsque les dix entendirent, / ils commencèrent à murmurer
contre Jacques / et Jean.

42 Et Jésus les appela, / et leur dit :
‘Vous le savez, ceux que l’on considère être chefs des nations, / sont leurs maîtres,
et leurs notables / ont pouvoir sur elles.

43 Or, qu’il n’en soit pas ainsi entre vous.
Mais qui veut, parmi vous, / être grand,
qu’il soit, pour vous, / le servant.

44 Et celui qui, parmi vous, / veut être le premier,
qu’il soit le serviteur / de tout homme.

45  Aussi, en effet, / le Fils de l’homme
n’est pas venu pour être servi / mais pour servir,
et donner sa vie en rédemption / pour beaucoup.

Mc 10, 35-40. Il était normal, pour un Juif de ce temps, de désirer être associé, fût-ce dans la souffrance, à la gloire du messie attendu. Mais les fils de Zébédée n’imaginaient ni l’étendue, ni la vraie signification de cette souffrance. Les Juifs du temps de Jésus et les premiers chrétiens savaient mourir pour leur foi. Dans le désir de siéger à sa gauche et à sa droite, il y a l’idée de participer avec lui au jugement eschatologique. Jésus calme l’ardeur de ses disciples sans les écraser. Avant d’être glorifié, Jésus sera crucifié, et à sa droite et à sa gauche, les places sont préparées pour deux bandits…

Mc 10, 41-45. En attendant le jugement eschatologique, et rompant avec l’idéologie ambiante imbue d’ambition et d’autoritarisme, Jésus invite ses disciples à se faire serviteurs. Dans le livre de l’Exode, le statut de serviteur, c’est-à-dire d’obéissance à plus grand que soi, Dieu, désigne la condition humaine normale, et il est même parfois revêtu d’une dignité sans pareille. Moïse se présente devant le Seigneur comme son « serviteur » (Ex 4, 10) et le peuple le reconnaît comme le serviteur du Seigneur (Ex 14, 31). Il a lui-même pour serviteur Josué (Ex 24, 13. 33, 11).

Quand ensuite Jésus dit qu’il est venu pour servir (Mc 10, 45), il assume la figure du Serviteur, et du Serviteur souffrant (Is 53).

En annonçant sa Passion, Jésus s’est présenté comme « le Fils de l’homme » (Mc 10, 33), mais avant de penser au juge eschatologique revenant glorieusement sur les nuées du Ciel (Dn 7, 13), les disciples apprennent qu’il « donne sa vie en Rédemption pour beaucoup [pūrqānā ḥlāp saggīe] » (Mc 10, 45).

Le mot pūrqānā dérive du verbe praq, délivrer, racheter. Le latin donne redemptionem pro multis, et le grec parle d’une rançon λυτρον αντι πολλων. Dans le livre de l’Exode, nous retrouvons le verbe praq qui a le sens de sauver, délivrer : « Moïse dit au peuple : "Ne craignez pas ! Tenez ferme et vous verrez ce que le Seigneur va faire pour vous sauver [praq] aujourd’hui, car les Égyptiens que vous voyez aujourd’hui, vous ne les reverrez plus jamais » (Ex 14, 13) ; et le mot pūrqānā a le sens de rançon (Ex 21, 29-30 ; Ex 30, 12-13). Dans l’évangile selon saint Luc, le mot pūrqānā revêt le sens de « délivrance, libération, rédemption » (Lc 1, 68.69, Lc 2, 38 et Lc 21, 28). Nous évitons ici de traduire « pūrqānā » par rançon, car alors on peut se demander à qui doit être payée la rançon et nous choisissons « rédemption ».

L’expression « pour beaucoup [ḥlāp saggīe] » (Mt 20, 28) mérite aussi attention. Dans le témoignage primitif de Pierre et Jean [8], Jean a rappelé l’expression de Caïphe, « Il vaut mieux qu’un seul homme meure à la place [ḥlāp] du peuple » (Jn 18, 14) car il sait qu’elle correspond au sens que Jésus lui-même a voulu donner à sa Passion : « Le bon pasteur donne sa vie pour [ḥlāp] ses brebis » (Jn 10, 11). « Aussi bien, le Fils de l’homme lui-même n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en Rédemption pour [ḥlāp] une multitude » (Mc 10, 45). La théologie primitive reprendra cette perspective : « Le Christ lui-même est mort une fois pour [ḥlāp] les péchés, juste pour [ḥlāp] des injustes » (1P 3, 18). « C’est lui qui est victime de propitiation pour nos péchés, non seulement pour les nôtres, mais aussi pour [ḥlāp] ceux du monde entier » (1Jn 2, 2).

L’Ancien Testament donnait l’image du Serviteur souffrant qui prend sur lui la faute des multitudes les rendant ainsi justes (cf. Is 53, 11). On ne doit cependant pas aller dans le sens d’une substitution, qui reste sans consistance : le salut ne peut se réaliser d’une manière extérieure et donc impersonnelle. À Moïse qui prie : « Pourtant, s’il te plaisait de pardonner leur péché... Sinon, efface-moi, de grâce, du livre que tu as écrit ! » (Ex 32, 32), Dieu répond : « Celui qui a péché contre moi, c’est lui que j’effacerai de mon livre » (Ex 32, 33). Il n’y a pas de substitution ; l’intercession de Moïse compte, mais elle n’est pas suffisante.

Jésus ne correspond pas au rêve trop humain d’un salut par simple substitution : Jésus est intervenu à notre place, pour nous, mais il ne nous sauve pas sans nous. Il veut notre bonne volonté. Par sa mort et par sa résurrection, une lumière descend dans les cœurs, il donne aux cœurs ouverts la paix de Dieu qui les rend féconds, la force de faire le bien et de revenir au Père.

Jésus « intervient » à notre place (il intercède, souffre, pardonne, prie) mais il ne « répond » pas à notre place. Matthieu avait écrit de Jésus : « Lui, il prendra [futur du verbe nsaḇ prendre ou recevoir] nos blessures [kīḇā blessure, infirmité] et il se chargera de nos maladies [ḵūrhānā faiblesse, maladie] » (Mt 8, 17). Jésus est capable de nous prendre en lui et, en nous libérant, de nous conduire vers le salut, la Vie qui est pour toujours.

Françoise Breynaert

 

[1] saybar : supporter, soutenir, c’est un verbe quadrilitère de forme paw‘el, il est ici actif et passé.

[2]  « neṭᶜan » du verbe « ṭᶜen » : supporter, porter ou porter comme une femme enceinte porte un enfant (Lc 11, 27) 

[3] Carol L. MEYERS and Eric M. MEYERS, The Anchor Bible, Zechariah 9-14, A new translation with Introduction and commentary, USA, 1993. p. 358

[4] Citant la lettre de Polycrate, évêque d'Éphèse dans la seconde moitié du II° siècle à Victor de Rome : «Jean, celui qui a reposé sur la poitrine du Seigneur… a porté le pétalon » (Histoire Ecclésiastique III, 31).

[5] Cf. Coll., L’apôtre Thomas et le christianisme en Asie, recherches historiques et actualité (Actes du Colloque international de Paris, 2012), éd. de l’AED, 2013.

[6] TRADITION APOSTOLIQUE § 34, Ed. B. Botte, Münster, 1963, p. 80-81

[7] Si l’on en croit Flavius Josèphe, le grand prêtre avait une couronne d’or à trois rangs. Flavius JOSÈPHE, Les antiquités juives, livre III, § 172-178 ; traduction E. Nodet, Le Cerf, Paris 2003.

[8] cf. Françoise BREYNAERT, Le témoignage primitif de Pierre et Jean. Imprimatur Paris. Préface Mgr Mirkis (Irak). Parole et Silence, 2024.

Date de dernière mise à jour : 21/09/2024