30° ordinaire (B)

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Voici pour mémoriser le texte de l'évangile de ce jour en vue d'une récitation orale avec reprises de souffles.

Evangile du 30e ordinaireEvangile du 30e dimanche ordinaire Mc 10, 46-52 (84.12 Ko)

Podcast sur  : https://radio-esperance.fr/antenne-principale/entrons-dans-la-liturgie-du-dimanche/#

Sur Radio espérance : tous les mardi, mercredi, jeudi et vendredi à 8h15
et rediffusées le dimanche à 8h et 9h30). 

Première lecture (Jr 31, 7-9)

Psaume (Ps 125 (126), 1-2ab, 2cd-3, 4-5, 6)

Deuxième lecture (He 5, 1-6)

Évangile (Mc 10, 46b-52).

Première lecture (Jr 31, 7-9)

Ainsi parle le Seigneur : Poussez des cris de joie pour Jacob, acclamez la première des nations ! Faites résonner vos louanges et criez tous : ‘Seigneur, sauve ton peuple, le reste d’Israël !’ Voici que je les fais revenir du pays du nord, que je les rassemble des confins de la terre ; parmi eux, tous ensemble, l’aveugle et le boiteux, la femme enceinte et la jeune accouchée : c’est une grande assemblée qui revient. Ils avancent dans les pleurs et les supplications, je les mène, je les conduis vers les cours d’eau par un droit chemin où ils ne trébucheront pas. Car je suis un père pour Israël, Éphraïm est mon fils aîné. – Parole du Seigneur.

Jérémie est un prophète vivant dans une époque marquée par les conquêtes des Empires assyriens, puis chaldéens, ensuite ce seront les Perses, puis les Grecs et romains. Alors qu’au temps de Déborah ou de David, on trouvait dans un « Dieu des victoires » les raisons de vivre dans l’éloignement du mythe et de la convocation magique, ce n’est plus possible : Israël ne peut pas combattre des Empires. Alors, soit la foi meurt ridiculisée, soit elle découvre autre chose...

Au nord du pays (royaume de Samarie), Élie avait fustigé l’alliance avec la Phénicie et sur le mont Carmel, il avait convaincu le peuple que le Dieu vivant doit être suivi et non pas les Baals. Un siècle après, Amos annonce la victoire de l’Assyrie… La foi ne trouvera plus sa garantie dans les victoires militaires historiques, mais dans les valeurs éthiques, c’est-à-dire, sans les dissocier, le culte et les valeurs sociales.

Après la dispersion du royaume du nord (la chute de Samarie) en -721, ces spiritualités seront rapatriées au sud. Les rois Ezéchias, puis Josias vont faire la reconquête du royaume de Samarie.

Le ministère de Jérémie commence en l’an 626 sous le règne de Josias dont il accompagne la réforme. Cette réforme est édifiante : le peuple se veut saint comme Dieu est saint. Josias établit au centre du Pentateuque le livre du Lévitique, et au centre du pays le culte à Jérusalem. C’est un temps de joie et d’espérance. Dans l’enthousiasme général, le jeune Jérémie espère que reviendront ceux qui ont été dispersés parmi les nations après la chute de Samarie en l’an 721 : « Poussez des cris de joie pour Jacob, acclamez la première des nations ! Faites résonner vos louanges et criez tous : ‘Seigneur, sauve ton peuple, le reste d’Israël !’ Voici que je les fais revenir du pays du nord, que je les rassemble des confins de la terre » (Jr 31, 7-8) !

Mais, adviennent deux drames. Toute d’abord la mort du roi Josias. Puis l’arrivée des armées de Nabuchodonosor, roi de Babylone, et l’exil, en l’an -598.

Jérémie verra donc tous les dons de Dieu se retourner : plus de terre, de roi, de temple, sa prophétie du retour d’Israël est fausse, et l’alliance ? « Vraiment tu es pour moi comme un ruisseau trompeur aux eaux décevantes ! » (Jr 15, 18). Comment interpréter la souffrance de l’exil, de la déportation, la destruction des signes de l’alliance : le roi, la terre, le temple, la loi qui étaient perçus comme des cadeaux de fiançailles dans l’alliance avec le Seigneur ? La question est énorme. Le mémorial rend-il présent l’amour éternel de Dieu autrefois manifesté ou rend-il présent le faux amour, illusoirement manifesté par des dons éphémères ? Comment Dieu peut-il donner et la vie et la mort ? Paradoxe. Le paradoxe dure un certain temps dans le cœur du croyant. Il est rempli du cri de l’homme et puis du silence de l’homme et de Dieu.

Le paradoxe peut ouvrir à la non-foi, à l’incroyance. Il peut ouvrir à la maladie, au dédoublement, à la schizophrénie. Il peut aussi ouvrir à la foi, une foi marquée par un plus grand sens de l’altérité de Dieu. L’homme est humilié dans son intelligence et dans son cœur. Et la foi a son chemin propre en chacun. Dieu n’est pas moi, il n’est pas un miroir. Je peux entrer en relation, en alliance. L’humilité réaliste de Jérémie nomme le désastre, prend acte de la situation, et se plaint longuement à Dieu. La relation croyante est une plainte, mais elle demeure vivante.

Dans la Bible, l’auteur est inspiré, mais l’éditeur aussi. Et l’éditeur était très inspiré, en plaçant la prophétie de bonheur à la fin du livre de Jérémie, ainsi le rêve du retour des exilés de Samarie en l’an 721 devient un chant d’espérance pour le retour de l’exil à Babylone, car une chose est sûre, Dieu est un père, il est fidèle et ses dons sont irrévocables : il y aura toujours un reste pour que s’accomplissent les paroles du Seigneur.

Méditons maintenant le dernier verset de la lecture de ce dimanche :  « Car je suis un père pour Israël, Éphraïm est mon fils aîné » (Jr 31, 9).

« Toute personne (comme fils d’Adam) est capable d’écouter la voix divine qui parle dans le secret de la conscience (voir Rm 2,14-15), en démontrant ainsi sa nature d’être intelligent, libre, appelé à une relation d’obéissance et d’amour avec Dieu. Une telle potentialité, inscrite dans la nature humaine, s’est réalisée historiquement, […] par exemple avec Noé (Gn 9), avec Abraham (Gn 15 et Gn 17) et avec ses descendants (Ex 2,24). C’est surtout le peuple d’Israël qui entre dans une relation permanente avec le Seigneur (Ex 19-20 ; Dt 5), en s’engageant dans un pacte (Ex 24,3 24,7 Dt 26,17-18) qui, malgré l’asymétrie des parties contractantes, suppose des éléments de ressemblance et de communion spirituelle entre les sujets. Une des métaphores qui exprime ce type de rapport est celle de la filiation : Israël, en effet, est appelé « fils » (Dt 14,1 32,5-6 32,19-20 : Is 1,2 Jr 3,19 31,20 Os 2,1 11,1 : Ml 1,6 ; etc.), voire « premier-né » du Seigneur (Ex 4,22 ; Jr 31,9). (Commission biblique pontificale, 2019, Qu’est-ce que l’homme § 54)

« L’élection d’Israël n’implique pas le rejet des autres nations. Au contraire, le présupposé est que les autres nations appartiennent aussi à Dieu, car « la terre lui appartient et tout ce qui s’y trouve » (Dt 10,14), et Dieu « a donné aux nations leur patrimoine » (Dt 32,8). Lorsque Israël est appelé par Dieu « mon fils aîné » (Ex 4,22 Jr 31,9) ou « les prémices de sa moisson » (Jr 2,3), ces métaphores impliquent que les autres nations font également partie de la famille et de la moisson de Dieu. Cette interprétation de l’élection est typique de la Bible dans son ensemble ». (Commission biblique pontificale, 2002 Peuple Juif et Bible Chrétienne § 33)

Enfin, si nous prolongeons un peu la lecture de ce dimanche, nous entendons que Jérémie annonce une alliance nouvelle, véritable intériorisation de la loi : « Voici venir des jours -- oracle de le Seigneur -- où je conclurai avec la maison d’Israël (et la maison de Juda) une alliance nouvelle [...] Je mettrai ma Loi au fond de leur être et je l’écrirai sur leur cœur. Alors je serai leur Dieu et eux seront mon peuple. » (Jr 31, 31−33). Jésus a fait allusion à cette référence à cette nouvelle alliance au moment de l’institution de l’Eucharistie , . « Ceci est mon sang, celui de la Nouvelle Alliance » (Mt 26, 28).

Psaume (Ps 125 (126), 1-2ab, 2cd-3, 4-5, 6)

Quand le Seigneur ramena les captifs à Sion, nous étions comme en rêve ! Alors notre bouche était pleine de rires, nous poussions des cris de joie. Alors on disait parmi les nations : ‘Quelles merveilles fait pour eux le Seigneur !’ Quelles merveilles le Seigneur fit pour nous : nous étions en grande fête ! Ramène, Seigneur, nos captifs, comme les torrents au désert. Qui sème dans les larmes moissonne dans la joie. Il s’en va, il s’en va en pleurant, il jette la semence ; il s’en vient, il s’en vient dans la joie, il rapporte les gerbes.

Ce psaume compte parmi les psaumes intitulés « cantiques des degrés », et qui est le chant de ceux qui s’élèvent… Et pas seulement pour monter au Temple de Jérusalem.

« Il s’en va, il s’en va en pleurant, il jette la semence ; il s’en vient, il s’en vient dans la joie, il rapporte les gerbes ». Dans le contexte de l’Ancien Testament, les larmes, ce sont celles du départ en exil : Nous sommes en l’an 587 avant J-C, le temple est incendié (2 Roi 25). Sédécias est emmené en exil les yeux crevés après avoir vu ses fils égorgés. Jérusalem est détruite. Et la joie, c’est celle du retour. En -538, l’édit de Cyrus (cf. Esdras 1,2-7) autorise les Juifs à rentrer au pays. Un premier convoi part avec prêtres et lévites, puis un second convoi, en -522, avec Zorobabel (descendant de David) et Josué (grand prêtre). Au pays, les zones fertiles sont occupées par les Edomites et les Samaritains. Les ruines du temple sont envahies de végétation. Et pourtant, même si c’est encore difficile, le retour d’exil est un temps de joie, petit à petit Jérusalem sera rebâtie avec son Temple. A Cyrus succède Cambyse, puis Darius (522-486) qui administre son Empire en provinces. Alors, les choses étant bien organisées, les Juifs peuvent faire valoir le décret de Cyrus pour la reconstruction du temple (et il était même dit que la province contribuerait aux frais !). Ainsi : « Quand le Seigneur ramena les captifs à Sion, nous étions comme en rêve ! »

« Il s’en va, il s’en va en pleurant, il jette la semence ; il s’en vient, il s’en vient dans la joie, il rapporte les gerbes ». Les gerbes, c’est la foi qui a grandi. Lorsque Israël part en exil, il fait, en peuple, une expérience de mort. Et, en peuple, il fait l’expérience d’une résurrection de sa foi, une foi garantie par les valeurs éthiques, avec un approfondissement du sens de l’Altérité de Dieu, et la découverte du monothéisme... Et Isaïe écrit : « Voici que je vais faire une chose nouvelle, déjà elle pointe, ne la reconnaissez-vous pas ? Oui, je vais mettre dans le désert un chemin, et dans la steppe, des fleuves. » (Is 43,19). Au début de l’histoire des Hébreux, en sortant d’Égypte, le peuple ne sait pas où il va et il se plaint de la manne, il rouspète et veut revenir manger des oignons en Égypte. En exil, le peuple souffre encore et dit : "Seigneur tu nous conduis " : c’est l’habitus de la foi. L’Exil est pour Israël cette expérience de silence douloureux. Israël est dans une précarité totale et il est maintenu, Dieu souffle sur la flamme... Le peuple témoigne dans son martyre de l’unicité de Dieu. La foi après la bourrasque, la re-création après l’épreuve, c’est le signe de l’Esprit Saint.

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Après cette lecture historique, il est possible de faire une lecture chrétienne de ce psaume.

L’exil à Babylone représente ce bas monde où règne la confusion. Babylone et la tour de Babel... Et toutes les affaires de la vie qui ne regardent pas le Seigneur ne sont qu’une confusion. Mais Jésus est venu pour nous ouvrir un chemin de Rédemption. Marche donc dans le Christ, et chante les saintes joies, chante les saintes consolations ; car il y a marché le premier, celui qui t’a appelé à le suivre.

« Alors on disait parmi les nations : ‘Quelles merveilles fait pour eux le Seigneur !’ » La joie de l’évangélisation du monde. La joie de voir l’évangile annoncée parmi toutes les nations. Les cris de joie devant les témoignages des convertis. Le Rédempteur est venu, et a fait de grandes choses : Il a manifesté sa gloire dans ce qu’il a fait pour eux. Il a manifesté sa gloire dans ce qu’il a fait pour nous, et nous sommes comblés de joie.

« Qui sème dans les larmes moissonne dans la joie. Il s’en va, il s’en va en pleurant, il jette la semence ; il s’en vient, il s’en vient dans la joie, il rapporte les gerbes ». Nous pouvons nous appliquer aussi ces versets en y voyant les œuvres de miséricorde : « Ne nous lassons pas de faire le bien; en son temps viendra la récolte, si nous ne nous relâchons pas » (Ga 6, 9). « Songez-y: qui sème chichement moissonnera aussi chichement ; qui sème largement moissonnera aussi largement. » (2Co 9, 6)

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« Quand le Seigneur ramena les captifs à Sion, nous étions comme en rêve ! » revêt aussi un sens eschatologique, c’est-à-dire futur, quand, au temps de la Venue glorieuse du Christ, nous serons récompensés de nos efforts.

« 12 Il dit donc: "Un homme de haute naissance se rendit dans un pays lointain pour recevoir la dignité royale et revenir ensuite. 13 Appelant dix de ses serviteurs, il leur remit dix mines et leur dit: Faites-les valoir jusqu’à ce que je vienne. 14 Mais ses concitoyens le haïssaient et ils dépêchèrent à sa suite une ambassade chargée de dire: Nous ne voulons pas que celui-là règne sur nous.

15 "Et il advint qu’une fois de retour, après avoir reçu la dignité royale, il fit appeler ces serviteurs auxquels il avait remis l’argent, pour savoir ce que chacun lui avait fait produire. 16 Le premier se présenta et dit : Seigneur, ta mine a rapporté dix mines. -- 17 C’est bien, bon serviteur, lui dit-il; puisque tu t’es montré fidèle en très peu de chose, reçois autorité dix villes. » (Lc 19)

On peut aussi lire l’Apocalypse : « J’entendis alors une voix clamer, du trône : "Voici la demeure de Dieu avec les hommes. Il aura sa demeure avec eux ; ils seront son peuple, et lui, Dieu-avec-eux, sera leur Dieu. 4 Il essuiera toute larme de leurs yeux : de mort, il n’y en aura plus; de pleur, de cri et de peine, il n’y en aura plus, car l’ancien monde s’en est allé." 5 Alors, Celui qui siège sur le trône déclara: "Voici, je fais l’univers nouveau." Puis il ajouta : "Ecris : Ces paroles sont certaines et vraies." 6 "C’en est fait, me dit-il encore, je suis l’Alpha et l’Oméga, le Principe et la Fin ; celui qui a soif, moi, je lui donnerai de la source de vie, gratuitement ». (Ap 21, 3-6)

Deuxième lecture (He 5, 1-6)

Tout grand prêtre est pris parmi les hommes ; il est établi pour intervenir en faveur des hommes dans leurs relations avec Dieu ; il doit offrir des dons et des sacrifices pour les péchés. Il est capable de compréhension envers ceux qui commettent des fautes par ignorance ou par égarement, car il est, lui aussi, rempli de faiblesse ; et, à cause de cette faiblesse, il doit offrir des sacrifices pour ses propres péchés comme pour ceux du peuple.

On ne s’attribue pas cet honneur à soi-même, on est appelé par Dieu, comme Aaron. Il en est bien ainsi pour le Christ : il ne s’est pas donné à lui-même la gloire de devenir grand prêtre ; il l’a reçue de Dieu, qui lui a dit : Tu es mon Fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré, car il lui dit aussi dans un autre psaume : Tu es prêtre de l’ordre de Melkisédek pour l’éternité. – Parole du Seigneur.

La prophétie de Daniel donne : « Sont assignées 70 semaines pour ton peuple et ta ville sainte pour mettre un terme à la transgression, pour apposer les scellés aux péchés, pour expier l’iniquité, pour introduire l’éternelle justice, pour sceller vision et prophétie, pour oindre le Saint des Saints » (Dn 9, 24). Daniel a ainsi prophétisé un mystérieux « Saint des Saints » qu’il faut oindre, 70 semaines (semaines d’années : 490 ans) puis 7 semaines (d’années : 49 ans) après la dédicace en -515 du Temple reconstruit par Zorobabel au retour de Babylone ; le Temple de Jérusalem ne devant pas être oint, il s’agit nécessairement du Messie (le mot « Messie » a la même racine que le verbe « oindre »). En référence à Daniel, Jésus peut à la fois être appelé « le Messie », ou le « Saint des Saints ». Quand l’Esprit Saint descend sur Jésus au moment de son baptême au Jourdain, on peut y voir cette onction mystérieuse par laquelle Jésus inaugure sa mission de médiation entre Dieu et les hommes en tant que grand-prêtre.

Jésus n’est pas prêtre « selon l’ordre d’Aaron », mais selon l’ordre de Melkisédek : il ne s’agit plus d’un grand sacerdoce lié aux tribus d’Israël et au Temple de Jérusalem, mais d’un grand sacerdoce attaché à la nature humaine pour le monde entier.

Au moment de l’institution de l’Eucharistie, dans l’évangile de Matthieu, Jésus dit :

« Ceci est mon sang, celui de la Nouvelle Alliance, qui pour beaucoup est versé en rémission des péchés » (Mt 26, 28). Le sang de Jésus associe ainsi le sang de l’Alliance au sang du sacrifice du Yom Kippour pour la rémission des péchés.

Le Christ est monté au calvaire avec une tunique sacerdotale, pour intercéder pour le monde entier.

« Or sa tunique, / elle était :
sans couture / depuis le haut,
tissée / toute entière » (Jn 19, 23).

Le regard de Jean part du haut et descend « depuis le haut, tissée toute entière », comme pour rappeler ce mouvement de la Révélation qui vient d’en-haut. Ce détail avait dû passer inaperçu à ceux qui regardaient de loin. Or c’est le message central. Jésus, qui a offert en sacrifice sa propre personne, est Le grand prêtre. Un tel récit, qui fait partie de la prédication primitive de Pierre et Jean, devait profondément bouleverser ceux qui écoutaient Jean, sur l’esplanade même du Temple.

Au calvaire, dans l’évangile de Luc, les paroles de pardon de Jésus (Lc 23, 34.43) ont réalisé la fonction du sacrifice du Yom Kippour (Lv 4 ; 23, 26-32), Jésus est le nouveau grand prêtre qui apporte symboliquement son propre sang derrière le rideau du Temple (Lv 16, 15). Le Temple n’a plus lieu d’être, son rideau se déchire (Lc 22, 45).

Au moment de la résurrection.

Le Christ ressuscité « leur montra ses mains et son côté » (Jn 20, 20), par où il n’a cessé d’apporter la lumière au monde, la guérison, la sanctification. Or, ces mains et ce côté sont transpercés : c’est à travers sa Passion que Jésus apporte l’Esprit de sainteté. Jésus ne donne pas aux apôtres le pouvoir de juger, c’est lui le Fils de l’homme qui jugera le monde lors de sa venue glorieuse. Il donne aux apôtres le pouvoir de remettre les péchés, avec discernement (Jn 20, 21-23). Or, remettre les péchés est la prérogative du Grand-Prêtre au Yom Kippour. Le Grand-Prêtre est normalement unique. Dans l’Église, les apôtres et leurs successeurs sont participants de l’unique grand sacerdoce du Christ.

« Si vous remettez [racine šbq] les péchés à quelqu’un, ils lui seront remis [racine šbq] » Les apôtres peuvent remettre les péchés, avec le discernement procuré par l’assistance de l’Esprit Saint. Le péché pardonné est pardonné pour l’éternité.

Mais si, par exemple, il n’y a aucun regret, les apôtres peuvent « retenir – [racine ‘ḥd] » les péchés, les maintenir jusqu’à ce que peut-être les dispositions du pécheur changent… Il ne s’agit pas de condamnation définitive, mais d’une mise à l’écart à cause de l’absence de repentir (c’est le sens originel du mot « excommunication »). Jamais ce verbe ne signifie condamner (Jn 20, 21-23).

L’entrée en fonction d’un Grand-Prêtre fait l’objet de solennités qui durent sept jours (Ex 29, 35 ; Lv 8, 33), ce qui explique cette autre apparition où Thomas est désormais présent. À nouveau, le Ressuscité montre ses plaies, mémoire de sa Passion. À nouveau Jésus dit : « la paix soit avec vous » (Jn 20, 26).

En invitant Thomas à voir ses mains et à mettre sa main dans son côté (Jn 20, 27), Jésus suggère que le sacerdoce chrétien est un contact avec la Passion et la Résurrection du Christ. Non pas une école de pensée ou un parti, mais une fidélité à Jésus jusqu’à la Croix et la résurrection.

« Nul ne s’arroge à soi-même cet honneur, on y est appelé par Dieu, absolument comme Aaron. De même ce n’est pas le Christ qui s’est attribué à soi-même la gloire de devenir Grand-Prêtre, mais il l’a reçue » (Hé 5, 4-5).

Ce que Jésus veut dire, c’est que l’Église se reçoit d’une mystérieuse élection divine, elle ne pourra jamais « faire » des prêtres comme un État s’organise pour former le nombre souhaité de médecins ou d’instituteurs.

 

Évangile (Mc 10, 46b-52).

46 Et, lorsque Jésus sortit de Jéricho, / lui et ses disciples et une foule nombreuse,

Timée, le fils de Timée, / aveugle,

était assis sur le bord du chemin, / et mendiait.

47 Et il entendit / que c’était Jésus le Nazaréen,

et il commença à crier / et à dire :

‘Fils de David, / aie pitié de moi !’

48 Et beaucoup le réprimandaient / afin qu’il se tût.

Or, lui, il criait davantage / en disant :

‘Fils de David, / aie pitié de moi !’

49 Et Jésus s’arrêta / et ordonna de l’appeler.

Et ils appelèrent l’aveugle / en lui disant :

‘Reprend cœur ! Lève-toi ! / Il t’appelle !

50 Or, lui, l’aveugle, / il jeta son vêtement,

se leva / [et] vint auprès de Jésus.

51 Jésus lui dit :

 ‘Que veux-tu / que je fasse pour toi ?’

Or, lui, l’aveugle, / il lui dit :

‘Rabbi, / que je voie !’

52 Et, Jésus, / il lui dit :

‘Vois ! / Ta foi t’a vivifié !’

Et, aussitôt, il recouvra la vue, / et il allait sur le chemin. »

Observons chacun des acteurs.

Jésus. Il marche sur la route qui monte de Jéricho à Jérusalem. Jéricho est à 240 ms sous le niveau de la mer, c’est la ville la plus basse du monde. Jérusalem est sur un plateau entre 700 et 800m d’altitude. Il y a environ 1000m de dénivelé sur environ 35kms. Jésus sait ce qui l’attend à Jérusalem, il a plusieurs fois annoncé sa Passion, mais il n’est pas absorbé dans sa méditation. Lui, le fils de David montant dans la ville de David, s’arrête pour un mendiant assis au bord de la route. Il ordonne qu’on appelle l’aveugle. Et il se fait plus que jamais le serviteur de tous : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » (v. 51). Et nous pouvons écouter Jésus nous poser cette même question, aujourd’hui : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » (v. 51).

La foule. La foule, sans doute pressée de voir le Messie, le Fils de David, monter à Jérusalem pour y être glorifié, rabroue l’aveugle qui crie vers lui. « Beaucoup le réprimandaient afin qu’il se tût » (Mc 10, 48). Cette foule ne se rend pas compte de son propre aveuglement, elle connaît encore peu qui est vraiment Jésus. La foule pense faire bien, elle pense devoir ne pas perdre de temps, alors que son attitude toute humaine est loin de participer à la vie divine et aux œuvres divines. C’est une bonne volonté mal éclairée, qui accepte cependant de se laisser corriger par le maître, et quand Jésus ordonne d’appeler l’aveugle, ils obéissent : « Reprend cœur ! Lève-toi ! Il t’appelle ! »

L’aveugle. L’aveugle, assis sur le bord du chemin, est marginalisé. Il mendie. Il s’adresse à Jésus comme « fils de David ». L’expression désignait Salomon auquel la tradition hébraïque avait attribué des capacités scientifiques, médicales, et même magiques, et on pourrait entendre à ce niveau la demande de l’aveugle. En criant « aie pitié [ᵓeṯraḥḥam] », l’aveugle en appelle à l’affection des entrailles. Beaucoup voulurent le faire taire, mais il persévéra dans sa supplication. Quand, enfin, on lui dit que Jésus l’appelle, il « jeta son vêtement » (v. 50), c’est-à-dire un manteau qui sert aussi de couverture pour dormir ; jeter son vêtement, pour un aveugle, signifie qu’il pourra ne plus le retrouver, le geste signifie qu’il est déjà certain de quitter définitivement sa condition d’aveugle et de mendiant.

Quand il arrive devant Jésus, il l’appelle « Rabbi », ce qui signifie qu’il ne s’adresse pas seulement à Jésus en tant que thérapeute qui peut le guérir, mais en tant que maître qui peut l’enseigner et le guider (les préceptes moraux de la Torah sont appelés « halakha », dérivée du verbe « marcher »). Et Bartimée, qui avait persévéré dans sa supplication, persévère dans sa gratitude une fois qu’il est exaucé : il suit Jésus.

Nous allons maintenant relier cet évangile au livre de l’Exode.

Au seuil du livre de l’Exode, le Seigneur Dieu dit à Moïse : « J’ai vu, j’ai vu la misère de mon peuple qui est en Égypte. J’ai entendu son cri devant ses oppresseurs ; oui, je connais ses angoisses. Je suis descendu pour le délivrer de la main des Égyptiens et le faire monter de cette terre vers une terre plantureuse et vaste » (Ex 3, 7-8).

Au seuil de l’Exode, à Moïse qui voulait se dérober devant sa mission, Dieu répondit : « Qui rend muet ou sourd, clairvoyant ou aveugle ? N’est-ce pas moi, le Seigneur ? » (Ex 4, 11). À la fin du livre de l’Exode, on lit comment les israélites cheminaient, guidés par la nuée : « le jour, la nuée de YHWH était sur la Demeure et, la nuit, il y avait dedans un feu, aux yeux de toute la maison d’Israël, à toutes leurs étapes » (Ex 40, 38) encore fallait-il avoir des yeux pour la voir !

Dans le livre de l’Exode, il est dit que le Seigneur Dieu est compatissant : « S’il crie vers moi je l’écouterai, car je suis compatissant [racine rḥm], moi ! » (Ex 22, 27 Bible de Mossoul ; v. 26 BJ). Le chemin au bord duquel l’aveugle était assis, incapable d’avancer (Mc 10, 46) revêt alors une dimension symbolique : en le guérissant, Jésus lui permet de le suivre dans le nouvel Exode qu’il accomplira à Jérusalem ; il ne s’agit pas d’une « voie » au sens où la gnose l’entend, un chemin de connaissance réservé à quelques-uns, mais il s’agit du chemin de la libération historique opérée par Jésus le Sauveur.

« Ta foi t’a vivifié ! ». Nous avons comme très souvent le verbe faire vivre, là où le latin, le grec ou le français disent sauver.

Prions pour être guéri de l’aveuglement qui nous paralyse. Prions pour accepter de suivre Jésus sur son chemin de croix et de résurrection.

Date de dernière mise à jour : 03/10/2024