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5° dimanche de carême C
Podcast sur : https://radio-esperance.fr/antenne-principale/entrons-dans-la-liturgie-du-dimanche/#
(Sur Radio espérance : tous les mardi, mercredi, jeudi et vendredi à 8h15
et rediffusées le dimanche à 8h et 9h30).
Première lecture (Is 43, 16-21)
Psaume (Ps 125 (126), 1-2ab, 2cd-3, 4-5, 6)
Deuxième lecture (Ph 3, 8-14)
Évangile (Jn 8, 1-11)
Première lecture (Is 43, 16-21)
Ainsi parle le Seigneur, lui qui fit un chemin dans la mer, un sentier dans les eaux puissantes, lui qui mit en campagne des chars et des chevaux, des troupes et de puissants guerriers ; les voilà tous couchés pour ne plus se relever, ils se sont éteints, consumés comme une mèche. Le Seigneur dit : ‘Ne faites plus mémoire des événements passés, ne songez plus aux choses d’autrefois. Voici que je fais une chose nouvelle : elle germe déjà, ne la voyez-vous pas ? Oui, je vais faire passer un chemin dans le désert, des fleuves dans les lieux arides. Les bêtes sauvages me rendront gloire – les chacals et les autruches – parce que j’aurai fait couler de l’eau dans le désert, des fleuves dans les lieux arides, pour désaltérer mon peuple, celui que j’ai choisi. Ce peuple que je me suis façonné redira ma louange.’ » – Parole du Seigneur.
Chers auditeurs, le vocabulaire de l’élection peut concerner Moïse (Ps 106,23), les lévites, David (1Sam 16,8-10 ; Ps 89,20), Jérusalem (Ps 132,13), le peuple d’Israël (Dt 7,6-7). L’élection particulière des fils d’Abraham, « mon peuple, celui que j’ai choisi » et ensuite des disciples du Christ dans l’Église, n’est pas un privilège qui "clôt" et "exclut", mais le signe et l’instrument d’un amour universel, ce qui est très clair dans le chapitre 45 du livre d’Isaïe. Le fait d’être choisi par Dieu ne donne aucun droit de domination, mais c’est un appel à témoigner de Dieu.
L’élite des Hébreux a été exilée à Babylone depuis l’an -598. Or, voici que Cyrus, un roi perse, fait campagne et, en l’an -539, il entre vainqueur à Babylone. Il ne détruit pas les villes. Il ne tue pas les rois. Il autorise les divers temples. Et voici qu’en l’an - 538, il va autoriser le retour des Juifs en Judée pour y rebâtir leur temple (Esdras 1, 2-7).
En procédant à une continuelle relecture des événements et des textes, l’Ancien Testament s’ouvre progressivement à une perspective d’accomplissement ultime et définitif. L’Exode, expérience originelle de la foi d’Israël (cf Dt 6,20-25 26,5-9), devient le modèle de la libération de l’exil babylonien.
Cyrus est à la tête d’un système politique centralisé avec un dieu lumière, appelé « Mazdâ » (ou « Ahura Mazdâ »), source de toute l’énergie cosmique, un dieu unique mais abstrait, un principe régissant l’univers. Mazdâ est pour Cyrus le plus petit dénominateur commun qui permet aux moralistes de s’entendre, aux scientifiques de s’harmoniser, etc... En conséquence, aux yeux de Cyrus, tout le monde doit entrer dans cette religion qui est la plus haute qui soit. Les autres sont des retardataires, une fois initiés, ils seront intégrés.
Or, les Juifs en exil à Babylone ne veulent pas se fondre dans le moule de la pensée dominante. Pas plus qu’ils n’ont adoré la lune ou le soleil, ils ne veulent pas s’assimiler à la religion de Cyrus, parce qu’Israël a vécu quelque chose d’unique, qui n’a rien de commun : un compagnonnage avec le Créateur, une Alliance libératrice. Les Juifs ont en quelque sorte une mémoire cassée par l’apparent échec de l’exil, et pourtant, ils croient que leur Dieu est le souverain maître de l’histoire. Isaïe comprend que ce ne sont pas les Juifs qui vont se rallier à la lumière de Mazdâ, au mazdéisme, mais ce sont les païens qui vont s’ouvrir au Seigneur, parce que c’est le Dieu de l’alliance, le souverain maître de l’histoire, qui existe, et non pas Mazdâ. Ils deviennent des témoins à la face des nations, par leur confiance, leur abandon, par la présence qui les habite.
« Voici que je fais une chose nouvelle : elle germe déjà, ne la voyez-vous pas ? » (Is 43,19).
Mais c’est curieux, le livre du Qohelet commence au contraire en disant : « Une génération s’en va, une autre vient, mais la terre reste toujours la même » (Qo 1,41) « S’il est une chose dont on puisse dire : ‘Voyez, c’est nouveau, cela !’ cela existe déjà depuis les siècles qui nous ont précédés » (Qo 1,9-10). Un tel constat a sans aucun doute sa propre vérité ; il est toutefois démenti par la voix prophétique qui proclame l’avènement de quelque chose de nouveau et d’inouï dans le temps de l’homme : « Le Seigneur dit : ‘Ne faites plus mémoire des événements passés, ne songez plus aux choses d’autrefois. Voici que je fais une chose nouvelle : elle germe déjà, ne la voyez-vous pas ? » (Is 43, 18-19).
Le Siracide, à la fin de son recueil de sentences proverbiales, après avoir évoqué les oeuvres du Seigneur dans la création (Si 42,15-43,33), en vient à énumérer les hommes illustres de l’histoire que le Seigneur a rendus glorieux. Ne manquent pas les remarques sur le péché commis par les hommes, mais les alliances répétées - avec Noé (Si 44,18), Abraham (Si 44,20-21), Moise (Si 45,5) et David (Si 45,25 47,11) témoignent d’une histoire de salut qui invite à louer le Seigneur « qui fait partout de grandes choses » et qui « agit avec nous selon sa miséricorde » (Si 50,22).
C’est surtout le livre de la Sagesse qui considère la marche de l’histoire, en y voyant à l’oeuvre la sagesse du Souverain qui aime la vie (Sg 11,24 11,26), et agit toujours « avec mesure, nombre et poids » (Sg 11,20), en faisant usage de punitions graduées (Sg 12,2) qui entendent conduire les pécheurs à réfléchir (Sg 11,15-16 12,25) et à se repentir (Sg 1,23 12,10 12,19-20). L’histoire du salut est donc oeuvre de Dieu, mais elle exige que les hommes la comprennent et l’acceptent.
« Voici que je fais une chose nouvelle : elle germe déjà, ne la voyez-vous pas ? » (Is 43,19) : Deux lignes prophétiques vont se dessiner, portant l’une sur l’attente du Messie, l’autre sur l’annonce d’un Esprit nouveau.
En Jésus, l’avènement de la grâce devient une réalité historique, que les hommes peuvent voir, écouter, toucher de leurs mains (1Jn 1,1-4) et le Règne de Dieu s’est approché (Mt 4,17). Il nous faut l’accueillir et recevoir son Esprit Saint.
Huit jours après la résurrection, Jésus vint au milieu de ses apôtres. « Il souffla sur eux et leur dit : "Recevez l’Esprit Saint. Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis ; ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus." (Jn 20, 22-23) C’est une chose nouvelle. Et les convertis le savent bien. A nous d’avoir les bonnes dispositions pour que les péchés ne soient pas retenus, mais pour qu’ils soient pardonnés.
« Voici que je fais une chose nouvelle : elle germe déjà, ne la voyez-vous pas ? » (Is 43,19) Ce verset aura encore un accomplissement ultime, et c’est la bienheureuse espérance de l’avènement du Christ, son second avènement, qui sera glorieux à la manière d’une apparition du Christ ressuscité que tout le monde verra. Ce sera alors un temps merveilleux, que saint Irénée appelle « le royaume des justes ». Certes, il se prépare, il est en germe dès maintenant, à travers tout ce qui se fait de bien. En même temps, nous attendons un événement réel : l’avènement du Christ notre Seigneur. (Voir mon ouvrage sur l’Apocalypse : F. Breynaert, L’Apocalyse revisitée, un filet d'oralité, imprimatur (Parole et Silence 2022).
Psaume (Ps 125 (126), 1-2ab, 2cd-3, 4-5, 6)
« Quand le Seigneur ramena les captifs à Sion, nous étions comme en rêve ! Alors notre bouche était pleine de rires, nous poussions des cris de joie. Alors on disait parmi les nations : ‘Quelles merveilles fait pour eux le Seigneur !’ Quelles merveilles le Seigneur fit pour nous : nous étions en grande fête ! Ramène, Seigneur, nos captifs, comme les torrents au désert. Qui sème dans les larmes moissonne dans la joie. Il s’en va, il s’en va en pleurant, il jette la semence ; il s’en vient, il s’en vient dans la joie, il rapporte les gerbes. »
Ce psaume compte parmi les psaumes intitulés « cantiques des degrés », et qui est le chant de ceux qui s’élèvent… Et pas seulement pour monter au Temple de Jérusalem.
« Il s’en va, il s’en va en pleurant, il jette la semence ; il s’en vient, il s’en vient dans la joie, il rapporte les gerbes ». Dans le contexte de l’Ancien Testament, les larmes, ce sont celles du départ en exil : Nous sommes en l’an 587 avant J-C, le temple est incendié (2 Roi 25). Sédécias est emmené en exil les yeux crevés après avoir vu ses fils égorgés. Jérusalem est détruite. Et la joie, c’est celle du retour. En -538, l’édit de Cyrus (cf. Esdras 1,2-7) autorise les Juifs à rentrer au pays. Un premier convoi part avec prêtres et lévites, puis un second convoi, en -522, avec Zorobabel (descendant de David) et Josué (grand prêtre). Au pays, les zones fertiles sont occupées par les Edomites et les Samaritains. Les ruines du temple sont envahies de végétation. Et pourtant, même si c’est encore difficile, le retour d’exil est un temps de joie, petit à petit Jérusalem sera rebâtie avec son Temple. A Cyrus succède Cambyse, puis Darius (522-486) qui administre son Empire en provinces. Alors, les choses étant bien organisées, les Juifs peuvent faire valoir le décret de Cyrus pour la reconstruction du temple (et il était même dit que la province contribuerait aux frais !). Ainsi : « Quand le Seigneur ramena les captifs à Sion, nous étions comme en rêve ! »
« Il s’en va, il s’en va en pleurant, il jette la semence ; il s’en vient, il s’en vient dans la joie, il rapporte les gerbes ». Les gerbes, c’est la foi qui a grandi. Lorsque Israël part en exil, il fait, en peuple, une expérience de mort. Et, en peuple, il fait l’expérience d’une résurrection de sa foi, une foi garantie par les valeurs éthiques, avec un approfondissement du sens de l’Altérité de Dieu, et la découverte du monothéisme... Et Isaïe écrit : « Voici que je vais faire une chose nouvelle, déjà elle pointe, ne la reconnaissez-vous pas ? Oui, je vais mettre dans le désert un chemin, et dans la steppe, des fleuves. » (Is 43,19). Au début de l’histoire des Hébreux, en sortant d’Égypte, le peuple ne sait pas où il va et il se plaint de la manne, il rouspète et veut revenir manger des oignons en Égypte. En exil, le peuple souffre encore et dit : "Seigneur tu nous conduis " : c’est l’habitus de la foi. L’Exil est pour Israël cette expérience de silence douloureux. Israël est dans une précarité totale et il est maintenu, Dieu souffle sur la flamme... Le peuple témoigne dans son martyre de l’unicité de Dieu. La foi après la bourrasque, la re-création après l’épreuve, c’est le signe de l’Esprit Saint.
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Après cette lecture historique, il est possible de faire une lecture chrétienne de ce psaume.
L’exil à Babylone représente ce bas monde où règne la confusion. Babylone et la tour de Babel... Et toutes les affaires de la vie qui ne regardent pas le Seigneur ne sont qu’une confusion. Mais Jésus est venu pour nous ouvrir un chemin de Rédemption. Marche donc dans le Christ, et chante les saintes joies, chante les saintes consolations ; car il y a marché le premier, celui qui t’a appelé à le suivre.
« Alors on disait parmi les nations : ‘Quelles merveilles fait pour eux le Seigneur !’ » La joie de l’évangélisation du monde. La joie de voir l’évangile annoncée parmi toutes les nations. Les cris de joie devant les témoignages des convertis. Le Rédempteur est venu, et a fait de grandes choses : Il a manifesté sa gloire dans ce qu’il a fait pour eux. Il a manifesté sa gloire dans ce qu’il a fait pour nous, et nous sommes comblés de joie.
« Qui sème dans les larmes moissonne dans la joie. Il s’en va, il s’en va en pleurant, il jette la semence ; il s’en vient, il s’en vient dans la joie, il rapporte les gerbes ». Nous pouvons nous appliquer aussi ces versets en y voyant les œuvres de miséricorde : « Ne nous lassons pas de faire le bien; en son temps viendra la récolte, si nous ne nous relâchons pas » (Ga 6, 9). « Songez-y: qui sème chichement moissonnera aussi chichement ; qui sème largement moissonnera aussi largement. » (2Co 9, 6)
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« Quand le Seigneur ramena les captifs à Sion, nous étions comme en rêve ! » revêt aussi un sens eschatologique, c’est-à-dire futur, quand, au temps de la Venue glorieuse du Christ, nous serons récompensés de nos efforts.
« 12 Il dit donc: "Un homme de haute naissance se rendit dans un pays lointain pour recevoir la dignité royale et revenir ensuite. 13 Appelant dix de ses serviteurs, il leur remit dix mines et leur dit: Faites-les valoir jusqu’à ce que je vienne. 14 Mais ses concitoyens le haïssaient et ils dépêchèrent à sa suite une ambassade chargée de dire: Nous ne voulons pas que celui-là règne sur nous.
15 "Et il advint qu’une fois de retour, après avoir reçu la dignité royale, il fit appeler ces serviteurs auxquels il avait remis l’argent, pour savoir ce que chacun lui avait fait produire. 16 Le premier se présenta et dit : Seigneur, ta mine a rapporté dix mines. -- 17 C’est bien, bon serviteur, lui dit-il; puisque tu t’es montré fidèle en très peu de chose, reçois autorité dix villes. » (Lc 19)
On peut aussi lire l’Apocalypse : « J’entendis alors une voix clamer, du trône : "Voici la demeure de Dieu avec les hommes. Il aura sa demeure avec eux ; ils seront son peuple, et lui, Dieu-avec-eux, sera leur Dieu. 4 Il essuiera toute larme de leurs yeux : de mort, il n’y en aura plus; de pleur, de cri et de peine, il n’y en aura plus, car l’ancien monde s’en est allé." 5 Alors, Celui qui siège sur le trône déclara: "Voici, je fais l’univers nouveau." Puis il ajouta : "Ecris : Ces paroles sont certaines et vraies." 6 "C’en est fait, me dit-il encore, je suis l’Alpha et l’Oméga, le Principe et la Fin ; celui qui a soif, moi, je lui donnerai de la source de vie, gratuitement ». (Ap 21, 3-6)
Deuxième lecture (Ph 3, 8-14)
Frères, tous les avantages que j’avais autrefois, je les considère comme une perte à » cause de ce bien qui dépasse tout : la connaissance du Christ Jésus, mon Seigneur. À cause de lui, j’ai tout perdu ; je considère tout comme des ordures, afin de gagner un seul avantage, le Christ, et, en lui, d’être reconnu juste, non pas de la justice venant de la loi de Moïse mais de celle qui vient de la foi au Christ, la justice venant de Dieu, qui est fondée sur la foi. Il s’agit pour moi de connaître le Christ, d’éprouver la puissance de sa résurrection et de communier aux souffrances de sa Passion, en devenant semblable à lui dans sa mort, avec l’espoir de parvenir à la résurrection d’entre les morts. Certes, je n’ai pas encore obtenu cela, je n’ai pas encore atteint la perfection, mais je poursuis ma course pour tâcher de saisir, puisque j’ai moi-même été saisi par le Christ Jésus. Frères, quant à moi, je ne pense pas avoir déjà saisi cela. Une seule chose compte : oubliant ce qui est en arrière, et lancé vers l’avant, je cours vers le but en vue du prix auquel Dieu nous appelle là-haut dans le Christ Jésus. » – Parole du Seigneur.
Saint Jean Chrysostome, Père de l’Église, a écrit une série d’homélies pour commenter la lettre aux Philippiens. Nous allons suivre ses explications.
« L’apôtre n’a pas dit : La loi est une perte ; mais : ‘Je l’ai considérée comme une perte’. Lorsqu’il parle du gain, il ne se sert point de la même expression, mais il affirme simplement et dit : ‘Tout ce qui a été gain pour moi’. — Au contraire, lorsqu’il parle de perte, il n’affirme plus, mais il dit : ‘Je l’ai cru [je l’ai considérée]’. — Admirable exactitude de langage qui nous définit d’un côté la loi telle qu’elle était dans son essence, et de l’autre la loi telle qu’elle est devenue dans notre condition de chrétiens […] Dès que le soleil brille, vous perdez à tenir votre flambeau allumé. Ainsi le désavantage d’une chose quelconque résulte nécessairement de sa comparaison avec un objet plus grand. Or, vous voyez que Paul fait une comparaison : ‘A cause de l’éminente science’ (Ph 3, 7-8) En sorte que la prééminence comparative que l’apôtre attribue à la connaissance de Jésus-Christ sur la loi suppose que ces deux choses sont de même genre, c’est-à-dire bonnes toutes deux. »
« A cause de lui j’ai accepté de tout perdre, je considère tout comme déchets, afin de gagner le Christ, et d’être trouvé en lui, n’ayant plus ma justice à moi, celle qui vient de la Loi, mais la justice par la foi au Christ, celle qui vient de Dieu et s’appuie sur la foi » (Ph 3, 8-9).
Saint Jean Chrysostome : « Les ordures dont il s’agit, sont les issues du froment (le blé), ce qu’il a de grossier, le chaume, la paille. Or avant la maturité du froment, la paille avait son utilité ; nous la recueillons même encore avec le froment ; si le chaume n’avait d’abord poussé, le grain n’aurait point paru. Ainsi en est-il de la loi de Moïse. Ce n’est donc jamais absolument parlant et en considérant la chose en soi, que Paul appelle la loi dommageable, mais par rapport à Jésus-Christ. Écoutez encore : ‘Je regarde tout comme détriment’, nous dit-il. Pourquoi ? ‘A cause de la science éminente de Jésus-Christ pour qui j’ai tout rejeté’. […]
C’est encore l’oeuvre de la foi de nous faire accepter « une participation aux souffrances de Jésus-Christ » (Ph 3, 10). Si nous ne croyons pas, nous ne voudrons pas souffrir ; non, si nous n’avons pas la foi qu’en souffrant avec lui, avec lui aussi nous régnerons, aucune considération ne nous décidera jamais à subir tant de peines. Il faut que la foi nous ait appris d’abord et sa naissance et sa résurrection. Mais aussi, vous le voyez ; on exige de nous non pas une foi nue et morte, mais unie aux bonnes oeuvres. On reconnaît, en effet, qu’un chrétien croit à la résurrection d’après son courage à s’exposer comme Jésus-Christ aux périls, à partager avec lui ses douleurs. […] Comme mon Maître a été maltraité des hommes, ainsi je le serai, je lui deviendrai conforme ; les vexations, les calamités reproduiront en moi une certaine image de sa mort. Il ne cherchait pas, en effet, son propre bonheur, mais notre salut. Donc aussi vexations, misères, angoisses, non seulement ne doivent pas nous troubler, mais plutôt nous combler de joie, puisqu’elles nous rendent conformes à sa mort. […]
‘Ce n’est pas que j’aie atteint jusque-là ni que je sois déjà parfait ; mais je poursuis ma course, pour tâcher d’atteindre au terme où le Seigneur Jésus-Christ m’a destiné en me prenant’ (Ph 3, 12). — ‘Je n’ai pas encore atteint’, quoi donc ? Le prix de la course. Ah ! si saint Paul, après tant de souffrances, au milieu même de tourments actuels, subissant déjà la mort, n’était pas encore pleinement confiant ni en pleine sécurité pour sa résurrection glorieuse, que dirons-nous de nous-mêmes, mes frères ? — ‘Pour tâcher d’atteindre’, qu’est-ce à dire ? Rapprochez ici le texte : ‘Pour tâcher d’arriver à la résurrection d’entre les morts’ (Ph 3, 11), […] comme s’il disait: Pour que je devienne digne d’arriver à cette résurrection si belle, si capable de combler mes voeux ; pour que j’arrive à la résurrection, enfin, de Jésus lui-même. Car si j’ai le coeur de subir tous les combats et tous les travaux, je pourrai aussi gagner sa résurrection et revivre avec gloire. Maintenant je n’en suis pas digne encore, mais je poursuis ma course pour tâcher enfin d’y atteindre. Ma vie n’est encore qu’une lutte perpétuelle ; je suis encore loin du terme, encore loin du prix ; il me faut courir encore, encore le poursuivre. »
Saint Jean Chrysostome reprend : « Il n’est rien pour rendre inutiles nos bonnes oeuvres et pour nous gonfler d’orgueil, comme le souvenir complaisant du bien que nous avons fait. Deux maux en résultent pour nous : une négligence plus grande, une vanité plus exaltée. Aussi Paul, sachant que notre nature est invinciblement portée à la paresse, ayant d’ailleurs prodigué l’éloge aux Philippiens, se hâte, vous le voyez, de rabaisser toute enflure. Ainsi : ‘Mes frères’, dit-il, ‘je ne crois pas avoir saisi ce vers quoi je tends’ (Ph 3, 13). Que si Paul ne tient pas encore le prix, s’il n’est pas pleinement sûr de sa résurrection glorieuse ni de son avenir, bien moins doivent l’être ceux qui n’ont pas encore gagné la moindre partie de semblables mérites. […]
Je fais tout, avoue-t-il, en Jésus-Christ (Ph 3, 14) ; car à moins qu’il n’imprime le mouvement, tant d’espace est infranchissable à notre faiblesse ; nous avons besoin d’être beaucoup aidés. Il a voulu que le théâtre de la lutte fût ici-bas ; et là-haut, le couronnement. D’ailleurs, dans nos cités mêmes, l’athlète ou l’écuyer vainqueurs, quand ils vont recevoir l’honneur tant recherché, ne restent pas en bas dans le stade ; ils montent appelés par l’empereur, qui de son trône élevé, les couronne. Ainsi vous-mêmes, loin d’ici, vous recevrez la palme dans le ciel. »
Évangile (Jn 8, 1-11)
En ce temps-là, Jésus s’en alla au mont des Oliviers. Dès l’aurore, il retourna au Temple. Comme tout le peuple venait à lui, il s’assit et se mit à enseigner. Les scribes et les pharisiens lui amènent une femme qu’on avait surprise en situation d’adultère. Ils la mettent au milieu, et disent à Jésus : « Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d’adultère. Or, dans la Loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là. Et toi, que dis-tu ? » Ils parlaient ainsi pour le mettre à l’épreuve, afin de pouvoir l’accuser. Mais Jésus s’était baissé et, du doigt, il écrivait sur la terre. Comme on persistait à l’interroger, il se redressa et leur dit : « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre. » Il se baissa de nouveau et il écrivait sur la terre. Eux, après avoir entendu cela, s’en allaient un par un, en commençant par les plus âgés. Jésus resta seul avec la femme toujours là au milieu. Il se redressa et lui demanda : « Femme, où sont-ils donc ? Personne ne t’a condamnée ? » Elle répondit : « Personne, Seigneur. » Et Jésus lui dit : « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus. » – Acclamons la Parole de Dieu.
Cet épisode est absent du livre liturgique des chrétiens d’Orient parlant araméen, la Pshitta (et du manuscrit Khabouris), absent aussi des manuscrits grecs alexandrins du 2e siècle (on le trouve alors dans l’évangile selon saint Luc). C’est une perle exceptionnelle, probablement parce qu’elle est un témoignage qui ne vient pas des apôtres, mais peut-être de la femme elle-même (à moins que ce ne soit de Nicodème). Ce récitatif s’insère cependant parfaitement dans l’évangile de Jean.
Situons cet épisode dans le contexte de l’évangile de Jean.
Le dernier jour de la fête des tentes, Jésus a fait scandale en affirmant : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne auprès de moi, et qu’il boive ! » (Jn 7, 37). C’est comme s’il disait : "Je suis l’eau !" qui symbolise la Torah, c’est comme s’il disait : "Je suis la Torah !" Avant de condamner Jésus, on le met à l’épreuve : faut-il lapider cette femme adultère ? Et Jésus appelle chacun à la conversion ─ que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre. Alors que la femme adultère était une menace de contamination, digne d’être lapidée, Jésus n’en a pas eu peur, lui la source pure, et il lui a offert un chemin de salut (Jn 8, 1-11). Mais juste après, c’est Jésus que l’on veut lapider (Jn 8, 59).
Reprenons plus précisément, le dernier jour de la fête des tentes, une opposition très grave vient des autorités du Temple. La nature de cette opposition transparaît bien dans le récit. Beaucoup disaient « Celui-ci est vraiment le prophète ! » (Jn 7, 40). Le grec a l’article, l’araméen a la forme emphatique « nbyᵓ ». Autrement dit, la foule identifie Jésus à Moïse, qui est « Le » prophète. Jésus a encouragé cela parce que, cinq fois, il est dit « envoyé » du Père (Jn 7, 16. 18. 28. 29. 33). Jésus s’est donc placé (au moins) au rang de Moïse, qui, le premier, est celui que Dieu a « envoyé », comme il est écrit : « Maintenant va, je t’envoie auprès de Pharaon, fais sortir d’Égypte mon peuple, les Israélites » (Ex 3, 10). De plus, Moïse est celui qui, à l’Horeb, a frappé le rocher pour donner au peuple l’eau qui désaltère et l’eau de la Torah (Ex 17, 10) : que Jésus dise de venir à lui pour boire (Jn 7, 37), c’est vraiment prendre le rôle de Moïse ! Et c’est en quelque sorte détrôner les maîtres de la loi qui enseignent « dans la chaire de Moïse ».
Les chefs religieux reprochent à leurs hommes de main de ne pas leur avoir amené Jésus (Jn 7, 45). Mais Nicodème fait remarquer que la loi ne permet pas de condamner sans avoir entendu l’accusé (Jn 7, 50-51).
C’est alors que vient l’épisode de la femme adultère, où l’on va chercher à entendre le véritable accusé, Jésus. Faut-il lapider cette femme ? La lapidation consistait à mettre le condamné sur une butte, qui devait faire plus d’une fois et demie la hauteur de sa taille. On le disposait dos au vide, et on le poussait, pour qu’il tombe en arrière et se brise la nuque. S’il mourait sur le coup, l’exécution était accomplie : Dieu avait accepté le jugement. Si l’accusé survivait, celui qui se portait garant, au nom de Dieu, de la validité de la condamnation, prononçait, "proclamait" le jugement de Dieu et on portait le coup de grâce au condamné en lui jetant la "première pierre". La foule est unanime pour prononcer la lapidation. Mais Jésus, lui, ne dit rien. II ne juge pas : il exerce, en sa faveur, la miséricorde. II se présente comme celui qui fait miséricorde. II est assis, il siège en juge. II écrit, il est en situation de juge. Et il dit : "Je ne te condamne pas !"
La perle suivante (Jn 8, 12-59) nous parle, et c’est parfaitement logique, du jugement. Jésus est « La lumière de la vie » (Jn 8, 12). L’acceptation de cette lumière est «ḥayye’ » c’est-à-dire vie et salut. Jésus parle d’une lumière qui donne la vie. Cette lumière est fondatrice de tout ce qui est créé (Gn 1, 3-4). Le refus de cette lumière, signifie le péché et la mort :
« 21 Jésus leur dit de nouveau :
Moi, / je m’en vais,
et vous me chercherez, / et vous mourrez dans vos péchés ! » (Jn 8, 21)
« 24 Je vous l’ai dit : / vous mourrez dans vos péchés !
Si, en effet, vous ne croyez pas qui je [suis], / vous mourrez dans vos péchés ! » (Jn 8, 24)
De tels propos ne sont pas contraires à l’Amour : « Le médecin n’est pas mauvais lorsqu’il annonce au malade qu’il a de la fièvre : le médecin n’est pas responsable de cette fièvre, ainsi, Dieu est bon en lui-même. » (CLEMENT d’ALEXANDRIE, Le Pédagogue, IX, 85-88)
Dans mon livre, « Jean, l’évangile en filet », j’explique qu’en plus de l’ordre habituel, on peut aussi méditer l’évangile en suivant six fils transversaux, disons verticaux. L’épisode de la femme adultère (Jn 8, 1-11) s’insère bien dans son fil vertical qui commence avec Jean-Baptiste présentant Jésus comme « l’agneau qui emporte le péché du monde » (perle 1A). L’adultère, signe de l’idolâtrie, est la source de tous les autres péchés. Comme Jésus avait dit à la Samaritaine : « cet homme n’est pas ton mari » (perle 2A), Jésus dit aussi à la femme adultère : « va, et ne pèche plus » (perle 4A).
L’adultère est un péché grave, on parle de péché mortel (pour l’âme). Saint Thomas d’Aquin explique que « le péché mortel vient de ce que la volonté de l’homme s’est détournée de Dieu pour se tourner vers un bien périssable. » Par conséquent, « il est impossible qu’un péché soit remis sans la pénitence en tant que vertu », la pénitence étant « un changement de la volonté humaine de telle sorte qu’elle se tourne vers Dieu ». « Chez les enfants, il n’y a que le péché originel, qui ne consiste pas dans le désordre actuel de la volonté, mais dans le désordre habituel de la nature ». C’est pourquoi la rémission du péché dans les enfants implique seulement « un changement produit par l’infusion de la grâce et des vertus ». Mais quant à l’adulte, « les péchés ne lui sont pas remis, même par le baptême, sans le changement actuel de la volonté qui se fait par la pénitence. » (III Tertia Pars Qu.86 a.2)
Date de dernière mise à jour : 13/02/2025